Mibambwe IV – Rutalindwa (1895-1896).

En 1894, se trouvant à sa résidence de Ngeri au Nyaruguru (territoire d’Astrida), Rwabugiri régla la succession au tambour en désignant à cette fin son fils Rutalindw a alors âgé de 24 ans et déjà père de trois enfants. Malheureusement Nyiraburunga, une Mukono, mère de l’héritier, était décédée. Conformément à la règle du code dynastique ésotérique qui veut qu’un mwami ne peut jamais régner sans une reine-mère co-régnante, Rwabugiri désigna à cet effet sa femme Kanjogera, une Mwega, mère d’un jeune enfant du nom de Musinga et sœur de deux intrigants : Kabare et Ruhinankiko. Comme la coutume le veut, Rwabugiri confia à trois biru, conservateurs des secrets royaux, l’exécution de son testament politique. Ces biru étaient Bisangwa, Sehene et Mugugu. Or pour Kabare, Ruhinankiko et Kanjogera, le choix de Rwabugiri était une déception : la reine-mère n’accompagnait le roi dans ses déplacements que lorsqu’il n ’était pas encore marié, de plus tant que durait une régence, la reine-mère commandait en lieu et place du mwami mineur, elle participait à tous les grands conseils, elle prononçait la nomination et la destitution des chefs, etc. Sa fonction politique de reine-mère ne prenait fin qu’au mariage du jeune mwami, on disait alors qu’elle s’asseyait (se reposait) sur son siège inteko.

L’institution de Rutalindwa, marié et père de famille, en qualité de mwami ne présentait donc aucun intérêt pour Kanjogera et son clan, mais il devait en aller tout autrement si l’on parvenait à le faire disparaître et à lui donner en qualité de successeur le jeune Musinga, fils de Kanjogera. C’est à quoi s’employèrent Kabare et Ruhinankiko, Bega frères de Kanjogera, à qui s’ajouta leur neveu Rwidegembya, fils de leur frère Cyigenza.

Kigeri-Rwabugiri mort, son fils Rutalindwa prit possession du pouvoir symbolisé par les tambours-enseignes, de la façon la plus traditionnelle eu égard à sa désignation régulière. Il prit le nom de règne de Mibamwe et il confirma Kanjogera dans ses fonctions purement honorifiques de reine-mère, celle-ci prit dès lors le nom de Nyiramibambwe. Kabare et ses partisans feignant la satisfaction parurent reconnaître le nouveau mwami, mais ils n’avaient rien abandonné de leurs desseins. Il convenait en premier lieu pour mettre en doute la légitimité de Mibambwe-Rutalindwa de faire disparaître les trois biru auxquels Kigeri-Rwabugiri avait confié son testament politique. Bisangwa trouva la mort au combat de Shangi en 1896 où l’avait envoyé Mibambwe-Rutalindwa, à la tête d’une formation guerrière, combattre le lieutenant belge Sandrart. Sehene fut invité à boire chez Kabare et ce dernier l’abattit lui-même d’un coup de hache. Mugugu fut calomnié par Kabare auprès de Mibambwe-Rutalindwa et de Nyira-Mibambwe ; le mwami ordonna de le tuer chez lui à Burima au Mayaga, mais Mugugu ne voulant pas être massacré par ses adversaires, se suicida dans l’incendie de sa hutte. Les biru étant disparus, il n’y avait plus qu’à se débarrasser de Mibambwe et à proclamer Musinga roi.

Mibambgwe-Rutalindwa assistait, inerte et impuissant à la disparition de ses plus fidèles soutiens. Kabare s’employa d ’une manière astucieuse et perfide à détacher du roi de nombreux Banyiginya, y compris ses frères aînés Nshozamihigo, Sharangabo, Cyitatire et Baryinyonza. Les Batsobe se rallièrent à Kabare, il en fut de même des Bakono de marque tels Rwangampuhwe et Rubasha. Pour apaiser les craintes superstitieuses des conjurés, les Bega firent organiser des scènes d’aruspicine favorables chez les devins auxquels Kabare fit déclarer que le successeur de Kigeri-Rwabugiri devait être fils d’une Mwega.

Les conspirateurs suivaient le mwami dans ses déplacements et ne cessaient de lui manifester leurs prévenances afin d’endormir ses soupçons, il disposait d’une escorte de féroces Batwa, mais il manquait de cran et d’intrépidité : la force de caractère n’était malheureusement pas du côté du droit.

