Exploitation du règne végétal.

Les régions naturelles.

Le Ruanda-Urundi a été divisé en différentes régions naturelles présentant des caractéristiques essentielles en matière de géologie, de climat, de flore et de faune.

Régions de l ’Ouest.

1) L’Imbo, plaine située à moins de 1100 m d’altitude le long de la basse Ruzizi et du lac Tanganika, elle dispose d’une végétation de savane comportant notamment des acacias et différents palmiers, son climat tropical permet la culture du coton ;

2) Le Mumigwa, en territoire de Bubanza, s’étage entre l’Imbo et la crête de partage des eaux Congo-Nil ;

3) L’Impara situé au bord du lac Kivu de même que

4) Le Rusenyi, de 1700 m d’altitude en moyenne sont de sol fertile ;

5) Le Budaha assez froid, humide et pauvre ;

6) Le Bugoyi s’étendant en territoire du Kisenyi depuis le lac Kivu jusqu’à la forêt de la crête de partage, excessivement fertile dans la partie volcanique

7) Le Mulera, situé à environ 2000 m d’altitude à climat froid et humide, à terre riche ;

8) Le Bushiru, comportant de nombreuses altitudes supérieures à 2000 m au climat froid et très humide, on y trouve la forêt des volcans ;

9) Le Rukiga à climat froid, groupant les chefferies du Kibali, du Ndiza, du Bumbogo, du Rukoma, du Kabagari, du Buliza, une partie du Ndorwa, du Rukiga, du Buberuka et du Buyaga.

10) Le Mugamba qui longe la crête de partage des eaux Congo-Nil depuis le Budaha jusqu’à l’Imbo et qui englobe le Nyantango, le Bufundu, le Buyenzi et le Bunyambiriri ; les pluies y sont abondantes. Aux plus hautes altitudes, la température tombe parfois aux environs de 0°. Cette région est sillonnée par la forêt de la crête précitée, forêt qui comporte des bambous, des résineux et des essences feuillues ;

11) Le Bututsi, à cheval sur une partie des territoires de Kitega et de Bururi, est à nouveau une région froide et pluvieuse, aux pâturages bien arrosés.

Régions du Centre.

12) Le Buganza, région qui entoure le lac Muhasi, présente de longues périodes de sécheresse ;

13) Le Buliza situé à la fois en territoire de Kigali et de Nyanza, son altitude varie de 1400 à 1800 m, son climat est tempéré mais le régime des pluies y est irrégulier ;

14) Le Nduga, à cheval sur certaines parties des territoires de Nyanza et d ’Astrida, comporte notamment le Marangara et le Busanza, certaines altitudes y atteignent 2000 m

15) Le Bwanamukari, situé en territoire d ’Astrida, dispose de terres relativement fertiles, et d ’un climat tempéré assez pluvieux vers l’ouest ;

16) Le Buyenzi, dont l’altitude moyenne est de 1800 m, constitue une région s’étendant sur certaines parties des territoires de Ngozi, de Kitega et de Muramvya, le climat y est tempéré, les pluies abondantes et les terres relativement fertiles ;

17) Le Kirimiro, situé à la fois en territoire de Kitega et d’Usumbura, comporte certaines altitudes supérieures à 1900 m et un sol composé de granit, des schistes en décomposition et d’arkoses dans le sud ;

18) Le Bweru, en territoires de Kitega et de Muhinga, comprend le Bweru proprement dit, le Bwambarangwe, le Butambuka et le Buziramugayo. Son climat est relativement sec. Cette région peu accidentée est pourvue de savanes boisées ;

19) Le Buyogoma s’étend sur les territoires de Ruyigi, de Muhinga, de Kitega et de Rutana, de climat tempéré et assez pluvieux, cette région dispose de bandes de terrain fertile succédant à des savanes boisées ;

Réglons des savanes de l ’Est.

20) Le Mutara, cette région très giboyeuse, d’une altitude moyenne de 1400 m, comprend des collines au relief peu accusé et des vallées desséchées durant la moitié de l’année, on y trouve le Parc de la Kagera ;

21) Le Mubari est plus boisé, plus désertique et plus élevé que le Mutara, tout en n’étant pas aussi giboyeux ;

22) Le Gisaka, constitué des chefferies du Migongo et du Gihunya, est mieux arrosé que les deux régions précitées et par conséquent beaucoup plus peuplé ;

23) Le Mirenge, auquel il faut joindre le Rukargyi, possède un climat sec et tempéré, il est assez peu peuplé ;

24) Le Bugesera s’étend en partie sur les territoires de Kigali, de Nyanza et de Muhinga ; si cette région comprend les vallées de la Kanyaru et de la Nyabarongo ainsi que certains lacs, il n ’en demeure pas moins qu’elle constitue une contrée particulière, présentant habituellement des savanes boisées et dépeuplées ;

25) Le Moso comprend les plaines de la Malagarasi depuis le territoire de Bururi jusqu’au nord du territoire de Ruyigi, son altitude s’affaisse jusqu’à 1250 m, il comporte de vastes savanes boisées et des peuplements de bambous où s’abrite un nombreux gibier ;

26) Le Buragane se situe en territoire de Bururi à environ 1600 m d’altitude, la température y est plutôt chaude.

Pratiques agricoles générales.

Afin de protéger les récoltes sur pied contre les voleurs, un magicien déterminé vient planter au milieu du champ une tige de Pennisetum (urubingo) au sommet de laquelle pendent des sachets, une gourdelette, voire un petit pot en terre cuite contenant des poudres magiques possédant le pouvoir maléfique d’envoûter instantaném ent les maraudeurs qui s’aventureraient dans le champ. On croit que ceux-ci demeureraient cloués au sol, paralysés, contracteraient une des dermatoses amahumane ou tomberaient subitement mort. A l’est du Ruanda, semblable piège s’intitule urukago. Précédemment, lorsqu’un Mutwa mourait, on lui coupait un auriculaire qu’on enterrait dans un champ à titre d’iremo (de kurema, créer) afin d’en assurer la fécondité. Rwubusisi racontait que lorsque le Mutwa révolté Basebya fut exécuté par les Allemands, les indigènes se précipitèrent sur son cadavre pour y prélever qui un doigt, qui un morceau quelconque de son corps afin d’en faire un iremo.

