i.Premières vagues d’immigration.

Il est vraisemblable que les premiers pasteurs Bahima s’introduisirent au Ruanda vers le Xe siècle, à la suite des défricheurs bantous Bagesera, Bazigaba et Basinga, eux-mêmes accompagnés de Batwa portant tous les mêmes noms claniques. VAN DER KERKEN croit que les Batutsi auraient pénétré au Ruanda entre l’an 1000 et l’an 1500. Un même nom clanique pour des individus appartenant à trois groupes ethniques distincts ne signifie pas qu’ils aient eu un ancêtre commun ni même des liens de parenté, mais indique uniquement l’apparte¬nance à un totem identique : tous les Bega qu’ils soient Batutsi, Bahutu ou Batwa possèdent le crapaud comme totem. Il faut voir dans cette appartenance totémique commune, un point de départ identique et une origine géographique commune.

ii. Secondes vagues.

Il s’agit de Batutsi ou de Bahima accompagnant les clans de Bahutu Benengwe, Babanda, Bungura, Bougera et Bagara, avec lesquels ils vivaient vraisemblablement en symbiose. Les Benengwe commandèrent le sud du territoire actuel d ’Astrida, et une partie septentrionale de l’Urundi.

iii. Troisièmes vagues.

Elles comprenaient :

a) La grande phratrie royale des Banyiginya (totem : la grue couronnée umusambi) avec tous leurs clans : Banyiginya proprement dits, Basindi, Batsobe, Bagenda, Bagaruka, Babona, Babyibushye, Bashara, etc.

b) En même temps que les Banyiginya, vinrent leurs alliés dont tout d’abord les Bega qui leur procurèrent de nombreuses reines-mères. Ils donnèrent lieu hors du Ruanda, croit-on, au sous-clan des Bakono qui fournit également des reines-mères, aux Bana et aux Balehejuru-Bakongori.

Parmi les clans anoblis au Ruanda par les Banyiginya et qui leur sont assujettis, citons les Bahennyi, Bahutu maudisseurs des ennemis en temps de guerre, se prétendant Bega, les Baligira, les anciens Bahutu Bagwabiro, les anciens Batwa Baskyete, les Bacyaba, Bazigaba-Baheka, Basinga-Banukamishyo, Bazigaba-Barenzi, Basinga-Bagahe, tous d ’origine muhutu.

Les Banyiginya retiendront spécialement notre attention car ils constituent la plus grande phratrie du Ruanda et comprennent la famille royale.

c) Les Bahondogo (totem le pique-bœuf ishwima) qui durant des siècles régnèrent sur le Bugesera, dont ils furent dépossédés manu militari par les bami du Ruanda, vers le XVIIIe siècle. Les possessions des Bahondogo comprenaient non seulement le Bugesera actuel (Kigali) mais également des territoires se trouvant en Urundi dans les ressorts de Muhinga et Ngozi.

d) Les Bagesera Bazirankende, du Karagwe, s’installèrent au sud-est du Ruanda, notamment au Gisaka où ils créèrent un petit royaume. Il ne semble pas que le Bugesera malgré l’homonymie, ait fait partie, au début, de cette principauté, mais qu’il aurait été une création murundi. Le premier mwami mythique du Gisaka est KAGESERA, fils du dieu-créateur Gihanga, sa mère serait RUGEZO-NYIRAGAKENDE des Bazirankende, de race muhima. RUGEZO-NYIRAGAKENDE aurait été fille du mwami RUHINDA. Bazirankende signifie : « ceux qui évitent le singe inkende ». Celui-ci est le totem de la tribu des Bahinda dont l’ancêtre éponyme Ruhinda aurait fondé le royaume du Karagwe qui en était à son 18e roi en 1895, ce qui ferait remonter sa création, en donnant 25 ans en moyenne à chaque génération, à 1470. Or, si l’on élimine le premier mwami du Gisaka, Kagesera, car mythique, et tenant compte qu’il y régna dix bami jusqu’en 1805, on trouve 1550 comme date probable de l’installation des Bagesera Bazirankende. Ils sont considérés comme un véritable clan mututsi. Le Gisaka fut réuni au Ruanda, vers 1853, par conquête, sous le règne de Mutara-Rwogera.

e) Les Batutsi Bashambo de la famille royale qui commanda le Kigezi, Mpororo, Nkole, Igara, Ruzumbura (Uganda) et le Karagwe (Tanganyika Territory), se taillèrent un fief au Ruanda comprenant les chefferies actuelles du Mutura, Buyoga, le Ndorwa (Byumba et Ruhengeri) et l’ancien Buganza-Nord de Rutsinga. Leur totem était l’antilope ingabi. Leur ancêtre fondateur au Ruanda serait Gahaya. Le mwami ruandais Cyilima-Rujugira annexa leur fief par la conquête, mais les habitants demeurèrent toujours hostiles à la maison régnante du Ruanda.

f) Les Basita (totem : le chacal imbwebwe), clan originaire de Nkole et antérieurement de l’ancien royaume du Kitara qu’il commandait au Xe siècle, et les Bashingo venus du Nkole.

g) Signalons enfin les Bashigatwa, petit clan émigré du Nkole vers le XVIIIe siècle.

URUNDI
Nos renseignements sont peu nombreux en ce qui concerne ce pays dont la structure raciale est essentiellement muhutu.

Il est à présumer qu’ici également, les premiers immigrants Bahutu venus du Ruanda : Bazigaba, Bagesera et Basinga furent suivis de Bahima portant les mêmes noms claniques. Les Bagesera prirent en Urundi le nom de Banyagisaka, ils y sont considérés comme Batutsi ainsi que les Bazigaba et les Basinga.

Le premier Mututsi qui arriva au Bututsi dont il prit le commandement, fut Nsoro wa Ntwero qu’on prétend mort à Gitanga, à la source de la Ruvyironza, à la limite des chefferies de Karabona et de Ndarishikanye, entre Kitega et Bururi.

Ensuite les Benengwe seraient apparus en Urundi, on les croit d ’origine muhutu ; ils commandèrent des régions à cheval sur le Ruanda méridional et l’Urundi, à la limite des territoires actuels d ’Astrida et de Ngozi¬.

Les Bahondogo, avec leur mwami NSORO , se taillèrent un fief au Bugesera, ils en furent évincés par le mwami ruandais MIBAMBWE- SENTABYO. Puis s’amenèrent des Babanda, des Bagara, des Balembe ou Bazirankende, des Banyacongera ou Bougera, des Benerwamba ou Banywera; et enfin les clans batutsi vrais ou anoblis tels que nous les connaissons à présent. SIMONS signala avoir trouvé chez les Bahima de l’Ituri, nombre de familles batutsi connues en Urundi : Bayanzi, Bahinda, Bashingo, Basiga, Biruntu, Bashwere.