Finalement, Kanjogera, Kabare et ses frères ne cachent plus leurs sentiments. L’on rapporte que la reine-mère aurait dit à Mibambwe-Rutalindwa dont elle avait reçu la tutelle honorifique : « Inyana
y ’insindirano ironka ntitsimba : le veau qui a perdu sa mère et qui est allaité par une autre vache ne peut épuiser celle-ci ! »

Vers décembre 1896, ils accompagnent Mibambwe d’Ibumbogo à Rukaza, à quatre heures de marche au S. E. E. de Kabgayi. Partout où ils campent, on craint qu’ils n’en viennent aux mains. A Rukaza, chacun demeure chez soi. Mibambwe se trouve dans un enclos d’emprunt à Rucuncu (Ruziranenge). Il n’a avec lui d’abord que ses plus jeunes frères Burabyo, Karara et Murigo. Muhigirwa est malheureusement absent ainsi que Baryinyonza. Sharangabo, Cyitatire, NyiraYuhi et son fils Musinga sont à Rucuncu, avec Ruhinankiko, Rwidegembya, Rutishereka, Nyagatoma et Sebuharara, un Munyiginya ; Nshozamihigo, voyant l’absence de certains de ses frères, se met du côté de Kabare. Un Mututsi, dit le proverbe, ne craint pas la mort, il ne pense qu’à son ventre : «Ntibatinya gupfa, bagir’ubgenge bg’inda, icyabo n ’icy’inda ».

De part et d’autre, l’on tient conseil. Un jour, pour une cause futile, des feuilles de bananier que coupent les gens de Mibambwe, une rixe s’engage sous la pluie. Au bruit des tambours de guerre, les combattants s’amènent. Les Bega, grâce à la proximité de leurs habitations, entraînent avec eux la plupart de ceux qui arrivent, persuadés qu’ils sont avec le roi. Mibambwe réussit d’abord à refouler les assaillants, ses gens passent même devant la hutte où sont réfugiés Musinga et sa mère. Celle-ci pense déjà à se tuer avec son parent Rutishereka, mais Kabare les en empêche. La lutte se poursuit, souvent corps à corps, à coups de coutelas et de serpettes, à défaut de lances et de flèches. Sur le soir arrive Rwamanywa, le chef du Budaha (surnommé pour cela Cyaduka : celui qui survient à l’improviste) avec ses Badaha et les gens de la forêt ; il fait changer les avantages. Mibambwe reçoit une flèche à la jambe et rentre chez lui avec son cousin Bigirimana , le chef de Nyakare ; Murigo , son jeune frère, est tué et ses gens sont repoussés. A ce moment, Kabare apparaît portant Musinga à bout de bras : « Voyez, crie-t-il, le roi que Rwabugiri nous a laissé. Celui pour lequel vous combattez est un révolté, le roi le voici, c’est Yuhi ».

C’est donc à cet instant que Musinga reçoit son nom de roi. Il s’appellera Yuhi, il ne sera pas un chef guerrier, le pouvoir, en réalité, restera aux mains de la reine-mère intitulée dès lors Nyirayuhi et de ses frères. La fortune des Bega est assurée.

Les partisans de Mibambwe s’arrêtent indécis, puis peu à peu cessent le combat. Finalement, Mibambwe se suicide dans l’incendie de sa hutte. Les renforts qui lui arrivent, mais trop tard, voient la fumée s’élever de l’enceinte royale, ils comprennent que tout est fini et rebroussent chemin.

Avec Mibambwe, meurent ses trois fils : Nyamuheshera , Rangira et Sekarongoro ; sa postérité est bien éteinte et nul n ’a dit depuis que l’un de ses enfants ait survécu, sauf ceux qui admettent que Ndungutse est fils de Mibambwe. Les deux biru Kibaba et Rutikanga sont aussi parmi les morts, avec nombre de Banyiginya.