Pour attirer la pluie, la repousser si elle tombe en trop grande abondance, éloigner la grêle ou retenir le soleil, l’autochtone a recours à un arsenal de procédés magiques. Il admet en premier lieu que les mânes des ancêtres peuvent influencer en bien comme en mal les qualités reproductrices du sol qu’il cultive, bien qu’en principe leur esprit soit censé sé tenir dans l’enclos. A l’est du Ruanda, la crédulité populaire admet que certains tenanciers de bananeraie possèdent le pouvoir de les faire garder par des serpents. La pierre meulière ingasire et la spatule de ménage umwuko enterrés dans un champ possèdent également la vertu magique de repousser les maraudeurs.

On peut encore ensorceler un champ pour le rendre improductif, le quitter en em portant sa fertilité (2). Chez les Bakiga, la femme cultive parfois en ayant la tête ornée d’une couronne (umukako) composée d’écorce de papyrus dans laquelle sont insérés des charmes défensifs, tout en invoquant l’esprit agraire divinisé d’Inkonjo, la servante de Ryangombe , esprit divinisé, dans le but d ’obtenir une récolte abondante et de la protéger contre les entreprises des voleurs.

Une mortalité sur la colline, fût-elle celle d’un chien, entraîne l’observance d’un jour de deuil, au minimum, au cours duquel il est interdit de cultiver ; la même interdiction existe le lendemain de l’apparition du premier croissant de lune, d’une naissance, après une chute de grêle ou lorsque la foudre s’est abattue sur les lieux. A la mort du mwami, cette interdiction durait parfois durant plusieurs lunes.

Les travaux de déboisement ou de débroussaillement sont exclusivement réservés à l’homme qui emploie à cette fin la hache, la faucille et le feu. Les labours sont effectués indifféremment par l’homme et par la femme. Telles semailles sont réservées à la femme et d’autres à l’homme, mais le plus souvent les deux s’en occupent, il en est de même des récoltes.

Pour cultiver son terrain, l’indigène se sert de la houe (isuka) d’importation ou traditionnelle en forme de cœur, et parfois d’un bâton pour planter les haricots, tandis que pour sarcler on a recours, en certains endroits à une grande branche fourchue à bout ferré : l’inkondo ou inkonzo. Il emploie le couteau (icyuma) et la faucille (umuhoro) pour couper la moisson. L’usage de la charrue et des autres instruments aratoires est complètement inconnu de même que l’emploi d’animaux de trait et de bât.

En quelques rares endroits, le cultivateur pratiquait sporadiquement l’irrigation de ses terres, c’est sous l’impulsion de l’Administration européenne que cette méthode tend à s’étendre, que les marais furent systématiquement mis en valeur après drainage, et que les cultures s’étagèrent en gradins rationnels afin de lutter contre l’érosion.

En principe, la fumure des champs à l’aide d’engrais naturels, notamment de bouse de vache, était pratiquement ignorée ; ici encore, l’Administration intervint pour en faire adopter l’emploi.

Si de la terre, au cours des labours à la houe, tombe dans la bouche du cultivateur, c’est un excellent présage : il mangera ses récoltes et ne mourra pas durant l’année.

Lorsqu’on veut placer une houe neuve sur son manche, il convient d’enduire celui-ci de bouse de vache et de beurre afin que cet instrument ne s’use pas trop vite.

On ne peut :

Rentrer les récoltes sans porter sur soi des talismans appropriés ;

Reprendre un sillon qu’on n’a pu achever la veille ;

Reprendre le travail avant le lever du soleil ;

Lorsqu’on nettoie la pioche, il faut jeter la terre de côté et non sur le sentier.

Un panier tressé avec du rwamfu (mauvaise herbe) ne peut passer dans un champ de maïs (Ur.).

Plantes alimentaires et condimentaires.

L’ambrevade ou pois cajan (intenderwa).

 

Il fait l’objet de culture assez importante au sud-est de l’Urundi. L’indigène le prépare comme le haricot et l’apprécie en raison de sa résistance à la sécheresse.

L’arachide (ubunyobga).

C’est principalement sous l’égide de l’Administration européenne que l’arachide a connu quelque extension dans les régions chaudes du Ruanda-Urundi, sa culture demeure partout sporadique. On ignore l’extraction d’huile d’arachide proprement dite.

Les gousses ayant fourni les graines au semis sont déposées à une croisée de sentiers afin que la récolte à venir soit abondante.

Au Kinyaga (Shangugu), toute la culture de l’arachide depuis l’ensemencement jusqu’à la récolte ne peut être effectuée que par les hommes. Non seulement elle est interdite aux femmes, mais en outre celles-ci ne peuvent traverser un champ d’arachides sous peine de voir dépérir la récolte.

 

Dans cette région, afin de provoquer magiquement le développement de sa plantation, le cultivateur fiche en terre une branche d’umuyenzi, plante grasse à suc laiteux, et y dépose une boulette de beurre qui doit assurer un accroissement de matière lipide.

Le bananier (intoke-insina).

Dans les régions situées en-dessous de 2000 m, altitude qui assigne une limite à la culture du bananier, celui-ci occupe une place prépondérante parmi les plantations indigènes. Les immenses bananeraies qu’on rencontre dans ce pays, et qui en se soudant constituent parfois des nappes de plusieurs kilomètres carrés, furent l’objet de l’étonnement des premiers explorateurs.

En principe, le bananier est toujours cultivé à proximité immédiate des huttes qu’il enserre jusqu’à les cacher à la vue ; on le rencontre sur certains sommets de montagne, mais plus fréquemment sur les flancs, là où se trouve une terre riche, profonde et humide.

Dans les régions mal arrosées par les pluies, les bananiers sont alors cultivés dans le creux des vallées où ils sont parfois irrigués.

L’autochtone s’interdit de planter des bananiers sur l’emplacement d’un intongo (heu anciennement occupé et dont tous les habitants sont morts).

L’indigène plante des rejets écimés qui n’ont pas de fleurs, à trois mètres d’écartement en tous sens, parfois à 1,50 m, dans une terre bien travaillée où il effectue par la suite des labours, des cultures de haricot et des fumures jusqu’à ce que les bananiers aient couvert com­plètement le sol. Les rejets ne se vendent pas, on n’en trouve jamais un seul sur les marchés, mais se cèdent gratuitement d’un cultivateur à l’autre. Lors de la première plantation, le planteur ne dépassait jamais le nombre de cent plants, celui-ci constituant en la matière un tabou coutumier.