RUANDA

Selon la légende, le premier ancêtre de la dynastie actuelle des Banyiginya, vivait au ciel où il avait pour père NKUBA (la foudre), alias SHYEREZO, et GASANI pour mère. Sa naissance fut artificielle : il fut engendré par un cœur de taurillon de divination placé durant neuf mois dans une cruche de lait ; Shyerezo refusa de le reconnaître et ordonna sa mort. Gasani nomma son enfant SABIZEZE. Celui-ci apprit, par un Mutwa, sa naissance artificielle ; prenant ses chiens Ruzunguzungu, Rukende et Ruguma, ses marteaux dont le Nyarushara et, entraînant son frère Mututsi et sa sœur Nyampundu, il dégringola du ciel, atterrissant au Mubari, à la roche Rutara rw’Ikinani située à l’endroit dénommé Rgweya,en un pays commandé par les Bazigaba dont le mwami était alors Kabeja à la Kagera. Ils descendirent du ciel emmenant le taureau Rugira et la vache Ingizi, la brebis Nyabuhoro et le bélier MUDENDE, le coq RUKIBA alias RUTUNDA et la poule MUGAMBIRA, le Mutwa MIWABARO et sa femme. A la suite de cette chute, Sabizeze prit le nom de Kigwa ou Kimanuka (celui qui tombe, qui descend). Ils travaillèrent le fer, ils cultivèrent leur nourriture et chassèrent pour se ravitailler. Les Bahutu de l’endroit venaient leur apporter les produits de leurs propres chasses contre leurs produits du fer et des champs ; et ainsi les Bahutu furent-ils dominés. Kigwa épousa sa sœur Nyampundu, conjoncture qui eut pour résultat de lever la loi de l’exogamie chez les Banyiginya, ils eurent une fille SUKIRANYA que Kigwa proposa en mariage à son frère Mututsi, mais ce dernier refusa l’inceste. C’est alors que Kigwa inventa le stratagème suivant : il conseilla à Mututsi de se rendre sur l’autre rive de la Kagera, déclarant que du fait de ce changement de situation, il changeait également de dénomination clanique, il devenait Umwega wo hakulya : celui de l’autre rive ; conjoncture qui eut pour résultat de lever l’interdiction d’endogamie. Du mariage de Mututsi, désormais ancêtre des Bega qui fournirent tant de reines-mères à la dynastie, naquirent trois enfants : MUKONO, NTANDAYERA et SERWEGA.

Retenons que les Banyiginya ou Basindi et les Bega apparurent à Rgweya, venant du Karagwe, d’après ce que nous disait le mwami Yuhi-Musinga en 1933. Ils émigrèrent chez le mwami muhutu local Kajeba, patriarche des Bazigaba chez lequel Kazi aurait pris femme. Tout le long de leur parcours vers le cœur du Ruanda, ils baptisèrent de nombreux lieux des noms de Nyanza, Mwurire, Kigali, Bumbogo, autant de résidences royales qui jalonnent leur itinéraire jusqu’au Bwanamukari (Astrida). Le nom de Ruanda serait lui-même une importation due aux premiers immigrants : il existe trois endroits désignés sous ce vocable, en Uganda.

Les premiers bami avant Gihanga, sont intitulés Ibimanuka : ceux qui sont tombés (du ciel). Il faut mettre au nombre des rois légendaires: Kigwa, alias Kimanuka : le tombé — Kijuru : du ciel — Kobo : (par un) petit trou — Merano : l’origine — Kazi : la racine — Randa : qui traîne par terre, etc. L’équation posée pourrait se traduire comme suit : l’homme ancêtre, origine de la dynastie munyiginya du Ruanda, est descendu du ciel par un petit trou ; il a pour père le Dieu-tonnerre. Gihanga est bien connu dans tous les territoires des Grands Lacs ; sans la moindre attention pour les rapports ethnographiques ou géographiques, on en a fait le père de tous les hommes : de Gatwa, de Gatutsi et de Gahutu, représentants des trois races, et de tous les pays auxquels ses fils sont donnés comme ancêtres éponymes pour le Ndorwa, l’Urundi, le Ruanda, le Gisaka, l’Unyabungo, le Bukunzi, le Bushubi, le Buhunde, l’Ulindi, etc.

Au Bunyoro, sous le nom de Ruhanga, il est le créateur universel : « Kazoba Nyamuhanga ayahangire ensozi n’emigongo : le grand soleil, le créateur qui a créé les montagnes et les collines». En fait, Gihanga est l’équivalent d’ATOUM-RÂ, le soleil, le Créateur des Égyptiens. Le soleil a été l’objet de l’adoration de la plupart des peuples primitifs, on le retrouve comme être suprême sous le nom d’ISOAKO chez les Kindigas, chasseurs des steppes de l’Afrique Orientale, on le retrouve avec la racine hanga dans Mulungu, Dieu de l’Afrique orientale, il est Dieu chez les Parés, Tavétas, Giryamas, Bantous du nord-est où il existe un mythe selon lequel le soleil est le créateur du monde ; chez les Nandis, Nilotes « chamitiques », on adore le soleil en qualité de Dieu suprême, ainsi que chez les autres Nilotes ; dans le cercle Abyssin, Heko Dieu suprême est identifié au soleil, il en est de même chez les peuples voltaïques. Au Ruanda, il semble que dès les premiers temps de la dynastie munyiginya, l’on avait une idée précise d ’un Gihanga Dieu-soleil ; en effet, les bami instituèrent en son honneur — le semblable valant le semblable — un feu sacré et perpétuel dit de Gihanga entretenu dans une hutte dédiée à Gihanga. Il était gardé par des fonctionnaires batutsi responsables sur leur vie de son extinction éventuelle ; ce feu qui fut entretenu durant des siècles, ne fut éteint qu’après la destitution du mwami Musinga-Yuhi, en 1931. Le culte du feu sacré puise son origine dans le nord-est de l’Afrique, on le retrouve chez les Nilotes, Damaras, Hereros, dans l’ex-royaume de Monomotapa au Zambèse, chez le Nzakaras au Soudan oriental, etc. Gihanga n’est donc pas un roi, c’est Dieu, Créateur universel ; en s’y rattachant, les Banyiginya nous donnent un point de repère quant à l’origine septentrionale et orientale de leur civilisation. Gihanga vient du verbe guhanga : créer ; le préfixe gi- est un augmentatif d’excellence.

