Urundi.

Une question se pose sur le point de savoir si la maison régnante de l’Urundi est d’origine muhutu de fonds réellement paléonégride. Au point de vue anthropologique, la différence de taille et les caractéristiques somatiques qui distinguent le mwami Mwambutsa de l’Urundi du mwami Mutara-Rudahigwa, du Ruanda, sont frappantes. Selon certains renseignements, les premiers bami de l’Urundi seraient du clan muhutu des Bahanza (les chauves) – Bahiza devenus Batutsi par suite de mariage avec les familles de pasteurs bahima immigrées (Mgr GORJU signale que les Bahanza Bahoro demeurèrent Bahutu). Le premier mwami de l’Urundi Ntare-Rushatsi est surnommé Serutama ou Cyambarantama, l’homme à la peau de mouton, en souvenir de sa pauvreté originelle. On trouve dans les insignes de la monarchie de l’Urundi, un bouc sacré ou ingabe : Rusasu, animal d’élevage de l’agriculteur, détesté de l’éleveur muhima ou du mutusi qui ne l’admettent jamais au sein de leurs troupeaux qui sont composés exclusivement de bovins et de moutons. D’après Van der Kerken, la famille régnante de l’Urundi ferait partie du clan muhutu des Bazigaba, premiers immigrants de ce pays ; cet auteur ajoute que les aristocraties du Ruanda et de l’Urundi ne sont pas parentes. Pour le reste, les bami de l’Urundi furent constamment en lutte contre le Ruanda . Ntare-Rushatsi aurait été, sous le nom de Karemera, simple vacher au service du chef muhutu Mashyira, des Bahanda, au Nduga (Ruanda) ; il aurait vécu au temps du mwami munyarwanda Mibambge Ier – Sekarongoro Ier.

Les bami de l’Urundi étaient incapables, soit par ignorance, soit par dissimulation, d’indiquer leur clan originel et leur totem ; d ’autre part, ils tentaient de se rattacher au Ruanda par la formule vague « Umwami ava i Ruanda » : (notre) mwami vient du Ruanda, ainsi que par un nommé Kanyaburundi ancêtre éponyme des Barundi, sans distinction de race, qui aurait été fils du mwami Gihanga inexistant, car mythique, dont nous avons examiné la personnalité au chapitre consacré aux Batutsi du Ruanda. On trouve dans les reliques de la monarchie de l’Urundi un soufflet et des outils de forge ; or, l’on sait que les vrais Bahima ne pratiquent jamais le métier de forgeron. Le premier mwami, Ntare, fut intitulé Muhutu par son peuple ; le grand chef Nduwumwe déclara à Mgr Gorju :

« Ne te méprends pas sur notre origine, nous autres princes, notre premier aïeul était Muhutu, nous ne sommes que des Bahutu ».

Lors de leurs déplacements dans les milieux indigènes, les bami de l’Urundi logeaient chez des familles bahutu. Il est donc hors de propos de voir dans la généalogie des bami de l’Urundi une origine commune avec le Muhima Ruhinda, fondateur, à ce qu’on dit, de différents royaumes indigènes des Grands Lacs.

Quoi qu’il en soit, avec le temps et les alliances, les princes de l’Urundi firent de plus en plus figure de Batutsi, et il serait inadmissible de leur refuser cette qualité qui constitue plus un état social qu’un critérium racial.

Ntare Ier – Rushatsi
(alias Cyambarantama : celui qui se vêt d ’une peau de mouton).

Une tradition du Ruanda veut que Rushatsi aurait été, sous le nom de Karemera, un serviteur du nommé Gacumi, homme du chef muhutu Mashyira des Babanda qui occupaient le Nduga (territoire de Nyanza). Rushatsi était vraisemblablement lui-même Muhutu, d’un des premiers clans aborigènes du Ruanda, des Bazigaba disent les uns. D ’autres prétendent que Karemera était fils de Sinzi, lui-même fils de Nyamubanzi, fils du mwami Ndoba du Ruanda.

Lors de son arrivée en Urundi, Ntare-Rushatsi aurait été accompagné de Sacyaga, le premier juge mushingantahe, d ’où le dicton : « Yaje guca urubanza rwananiye Ngoma » (il est venu trancher la palabre que la dynastie n ’a su résoudre).