Au Kinyaga, ce nombre est de 41, le 41me bananier étant pourvu du coussinet de portage (ingata) , qui servit à transporter les rejets plantés, afin d’assurer la fécondité. Lorsque ce 41me plant a donné son régime, le cultivateur va en demander d’autres chez ses voisins avec lesquels il prépare une bière qui est bue en commun. Dans les années à venir, on augmentera la bananeraie qui atteindra parfois 4 à 5 hectares, sans plus observer de coutume spéciale à la plantation, l’on ajoutera quelques graines d’umusavi, arbre qui fournit du bois pour les instruments ménagers et autres.

Ce n’est que deux ans, parfois plus, après la plantation qu’apparaissent les premiers régimes.

De nombreuses variétés de bananiers sont connues dans le pays : ingenge, inzirabahima, insiri, inyabigoro, inshakara, kamaramasenge, igisukari, igihonyi, igisamwungu, umutsiri, intokatoke, inzingwa, igiciri, igipaca, igihuna, intuntu, umuzibwe, isha, intembe, inyamunyu, umushaba, ikingurube, ces deux dernières donnent des fruits sucrés, agréables à la consommation, tandis que les autres plutôt aigres, conviennent à la fabrication de la bière et sont désignées sous les noms d’inkamba et d’inkati.

L’indigène tire du bananier d’innombrables usages : le tronc sert de radeau, il en extrait une fibre très soyeuse, l’ubutumba, à l’aide de laquelle il peut tisser des tapis. Les écorces, une fois sèches, servent à confectionner des toits, des parapluies isinde, des petits paniers ibihoho, des cordes dont on fait des nattes, des pagnes d’enfant, des franges, des bracelets, des ceintures, des blagues à tabac, des sacs (impago), etc. La feuille est utilisée comme assiette, parapluie, pagne, emballage, fermeture de cruche, etc.

Le Cupleïde agahuza (de kuzura: remplir), petit poisson extraordinairement prolifique du lac Tanganika, est séché puis enterré ou brûlé dans les bananeraies afin que par sa présence ou par sa fumée, il leur communique sa propriété de haute fécondité. Cette pratique doit être renouvelée chaque année, faute de quoi la plantation cesserait de produire. On utilise également dans ce but une racine d’ishanyi qui vient du Kivu et le crâne d’inguge (cynocéphale) qu’on enterre dans la bananeraie.

Lorsqu’un bananier mûrit pour la première fois dans une nouvelle bananeraie, le propriétaire de celle-ci se rend en consultation auprès des devins qui lui font boire le liquide exorciseur isubyo, puis ils partent ensemble couper le tronc en question qu’ils jettent ensuite dans un précipice. Lors du retour, propriétaire et devins viennent effectuer une libation en commun dans la bananeraie. Faute d’accomplir ces rites, on est convaincu que le détenteur du bananier mourrait sous peu. S’il est éleveur, il doit abattre un taurillon ou une chèvre. Ce serait l’annonce d’une catastrophe imminente si le bananier au lieu de présenter son régime au sommet, le produisait sur le côté. A cette occasion, après avoir consulté les devins, le propriétaire coupe le régime de mauvais augure et le dépose à une croisée de chemins afin que les passants emportent avec eux le mal qui s’y trouve attaché. Il prend une herbe gangabukare (litt. qui sort comme de l’urine) dont il presse la sève sur le régime en disant : «Ceci est la gangabukare qui n’est employée que par le connaisseur, celui qui l’ignore demeurera avec son urine dans le ventre » (s. e. contractera une ascite). Il prend ensuite un brin d’herbe d’akamaramahano (litt. qui porte bonheur) et le dépose sur le régime en disant : « Que ceci me porte chance ». On pratique encore ces rites exorciseurs à l’aide des herbes kyoroshya (litt. adoucir, ralentir) et nkurimwonga (litt. : retirer de l’abîme). Un autre procédé consiste à déposer une tige d’icyegera (kwegera : approcher) sur le régime en disant : « Que cette branche emporte mon malheur ».

La bananeraie est protégée contre les atteintes de la foudre par le magicien umugangahuzi. Si néanmoins elle était foudroyée, elle devrait être désacralisée par ce magicien.

Au Buragane, des graines d’uburenda (kurenda : glisser) sont brûlées dans les bananeraies, au Bututsi on emploie l’herbe ikisegenya (kugenya: bouger, mouvoir), on prétend que leur fumée répandue dans la plantation assurera de beaux régimes. Au Bututsi, on lance du sable sur les bananiers afin que les fruits soient aussi nombreux que les grains de sable.

Les femmes ne peuvent ni planter le bananier ni en couper les régimes et les feuilles mortes : le plant en mourrait, ce sont là des travaux traditionnellement réservés aux hommes. Si la femme seule ne trouve personne pour l’aider en cette matière, les fruits pourriront sur l’arbre.

Dès qu’un régime est prélevé, le tronc dont il provient et qui ne porte d’ailleurs qu’une fois, est abattu et coupé en petits morceaux laissés sur place afin de servir d’engrais aux autres plants. Lorsque le régime est trop lourd et qu’il menace de tomber, on le maintient en place à l’aide d’un long bâton fourchu qui l’étaie à l’aisselle, ou bien on le retient à l’aide d’une corde à un autre bananier. Le fait pour un régime de tomber du tronc par terre constitue un présage de malheur pour le cultivateur qui va alors s’en confesser au devin exorciseur, lequel viendra mettre la bananeraie à la raison (guhana urutoke: punir la bananeraie). Lorsque cet accident se produit, le propriétaire doit s’abstenir de tout rapport conjugal avec sa femme, car ses enfants mourraient, jusqu’au moment où l’exorciste lui aura fait boire la purge magique isubyo ; en effet le rejet pourvu d ’un régime s’intitule umwano et l’enfant umwana, si un malheur s’est abattu sur l’arbre c’est qu’il est prêt également de frapper la progéniture.

Les champignons.