Les Banyarwanda n’ont pas manqué d’anthropomorphiser Gihanga. La tradition lui donne des femmes : Nyamususa, fille de Jeni de Rurenge, mwami des Basinga ; elle aurait été mère de trois bami : de Sabugabo père de Mushambo, mwami des Bashambo du Mpororo, Mugondo père de Gahondogo,.mwami des Bahondogo du Bugesera, et de Gahima ancêtre de Musindi, mwami du Ruanda, Nyamususa eut également une fille Nyirarucyaba qui fonda le clan des Bacyaba ; les autres femmes de Gihanga sont Nyirampingiye mère de Rutsobe ancêtre éponyme des Batsobe, et Byirampirangwe mère de Gafomo alias Gashubi, fondateur du royaume du Bushubi. On fait remonter à Nyirarucyaba la découverte de la domestication de la vache au Ruanda, qu’elle remit à Gihanga. Ce dernier découvrit des vaches au Gipfuna par troupeaux entiers, dont un magnifique taureau Rutenderi aux cornes pendantes et mobiles auxquelles étaient attachées des courges à baratter le lait.

Gihanga aurait été un grand voyageur. Sa tombe est censée se trouver à Nyamilembe au Rukoma (territoire de Nyanza). L’on fait remonter à Gihanga la création de différentes institutions : les gages matrimoniaux se composant d ’une houe et d ’un isando (croc en bois à deux ou plusieurs branches), l’usage des tambours-enseignes, la musique d ’insengo, l’instauration d ’un cinquième jour consacré au repos dans la semaine coutumière et la création du feu.
Ainsi que le fait remarquer le R. P. Pages, à propos de Rumeza à Samembe, ce sont de célèbres inconnus dont on ignore les tombes.

Avec YUHI-MUSINDI, on touche à quelque chose de plus sérieux, c’est l’ancêtre éponyme qui donne son nom au clan des Basindi dont sont issus les bami du Ruanda ; mais rien n ’indique qu’il ait vécu au Ruanda. Les bami de Gahima à Nsoro-Samukondo sont intitulés abami b’umushumi : les rois de la ceinture (sous-entendu de la conquête), allusion au fait que lors d’un combat on se serre les vêtements dans un cordon afin d ’avoir les mouvements plus libres.

Les éléments à retenir quant aux premières données susceptibles d ’être objectives au sujet des bami du Ruanda, sont les suivantes :

1) D ’après l’aveugle Kayijuka, historien officiel de la cour du mwami, le premier roi certain qui habita au Ruanda, à Gasabo (Kigali), fut NSORO-SAMUKONDO.

On retrouve à Gasabo, un bosquet d ’arbres, reste de l’enceinte édifiée par les premiers bami, et à Kigali-Nyarugenge, leurs puits intitulés Ku Muhima : chez le Muhima ;

2) On possède des poésies dynastiques depuis le règne de Ruganzu-Bwimba qui succède immédiatement à Nsoro-Samukondo;

3) Les généalogies des chefs et sous-chefs actuels remontant aux bami qui ont fait souche, rejoignent Ndahiro-Ruyange ; mais rien ne prouve qu’il ait vécu au Ruanda. Ce nom ne figure pas à la généalogie fournie en 1926 dans le rapport annuel administratif du Ruanda-Urundi, nous n’en tiendrons donc pas compte ;

4) On possède à Rutare les tombeaux des bami ayant régné sous les noms de Kigeri, Mutara, Cyilima. On sait que Kigeri reprit les prérogatives attachées aux noms de règne de Ruganzu et de Ndahiro. A Remera se trouvent les tombeaux des Mibambwe, à Kayenzi ceux des Yuhi et enfin à Butegampundu ceux des rois ayant succombé de mort violente ;

5) Le crédit à accorder aux traditions : la conservation des coutumes et de l’histoire à la cour du mwami du Ruanda était l’œuvre d’historiens appelés biru. C’est ainsi que l’on connaît non seulement la généalogie des bami, mais encore les noms des reines-mères, de leur clan et leur propre généalogie. Pour Kigeri, par exemple, fils de Cyilima-Rugwe, vingtième roi en remontant depuis Mutara-Rudahigwa, on cite non seulement le nom de sa mère Nyiracyilima-Nyakiyaga, mais encore le nom du père de celle-ci : Ndiga, de son grand-père : Gahutu, et de ses ancêtres Serwega et Mututsi, tous du clan des Bega ; on donne encore la généalogie de la mère de cette reine : Nyabasanza, fille de Njwili, de Mupfumpfu, de Ndoba. La conservation des coutumes obéissait à une technique spéciale. Le code ésotérique, par exemple, était retenu par une dizaine de biru qui devaient le déclamer en chœur, telle une formule de prière, soit tous à la fois, soit en alternant ; l’omission d’un mot ou d’une phrase par l’un ou l’autre mwiru était ainsi rectifiée immédiatement par ses confrères.

Il nous semble de la plus élémentaire prudence de nous en tenir à Nsoro-Samukondo comme premier roi probable du Ruanda. Quant au calcul du temps à attribuer, en moyenne, à chaque règne, nous manquons de recul à ce sujet. Certains règnes furent très longs : Kigeri-Rwabugiri de 1853 à 1895, Mwezi-Gisabo (Urundi) de 1852 à 1908, Mwambutsa (Urundi) règne depuis 1915, Mutara (Ruanda) depuis 1932, si Musinga n ’avait pas été destitué, il aurait régné de 1896 à 1943. Par contre d ’autres règnes furent très courts : Mibambwe-Rutalindwa (Ruanda) un an, Mutaga II (Urundi) sept ans. En prenant comme base, dont nous reconnaissons tout l’arbitraire, une durée moyenne de vingt-cinq ans par règne, compte tenu du fait que celui de Rwabugiri débuta en 1853 et qu’avant lui il y eut 17 rois certains y compris Nsoro-Samukondo, nous trouvons l’année 1428, comme époque probable de l’avènement des bami Basindi-Banyiginya au Ruanda, soit un siècle après la prise de possession de l’Uganda par Kintu.

Il faut évidemment laisser dans le domaine de la légende la primeur de l’introduction au Ruanda, par la dynastie des Banyiginya, du fer, de la vache et des semences, attendu que le pays était déjà occupé à leur arrivée, non seulement par des Bantous forgerons et agriculteurs, mais également par des pasteurs Bahima ; par ailleurs, l’élevage du gros bétail n’a jamais été le monopole d’une race déterminée et on le rencontre chez de nombreux Bantous en Afrique occidentale, orientale, méridionale, au Kivu chez les Bashi et les Barega, là où les Banyiginya n ’ont jamais mis les pieds.