La tradition qui veut que les tambours-enseignes aient disparu dans l’incendie de Rucuncu nous semble dénuée de fondement, le mwami ayant l’habitude de les entreposer dans une hutte distincte de celle qu’il habite et qui s’intitule kwa Cyilima : chez le mwami Cyilima. C’est sous le règne de Mibambwe-Rutalindwa qu’un Belge pénétra au Ruanda pour la première fois.
En 1896, le lieutenant Sandrart, pourvu d’une mission à accomplir dans le nord de l’État indépendant du Congo, emprunta la route du Ruanda pour s’y rendre. Il campa à Shangi. Le mwami Mibambwe- Rutalindwa organisa contre cet officier une expédition armée forte de dix formations guerrières sous la conduite de 1 ’umugaba Ndibyariye ; les commandants de ces bataillons étaient Bisangwa, Rwidegembya, Rwayitare, Mpetamacumu, B ikotw a, Mugugu, Nyabakonjo, Muhigirw a, Sharangabo et Balyinyonza. L’engagement eut lieu à Shangi et, après avoir essuyé quelques coups de feu des soldats du lieutenant Sandrart qui abattit lui-même Bisangwa, les guerriers banyarwanda, au nombre de plusieurs milliers, s’enfuirent en une débandade éperdue.

Yuhi V – Musinga (1896-1931).

Musinga, fils de Rwabugiri, naquit à Rubengera (Bwishaza) vers 1883. Étant initié au culte des esprits divinisés imandwa, il n’aurait jamais dû régner.

Les premières années du règne de Yuhi-Musinga, usurpateur malgré lui, furent employées par les Bega à liquider les Banyiginya réfractaires. En effet l’opposition légitimiste avait surgi dès le lendemain de la catastrophe de Rucuncu.

Muhigirwa, fils de Kigeri-Rwabugiri, informé des événements par son frère Burabyo, jura de venger la mort de son frère Mibambwe-Rutalindwa. Il souleva la chefferie de Nyaruguru qu’il dirigeait et proclama son fils Muhunguyishoni, encore enfant, mwami du Ruanda. Mais Kabare, par d’habiles manœuvres, parvint à détacher les partisans de Muhigirwa qui n’eut plus d’autre ressource que de se suicider en s’empalant sur sa lance fichée en terre. Son fils Muhunguyishoni fut précipité sur la pointe d’une sagaie. Burabyo fut conduit au Bugesera et noyé dans le gouffre dénommé urwobo rw’abayanga. Au Bugoyi, une insurrection légitimiste dirigée par Sebakara fut écrasée par Rwidegembya. Pendant ce temps se poursuivait à la capitale la série des exécutions, des vengeances politiques et de l’épuration systématique sous la direction des régents Kabare, Ruhinankiko et de la reine-mère Kanjogera. Baryinyonza, bien qu’ayant fait acte de soumission à l’égard de son frère le mwami Yuhi-Musinga, fut néanmoins noyé dans le gouffre du Bugesera afin que sa mort servît d’exemple aux autres princes Sharangabo, Cyitatire, etc. demeurés à la tête de leur fief. Lors du drame de Rucuncu, Bigirimana, cousin du mwami, avait tué le jeune Murigo avant de périr lui-même. Le fils de Bigirimana devait payer de sa vie le geste de son père, la vengeance fut exécutée par la reine-mère, elle-même, qui enfonça un poignard dans la poitrine de cet enfant de dix ans. Elle s’acharna également sur Rwamanywa, fidèle à la mémoire de Mibambwe qui, avant de mourir, subit durant cinq jours, les plus ignominieuses tortures. Rukwavu, frère de Rwamanywa, et Nyabakonjo, chef du Bwishaza, périrent étranglés. Shamabwa fut livré aux chiens. Rutalindagira fut écorché vif après avoir eu la tête taillée à coups d’herminette. Ces actes de sauvagerie vindicative durèrent jusqu’en 1908, année au cours de laquelle l’Administration allemande, qui avait installé le Dr Kandt, premier résident du Ruanda à Kigali, commença à exercer un certain contrôle sur le pays. Si les Allemands s’étaient installés à Shangi en 1898, en fait leur occupation du début n’avait été que nominale.

Les Bega profitèrent des vides créés par eux dans les rangs des Banyiginya pour s’accaparer de leurs commandements militaires territoriaux ou pastoraux, de leurs terres et de leurs bestiaux.

En 1901, le Gisaka se souleva. Il avait été annexé au Ruanda vers le milieu du XIX e siècle par le grand’père de Yuhi-Musinga, le mwami Mutara-Rwogera. A la tête de ce mouvement d’indépendance se trouvait le nommé Rukara, héritier légitime des précédents roitelets du Gisaka. Mais l’Administration allemande refusa de protéger Rukara et l’emmena en relégation à Usumbura.