Karemera aurait pris le nom de Ntare (le lion) après avoir, conformément à la prédiction d ’un devin, abattu un lion, peu après son entrée en Urundi, marquant de cette manière sa capacité à gouverner le pays. En Urundi, Rushatsi aurait vaincu Jabwe rya Nkabata rya Rurenge (celui-ci étant l’ancêtre éponyme des Barenge) et l’aurait tué sur une colline qui depuis lors serait appelée Jabwe, près de Bururi. Ntare-Rushatsi aurait enlevé au chef muhutu Fumbije son commandement sur le Bweru, mais ceci est contesté et l’on croit que c’est Ntare II qui aurait combattu Fumbije, il est vrai que la tradition confond fréquemment Ntare Ier et Ntare II. C’est ainsi qu’on avance que Ntare-Rushatsi aurait également conquis le Nkoma et qu’il aurait lutté contre Ruganzu, mwami du Ruanda, pour razzier du bétail, ou plus exactement contre Mibambwe-Sekarongoro.

Certains prétendent que Ntare-Rushatsi serait venu du Buha et qu’il aurait dépossédé un nommé Rubaga qui régnait sur une partie de l’Urundi ; d ’autres enfin le prétendent fils de Jabwe, voire de Nsoro rya Ntwero lequel commandait la partie septentrionale du Bututsi.

On raconte également que le mwami Ruhinda wa Wamala, Mucwezi du royaume du Kitara au Bunyoro (Uganda) aurait pénétré en Urundi par l’est, qu’il se serait battu contre Ntare-Rushatsi qui l’aurait finalement repoussé.

Comme on le voit, la tradition qui concerne Ntare-Rushatsi ne manque ni de fabuleux, de pittoresque, ni de contradictions. En aucun cas elle ne constitue une base valable pour préciser l’origine certaine de ce premier mwami de l’Urundi.

Mwezi Ier – Balindamuka.
Le nom de Mwezi vient d ’ukwezi, la lune. Le nom de naissance de ce mwami aurait été Balindamuka. Il aurait dû abdiquer sur l’ordre de devins et serait l’ancêtre des Babibe. En fait, de ce Mwezi et de ses successeurs jusqu’à Ntare-Semugazashyamba, la tradition ne nous apporte guère de renseignements précis.

Mutaga Ier.
Ce nom proviendrait de « ku mutaga » : « à midi » ou « dans la journée », allusion à la beauté radieuse de ce roi (?).

Mwambutsa Ier.
Ce nom de règne vient du kwambutsa : faire passer un cours d’eau à quelqu’un, ou de umwambutsa, espèce de liane grâce à laquelle Ntare-Rushatsi aurait traversé l’Akanyaru pour aborder l’Urundi.

Ntare II – Rubogora.
Ce roi aurait été contemporain de Ruganzu-Ndori mwami du Ruanda ; selon la tradition du Ruanda, il s’appelait Ntare-Kibogora. Ayant attaqué le Bugesera, le chef de ce pays dut implorer Ruganzu-Ndori de venir à son secours, lequel y dépêcha ses guerriers sous le commandement de Nyantabana des Bega. Les envahisseurs barundi furent repoussés.

Mwezi II.
La tradition ne rapporte rien d’autre que son nom.

Mutaga II.
Ce roi aurait attaqué la partie méridionale du Ruanda, dont le mwami Mutura Ier-Semugeshi défendit le Bwanamukali. Finalement Mutaga aurait conclu la paix avec le Ruanda et aurait reçu comme épouse la nommée Inabizoza, sœur de Mutara Ier – Semugeshi.

Mwambutsa II.
La tradition ne rapporte rien à son sujet.

Ntare III – Semugazashyamba.
Au Ruanda, ce mwami est connu sous le nom de Ntare-Kivimira. Sous le règne du mwami munyarwanda Mibambwe-Gisanura, Ntare III tenta de réoccuper le Bwanamukali en vue d’y opérer une razzia de gros bétail. Ntare s’attaqua à nouveau au Ruanda sous le règne du mwami munyarwanda Yuhi-Mazimpaka. Ntare avait pour alliés le roi du Karagwe et celui du Banyabungo (Kivu).

Ntare s’attaqua au royaume indépendant du Bugesera dont le mwami Nsoro fut évincé et dut se réfugier au Mayaga (Ruanda). Ntare pénétra à la fois à l’ouest et au centre du Ruanda. A l’ouest, il razzia des bovins jusqu’au Rusenyi tandis qu’au centre il pénétra jusqu’au Bufundu où il fixa une de ses résidences à Kami.

Finalement battu par Yuhi-Mazimpaka, Ntare fut tué à Nyaruhengeri (Kansi) dans le territoire d’Astrida. Il fut enterré à Butandari, dans la forêt Kibira, en Urundi.

Mwezi III- Kavuyimbo (?) Nyaburungu (?)
La tradition rapporte que ce mwami aurait également combattu le Ruanda, qu’il serait mort à Bujozi et enterré à Jurwe disent les uns, à Butandari disent les autres.