Au cours des siècles qui suivirent son installation au Ruanda, la dynastie des Banyiginya poursuivit inlassablement, avec une ténacité remarquable, l’extension de son pouvoir politique essentiellement centralisateur ; à cette fin, elle contracta des alliances avec les patriarches et les potentats indigènes, en épousant leurs filles et en leur donnant des femmes de souche royale, elle guerroya contre les principicules qui s’obstinaient à ne pas vouloir reconnaître son autorité, elle instaura le régime du contra t de servage pastoral ainsi que celui du servage foncier par l’octroi de concessions héréditaires mais résiliables, et elle se donna une origine divine. Finalement, le mwami devint un souverain absolu ayant droit de vie et de mort sur tous ses sujets, et un droit de propriété quasi complet sur tous les biens de son pays. La progression de la migration mututsi munyiginya au Ruanda et l’unification des territoires sous son commandement pourraient se résumer comme suit :

1) XVe siècle : création d ’un noyau au Buganza et au Bwanacyambgwe (Kigali) ayant pour centre Gasabo, sous les bami Nsoro-Samukondo, Ruganzu-Bwimba.
2) XVIe siècle : expansion au sud de la Nyabarongo vers le Nduga-Marangara (Nyanza) avec comme artisan principal le mwami Mibambgwe-Sekarongo-Mutabazi.
3) XVIIe siècle : annexion prudente de principautés bahutu, en ayant soin de laisser aux bami bantous l’insigne de leur pouvoir : leur tambour de règne.
4) XVIIIe siècle : annexion du Ndorwa.
5) XIXe siècle : annexion du Bugesera, du Gisaka, de l’île Idjwi, du Kinyaga, du Kingogo, avec poussées vers le Gishari, Jomba, Bufumbira, etc. Échecs dans la tentative de prise de possession du Bunyabungo.
6) XX e siècle parachèvement de l’unification de la monarchie munyiginya sous l’égide de l’occupant européen qui installe les Batutsi au Mulera, au Bushiru et au Busozo.

Yuhi Ier – Musindi.

Il est encore appelé Yuhi de Gara afin de le distinguer de Yuhi II – Gahima II, et encore Yuhi de Mukurambo.
Ngara est une colline qui se trouve au Bwanacyambwe, berceau de la monarchie munyiginya, près de Gasabo première capitale des bami du Ruanda. Musindi laissa son nom au clan royal qui s’intitula depuis lors les Basindi, Abanyiginya signifiant les nobles, les riches.
La tradition ne rapporte rien en ce qui concerne les quatre bami qui succédèrent à Yuhi Ier – Musindi : Rumeza, Nyarume, Rukuge et Rubona.

Ndahiro Ier – Ruyange.

Il est cité comme étant le père du mwami Ndoba. Ses descendants forment maintenant les clans des Batandura et des Batege, gardiens des coutumes relatives aux tambours-enseignes : « abiru b’ingoma » ; ainsi que celui des Basindi.

Ndoba.

Il semble que celui-ci ait réellement existé, les récits ibisigo intitulent les bami: Abaroba, c’est-à-dire les descendants de Ndoba. Il donna naissance au clan des Balobwa dont certains représentants conservaient le secret du tambour Karinga, enseigne de la monarchie.

Ses enfants auraient donné naissance aux clans des Benemugunga, Benecyambwe, Benemuturagaro, Benecyoba et Benemupfumpfu. Parmi ses fils, l’on cite tout spécialement Cyenge, Rukoro, Nyamubanzi et Mujiji, ancêtre du clan des Bajiji.

Samembe.

La tradition rapporte simplement qu’il fut le père de Nsoro I-Samukondo.

Nsoro Ier – Samukondo

Aurait habité la colline de Giti au Buganza. Il aurait eu trois enfants : deux fils : Bwimba et Mwendo et une fille Robwa qui lui fut demandée en mariage, mais vainement, par Kimenyi, mwami du Gisaka. Nsoro-Samukondo clôture la série des bami qualifié d’imishumi (de la ceinture).

Buganzu Ier – Bwimba.

Il résida à Gasabo, au Bwanacyambwe, et à Tanda au Buganza-Nord. Agissant contre la volonté de son père Nsoro Ier-SAMUKONDO, il consentit au mariage de sa sœur Robwa au mwami Kimenyi du Gisaka. Il eut un premier fils qu’il appela Rugwe (d’ingwe, le léopard), du fait que venant de tuer l’un de ces fauves, il lui donna la peau comme berceau-hamac.

Pris de remords et voulant mourir en guerrier héroïque umutabazi (à l’intambara : la bataille), Ruganzu attaqua le Gisaka et fut tué près de Nkungu et Munyaga par des chasseurs de léopard. Avant de mourir, Ruganzu avait nommé un certain Cyenge en qualité de tuteur de son fils Rugwe. Il interdit aux Basinga d ’avoir des bami au pays du Ruanda. Il devint de coutume, à chaque avènement d ’un nouveau roi, de sacrifier un jeune homme et une jeune fille abasinga du clan des Bacumbi ; par la suite, ces sacrifices furent remplacés par le bannissement en pays étranger. Rappelons que les Basinga constituent l’une des premières familles ayant occupé le Ruanda.

Cyilima Ier – Rugwe.

La régence fut assurée par Cyenge qui avait été désigné à cet effet par Ruganzu. La mère Nyakiyaga de Rugwe se remaria à son beau-frère Mwendo, fils de Nsoro Ier – Samukondo. L’enfant dépérissant, on accusa Mwendo de l’avoir envoûté afin de pouvoir régner, et il n ’eut plus que la ressource de s’enfuir au Bugesera alors commandé par le mwami Nsoro Ier -Bihembe. Le régent Cyenge s’occupa de l’éducation du jeune roi auquel, une fois adulte, il remit le tambour-enseigne de la monarchie.

C’est sous son règne que, désireux de venger la mort de son père Ruganzu, Cyilima-Rugwe envoya un certain Mukubu au Gisaka tuer le mwami Kimenyi.

Cyilima épousa, par ruse, Nyanguge, fille de Sagashya alors mwami du Bugufi, fiancée destinée à Nsoro Ier-Bihembe. Dans ce mariage par ruse, il fut aidé par un certain Nkima qu’il nomma mwami, à titre de récompense, à l’ouest du territoire actuel de Kigali, lui remettant l’un de ses tambours-enseignes : le Nkurunziza (la bonne nouvelle). Nkima établit sa résidence à la colline Nyamweru, près de Kigali. Il eut ses guerriers et un troupeau de vaches Ibiraye. Ses successeurs se suivaient en empruntant les noms de règne cyclique de Nkima, Cyabakanga et Butare. Cyilima Ier- Rugwe avait reçu Nyamweru et Kigali de Nsoro Ier – Bihembe.