En 1903, Nyumbika, chef dans le Gisaka, suspect d’intelligence avec l’insurgé Rukara fut convoqué à Nyanza, ses trente porteurs y furent massacrés, tandis que lui-même était ligoté. Il ne dut d’avoir la vie sauve qu’à l’intervention du capitaine Von Beringe, résident allemand pour le Ruanda-Urundi à Usumbura qui dépêcha sur les lieux le lieutenant Von Parish lequel fit relâcher le prisonnier et infligea une amende de trente bovins au mwami Y uhi-Musinga pour les actes de cruauté infligés aux porteurs. Dès lors, le despotisme royal se sentit bridé : l’indigène apprenait de la sorte qu’il pouvait avoir confiance dans la justice et dans la protection de l’Européen.

En 1907, lors du passage du Duc de Mecklembourg, Yuhi-Musinga craignait déjà de se voir déposséder par Ndungutse lequel se disant fils de Mibambwe-Rutalindwa, se présentait comme prétendant légitime au tambour du Ruanda. Ndungutse, qui vivait en Uganda, s’était proclamé en 1911-1912 mwami du Bukonya, du Kibali, du Mulera, du Buberuka et d’une partie du Bumbogo, il voulait marcher sur Nyanza. Il s’était acquis le concours de deux bandits notoires : Rukara et le Mutwa B asebya lesquels, depuis des années, défiaient l’autorité de Yuhi-Musinga. Celui-ci, qui avait atteint une trentaine d’années, gouvernait personnellement le royaume sous la férule de sa mère Kanjogera. Kabare était mort en 1911, Ruhinankiko vivait disgrâcié, et Rwidegembya déchu de son rang de commandant en chef des formations guerrières tenait à la cour le rôle de devin.

Le mwami pria le R. P. Loupias, de la mission de Rwaza, de tenter une transaction. Le rendez-vous eut lieu en avril 1910 au pied du volcan Muhabura, mais Rukara tua traîtreusement le R. P. Loupias. Le résident Godowius marcha contre Ndungutse avec ses 150 hommes de troupe armés et environ 3.000 guerriers indigènes, il parvint au camp du prétendant dans la matinée du 13 avril 1912. Croyant recueillir les faveurs de l’occupant européen, Ndungutse lui livra Rukara, mais en vain, car les Allemands ne voulurent point composer et l’imposteur n’eut plus d’autre ressource que d’émigrer en Uganda où les Anglais l’internèrent à Jinja ; ses partisans se débandèrent.

L’assassin du R. P. Loupias fut condamné à la peine capitale à Ruhengeri. Quant au Mutwa Basebya, homme lige de l’Umwega Rwidegembya, il s’était réfugié dans les marais du Buberuka. Le chef Rwubusisi attira Basebya dans un guet-apens par de fallacieuses promesses. S’y étant rendu, le Mutwa fut tué le 15 mai 1912 par des policiers à la solde des Allemands, déguisés en commerçants.

C’est sous le règne de Yuhi-Musinga que l’occupation européenne s’implanta effectivement au Ruanda. Il existe à ce sujet une volumineuse littérature dont le remarquable ouvrage du chanoine de Lacger : RuandaII – Le Ruanda moderne (Namur, 1940) auquel nous renvoyons le lecteur pour plus de détails.

Les Belges s’installèrent durant une année, en 1897, à Nyamasheke et l’un des leurs, surnommé Rupari, rayonna jusqu’à Rubengera où il demeura durant trois semaines.

En 1897, les mutins de la colonne Dhanis envoyée contre les Mahdistes, traversent le pays depuis Kisenyi jusqu’à Usumbura. Un combat entre ces révoltés et les troupes régulières de l’État indépendant du Congo, eut lieu à Rwinkuba (Shangugu). Un second engagement se passa à Bugarama (Shangugu) où un Européen, peut-être le lieutenant Dubois, trouva la mort (décédé le 13 novembre 1897).