Mutaga III – Sebitungwa – Senyamwiza.
Son nom de naissance est Rutamu. Il est connu au Ruanda sous celui de Mutaga-Semwiza. Il combattit le mwami munyarwanda Cyilima II – R ujugira qui rejeta ses troupes au-delà de la Kanyaru tandis que Mutaga était tué lors de la bataille de Save disent les uns, de Nkanda au Buyenzi disent les autres. L’un des tambours de Mutaga, le Rugabo fut pris parmi le butin, il se trouverait encore à Gaseke où la momie de Cyilima-Rujugira fut honorée. Mutaga-Sebitungwa possède son tombeau à Butandari.

Mwambutsa III – Nyarushumba – Kabibe.
Le règne de ce mwami semble avoir été court et stérile en événements de caractère guerrier. Deux versions ont cours au sujet de la fin de ce règne. Selon une première, Mwambutsa, pour une raison qui n’est même pas déterminée, se serait révélé incapable et il fut forcé d’abdiquer. Traversant la Buyongwe, affluent de la Kanyaru, il s’installa en qualité de simple Mututsi près de la mission de Murehe, sous le nom de Kabibe, donnant ainsi renaissance au clan des Babibe qui totalise au moins huit générations. C’est d’ailleurs une famille noble en rapports d’amitié avec les princes de sang baganwa : « Basangira : ils mangent ensemble ». Notons que le mwami Mwezi Ier – Balindamuka est censé avoir donné naissance au clan des Babibe.

Selon une seconde version, Mwanbutsa serait mort tragiquement : après avoir fait brûler vif ses frères présumés coupables d ’avoir voulu l’assassiner, les devins l’auraient obligé à se jeter lui-même dans les flammes. Le fait est que Mwambutsa ne possède pas son tombeau avec les autres bami à Butandari.

Ntare IV – Rutanganwa – Rugamba – Ruyenzi.
L’on prétend que Ntare IV ne serait point fils de Mwambutsa III mort sans postérité, le fait est qu’il n’existe pas d ’Abambutsa et que Ntare IV aurait dû être fils unique : certains avancent qu’il aurait eu une sœur, d ’autres enfin déclarent que Ntare IV fut un umurenge, c’est-à-dire un descendant de Rulenge donc un Muhutu. De même que son illustre prédécesseur et homonyme Ntare-Semugazashyamba, Ntare IV – Rutanganwa laissa le souvenir d ’un roi belliqueux sans cesse en déplacement.

C’est probablement Ntare IV qui défit Fumbije et Ntibirangwa, chefs bahutu dissidents, et qui conquit le Bweru. Il guerroya au Buha, au Bushubi, au Ruanda, où il razzia du bétail. Ntare IV – Rutanganwa et le mwami de l’époque du Ruanda, Mibambwe III – Sentabyo, se partagèrent le Bugesera dont la capitale Kibamba échut à l’Urundi ; le mwami du Bugesera se réfugia chez Kimenyi-Getura, roi de Gisaka. C’est à dater de cette époque que le Bugesera cessa d’exister en qualité d’entité politique indépendante. Ntare IV s’attaqua aux bami du Ruanda Yuhi-Gahindiro et Mutara III – Rwogera, pénétrant par le Bwanamukali jusqu’à une dizaine de kilomètres de Nyanza, toutefois les Barundi furent finalement repoussés et, leur retraite ayant été coupée avant qu’ils n’eussent atteint la Kanyaru, ils laissèrent énormément de morts sur le terrain. Ntare IV mourut en 1852 du pian, dit-on, et fut inhumé à Butandari.

Mwezi IV – Gisabo – Bikata – Bijoga (1852-1908).
Au décès de Ntare-Ruyenzi, son fils Ndivyariye qui exerçait son autorité sur une grande partie des régions du nord-est et des territoires du centre, assuma la régence et la tutelle du jeune Mwezi. Il partagea dès lors son domaine entre ses fils. A Sebanani (père de Busokoza, grand-père de Karibwami auquel Ntidendereza succéda en 1944) fut adjugée la région du Bwambarangwe-Busoni, du Butambuka et du Buzigo. A Bitongore, fut donnée une grande partie du Muramba et du Gitara. Ndivyariye remit à ses fils Inasango et Kanugunu, le Busamanyi ainsi qu’une partie du Buterana.

Fils de Ntare IV, Mwezi-Gisabo eut un règne excessivement long et contemporain de ceux des quatre bami du Ruanda : Mutara II – Rwogera, Kigeri IV -Rwabugiri, Mibambwe IV -Rutalindwa et Yuhi V-Musinga. Dès son investiture, Mwezi-Gisabo connut de grosses difficultés, sa légitimité étant contestée par ses frères, ce fut le début de la fameuse querelle des Bezi et des Batare.

Mwezi fixa sa capitale à Bukeye. Comme la règle le veut à chaque nouvel avènement en Urundi, Mwezi s’employa à éliminer des provinces les chefs Batare descendants de son père afin de les remplacer par ses propres fils, les Bezi.