Nyanguge, qui épousa Nsoro Ier-Bihembe, s’enfuit de chez celui-ci et rejoignit Cyilima Ier – R ugwe, mais avant d’arriver chez ce dernier, elle accoucha d’un enfant à Kibagabaga au Bwanacyambwe (territoire de Kigali) ; on l’appela Mukobanya, car Cyilima Ier- Rugwe avait constitué le titre matrimonial pour Nyanguge et l’avait prise par ruse le jour de son mariage avec Nsoro Ier – Bihembe. En vue d’étendre son domaine, Cyilima Ier – Rugwe, aidé par son fils Mukobanya, se battit contre Nkuba, fils de Nyabikonjo, mwami des Bongera, qui résidait à Gobana et à Nyamisanga dans le Buliza actuel. Nkuba aurait été battu, son tambour enseigne Kamubagoma et son taureau royal Munono ayant été saisis par Cyilima Ier – Rugwe, il ne lui resta plus qu’à se réfugier au Bugufi. Cyilima I s’attaqua ensuite à Migina, chef du clan des Basizi qui occupaient le Buliza, il le battit et occupa son pays.

Puis Cyilima Ier s’en prit à un autre roitelet : Sambwe qui régnait au Bumbongo, Busigi et Buliza ; il le battit à Mugote près de Remera et s’empara de son pays.
Cyilima Ier, après avoir habité Rwahi au Bumbogo, traversa la Nyabarongo avec son armée afin de s’attaquer au Nduga, alors occupé par les Babanda, dont la capitale était Nyundo. Cyilima Ier s’installa à Nyamirembe dans le Gishubi toujours accompagné de son fils Mukobanya. Il tua le chef Murinda qui succomba à Bwigando, colline située entre Kadashya et Nyarugenge. Cyilima installa sa capitale à Kamonyi et céda alors le pouvoir à Mukobanya. Cyilima mourut très vieux et son tombeau se trouve à Butangampundu près de Kiyanza.

Kigeri Ier – Mukobanya.

Mukobanya, devenu adulte, épousa notamment Nyabadaha dont il n’eut qu’un fils : Gitore qui mourut dans une expédition contre les Banyoro. Gitore laissa deux enfants Zuba et Bwimba dont sont issus les Benegitore.

Après s’être installé au Nduga, Kigeri-Mukobanya poussa ses conquêtes en direction du Marangara, at¬teignant la Nyabarongo en bordure du Budaha et du Bugamba.

Kigeri fut en butte aux intrigues de Kirimbi, vrai fils de Cyilima I, mais il fit tuer ce conspirateur. C’est sous le règne de Kigeri Ier – Mukobanya que le Ruanda fut envahi par des guerriers Banyoro envoyés par leur roi Cwa afin de razzier le gros bétail, celui du Bunyoro ayant été décimé par une épizootie. A cette époque régnait sur le Nduga un certain mwami Nkuba père de Mashyira. Kigeri Ier – Mukobanya demanda son concours en vue de repousser les Banyoro.

Les Banyoro descendant en deux colonnes dans le Ruanda essuyèrent un échec à Jari près de Nyarugenge (Kigali) et durent reculer au Buliza ; l’autre branche se heurta, au Bwanacyambwe, aux guerriers banyarwanda commandés par le prince de sang royal Sekarongoro lequel, bien que blessé d’une flèche en plein front, s’empara de Kigali. Kigeri qui y avait établi sa résidence, dut reculer à Runda mais il défit les Banyoro au passage de la Nyabarongo à « Ishinganiro ly’Abanyoro ». Kigeri put réintégrer sa résidence de Kigali. Sekarongoro, ayant versé son sang dans la bataille, fut intitulé mutabazi.

Kigeri Ier – Mukobanya reçut son tombeau à Rutare (Buganza-Nord, territoire Kigali), sa mère reçut le sien à Kahira (Bumbogo), c’est la première reine-mère dont on connaît la sépulture.

On rapporte que c’est sous le règne de Kigeri-Mukobanya que le forgeron Muhinda aurait confectionné les cinq charmes en fer Nyarushara, ressemblant à des fers de hallebarde, ces talismans de force étaient placés à la tête du lit royal, debout, en ligne, à l’arrière de l’oreiller. Deux d’entre eux mesuraient 55 cm de longueur et les trois autres 40 cm. Il existe en outre un marteau ayant la forme ordinaire des marteaux de forgeron indigène : la tête constitue un bloc à quatre faces tandis que la poignée est arrondie et amincie vers le bas.

Mibambwe Ier – Sekarongoro Ier – Mutabazi

Sekarongoro était fils de Cyilima Ier, c’est Kigeri Ier qui l’éleva à la dignité de mwami sous le nom de Mibambwe Ier en récompense de sa conduite héroïque dans la guerre contre les Banyoro. Il résida successivement à Kigali, puis à Bweramvura dans le Buliza, et enfin à Mbilima au Bumbogo.

Mibambwe s’allia à Sangano, mwami du Bugesera, qui l’aida à guerroyer. Mibambwe est censé avoir introduit la peine de mort dans la coutume pour punir les autorités indigènes rebelles ; il faut conclure de là à un signe certain de l’affermissement du pouvoir royal au Ruanda.

Mibambwe Ier aurait conquis les provinces actuelles du Kibali, Bukonya et du Bugarula au Mulera (Ruhengeri). De haute lutte, il parvint à battre Nkuba, chef de Nduga, mais le prince de sang royal Nkoko, fils de Kigeri-Mukobanya, perdit la vie dans la bataille à Rutaho, au Mayaga-Nord. Nkuba fut tué à Kinanira, ses enfants subirent le même sort, sauf Mashyira qui s’enfuit au Bugesera, où le roi Nsangano le prit à son service en qualité de devin, puis il revint au Nduga et fut reconnu en qualité de chef par les gens de l’endroit qui se détachèrent de Mibambwe Ier. Celui-ci l’attaqua et son fils Gatambira fut tué à Rugondo, son petit-fils Mihira subit le même sort. Mibambwe ne parvint pas à battre Mashyira qui demeura mwami du Nduga, ils devinrent amis et Mashyira épousa une fille de Mibambwe.

Le Ruanda subit une nouvelle invasion de Banyoro. Mibambwe sollicita vainement l’aide de Sangano, mwami du Bugesera, et de Kimenyi II, mwami du Gisaka, il prit alors la décision de s’enfuir au Bunyabungo (Kivu), traversant le Bunyambiriri et le Kinyaga, emmenant avec lui tout son bétail.