Les indigènes sont friands de champignons qui apparaissent à la saison des pluies, toutefois ils n’en connaissent pas la culture et se contentent de les cueillir. Parmi les variétés connues, citons : icyobo, igihepfu, umugeri, igihumyo, ikizimu, ubwabwa, ubugogo, ikinyanzari, indenganzira, inyiramurundo, igitsitori.

Le coleus (inumbu-impombo).

L’indigène en connaît plusieurs variétés : nyiragahombo, impina, rukarazo ; il les surnomme parfois inderabageni (litt. qui éduque les fiancées) et inshongore (compliment de beauté pour une vache). La culture du Coleus est peu importante, il se contente d’un sol pauvre, léger et bien drainé.

La colocase (iteke).

La colocase ne fait l’objet de culture im portante qu’au sud-ouest seulement du Ruanda et au sud de l’Urundi ; partout ailleurs elle est négligée.

Au Kinyaga (Shangugu), le cultivateur de colocase dépose dans le champ deux tiges de plantes grasses à suc laiteux : ikinetenete et umuyenzi, sinon, croit-il, les tubercules ne pousseraient pas.

La courge (umwungu)

Les graines de courge comestible (inzuzi z’inzungwane), de sorgho urukamba (de gukamba : être amer), d’éleusine urukubyi (de gukuba : encercler s. e. les mauvais sorts) et d’épinard isogi constituent les quatre Semences mystiques du Ruanda : imbuto z’insunzu (semences de crête) ou imbuto nkuru (semences principales)

Certaines courges sont comestibles : inzungwane, ibihwanya, umwungu, urudegede, ikinijamutana et igihaza, d’autres comme Yumubamba et Yumutanga ne le sont pas. Les courges donnent des gourdes (ibicuma) qui sont fréquemment utilisées comme récipients pour y remiser des semences, contenir de la bière, du lait, de l’huile, de l’eau, etc. Coupées en deux, elles fournissent un entonnoir (uruho) ou la caisse de résonance des instruments de musique à une corde ubuhura. Les toutes petites calebasses servent de bouton magique ubunure autour duquel les femmes nouent leur ceinture. Les pépins de courge fournissent les jetons qui sont employés pour la divination. L’umubamba et Yumutanga outre qu’elles sont employées à la fabrication d’ustensiles de ménage, donnent une pulpe ayant la qualité de produit exorciseur dans le culte aux esprits divinisés, et précédemment de purifier les guerriers qui avaient tué des ennemis. Les courges qui n’occupent jamais que des superficies restreintes, sont souvent plantées à proximité immédiate de l’enclos où elles peuvent recevoir aisément l’engrais et la cendre qui en favoriseront la croissance. Celui qui désire planter des graines de courge, prend, après les avoir rassemblées, la pierre ronde intosho servant à pilonner ainsi qu’un coussinet ingata sur lequel il s’assied, il fait rouler la pierre, en disant : « Ainsi que Y intosho roule, que mes futures courges roulent également ». Au Bukonya, au Bugarula et au Bunyambiriri, les courges sont plantées assez loin des habitations au milieu des champs, sur des placeaux de un à deux mètres de diamètre, particulièrement bien labourés et copieusement amendés à l’aide de bouse de vache et d’ordures ménagères (ifumbire).

L’éleusine (uburo).

L’éleusine se cultive à toute altitude, même vers 1300 m sur les bords de la Kagera, mais elle trouve ses terrains de prédilection vers 2000 m et plus, aux abords des forêts, car elle exige des sols humifères, légers et bien arrosés.

L’indigène accorde des soins particulièrement attentifs aux champs qu’il assigne à l’éleusine, il les choisit avec discernement, les laboure convenablement et ne les emblave qu’après y avoir brûlé toute la végétation et les racines qui s’y trouvent. L’éleusine, dont les graines sont semées à la volée d’une manière serrée, est par la suite méticuleusement sarclée. On distingue plusieurs variétés : ikibogo, inyagasha, urukubyi, ikilima, ikirega, imfunsi, etc. Laissés en panicule, les grains d’éleusine se conservent presque indéfiniment. On pratique Yumuganura de l’éleusine, festin des prémices. L’éleusine est l’une des quatre plantes mystiques du pays, on utilise ses graines dans le culte des mânes des ancêtres en les faisant crépiter dans un feu propitiatoire allumé devant la hutte votive.

Le froment et l’orge (ingano).

Ces deux céréales d’introduction européenne sont cultivées au point de vue commercial pour être vendues à l’industrie européenne : minoteries pour le froment et brasseries pour l’orge. ­

Seules les régions situées à plus de 2000 m d’altitude conviennent pour ces cultures. L’orge est plantée en territoire de Biumba avec succès, et avec moins de réussite au Rusenyi (T. Kibuye) ; quant au froment, il ne trouve des terres réellement favorables qu’au Bugoyi, Mulera, Bufundu et au Mugamba.

Les fruits.

L’indigène ne cultive pas d’arbre à fruits, à part les bananiers. Ce n’est que sous l’impulsion européenne et à son exemple, que le cultivateur se mit à planter quelques tomates qui dégénérèrent rapidement en produits minuscules et aigrelets, et quelques rarissimes papayers, orangers, ananas, goyaviers, manguiers, citronniers, avocatiers, pruniers du Japon et fraisiers. Nous y classerons également la canne à sucre plantée dans les haies anti-érosives et plus spécialement par les waswahili à proximité des postes d’occupation et que l’indigène consomme crue. Les enfants se procurent, dans les terrains vagues, certains fruits spontanés tels l’amasasa, l’ibungo, l’umusagara, l’umuhuhu (groseille du Cap), l’imikeri (mûre sauvage), l’igitugunguru (Afromomum), l’inyonza, l’inyagatebe et l’umuyengeri. L’intoryi, espèce de petite aubergine jaune, est fortement appréciée par les adultes, c’est un fruit-légume.

L’igname (igikoro).

On en distingue plusieurs sortes : itita, itugu, igikoro et igisunzu; en fait, leur culture est sporadique. ‘L’igname fait l’objet de culture sans importance.

 

Le haricot (igishyimbo-igiharagi).