Ndivyariye s’employa à dilapider les troupeaux de son pupille. Une fois majeur, le roi fit supprimer son tuteur sans autre forme de procès. Le petit-fils de Ndivyariye : Kanugunu se réfugia dans ses terres au Bweru et vécut d’une manière indépendante ; le Bweru devint le lieu de refuge des mécontents. Plus tard, aidé par les Allemands, Kanugunu se mit en campagne ouverte contre Mwezi.

Dès cette époque, eurent lieu les premiers démêlés entre les fils de Ndivyariye et le roi Mwezi : Inasango fut obligé de demander asile à Rwabugiri, roi du Ruanda et à Kibogora, chef de l’Usubi.

L’histoire raconte qu’un des principaux incidents à l’origine de ces dissensions fut celui qui provoqua la mort de Bitongore : celui-ci, chef du Muramba et du Gitara, aurait abattu par mépris du mwam i , un des taureaux sacrés ingabe. Suite à cet acte sacrilège, Bitongore fut livré par les gens de son propre clan qui craignaient que la malédiction et la vengeance ne retombassent sur eux, et conduit chez Mwezi. Celui-ci le fit mettre à mort à coups de lance, à Mbuye, dans le Muramvya. Cet épisode dramatique aurait confirmé Kanugunu dans sa haine : celui-ci se révolta, quitta la chefferie du Gitara-Muramba (qui fut attribuée aussitôt à Karabona) et se retira dans son autre fief du Busumanyi.

Monsieur le gouverneur général honoraire Ryckmans, dans son opuscule « Une page d’histoire coloniale », rapporte que vers l’époque 1900, ce fut durant deux ans, une période de guerres intestines défavorables à Mwezi. Son fils Serushanya (connu plus tard sous le nom de Ntarugera) se fit battre dans l’est, en plusieurs combats, par les gens de la branche de Ndivyariye. Les Allemands avec Bethe, combattirent Mwezi en juin 1899, il se soumit en 1902.

Vers l’année 1905, les Allemands se résolurent à faire la guerre aux féodaux rebelles : deux expéditions hâtives sont organisées qui vont aigrir les populations et les attacher plus encore à leurs chefs. Dans le nord-est, Kanugunu est tué par les soldats allemands (à Kizi, Buterana). Son fils Mbanzabugabo lui succède et est d’abord reconnu comme chef par Mwezi sur les instances de Ntarugera faisant valoir que la faute du père ne devait pas peser sur le fils.

A cette époque, Ntarugera commandait le Kihinga, une partie du Bweyerezi, du Kilimiro ; il résidait à Higiro (Kihinga) ou à Bugenyuzi (Bweru du territoire de Kitega), organisant une marche face aux rebelles de l’est. Mbanzabugabo, tout jeune encore quand il reprit le commandement de Kanugunu, se tint d’abord tranquille, mais il était néanmoins engagé dans une vendetta qui devait rendre tout rapprochement impossible.

En 1908, une autre expédition fut entreprise dans le nord-est, à renfort de gros effectifs en vue de capturer Busokoza, Mbanzabugabo et Rusengo. Les deux premiers échappèrent et deux mois après la fin de l’expédition tenaient de nouveau la campagne. Grâce à la politique indigène indécise de l’Allemagne qui s’était installée en Urundi, un aventurier du nom de Kilima originaire du Banyabungo (Kivu), se disant petit-fils de Ntare IV, parvint à se tailler un fief en Urundi et à se poser en compétiteur au tambour.

Le résident allemand Von Bering, prédécesseur de Von Grawert, avait favorisé Mwezi. Par contre Von Graw ert, selon le principe « divide ut imperes », soutint Kilima qui soumit les chefs Basaza, Sekyanga et Nyamwezi au nord du territoire de Bubanza, puis il déposséda Nyabusimba, chef à Rwagarika. Kilima, après s’être installé à Kigunga, s’attaqua au mwami avec l’aide des Allemands, Mwezi prit la fuite de Bukeye et les Européens incendièrent ses huttes. Kilima, pour manifester sa prise de pouvoir sur le pays, se fit construire une résidence à Bukeye même.

Par ailleurs un Munengwe, nommé Maconco, revendiqua de son côté le titre de mwami de l’Urundi, et les Batare, ennemis de Mwezi, se rangèrent derrière lui. L’Urundi, par décision du résident allemand, fut divisé en trois secteurs, l’un ayant pour chef Kilima à Bukeye, l’autre commandé par Maconco à Huye et enfin le troisième relevant directement de l’autorité du mwami Mwezi résidant au Kiganda. De retour, le résident Von Bering voulut rétablir l’unicité du pouvoir du roi et prononça la destitution de Kilima et de Maconco contre lesquels il envoya des troupes en vue de leur arrestation.