En 1898, le capitaine allemand Bethe s’installa à Shangi ayant sous ses ordres un sous-officier européen et une compagnie de soldats ; puis en 1899 à Usumbura en qualité de premier résident du Ruanda-Urundi ; auparavant la Résidence se trouvait à Ujiji.
En 1898, le Dr Kandt voyageant à la recherche des sources du Nil, s’installa à Shangi ; il y demeura durant 6 années, rayonnant dans le pays. Il publia ensuite son ouvrage Caput Nili. Il qualifia la Rukarara-Nyabarongo de source du Nil en 1898.
Des colonnes militaires, fortes parfois de 300 fusils, commencèrent à sillonner le pays en tous sens, partant soit d ’Usumbura soit de Bukoba, dans le but de maintenir l’ordre.

En 1899, Bethe s’entendit avec le mwami Yuhi Musinga afin que celui-ci reconnût le protectorat allemand sur son pays ; en contrepartie de la protection germanique, Musinga conservait pleine et entière juridiction sur le Ruanda, et le droit de percevoir les prestations coutumières. Les Pères Blancs conduits par Mgr Hirth arrivèrent à Nyanza le 2 février 1900, Musinga ne se montra pas à eux personnellement, car un homme de paille Mpamarugamba fut présenté à sa place ; c’est de cette date que remonte l’essor si prodigieux des missions catholiques.

La mission protestante allemande s’installa au Ruanda en 1907, elle fonda les postes de Remera, Kirinda, Rubengera, Idjwi, Zinga et de Shangugu, elle possédait en outre une maison à Kigali et une autre à Nyanza.

Le 10 avril 1900, une convention belgo-allemande dite Hecq-Bethe neutralisait une zone contestée à l’est du lac Kivu où Belges et Allemands occupèrent des postes.

Une commission de délimitation belgo-allemande, se mit au travail dès 1901, les travaux cessèrent en 1906 pour reprendre en 1910.

En 1902, une commission géographique anglo-allemande, partie de l’Océan Indien, releva les frontières entre le Kenya et l’Uganda d’une part, le Tanganyika Territory et le Ruanda d’autre part. En 1903, le commandant belge Bastien fut adjoint à cette mission pour fixer le point commun aux trois pays : État indépendant du Congo, Uganda et Ruanda-Urundi ; on choisit le sommet du mont Ihunga. En 1907, une mission anglo-belge, partant d’Ihunga, s’intéresse au Kivu-Nord et à l’Uganda. En février 1910, au cours d’une conférence tenue à Bruxelles se crée une mission anglo-germano-belge dite du Kivu-Ufumbiro ; on prend alors le volcan Sabyinyo comme point commun aux trois pays. Les travaux de cette mission commencent dès 1910 ; ils concernent la délimitation définitive entre le nord du Ruanda-Urundi et l’Uganda, l’Uganda et le Kivu, le Kivu et le RuandaUrundi.

Suite aux accords internationaux de 1912, Yuhi Musinga perdit des provinces entières où l’on parlait kinyarwanda : le Bufumbira et le Kigezi passèrent aux Anglais tandis que les Belges recevaient le Djomba, le Bwishya, le Kamerunsi, le Bukumu et le Gishari ; en outre, la Belgique recevait encore l’île Idjwi, conquête récente de Rwabugiri. Les Belges demeurèrent à Shangugu jusqu’en 1912.

En 1907, les Allemands érigent le Ruanda et l’Urundi en résidences distinctes et y appliquent les principes de l’administration indirecte. Il y avait une compagnie d’askaris pour le Ruanda à Kisenyi avec des postes détachés à Ruhengeri et Shangugu ; une autre pour l’Urundi à Usumbura ainsi qu’un détachement à Civitoke.

Le Gouvernement général se trouvait à Dar-es-Salam. Le Dr Kandt fut le premier résident civil du Ruanda, tandis que Von Grawert administrait d’Usumbura l’Urundi. Kigali fut choisi comme chef-lieu du Ruanda en 1907 et Kitega pour l’Urundi en 1912. En 1908, l’Allemagne érigea Kigali en qualité de résidence impériale sous l’administration civile du docteur Kandt.

L’Administration allemande, purement nominale, ne laissa rien de positif derrière elle à son actif : ni routes, ni ponts, ni hôpitaux, ni recensement, ni, à part un timide essai, perception des impôts indigènes ; elle ne se préoccupa jamais de cultures vivrières, de la mise en valeur des bas-fonds ni du reboisement. Elle se contenta d’assurer une paix relative au pays ; les bami conservèrent leur arbitraire droit de vie et de mort, sans guère avoir à en justifier l’emploi.