Mibambwe, expulsé du Bunyabungo, gagna le Kinyaga ; la reine-mère Nyiramibambwe-Nyabadaba périt dans un incendie de hutte.
Sur ces entrefaites, les Banyoro étaient déjà parvenus au Kinyaga. Sur le point d’être battu, Mibambgwe fit allumer un immense feu de paille et fit crier ses guerriers durant toute la nuit ; effrayés, les Banyoro, non sans avoir auparavant tué à la Mwaga le nommé Forongo fils de Mibambgwe, se dispersèrent en deux groupes, l’un remontant vers Nyamasheke, l’autre obliquant vers l’est, traversant la forêt pour aboutir au Ndara (territoire d ’Astrida).

Mibambwe revint au cœur du Ruanda ; en cours de route il fit tuer son beau-fils, le mwami Mashyira. Le Nduga était définitivement reconquis. Mibambwe installa sa résidence à Remera, au Buliza, où il créa le tam ¬bour enseigne Kigamba-Banyoro (litt. : qui parle de Banyoro).

Cwa, roi des Banyoro, mourut au Nkole. Le mwami Sengano, du Bugesera, fut tué par les Banyoro. Aidé du mwami Ntare Ier – Rushatsi de l’Urundi, et du mwami du Bugesera, Mibambgwe Ier s’attaqua au Bunyabungo dans le but de venger la mort de sa mère. Muhayo, roi du Bunyabungo fut tué ainsi que ses enfants ; l’une de ses femmes fut épousée par le mwami du Bugesera. A cette époque, le Kinyaga (territoire de Shangugu) n’était pas soumis au mwami du Ruanda car pour y passer, celui-ci dut solliciter l’autorisation des patriarches autochtones.

Dès son vivant, Mibambwe Ier-Sekarongoro Ier donna l’investiture de mwami à son fils Gahima qui prit le nom royal de Yuhi II, puis il décéda au Marangara, on l’enterra à Remera avec son tambour Kigamba. Des sacrifices humains furent accomplis lors de cette investiture.

Yuhi II – Gahima.

A titre d’enseigne, il avait reçu le tambour Rwoga. Après la mort de son père, Yuhi II s’attaqua au Nyantango, au Bwishaza et au Budaha, toutes provinces qui appartenaient aux Basinga, il trouva le Nyantango aux mains des Bakwa. Yuhi II aurait conquis également le Kingogo, le Bugamba, le Bushiru et le Buhoma.
Il n’osa pas s’attaquer aux Benengwe qui occupaient la partie centro-méridionale du territoire d’Astrida.

Yuhi II résida à Nzaratsi et il eut beaucoup d’enfants. Il décéda à Gihanga au Rukoma. Il créa les formations guerrières Nyaruguru et Abazirakubindwa. Sa fille Nyabunyana fut épousée par Karemera Ier – Ntagara, fils de Ruhinda, fondateur de la dynastie royale du Karagwe. C’est chez elle que le mwami Ndahiro II-Cyamatara cacha son fils Ndori. L’une des femmes de Yuhi-Gahima la nommée Nyankaka, eut un fils Binama avec Samukende, roitelet du Bungwe (Astrida). Yuhi-Gahima reconnut l’enfant.
Il fut enterré à Kayenzi au Busigi (Rukiga). La sépulture de sa mère Nyirayuhi II-Mutama se trouve à Remera au lieu-dit des Baforongo.

Ndahiro II – Cyamatare.

Après la mort de Yuhi II, les biru (conservateurs du code dynastique ésotérique) remirent les tambours-enseignes à son fils Cyamatare qui prit le nom de règne de Ndahiro II. Mais une conspiration fomentée par les nommés Mutezi et Bamara refusa de reconnaître Ndahiro II et lui substitua Juru, autre fils de Yuhi II. Les deux frères Juru et Cyamatare entrèrent en lutte ouverte. Cyamatare, afin de soustraire ses enfants Ndori et Kibogo au danger, les fit passer à l’étranger : Ndori fut confié à sa tante paternelle Nyabunyana qui était femme du roi du Karagwe. Finalement Ndahiro abattit son frère Juru d’un coup de lance à Gitambi au Buliza.

Bamara s’arrogea le commandement du Buliza, du Bwanacyambwe, du Bumbogo et du Busigi ; Ndahiro, ayant conservé le Nduga et les régions du nord-ouest du Ruanda, installa sa capitale à Gitarama au Kingogo avec sa mère et ses femmes.
Avec l’aide de Bamara et de Nsira, souverain du Bugara, le mwami Nsibura du Bunyabungo s’attaqua à Ndahiro.

Celui-ci gravement blessé au front passa la rivière Kibilira dont le franchissement fut depuis lors interdit aux bami attendu qu’elle avait vu s’écouler le sang d’un de leurs prédécesseurs. Ndahiro fut finalement tué à Rugarama par les troupes de Nsira. Sa mère et ses femmes furent crucifiées à Miko y ’abakobwa (érythrines des filles) dit encore Rwegekangabo (qui dispose des boucliers). Un certain Gitandura parvint à s’emparer et à cacher le tambour royal Cyimumugizi, quant aux autres tambours dont le Muratwa, ils furent emportés par les Banyabungo de Nsibura. Le tambour Muratwa fut ramené bien plus tard au Ruanda, vers la fin du XIX e siècle, par le mwami Kigeri IV – R wabugiri à l’issue d’une expédition à l’île Idjwi. Ce désastre donna lieu, sur un ordre qu’émit Ndahiro avant de mourir, à la célébration annuelle d’un deuil national de quinze jours qui se déroulait à la cour durant la nouvelle lune de gicurasi (mai-juin). Seul survécut à ce massacre le nommé Binama, fils adoptif de Yuhi-Gahima.

Ruganzu II – Ndori.