Les usurpateurs s’enfuirent, Von Bering abattit Maconco tandis qu’il traversait Usumbura. Mais chose curieuse, toutes les terres conquises par Kilima ne furent pas restituées à Mwezi ; une partie d’entre elles fut remise à Kajyibwami, fils de Kilima, qui s’installa en qualité de chef à Munanira (Kayanza).

On ne peut mieux exposer la situation de l’Urundi à la veille de la première guerre mondiale qu’en citant les termes d ’un rapport du gouverneur Dr Schnee.

« L’histoire de l’Urundi depuis la prise de possession par l’Allemagne est malheureusement peu satisfaisante et contraste avec l’état de choses pacifique et agréable du Ruanda.

» Après la fondation de station militaire (résidence depuis 1905) d’Usumbura, on entreprit contre Mwezi, qui cherchait à se soustraire à la domination allemande, des expéditions qui aboutirent en 1902 à sa soumission. Plusieurs des petits sultans de l’Urundi avaient collaboré à ces expéditions du côté allemand ; on ne toucha pas à leur indépendance. Après ces événements, le gouverneur comte Von Gôtzen , ordonna de rétablir la puissance de Gisabo, désormais soumis, et de lui soumettre de nouveau les sultans plus petits pour gouverner l’Urundi par son intermédiaire comme on gouvernait le Ruanda par celui de Musinga.

» Le résident Hauptmann Von Grawert s’efforça pendant six ans d’aboutir en ce sens, mais sans succès décisif. Une partie des sultans parmi lesquels quelques-uns de ceux qui avaient guerroyé avec les Allemands contre Gisabo , refusèrent de se soumettre au sultan, alléguant que leurs pères avaient déjà été indépendants de lui. Au fond, le motif de cette résistance opiniâtre devrait bien être, en partie tout au moins, recherché dans la crainte qu’avaient les sultans de perdre la vie s’ils se soumettaient au sultan suprême. Ils appartiennent tous, comme aussi Gisabo et son fils Mutaga , actuellement régnant, à la famille princière des baganwa dans laquelle le meurtre de parents éloignés en vue d’acquérir pour soi ou ses proches leurs terres et leur bétail, appartient aux institutions historiques.
On en vint à une série d’expéditions dans lesquelles la Schutztruppe demeura victorieuse, sans toutefois atteindre le but : soumission de tous les indigènes au sultan suprême. Ainsi régna un état de guerre presque permanent, jusqu’à ce qu’en 1909 la politique fut changée par le gouverneur Von Rechenberg, en ce sens que la puissance de Gisabo ne serait maintenue intacte que pour autant qu’elle existait réellement et que les sultans indépendants de facto devaient être reconnus comme tels. »
La paix revint après cela ; dans le sud de l’Urundi seulement se produisirent encore des attaques de caravanes qui rendirent nécessaire de fermer à la circulation».

Mwezi-Gisabo se vit accusé, par la vindicte populaire, d ’être la cause d ’une éclipse totale du soleil, puis de l’apparition de l’épizootie de peste bovine qui causa tant de ravages dans le pays en 1890-1891. Le code ésotérique de la cour de l’Urundi érigeait en tabou le fait pour le souverain de voir le lac Tanganika, néanmoins cédant aux instances de l’autorité allemande, Mwezi consentit en 1908 à descendre à Usumbura où on lui réserva une réception enthousiaste, malheureusement le mwami décéda le lendemain, confirmant ainsi la rigueur du tabou.

Après s’être installé à Ujiji en 1845, l’Arabe esclavagiste MUNIE-HERI envoya ses bandes accompagnées de celles de MOHAMED BIN HALFAN, sultan d ’Ujiji dit RUMALIZA le ravageur, sur les côtes du lac Tanganika et dans la plaine de la Ruzizi, mettant en coupe réglée toute la région traversée.

Elles établirent des bases à Nyanza-lac, à Rumonge et à Usumbura. La résistance que leur opposa Mwezi fit qu’ils ne purent pénétrer au cœur de l’Urundi.

De 1858 à 1862, trois officiers britanniques de l’armée des Indes Burton, Speke, Grant, partis de Zanzibar et suivant les pistes empruntées par les esclavagistes, explorent l’est africain, à la recherche des fabuleuses sources du Nil. Le 13 février 1858, Burton atteint le lac Tanganika, dont l’une des baies porte son nom depuis lors. Le 10 novembre 1871, lors de son voyage à la recherche de David Livingstone, Stanley rejoint celui-ci à Ujiji, et effleure ensuite, en sa compagnie, les côtes de l’Urundi.