Le haricot constitue, aux alti­tudes de 1500 à 1900 m, la base essentielle en protides de l’alimentation indigène. On connaît de nombreuses variétés classifiées selon la couleur des grains, leur forme et leur saveur : gituku (rouge), igishyiramujinya (noir), ibiharo, nyiramushaba, ikinimba, umuhondo (jaune), ntumarihene, amadida, nyiragakara, nyirarusogo, igizagiriza, ubudiba, mbohera, umubarara, ikinezi, ikinyambo, umuringa, nyaramabuye.

 Pour cultiver le haricot, l’indigène a soin de labourer (gutabira) soigneusement ses meilleures terres après la récolte du sorgho, vers le début de la grande saison sèche. Lorsque celle-ci touche à sa fin, le laboureur retourne à nouveau la terre (gusekera). Il attend l’apparition des premières pluies et commence à semer (Butera) vers la fin du mois de septembre ou dans le courant du mois d’octobre pour récolter fin décembre ou début janvier. Il opère une autre semaille vers février-mars, et parfois une dernière en mai vers la fin de la saison des pluies. C’est la femme qui est chargée des semailles et de leur entretien qu’elle pratique toujours attentivem ent. Parfois les champs sont fumés. Au moment des semailles, le cultivateur plante au milieu du champ sa lance ornée d’une gousse de haricots, ses enfants lui présentent une écuelle qu’il remplit d’eau. Il s’agit d’un rite destiné à assurer un juste équilibre dans les chutes de pluie : l’eau l’attirera et la lance repoussera son excès et plus spécialement la grêle.

Un premier sarclage (kubagara) est effectué lors de l’apparition des premières feuilles, il est répété autant de fois qu’il s’avère indispensable. La récolte s’effectue en arrachant à la main les plants entiers qui sont immédiatement remisés dans l’enclos. Ils sont conservés en bottes jusqu’à dessication complète, à ce moment ils sont battus au bâton (guhura). Lors de la récolte, les femmes se ceignent parfois la tête d’une couronne d’herbe magique umwishywa.

Si le cultivateur est veuf ou garçon, c’est lui qui doit porter cette couronne.

La plupart des haricots sont de variétés naines mais il en existe à rames, notam m ent au Bugoyi (Kisenyi), qui s’intitulent imishingiriro, uruyumba. Les femmes qui ensemencent, en bordure du lac Kivu, se placent les graines en bouche et les crachent vers le sol tout enduites de salive (intitulée également à cette occasion imbuto : semence). Ailleurs, les femmes font un petit trou en terre à l’aide d’un bâtonnet ou avec leur doigt et y enfoncent une graine à la fois, puis elles obturent le trou.

Lors du battage des haricots, le chef de famille dépose par terre Yiremwe (du kurema: créer), espèce de charme magique. Il se compose tout simplement d’un coussinet de portage fait d’herbe tressée (ingata) sur lequel est attachée à l’aide d’un stolon d’herbe umucaca, la pierre à propriétés bénéfiques intosho. Au Kinyaga (Shangugu), on place à côté des haricots un peu d’eau dans un tesson de cruche et le père plante en terre sa lance ou une grande aiguille uruhindu et parfois un collier. Il est interdit d’enjamber ce talisman sinon il perdrait son pouvoir de protection. Un garçon rompt, à l’aide d’un bâton, la corde retenant la gerbe de haricots, et se met à frapper le tas en disant à chaque coup : « Inkangara yo kwa ntuza » : panier de chez un tel, exprimant ainsi le souhait que les haricots sortent du battage aussi nombreux que tous ceux du voisinage réunis. Puis chacun se met en devoir de battre.

La femme qui doit battre la récolte fait porter le premier coup par un garçon, car si elle le portait elle-même, le produit diminuerait. Après le battage, c’est à nouveau le même enfant qui doit procéder au début du vannage, ensuite la femme poursuivra l’opération. Pourquoi cette primauté accordée à un enfant mâle ? Parce que la femme dans la procréation ne pourrait rien sans l’insémination préalable de l’homme.

Il est interdit de se servir du bâton, qui fut utilisé à délier la botte, pour ramener les haricots sur l’aire de battage, il faut les rassembler manuellement « afin de ne pas voir diminuer le produit », il est strictement interdit d’enjamber celui-ci. Les petits enfants ne peuvent s’approcher du lieu de battage de crainte qu’ils ne ramassent ou soufflent sur la récolte et provoquent ainsi la diminution du produit. Le battage peut être effectué aussi bien par les hommes que par les femmes.

Au moment du vannage, le garçon doit ramasser à l’aide de la partie extérieure du van un peu du produit battu, le lancer en l’air et le rattraper à l’aide de l’intérieur du van. Il ne peut effectuer cette opération avec les mains. Cette partie du produit est conservée dans une cruche où l’on remisera les semences pour les prochaines emblavures. Au sein de ces semences l’on dépose un petit panier, signe symbolique de l’augmentation des récoltes.

Ce sont ensuite des femmes et des filles qui, à l’aide de vans (intara) en écorce de bambou ou de papyrus, se chargent de séparer les haricots des impuretés qui y sont mêlées.

Les grains vannés sont déposés sur une natte en papyrus (ikidaseswa) de deux mètres de diamètre et ensuite dans un grand panier. Au sein de celui-ci, l’on fiche la spatule de ménage umwuko, puis on y verse les haricots à l’aide de deux petits paniers, jamais on n’emploie les mains à cet effet, car cette façon de procéder aurait pour résultat de faire diminuer magiquement le produit : « Ibishyimbo bidatubuka : les haricots n’augmenteraient plus ».

Les légumes (imboga).

Si l’indigène ne consomme pas de fruits par contre il recourt fréquemment aux légumes spontanés ou cultivés, à feuillage vert foncé, riches en calcium (210 mg par cent grammes), en vitamines B1 (0,15 mg), B‘2 (0,25 mg) et C (100 mg), légumes parmi lesquels nous citerons en tout premier lieu l’isogi, car il constitue avec le sorgho, l’éleusine et la courge, l’une des quatre plantes magiques du pays, puis l’inyabutongo, l’isogo, l’imbogeri, l’imigese, l’ibinuza, l’igisura (ortie), les ibisusa (feuilles de courge), les imishogoro (feuilles de haricot), les ikora (feuilles de colocase) et l’ishyoza. Plusieurs de ces plantes sont utilisées en magie et les graines d’isogi le sont dans le culte des ancêtres .