Dans sa fuite vers le Karagwe, Ndori aurait été accompagné d’un garde mutwa, de son cynocéphale et de ses chiens. De cette époque data l’institution de la présence d’un cynocéphale à la cour. Après avoir passé son enfance chez sa tante Nyabunyana au Karagwe, Ruganzu II-Ndori revint au Ruanda dont il devint l’un des rois des plus populaires « Intwari ». A son arrivée au Ruanda, le pays était commandé par deux usurpateurs du nom de Byinshi et Juru, tous deux oncles de Ndori. La tradition rapporte que les femmes n’enfantaient plus, mais que dès le retour de Ndori, Byinshi fut massacré et que les naissances redevinrent normales. C’est le roi légendaire et fabuleux par excellence ; à entendre les aèdes, on se croirait dans le merveilleux : les chiens de Ruganzu-Ndori laissaient leurs empreintes là où ils passaient sur les roches, son bâton jeté au-dessus d’une rivière se transformait en passerelle, etc. C’est à lui qu’on devrait l’inauguration du deuil national du gicurasi pour commémorer le massacre de la famille royale de son père Ndahiro-Cyamatare. Il semble que ce mwami ait contribué le plus à l’extension du royaume mututsi naissant. Sa vie se passa en voyages et en expéditions guerrières d’annexion, d’où son nom de Ruganzu (de kuganza : être victorieux). Il aurait soumis le Bunyambiliri, le Bwishaza, l’Itabire, le Kinyaga et le Bugoyi. Toutefois les régions du Buhoma, du Bushiru, du Bukonya, du Kinyaga, du Mulera, du Kibali, du Busozo et du Bukunzi demeurèrent indépendantes, conservant chacune leur roitelet muhutu (umuhinza). Bien souvent, ces derniers s’allièrent au mwami mututsi du Ruanda auquel ils envoyaient spontanément un tribut d’hommage ou de recommandation ; à son tour, le mwami mututsi leur envoyait en cadeaux des troupeaux de vaches. En fait, non seulement l’infiltration des Batutsi fut insignifiante au sein de ces régions, mais ils n’osaient même pas s’y aventurer. C’est à Ruganzu-Ndori qu’on devrait la création du tambour-enseigne Karinga.

Lors de son passage au Bukunzi, Ruganzu-Ndori aurait été interpellé par des membres du clan des Bayombo qui ne l’avaient pas reconnu et qui lui prirent de la viande destinée à son ravitaillement, viande provenant d ’un de ses taureaux abattu à son insu par des Bacuku. Ruganzu décida, en guise de représaille, qu’à chaque avènement d’un mwami du Ruanda seraient sacrifiés un garçon des Bayombo, une femme des Bacuku accompagnée de sa fille dont le père devait être un Umucyaba, c’étaient les victimes ou imisego (oreillers) du mwami, ou encore son impôt inkuke. Ils devaient être remis aux gens du roi à Nyagafunzo au pied de Karambo au Bukunzi.
Le garçon était tué sur place d ’un coup de couteau au cou et jeté dans le marais de Nyagafunzo, son sang était emporté à la cour où il était répandu sur le tambour enseigne Karinga auquel on attachait ses testicules.
La mère et la fille étaient emmenées à la cour du roi. La jeune fille était mariée au Bumbogo, pays sacré, situé sur le premier bras de la Nyabarongo. Elle devait s’occuper de la culture du sorgho et de l’éleusine, dont on portait ensuite les prémices en grande pompe, une fois dans l’année, à la capitale. C’est pour aider à la pratique de cet usage que les Bacuku fournissaient le moulin à farine, une cruche en terre pour cuire la pâte et une grande cuiller de ménage ou spatule (umwuko) pour tourner la bouillie. Plus tard, le mwami faiseur de pluie du Bukunzi ajouta à ces tributs, une vache et son taurillon que le roi cédait au conservateur du code ésotérique de la garde du trésor royal et de l’entretien du feu perpétuel consumé à la hutte abritant les tamboursenseignes, hutte intitulée kwa Cyilima.

Mutara Ier – Nsoro – Semugeshi.

Il défendit le Bwanamukali contre les invasions des bami barundi. Au sud-ouest, il annexa le Bufundu, le Busanza et le Nyakare, portant ainsi à la Kanyaru, la frontière du Ruanda. Au point de vue politique, il régla l’ordre selon lequel les noms de règne des bami devraient dorénavant se succéder. Les bami portant le nom de Mutara ont la réputation de devoir se montrer pacifiques et sociologues : leur mère ne s’intitule pas Nyira-Mutara, mais Nyiramavugo : la mère du bon conseil.

Kigeri II – Nyamuheshera.

Aurait soumis le Busozo et le Bukunzi, fixant ainsi à la Luha la frontière méridionale du Ruanda. Il se serait rendu maître du Buberuka et envoya des expéditions guerrières au Gishari ainsi qu’au Bufumbira, au-delà des volcans.

Mibambwe II – Gisanura.

Ce mwami dut, pour maintenir l’intégrité de son pays, repousser les attaques de Ntare-Kivimira-Semugazashamba, roi de l’Urundi qui tenta de réoccuper le Bwanamukali. Il eut deux fils : Mazimpaka et Nyagasheja, dont les descendants sont nommés Benenyagasheja. Les fils des Nyagasheja furent massacrés à Mukindo wa Makwaza (Ndara-Astrida) pour avoir refusé de reconnaître l’autorité du mwami Yuhi III-Mazimpaka.

Yuhi III – Mazimpaka.

Mazimpaka signifie « terminer les différends », ce surnom fut donné à Yuhi III eu égard à son habileté juridique à trancher les procès. Il laissa également la réputation d’être un poète distingué et d’avoir un penchant marqué pour l’hydromel.
Comme son père Mibambwe II-Gisanura, Yuhi III-Mazimpaka eut à lutter contre le mwami de l’Urundi Ntare-Kivimira qui avait réussi à pénétrer au Ruanda et à établir sa résidence à Kami au Bufundu. Les guerriers de Ntare et ceux du mwami du Karagwe enlevèrent le Bugesera au Ruanda. Alliés aux Banyabungo, les Barundi enlevèrent les provinces du sud du Kinyaga. Finalement Yuhi III-Mazimpaka aurait remporté une brillante victoire sur Ntare, qui y perdit la vie, à Nyaruhengeri (Kansi, territoire d ’Astrida).

Cyilima II – Rujugira.

Désigné par son père Yuhi III-Mazimpaka pour lui succéder, Rujugira aurait dû, à la mort de ce mwami, sur l’ordre des biru (gardiens du code dynastique ésotérique) et des bapfumu (devins), s’enfuir du Ruanda et se réfugier au Gisaka durant une quinzaine d’années, période durant laquelle son frère aîné Rwaka, s’emparant du tambour Karinga enseigne de la royauté, s’imposa au Ruanda par la force. Rwaka avait pris, sur ordre de son père, comme nom de règne celui de Karemera : nom d’un aventurier venu du Gisaka et que Rwaka devait vaincre. La mère de Rwaka, Rukoni, était une Munyginya du clan des Bagunga. Or le code ésotérique interdit de régner à un prince fils d’une Munyiginya et à celle-ci de devenir reine-mère. Grâce au concours des Banyarwanda, Cyilima II – Rujugira quittant le Gisaka et put renverser Rwaka. Rwaka mourut à Musekera au Kabagali (Nyanza) ; après sa mort, ses fils ne s’entendirent pas. Les uns avec Kabajyonjya, rallièrent leur oncle Nyarwaya qui voulait introniser Rujugira, l’héritier désigné par les biru ; les autres avec Nama, voulaient investir leur frère. Il y eut des bagarres, Nama fut tué et Rujugira fut investi sous le nom de Cyilima II. Bishula, fils de ce dernier ayant essayé d’attenter à la vie du mwami légitime, fut banni et dut se réfugier en Urundi.