La première caravane des Pères Blancs arrive à Ujiji en 1879. En juillet 1879, les RR. PP. Deniaud et Augier débarquent à Rumonge, en compagnie de l’auxiliaire laïc, le sergent belge d ’Hoop, dans le but de fonder une mission. Ils sont massacrés le 4 mai 1881 par des indigènes excités par les Musulmans de Munie-Heri. Quatre autres essais de fondation furent tentés en 1882, en 1884, en 1890 et en 1896, respectivement à Masanze d’abord et à Uzige (Usumbura) ensuite.

En 1884, une bande armée de l’esclavagiste Rumaliza est exterminée dans la Ruzizi. Au cours de la même année, Mirambe, mwami d’Urambo, subit une défaite décisive à Murale dans le Buyogoma.
En 1885, les Bangoni (Zulu) sont repoussés sur la Malagarazi.
En 1886, une nouvelle bande armée de Rumaliza est défaite par Gisabo à la forêt Kibira et repoussée vers le lac Tanganika.
1890 voit l’apparition des puces chiques, des sauterelles et de la famine ; 1892 celle de la peste bovine et de la petite vérole.

Le 5-9-1892, le docteur Oscar Baumann pénètre par l’est en Urundi et après avoir séjourné du 11 au 15-8- 1892 au Ruanda, il se trouve du 25 au 30-9-1892 à Uzige (Usumbura). Il remonte le cours de la Ruvubu depuis son embouchure avec la Kagera se croyant à la véritable source du Nil, il fut ainsi le premier Européen à pénétrer au cœur de l’Urundi. Mais ce n’est que quelques années plus tard que l’Administration allemande entama l’exploration du pays : en 1896, Ramsay visite l’Uzige, tandis que Trotha était au nord ; en 1897, Ramsay parcourt l’Urundi du sud au nord, il se rend au Buha et au sud du Ruanda, au cours de la même année Fonck relève la partie côtière du lac Tanganika ; en 1898, Kandt relève une partie du Buyogoma, Bethe traverse le pays du nord au sud ; en juin 1899, Bethe combat le mwami Mwezi tandis que von Grawert relève une partie du Buyogoma.

L’Urundi était administré en 1896 par le résident allemand Von Ramsay qui habitait Ujiji. En 1899, Bethe lui succède et s’installe en 1905 à Usumbura comme résident du Ruanda-Urundi, en 1908 l’administration de militaire devient civile et en 1912, la résidence allemande s’installe à Kitega.

Les Pères Blancs pénétrèrent pour de bon en Urundi en 1898 ; ils commencent l’installation de leurs postes missionnaires par la création de Mugera, qui est suivi de Muyaga en 1898, de Buhonga en 1902, de Kanyinya en 1904, de Rugari en 1909, de Buhoro en 1912, etc.

Mutaga IV – Mbikije (1908-1915).
Fils de Mwezi-Gisabo, Mutaga-Mbikije, âgé de 13 ou 14 ans, prit le pouvoir dans des circonstances excessivement difficiles, car en fait le pays demeurait divisé. L’usurpateur Kilima réapparut au bout de trois années d’exil et s’installa chez son fils Kadjibwami lequel décéda peu de temps après et ainsi Kilima reprit la direction des terres qu’il avait conquises précédemment. Lors de son avènement, Mutaga reçut deux tuteurs ; la reine-mère Ririkumutima et son frère Ntarugera (fils de Mwezi et de Musaniwabo). Les influences et les convoitises des tuteurs ne manquèrent pas de s’exercer dans des directions diamétralement opposées. Ntarugera s’éclipsa devant Ririkumutima. Celle-ci, altière et jalouse, ne pouvait voir en Ntarugera qu’un compétiteur au trône. La rivalité entre ces deux tuteurs domine la politique durant plusieurs années. Par haine de Ntarugera, Ririkumutima alla jusqu’à se rapprocher des révoltés du nord-est et à pactiser avec les gens de Mbanzabugabo, des Batare, lequel demeurait pratiquement indépendant. Mbanzubugabo organisa une expédition du vivant de Mutaga (fin 1914), envahit le fief de Ntarugera, brûla ses enclos de Rugazi (Bweru), de Butezi (Kilimiro) et de Munanira (Kilimiro). Ntarugera rassembla des forces et engagea la lutte à Munanira. Mbanzabugabo dut réintégrer ses terres. Il y résidait principalement au lieudit « Mu Magene», près de la frontière du Tanganika, en bordure de la Ruvubu, et à Kizi, au Buterana. Ryckmans signale que trois chefs apparentés au rebelle : Fyiroko, Bikino et Mbongo furent reçus par Mutaga qui les incita à faire la guerre à Ntarugera. Il note à ce sujet :

« C’est le premier rapprochement depuis trois générations entre les Batare du nord-est et la famille royale : il prouve que malgré tout, il reste ente eux des liens réels, que des circonstances favorables auraient pu raffermir ».