Mais elle eut pour elle le mérite d’avoir existé, de supprimer la traite des esclaves, d’avoir protégé l’installation des missions et du commerce, d’avoir introduit la monnaie, de s’être préoccupée de la justice concernant les étrangers, ainsi que de cartographie et d’études générales du pays.

Le Congo belge ayant été attaqué par l’Allemagne en 1914, demeura sur la défensive jusqu’en 1916. Le 18 avril 1916, la Force Publique, passant à l’attaque, s’empara de Shangugu, le 6 mai 1916 de Kigali, le 20 septembre 1916 de Tabora ; finalement elle atteignit l’Océan Indien.
Le 11 novembre 1918, le général allemand Von Lettow, ayant eu connaissance de la signature de l’armistice par son pays, se rendit aux autorités anglaises d ’Abercorn (Rhodésie).

A l’occasion de la guerre 1914-1918, la Belgique administra directement une partie des territoires conquis : Ruanda-Urundi, Bushubi, Bugufi, Buha et les circonscrip¬tions de Kigoma et d’Ujiji. Le chef-lieu était Kigoma, où résida le premier commissaire royal. Par un accord en date du 28 mai 1919 signé entre MM. Orts et Milner, la Belgique conserva l’Urundi et le Ruanda.

Le Gisaka fut remis à l’Angleterre le 22 mars 1922, toutefois après des tractations, l’Angleterre rétrocéda cette province au Ruanda le 1er janvier 1924.

Le relevé de la frontière entre le Ruanda-Urundi et le Tanganyika Territory fut exécuté par une mission belgo-anglaise durant les années 1923 et 1924.

Par l’article 119 du Traité de Versailles du 30 juin 1919, l’Allemagne renonça à ses colonies en faveur des Alliés. Par décision du 21 août 1919, les Alliés attribuèrent à la Belgique le mandat sur le Ruanda-Urundi. Il fut confirmé par une décision de la Société des Nations, en date du 31 août 1923. Ce mandat fut approuvé par une loi belge du 20 octobre 1924.

Une loi du 21 août 1925 fixa et définit le statut du Territoire, un arrêté royal du 11 janvier 1926 pourvut à son exécution en unissant administrativement le Ruanda-Urundi au Congo belge.

Forte de son expérience coloniale : le décret sur les chefferies indigènes du Congo belge datait du 2 mai 1910 et celui organisant la perception des impôts indigènes en espèces, du 17 juillet 1914, la Belgique va-t-elle, dès l’occupation, donner une nouvelle ligne de direction à l’administration du pays.

Afin de sortir les indigènes de leur oisiveté séculaire, elle institue la perception de l’impôt de capitation dès 1917, sur la base de 5 francs par homme adulte et valide. Elle maintient la division du pays en 2 résidences, et crée les territoires. Les bami perdent de suite leur droit de vie et de mort sur leurs sujets ; la justice pénale est rendue par l’occupant, tandis que la justice civile continue à être administrée par les autorités indigènes pour l’autochtone, mais sous le contrôle des fonctionnaires européens.
Le premier but de la Belgique fut de préserver les populations de l’arbitraire de leurs dirigeants : à titre d’exemple, une lettre 791/A/53 de 1917, du résident du Ruanda stipule que tout mututsi dépouillant un Muhutu de ses récoltes, les lui rendra en double ; un Mututsi envoyant son bétail dans les plantations des Bahutu paiera à ces derniers le double des dégâts causés.

Les circonscriptions indigènes furent dirigées sur le principe de l’administration indirecte consacrée par l’ordonnance n° 2/5 du 6 avril 1917. Musinga prononça la liberté de religion. Il décida qu’en principe la superficie des terres arables accordées aux Bahutu serait doublée et que la corvée ubuletwa serait stabilisée à deux jours sur les cinq que comportait la semaine coutumière.

En 1919, le roi des Belges décerna à Yuhi-Musinga la plaque de grand officier de l’Ordre de Léopold pour les bienfaits rendus à la civilisation au Ruanda. En janvier 1919, le résident militaire passa ses pouvoirs à l’administration civile.

La Belgique se préoccupa de développer le réseau routier, d’assurer la prospection géologique du pays, d’instituer un service médical gratuit pour les indigènes, d’entamer un recensement des populations, de favoriser l’installation des missions, de subsidier l’enseignement, de créer un service cartographique, de promouvoir l’agriculture et le reboisement.
Dès 1922, les tribunaux indigènes fonctionnent officiellement au chef-lieu de chaque territoire et, en degré d’appel notamment, chez les bami.