Autour des postes d’occupation, certains cultivateurs se sont mis à planter des légumes d’origine européenne : choux, salades, carottes, céleris, poireaux, asperges, chicorées, salsifis, échalottes, oignons, artichauts, etc., mais ces légumes servent surtout à la vente aux étrangers et aux autochtones civilisés. Parfois la ménagère agrémente la cuisson de son pot au feu d’échalottes et de quelques feuilles de chou.

Le maïs (ikigori):

On le trouve sur une assez grande échelle au Kinyaga (Shangugu), dans la plaine de la Ruzizi et au Gisaka (Kibungu).

Parmi les différentes variétés connues, citons : umuriza, ijigija (maïs jaune), amabara ou isega (maïs hâtif à grains blancs, jaunes et noirs), ikijigo (dent de cheval), nkonge (rouge), shinya y ’abaganwa (noir, litt. gencive de prince), nyakagori. Lorsque le maïs est récolté à m aturité, ses épis laissés dans leurs spathes sont suspendus à l’abri des rongeurs soit à l’intérieur de la hutte, soit sur l’enclos.

Le maïs est égrené à la main au fur et à mesure des besoins.

En Urundi, le jour du semis, les épis dépouillés de leurs grains sont déposés en tas à une croisée de sentiers afin de préserver la récolte future de l’attaque des insectes déprédateurs. Lorsque les épis commencent à se former, l’on suspend à une tige de maïs un talisman de terre et de gravier rond, le cultivateur professe dès lors la conviction que ses épis seront semblablement lourds et bien remplis ; s’il omettait l’accomplissement de ce rite et qu’un voyageur vînt à passer dans son champ porteur d’un sac vide et plat, c’en serait fait de sa récolte : les épis demeureraient minuscules, vides et se dessécheraient sur pied. On ne peut traverser un champ de maïs en portant un sac tressé avec du rwampju (mauvaise herbe).

Le manioc (imyumbati).

On distingue différentes variétés de manioc dans le pays : urutare, igitamisi. Le manioc amer est plus productif que le manioc doux.

Jadis, le manioc était cultivé dans la plaine de la Ruzizi, où il fut importé du Congo belge, et sporadiquement dans certaines régions de l’est, voisine du Tanganyika Territory. Son introduction dans les autres régions du RuandaUrundi est le fruit de la propagande administrative qui s’exerce depuis plusieurs décades.

Le manioc est cultivé par bouturage sur buttes ou en terrain fraîchement labouré, jamais en marais. Les carottes de manioc amer sont mises à rouïr dans une grande cruche emplie d’eau, elles sont ensuite séchées au soleil sur une natte.

La farine s’obtient par pilonnage des cossettes dans le grand mortier en bois isekuru, il est effectué par les hommes ou les femmes qui opèrent ensuite un vannage et un tamisage.

Avant de planter son manioc, le cultivateur du Buragane (Urundi) fiche d’abord deux boutures en terre la veille, croyant que s’il n’agissait pas de la sorte et que si un passant s’oubliait sur les lieux, sa récolte future aurait un arrière goût d’excrément. La même précaution est observée à l’occasion de la plantation des patates douces.

Le palmier elaïs (umukindo).

L’Elaïs guinensis a le même habitat que le coton. Il est cultivé par l’indigène non seulement pour sa consommation personnelle, mais surtout pour la vente des régimes aux usines d’extraction d’huile. Le palmier exige des terres chaudes, profondes et humifères, cette dernière qualité est assez rarement rencontrée.

La patate douce (ikijumba).

La patate douce est cultivée depuis des temps immémoriaux. Elle pousse spécialement bien aux altitudes moyennes de 1500 à 1800 m. Sous l’impulsion de l’Administration, l’indigène a été astreint à donner une extension considérable à la culture de ce tubercule qui constitue un instrument remarquable de lutte contre les famines, eu égard à son cycle végétatif de quelques mois seulement pour arriver à maturité. L’indigène plante les boutures de patates douces sur billons, buttes ou en terre-plains ; parfois elles sont plantées intercalairement avec d’autres cultures : sorgho et haricots. Les variétés les plus connues sont : kigingo, nsenge, kijanja, makara, rusitaza, gafume, kirozi, rutari, igomba, kararama, amanunga, rugenzakangara, ijinamuguha. Certaines autres variétés possèdent des caractéristiques qui en font des plantes de choix dans des cas spécifiques : la sengumugabo est très hâtive, l’uruhoko et l’urutsitaza sont propices à une première mise en valeur des terres vierges, l’ijinakandole et la nyirakabuto conviennent spécialement bien en marais drainé.

Piments (urusenda).

Le petit piment rouge (chillie) existe un peu partout à l’état sporadique dans les régions de basse et de moyenne altitude. Le commerce local achète ce piment à l’autochtone, mais le marché demeure faible : il n’a jamais dépassé la centaine de tonnes pour le Ruanda-Urundi entier, et est tombé à 3 tonnes en 1955.

Le pois (ishaza, ijeri).

Le pois constitue la culture vivrière principale des régions de haute altitude où il constitue avec la pomme de terre, la nourriture de base de l’autochtone. C’est pour obtenir de plus hauts rendements à l’occasion de ses récoltes de pois, que l’autochtone sapait la forêt dans le but de lui réserver des terres vierges. Au Bushiru nous avons rencontré des indigènes cultivant jusqu’à cinq hectares par ménage. Pour semer les pois, le cultivateur se contente d’un grossier labour à la houe au cours duquel il retourne simplement les mottes d’herbe dont les touffes serviront de tuteurs par après. Les semis sont fréquemment effectués vers la fin de la saison de pluie en manière telle que le pois arrive à m aturité en saison sèche car la pluie favorise l’éclosion de la maladie du « blanc » des pois qui est due au champignon Erysibe polygone. Le pois est également cultivé aux altitudes moyennes, à partir de 1500 m, mais son rendement y est moins intéressant. Il n’est jamais sarclé et le terrain qu’il occupa est habituellement laissé en jachère au profit du bétail.

Citons, parmi les variétés connues, l’amaso y ’intama (l’œil de mouton), le ruhagaga, le nyagashaza, l’amaseriseri, le kiranda (gros), le gitive (moyen), le nyirabuhundo, le nyiramajaza (nain).