Mutaga mourut assassiné, croit-on, par l’un des siens le 30 novembre 1915 ; il fut enterré à Murangara, à la forêt Kibira. Deux versions qui se rejoignent ont cours à ce sujet. Selon la première, un délateur, membre du groupe des Bavubikiro aurait dénoncé Bangwa, frère du roi, comme étant le séducteur d ’une des femmes de ce dernier et Bangwa aurait tué Mutaga au cours d ’une rixe. Selon la seconde version, c’est Mutaga qui aurait d ’abord tué Bangwa, puis il aurait été gravement blessé par un autre de ses frères et serait mort des suites de ses blessures. Quoi qu’il en soit, la riche famille des Bavubikiro fut presque entièrement spoliée et exterminée. Mutaga laissait deux fils : Bangiricenge et Kamatali.

Mwambutsa IV – Bangiricenge (1915- ).
L’un des derniers actes de l’Administration allemande fut de reconnaître comme roi le jeune Bangiricenge qui prit le nom de règne de Mwambutsa. Terres et troupeaux de la famille des Bavubikiro passèrent aux fils et aux gendres de la reine-mère Ririkumutima qui appartenait du côté maternel au clan honni. Profitant de ces dissensions, Mbanzabugabo ralluma l’insurrection au nord-est, tua un frère de Ntarugera et entreprit de reconquérir les terres perdues depuis de longues années.
En 1916, les troupes belges occupèrent l’Urundi. La nouvelle Administration obligea l’usurpateur Kilima à résider à Usumbura, à la Ndahangwa ; étant parvenu à s’enfuir, on lança des policiers à sa recherche, ils le trouvèrent mort à Munanira. Ses sept fils et sa famille furent exilés en 1920 au Kivu et l’unité du royaume de l’Urundi fut ainsi restaurée.
Né en 1912, Mwambutsa n’avait donc que l’âge de trois ans à la mort de son père Mutaga. Sa grand-mère Ririkumutima exerça à nouveau la régence, faisant disparaître, dit-on, celle qui aurait dû l’exercer normalement c’est-à-dire Ngenzabayo, mère de Mwambutsa.

Le résident allemand Langenn fit assurer la tutelle de Mwambutsa par un groupe de trois régents : Ririkumutima, sa grand-mère, et ses oncles Ntarugera et Nduwumwe, tous deux fils de Ririkumutima. L’investiture de Mwambutsa, selon le rituel coutumier, fut réalisée le 16 décembre 1915. Comme à l’avènement de chaque roi, eut lieu un sacrifice humain d’un membre de la famille mututsi des Abahigwa.

Ririkumutima mourut étouffée en 1917, elle fut remplacée dans sa charge de régente par son fils Karabona. Mwambutsa fut ainsi placé sous la tutelle de ses trois oncles : Ntarugera, Nduwumwe et Karabona.

Au début de l’arrivée des Belges, Mbanzabugabo tenta à nouveau de s’attaquer à Ntarugera et de le faire reculer du Bweru. Il livra bataille à Gahahe (frontière Bweru-Buterana) et à Ruyaga (près de la mission actuelle de Karuzi). Ntarugera étant absent, le choc fut supporté par son fils, le chef de Bakareke et le frère de Ntarugera, Sengabare. Celui-ci fut tué dans la lutte par Mbanzabugabo. Quelques jours plus tard, Ntarugera vint au secours et refoula à nouveau l’adversaire dans son territoire.

Ntarugera restait l’ennemi acharné de Mbanzabugabo et ce ne fut vraiment qu’en 1918 que le calme revint dans cette région du pays sur l’intervention de l’Administration belge.

En 1920, une sédition éclata disant : « Mwambutsa doit abandonner le tambour, il doit passer la Buyogwe ». Les auteurs de ce mouvement, Runyota et Kanyarufunzo voulaient placer un membre du clan des Batare à la tête du pays ; plusieurs baganwa Batare s’étaient ralliés à eux. Mais, grâce à la présence de l’Autorité européenne, le mouvement ne connut pas de succès.

En 1921, Ntarugera décéda, le Gouvernement belge en profita pour élargir le conseil des régents et le composer de dix chefs pris dans toutes les branches de la famille royale ; parmi ces chefs, nous relevons notamment les noms de Nduwumwe et de Karabona, tous deux fils de Mwezi-Gisabo et de Ririkumutima, de Nyanama petit-fils de Mwezi et de Inabikuza, de Baranyanka fils de Ntare-Rutanganwa-Rugamba.

En 1921, après la mort de Ntarugera, Mbanzabugabo, qui ne s’était jamais présenté à la cour, fit sa soumission au roi, sous la pression des Autorités belges, à la suite de quoi il fut admis au Conseil de Régence. Mbanzabugabo décéda le 16 juillet 1930 et laissa son fief à son jeune fils Muhirwa sous tutelle. En 1925, un des membres du conseil décéda, il fut remplacé par trois nouveaux régents.