Comme ses deux prédécesseurs, Cyilima II – Rujugira guerroya contre les envahisseurs barundi, les rejetant au-delà de la Kanyaru. Le mwami murundi Mutaga-Semwiza aurait été tué à la bataille de Ndanda (Save). Cyilima II – Rujugira annexa une partie du Buganza située aux environs de Kiziguru occupée par le mwami du Ndorwa. Ce dernier, de la phratrie des Bashambo, régnait sur le Ndorwa, le Mutara et le Mubari.
C’est sous le règne de Cyilima II – Rujugira que fut institutionalisé à la cour le culte des esprits divinisés imandwa ; ce roi créa la fonction de grand cérémoniaire national dont le premier du titre fut le nommé Ruyumbu, des Bashambo ; il s’intitula, ainsi que ses successeurs, umwami w’imandwa (chef du culte des imandwa).

On rendrait un culte à Cyilima-Rujugira à la cour dans une hutte votive à lui dédiée jusqu’en 1931, année de la déposition du mwami Yuhi-Musinga. C’est dans cette hutte que l’on remisait les tambours-enseignes, dits ingabe : Kalinga, Cyimumugizi, Mpatsibihugu, Kiragutse ainsi que quelques autres. Dans le même enclos, se trouvait une seconde hutte votive destinée à la mère de Cyilima : Nyira-Cyilima, les mpara, prêtres imandwa, y pratiquaient un culte aux esprits divinisés. A partir de Cyilima-Rujugira, tous les rois et les reines-mères eurent une hutte votive destinée à leur culte, dans laquelle on offrait des sacrifices à leurs mânes. Les épouses du mwami régnant logeaient dans des huttes votives. Sur indication des devins, on y offrait des sacrifices à l’esprit tutélaire du lieu. L’abbé Kagame signala qu’en 1931, la momie de Cyilima II – Rujugira n ’était pas encore enterré.

Kigeri III- Ndabarasa.

Kigeri III fut un mwami très belliqueux, Ndabarasa signifie en effet : « je tire (des flèches) sur eux ». Il résida à Gasabo, ancienne capitale des bami. Il amplifia les conquêtes au Ndorwa, s’emparant de la partie de cette région qui environne Gatsibu, il ajouta le Buyaga et le Mutara à ses conquêtes.

Il éteignit la dynastie des Bashambo qui régnait sur le Ndorwa en tuant leur mwami Rubumba. Certains clans Bashambo émigrèrent au Nkole, d’autres se dispersèrent à travers le Ruanda. Néanmoins, le Ndorwa ne demeura jamais très soumis et les bami du Ruanda durent y envoyer plusieurs expéditions guerrières pour y mâter des mouvements insurrectionnels. Kigeri III – Ndabarasa installa l’une de ses résidences au Ndorwa. Il aurait également lutté contre le mwami Biyoro, de Mazinga, mwami qu’il mit à mort ainsi que sa mère Nyirabiyoro. On fait remonter à Kigeri III – Ndabarasa l’occupation mututsi des chefferies du Kinyaga et du Biru.
Mibambwe III – Sentabyo.

Ce mwami n ’aurait régné que peu de temps, son frère et compétiteur au tambour, Gatarabuhura l’ayant fait mettre à mort. Il laissa un fils en bas-âge, Gahindiro. Il aurait reconquis la partie du Buganza et du Bwanacyambwe prélevé sur le Ruanda par le mwami du Gisaka. Il se défendit énergiquement contre les Barundi qui essayaient de s’emparer du Burgesera, finalement cette région fut divisée entre le Ruanda et l’Urundi.

Yuhi IV – Gahindiro.

A la mort de Mibambgwe-Sentabyo, l’usurpateur Gatabuhura tenta de faire disparaître son fils et successeur Gahindiro ainsi que sa mère Nyiratunga. Celleci prévenue par son beau-frère Semugaza se dissimula avec son fils tandis qu’une servante et un enfant de l’âge de Gahindiro prenaient place dans le lit de Nyiratunga où ils furent massacrés par les conjurés à la solde de Gatabuhura. Ceux-ci furent bannis et moururent en exil.

Devenu adulte, Gahindiro guerroya contre le mwami Karinda, de Mbuzi, qui fut vaincu et tué. Il soumit définitivement le Ndorwa, et entama la conquête du Buyenzi contre l’Urundi.

Ce mwami régna au cours du premier tiers du XIX e siècle. C’est sous son règne que les premiers produits manufacturés d’Europe : pagnes, perles, colliers, etc, auraient fait leur apparition au Ruanda, c’étaient des cadeaux que ce roi recevait des bami de l’Uswi et du Karagwe, en gages d’amitié. Comme tous les Yuhi, il faut le classer dans la catégorie des rois fainéants, eu égard à l’interdiction qui pesait sur eux de franchir la Kanyaru et la Nyabarongo. Il organisa son royaume et s’occupa de l’administration de ses troupeaux au profit de ses femmes et de ses nombreux enfants.

Mutara II – Rwogera.

Ce mwami eut à repousser une invasion de Barundi qui avaient franchi la Kanyaru et avançaient au Bwanamukali.

Mutara II – Rwogera s’empara du petit royaume du Gisaka et le rattacha en 1853 au Ruanda avec l’aide de Rushenyi, frère du mwami du Gisaka Ntamwete qui fut tué dans la bataille.

En fin politicien, Mutara II – Rwogera toléra que le Gisaka continuât à être administré par des chefs autochtones surveillés par trois représentants nommés par lui.

Son fils Rwabugiri, ayant consulté les devins, fit tuer le nommé Rugereka déclaré coupable d ’avoir occasionné, par ensorcellement, la tuberculose chez Mutara-Rwogera.

Rwogera avait parmi ses femmes une nommée Murorunkwere, fille de Mitali du clan des Bakono, qui avait d’abord été épousée par Nkoronko, frère de Rwogera. On a prétendu qu’elle était déjà enceinte de l’enfant qui devait régner sous le nom de Kigeri-Rwabugiri lorsqu’elle arriva chez Rwogera. Ce mwami, tuberculeux, mourut très jeune, vers 1853.