Une ordonnance du 18 mars 1923 abolit l’esclavage domestique. Par ordre de service 2213 du 26 décembre 1924, le résident du Ruanda supprime les prestations imponoke, indabukirano et abatora.

En 1924, la prestation en travail ubuletwa est réduite de 2 jours sur 5 à 2 jours sur 7 par semaine. Les tribunaux indigènes furent organisés par voie d’instruction administrative. L’on commença à procéder au regroupement des commandements territoriaux hétérogènes, l’on renforça l’autorité des dirigeants autochtones et l’on remplaça les chefs incurablement mauvais par des candidats choisis de commun accord avec le mwami.

En 1925, Musinga décida de ne plus accorder d’ibikingi politiques à ses favoris, l’igikingi était un pacage comportant dix à quinze serfs Bahutu. Par la suite, l’on rattacha tout igikingi vacant à l’échelon voisin et l’on en vint à supprimer des francs-alleux ne comportant que 75 à 100 contribuables, l’on tendit ainsi vers la création de sous-chefferies fortes, en moyenne, de 300 hommes.

Comme à la suite de la mort de Ndagano, le faiseur de pluie du Bukunzi (territoire de Shangugu), le 30 mars 1923, des sacrifices humains avaient été exécutés pour apaiser son âme, l’Administration décida d’effectuer l’occupation militaire de cette région jusqu’en septembre 1926. En 1925, au cours d’une échauffourée la femme de Ndagano fut tuée et son fils Ngoga fut relégué à Kigali où il mourut. En 1925-1926, une occupation militaire fut également opérée au Busozo précédemment indépendant du mwami du Ruanda.

Dès 1926, l’Administration tend à unifier les commandements indigènes qui, au Ruanda, comportaient jusqu’à trois chefs pour une seule circonscription : des terres de culture, des pacages et des guerriers.

En 1930, elle décide la suppression des petits commandements comportant moins de 100 contribuables. Au cours de la même année, le 25 septembre, le gouverneur Voisin sort son important programme en 12 points instituant la politique générale à suivre dans le Ruanda-Urundi : intensification des cultures vivrières, introduction du manioc, élimination des bovidés en surnombre, assainissement du pays, fréquentation des établissements scolaires, constitution d ’un vaste réseau routier, destitution des autorités incapables, regroupement des circonscriptions dispersées, octroi de concessions aux colons dans les zones à terres vacantes, octroi de concessions minières, reboisement du pays, appui au commerce et surveillance de la main-d’œuvre.

Parti en 1932, le gouverneur Voisin n’eut que l’occasion d’ébaucher son œuvre par la construction de routes, les campagnes manioc, café, coton et par le recensement sur fiches des populations.

Avec les années, il s’avéra qu’en réalité Yuhi-Musinga, loin d’évoluer, s’accrochait de plus en plus, par un conservatisme immuable, aux conceptions surannées du commandement traditionnel et à l’esprit païen. Le rapport annuel sur l’administration belge du Ruanda-Urundi en 1926 n’accordait plus au mwami « qu’un reste de bon sens ».

Il constatait « l’asservissement du mwami aux devins, vieillards sans scrupule qui, craints de tous, mais plus encore haïs, ont considérablement nui à son prestige ». Il entra en lutte ouverte contre le christianisme, interdisant à sa fille Musheshambugu d’embrasser la foi catholique et alla jusqu’à piétiner rageusement des médailles et des images du culte. Musinga opposa une résistance passive, vers 1930, à l’introduction du manioc dans son pays ainsi qu’au recensement de ses administrés.
Il apparut qu’en matière de prestations coutumières, Yuhi-Musinga était résolument décidé à n’apporter aucun allègement aux exactions que leur exigence faisait peser sur la population muhutu.

Par ordonnance signée à Usumbura, le 7 novembre 1931, le gouverneur du Ruanda-Urundi, après en avoir référé préalablement aux autorités supérieures, prononça la destitution de Musinga de ses fonctions et de ses pouvoirs de mwami du Ruanda au profit de son fils aîné Rudahigwa pour les motifs suivants : opposition sourde à toute mesure visant le bien-être de ses sujets et le développement économique du pays, lourde oppression sur la population, exactions de tout genre, perte de prestige et ascendant personnels auprès des grands feudataires, hostilité aux dégrèvements successifs des prestations et corvées coutumières de la classe asservie, hostilité à l’égard de la christianisation du pays.