Le conseil se réunissait au moins une fois l’an, sous la présence du résident de l’Urundi, à l’occasion du 21 juillet ; il délibérait en toute liberté sur les questions intéressant les chefferies : successions, révocations, investiture de chefs. Aucune solution ne lui était imposée par l’Autorité européenne, s’il s’écartait de celles qu’elle proposait, l’on considérait que la raison de cette divergence était dû au fait qu’elles étaient contraires au sentiment du pays.

En 1925, on signale un mouvement d ’insurrection en chefferie Karibwami (Muhinga), dirigé contre un sous-chef et suivi de fuites d’indigènes. L’enquête révéla que cette révolte était due aux exactions commises par le sous-chef contre ses administrés, une fois le sous-chef révoqué, la situation redevint calme.

L’Administration belge occupa méthodiquement les différentes provinces du royaume et notamment le Moso qui n ’était que peu fréquenté par les chefs batutsi, lesquels en craignaient les fièvres.
Le rôle du conseil de régence prit fin en 1931 à la majorité du roi. En 1922, l’Urundi est érigé en vicariat autonome.

Le 22 mars 1922, le Bugufi, alors chefferie de l’Urundi, est rattaché au Tanganyika Territory sous mandat anglais.

En 1927, le résident de l’Urundi ramène à trois jours par an pour le chef et à dix jours en faveur du sous-chef, les prestations dues en corvée valant loyer de terre.

En 1935, un mouvement insurrectionnel éclate au Ndora, à l’instigation d’une sorcière, dit-on, voulant que Mwambutsa abandonne le tambour et préconisant la remise du pouvoir à un Mutare. Une fois encore, grâce à l’action immédiate de la Puissance mandataire, Mwambutsa demeura en place.

Le 12 novembre 1930 le Dr Burkhart Waldecker atteint la source la plus intensive et la plus méridionale du Nil, en l’occurrence celle de la Ruvuvu à 10 km de la mission de Rutovu, en territoire de Rutana, au lieu-dit Gasumo.

Le Dr Burkhart Waldecker plaça une pyramide de pierres sur le sommet dominant cette source, on y apposa une plaque de bronze portant les inscriptions suivantes, en latin :
« Pyramide à la source la plus méridionale du Nil comme signe que le fleuve des pyramides prend ici son origine.
« Elle a été érigée en 1938, sous le patronage du gouverneur Jungers, avec l’aide du Père Colle, de Géradin et de Monteyne, par le Dr Burkhart Waldecker en l’honneur de tous ceux qui ont cherché la source du Nil (Eratosthène, Ptolémée, Speke, Stanley, Kandt et tant d’autres) ».
« Les noms du Nil sont : Kasumo, Mukasenyi, Kigira, Luvironza, Ruvubu, Kagera, lac Victoria, Nil Victoria, lac Kyoga, Mwita-Nzige (lac Albert), Bahr el Gebel, Kir, Bahr el Abiad, Nil.

C’est sous le règne de Mwambutsa que l’Administration belge réorganisa les commandements territoriaux indigènes, traça des routes, organisa des campagnes vivrières, entama des reboisements, procura le café arabica aux autochtones, et débuta un recensement systématique des populations, le pays connut l’essor de son développement culturel et religieux actuel.

Le 24 décembre 1930, Mwambutsa épousa Thérèse Kanyonga du clan des Basine (descendant de Mwambutsa Ier) dont il eut trois enfants : Louis Rwagasore, le 10 janvier 1932, Rose Paula Iribaziga, le 20 mars 1934 et Régine Kanyange le 16 juin 1935. Mwambutsa répudia Kanyonga le 16 juin 1940 et épousa le 13-7-1946 Baramparaye du clan des Bakundo (descendant de Ntare Ier-Rushatsi) dont il eut un fils Caroli le 2 décembre 1947. En 1949, l’Urundi est divisé en deux vicariats par le fait de la création de celui de Ngozi.

En 1950, le mwami Mwambutsa, sur invitation du Gouvernement belge, effectue un voyage en Belgique en compagnie de quatre chefs : son frère Kamatari chef du Mugamba, Bigayimpunzi chef du Buyenzi-Bweru, Bihumugani, chef à Muramvya et Ntidendereza chef du Buterama. Il est titulaire des distinctions honorifiques suivantes : Grand-croix de l’Ordre de Léopold II et Médaille de l’effort de guerre 1940-1945.
S. M. le roi Baudouin parcourut l’Urundi en juin 1955, année au cours de laquelle le mwami retourna en voyage officiel en Belgique.