Comme la plupart du temps les pois sont cultivés à haute altitude loin des habitations, on ne ramène pas la récolte à l’enclos, mais on la traite sur place par battage et vannage. A l’occasion de cette dernière opération on observe les mêmes rites que pour le vannage des haricots et du sorgho.

La pomme de terre (ikirayi, indofanyi).

La pomme de terre fut introduite au temps de l’occupation allemande, elle se répandit rapidement dans toutes les régions de haute altitude où elle donne des rendements réellement intéressants audessus de 2000 m.

Avant 1943, la pomme de terre faisait l’objet d’une culture permanente, elle se multipliait d’elle-même et bien souvent le cultivateur la reproduisait par boutures de tige. Elle fut presque anéantie par l’épiphytie de mildiou (Phytophtora infestans) qui détruisit en quelques mois 250.000 tonnes de tubercules. Grâce à des sélections successives, on parvint à trouver des variétés de pomme de terre présentant une certaine résistance à la maladie.

Le riz (umuceri).

Superficie cultivée : 530 hectares, production annuelle : 650 tonnes. Cette culture est également d’introduction européenne, on cultive le riz de marais dans les régions facilement irrigables de la plaine de la Ruzizi. La production est principalement vendue au commerce local bien que les Islamisés obtiennent par pilonnage au mortier un produit de première valeur pour la consommation.

Le soja (shoza).

Le soja, dont l’introduction est due à l’Administration, se cultive aux mêmes époques et selon les mêmes méthodes que le haricot.

Le sorgho (amasaka).

Le sorgho constitue avec le haricot et le bananier, la culture traditionnelle la plus im portante du Ruanda-Urundi aux altitudes inférieures à 2.000 m. Il est semé non seulement sur les plateaux et les flancs de montagne mais également dans les basfonds drainés.

L’indigène classe ses différentes variétés de sorgho selon la dimension de la tige, la grosseur et la couleur du grain, le goût, l’importance de l’épi, etc. Citons notamment le nyiraruhwa, nyirarumogo, umurizo, urubera, amatanga (semé dans les bas-fonds), amatutsi, urugori (dont la paille donne la couronne de fécondité que portent les mères), mbagara, urusemo, umwambe, urukamba, yagitege, urukina, umugabo, igituku, ikebo, akarusengo, akamavunga, agatoke, abagora, urutare, abalesha.

Le sorgho se cultive une fois par an, le nom de la récolte umwaka est synonyme d’année. La récolte de haute altitude de mars-avril s’intitule amahore et celle d’altitude moyenne de juillet-août, amaka.

Afin d’assurer magiquement un pouvoir de germination certain à leurs semences de sorgho, les agriculteurs les placent au contact d’un talisman irema (de kurema : créer) préparé par la femme mère de famille. Il se compose de bouse de taurillon n’ayant pas encore pratiqué la saillie, de pâte de sorgho (umutsima), de feuilles d’umuganashya (litt. avancer vers le bonheur, le succès) et d’umuharukuku (plante ram pante à fleurs rouges revêtue dans le culte des esprits divinisés, rappelant Y umwishywa) et parfois d’une spatule de ménage et d’une scorie de forge. Ce complexe est introduit dans un pot à lait (icyansi) ou dans un petit pot en terre cuite (umunoga), voire dans un panier (icyibo) qui prennent à cette occasion le nom d’ikibibiro (de kubiba: semer), ustensiles dans lesquels sont placées les semences de sorgho la veille des semailles. Cette veille, le chef de famille doit, à titre de rite mimétique de fécondité, exécuter une copulation rituelle avec sa femme. Ses fils au contraire s’abstiennent soigneusement de tout rapport sexuel sinon les semences ne germeraient pas. On dirait dans ce cas qu’ils ont détruit l’effet bénéfique du talisman : kwic’ikibibiro. Ce dernier est emmené aux champs avec les semences. Si en cours de route un membre d’une famille au mauvais œil : Umushingo, Umuhozi ou Umusita, connu comme tel par le cultivateur, touchait ou jetait un regard sur le talisman, c’en serait fini de son pouvoir de fécondité et il ne serait plus bon qu’à être jeté. Il en serait de même si un représentant de ces clans pénétrait dans la hutte où l’irema se trouve. A la rigueur, on peut se contenter de placer d’autres semences dans Yikibibiro mais de toute manière on ne pourra procéder aux semailles que le lendemain de la rencontre. Le charme de fécondité irema (iremo ou iremwe) varie en composition de région à région. Voici celle que nous avons constatée au Bwanacyambwe (Kigali) : un grand pot à lait en bois peint de kaolin blanc et faisant office de kibibiro, recouvert d’un couvercle de vannerie (umutemeri) également maculé de kaolin, et reposant par terre sur un anneau (ingata) d’herbe entouré d’une tige de cucurbitacée amère umutanga. Ce récipient, dont l’ouverture est obturée par un gros fruit d’umutanga « qui constitue Yiremo naturel » car son nom prend sa racine dans intanga (sperme), est amené aux champs par l’homme ou par la femme. La veille, on y dépose deux boulettes de pâte de sorgho umutsima umwicyura préparée par la femme, quatre fruits jaunes d ’umutobo w’umurembi (de kurembya: réduire à l’impuissance) sans épine, trois petits bouts de bois, liés entre eux par un charme de fécondité urugore provenant d ’une écorce de papyrus, et se composant de sections de branches d ’umunanira (de kunanira: résister, dresser un obstacle), d ’umuvumu alias umutabataba (que le malheur ne soit pas) ou d ’umugu, et d ’umutobo w’umurembi, enfin des semences de sorgho voire de maïs et de haricots ibibambira (qui viendront à m aturité avant le sorgho).

Les semailles de sorgho du premier jour s’intitulent guturutsa (de guturuka: venir de), celles des jours suivants : kubiba. Les premières semailles sont effectuées à la volée en tenant la main plus élevée que la tête, elles ne peuvent être opérées qu’en remontant la pente du champ tandis que celles des jours suivants pourront avoir lieu en tous sens. Elles ne sont d’ailleurs que symboliques car aussitôt après, la femme suivie de son mari, contrairement à la règle habituelle qui veut que celui-ci la précède, rentre à la maison portant le récipient ikibibiro sur la tête. Dès leur arrivée, ils se m ettent au lit et accomplissent la copulation rituelle kwakir, ikibibiro. Après ce rite, les enfants adultes qui habitent le même enclos que leurs parents devront faire de même avec leur femme, s’ils s’en approchaient avant, ils tueraient la semence (kwica ikibibiro).