Le 11 novembre 1931, le gouverneur du RuandaUrundi signa à Nyanza un arrêté de relégation astreignant Yuhi-Musinga à quitter Nyanza le 14 novembre 1931 par la voie Nyanza-Kirinda-Kamembe afin de fixer sa résidence dans cette dernière localité, attendu que sa présence aurait compromis la tranquillité publique à Nyanza.

Les grands chefs du Ruanda furent réunis à Kigali le 12 novembre 1931 afin de les tenir éloignés de la capitale et de les aviser des mesures prises. Ils ne gagnèrent Nyanza que le 14 novembre après le départ de Musinga.

Les arrêtés de relégation et de destitution furent signifiés au mwami le 12 novembre 1931, il dut remettre ses tambours dont les enseignes Ngabe : Karinga, Mpatsibihugu, Kiragutse et Cyimumugizi, le lendemain à son fils Rudahigwa.

Le 14 novembre 1931, Musinga quitta Nyanza, par caravane, pour Kamembe, où il arriva le 21 novembre 1931 avec sa mère Nyira-Yuhi, ses femmes, ses enfants et quelques domestiques ; pas moins de 485 porteurs constituaient la caravane.

Musinga, dans la journée du 12 novembre 1931, demanda successivement au gouverneur du Ruanda-Urundi qui lui opposa chaque fois un refus : de pouvoir rester mwami durant quelques mois encore afin de prouver ce dont il était capable, de demeurer à Nyanza, de lui laisser les tambours-enseignes, car son fils Rudahigwa, chrétien, n’y attacherait aucune attention, de se faire accompagner par de grands chefs lors de son voyage d’exil à Kamembe.

Le 12 novembre 1931, Musinga adressait une lettre à Rudahigwa, l’implorant d’intervenir auprès de l’Administration afin de ne pas être relegué à Kamembe.

Rudahigwa fut institué mwami du Ruanda sous le nom de règne de Mutara (le paisible, le favorable aux vaches), le 16 novembre 1931 à Nyanza. Il fournit 363 têtes de bétail à son père afin de subvenir à ses besoins et une pension alimentaire de 2.000 francs par mois.

Musinga dut être condamné à deux reprises par le tribunal de police de Kamembe pour avoir hébergé chez lui des individus dont la résidence n’avait pas été autorisée par l’administrateur.

Le 23 mai 1933, l’on dut envoyer de force ses fils Bushayija, Masabo et Bagambake au Groupe Scolaire d’Astrida, Musinga faisant obstruction à leur instruction.

Nyira-Yuhi, née Kanjogera, mère de Musinga, décéda à Kamembe le 2 octobre 1933. Dans le courant de la nuit suivante, une hutte brûlait, carbonisant la nommée Buyenge servante de la reine-mère. Le cadavre de cette dernière fut momifié dans la fumée d’un feu de bois durant une quinzaine de jours par les appariteurs Kampayana et Ndamagi, puis il fut transporté, par porteurs, jusqu’au cimetière royal de Rutare (territoire de Kigali).
Par ordonnance du 18 juin 1940, le gouverneur général du Congo belge décida de placer Musinga en résidence surveillée en région des Marungu (district du Tanganika, Congo belge). Le gouverneur d’Élisabethville, par un arrêté en date du 2 juillet 1940 lui assigna, comme lieu de séjour, le village de Kitendwe en chefferie Manda, territoire de Moba. Musinga quitta Shangugu pour Moba le 20 juillet. L’ex-mwami croyait en effet que grâce à une victoire allemande il pourrait reprendre le pouvoir ; de ce fait des troubles étaient à craindre. On trouva dans les malles de Musinga deux petits tambours, une tête de touraco rouge inganji (de kuganza : vaincre) que le mwami devait rituellement porter lorsqu’il touchait le tambour-enseigne Karinga en prononçant une peine de mort, une massue en cuivre et deux coiffes royales ; ces différents objets concrétisaient bien l’espoir que nourrissait secrètement Musinga de recouvrer la royauté.

En octobre 1940, Musinga fut incarcéré à Albertville pour avoir incité les populations contre les pouvoirs établis. Il décéda à Kitendwe le 25 octobre 1944 et y fut inhumé.