En venant effectuer les semailles, on amène aux champs quelques braises du foyer déposées dans une petite torche (ifumba) de paille provenant du lit ou du porche de la hutte et retenue par un urugore, bout d’écorce de papyrus. Cette torche une fois enflammée sert à allumer un feu (igicaniro) de garde magique comme pour le gros bétail, et qui prend ici le nom d’igicaniro cy’ikibibiro. Il est interdit d’y prélever des tisons et il convient de veiller attentivem ent à ce que ce feu ne s’éteigne pas.

La personne qui a planté du sorgho ne peut se laver les mains tant qu’il n’a pas levé. Si le champ est ensemencé par plusieurs travailleurs, leurs houes seront obligatoirement remisées durant la nuit chez le propriétaire.

Dans le champ destiné à recevoir les semences, des enfants enterrent, préalablement aux semailles, un talisman consistant en un petit paquet de feuilles de bananier contenant un peu de cendre du foyer familial et de la baie de sorgho.

La graine est semée à la volée (kubiba) par les femmes et par les hommes en manière telle qu’il y ait entre elles des distances variant de 40 à 50 centimètres, puis le sol est remué à la houe pour les recouvrir. Le terrain est toujours préalablement et soigneusement labouré comme pour les haricots.

Pour assurer magiquement la fertilité du champ de sorgho, on y brûle ou on y enterre, comme dans les bananeraies, des petits poissons du lac Tanganika uduhuza (Clupéides) afin qu’à leur exemple, la récolte soit abondante et que les greniers soient bien remplis (kwuzura).

On ne plante pas toutes les graines que l’on a amenées aux champs, car il n’est pas permis d’épuiser le fond du panier afin de ne pas voir diminuer la récolte à venir.

Le premier sarclage a lieu lorsque les tiges ont atteint une vingtaine de centimètres de hauteur.

Lors du sarclage, qui est effectué aussi bien par les hommes que par les femmes, l’on apporte à nouveau au champ un panier contenant de la pâte de sorgho et une branche d’umutobo ainsi que du feu. L’opération s’effectue à l’aide de binettes (amafuni) ou de branches crochues et ferrées, de 0,60 à 2 m de longueur, inkondo. En fin de sarclage, le chef de famille coupe une poignée de sorgho qu’il fixe ensuite à la porte d’entrée de sa hutte (kumanika amasaka: pendre le sorgho) dans le but de faire connaître à la récolte future le chemin qu’elle doit prendre.

Au Buragane (Urundi), lorsque les champs de sorgho sont mûrs, le cultivateur brûle un petit tas d’herbes que la crue des rivières a rejetées sur les berges, il enfonce ensuite près de la cendre une branche d’umuremera (de kuremera: alourdir). Il ne commence la récolte que le lendemain, en disposant les épis de sorgho autour du bâton précité auprès duquel il dépose un morceau de buffle, l’un des animaux les plus gros du pays ; on est alors convaincu que la pâte de ce sorgho gonflera fortement lors de la cuisson.

La veille de la récolte, le chef de famille doit exécuter une copulation rituelle avec sa femme ; kulya amasaka (manger le sorgho) afin d’obtenir une moisson abondante. Il en détient seul le privilège car ses fils au contraire doivent à cette occasion s’abstenir de tous rapports conjugaux. Au réveil, on coupe une première gerbe de sorgho dont les grains sont encore tendres, ils sont moulus de suite par la femme, elle en prépare une bouillie qui est mangée en commun, on y mélange de l’herbe très amère umukamba (gukamba : aigrir) et dans certaines régions une herbe intitulée ikinyundo (le grand marteau).

Ce repas est familial : tous les membres petits et grands y participent, par après le chef de famille et ses fils mariés exécutent une copulation rituelle kwakira umuganura: recevoir les prémices.

La spatule qui servit à la préparation est suspendue à l’auvent de la hutte en ayant soin d’y laisser adhérer un peu de pâte qui, le lendemain, sera distribuée aux enfants, tandis que la louche est décrochée. Le sorgho est récolté en coupant la tige au couteau à une trentaine de centimètres du sol. Il est ensuite rassemblé en petits tas étendus sur le champ, mais bien souvent les tiges sont piquées en forme de botte dans le sol jusqu’à m aturité et dessication complètes du grain, sous la garde d’enfants qui en éloignent les oiseaux granivores.

Après la récolte, les éteules de sorgho rejettent, ce sont les imisigati, sur lesquels les autorités indigènes et les bailleurs avaient mis l’embargo à leur profit, car ils fournissent une certaine pâture au bétail dans le courant de la saison sèche.

Une fois sèches, l’on coupe les tiges au ras de l’épi. La rentrée de la moisson à l’enclos donne lieu à une fête au cours de laquelle l’on amène de la bière aux champs, on y boit, danse et chante en signe de réjouissance. Les mères, à cette occasion, doivent obligatoirement porter à la tête leur couronne de fécondité urugore. Elles ne seront pas chargées du transport du sorgho, travail qui sera réservé aux hommes et aux enfants. Au lac Kivu, on tue une chèvre ou un bœuf, si on en a les moyens, et les femmes préparent de la bouillie avec le sorgho engrangé. C’est réellement un grand jour, celui qui voit s’achever une année et en commencer une autre. Chacun en prenant une bouchée de pâte s’écrie : « Ndawulya, ntundya, n’umwaka mushya: je la mange, elle ne me mange pas, c’est la nouvelle récolte », formule qui signifie : j’ai vécu en bonne santé durant la culture du sorgho, que la récolte me maintienne en vie à l’avenir.

Le sorgho est entreposé dans des greniers spéciaux montés sur pilotis, en paille de sorgho, enduits de bouse de vache et recouverts d’un toit conique. On en retire les épis au fur et à mesure des besoins ménagers. Ils sont battus par les hommes et par les femmes à même le sol, à coups de gros bâtons afin d’en extraire le grain. Celuici, après avoir été moulu sur la pierre concave urusyo à l’aide du caillou rond ingasire, donne une farine grisâtre. On ne peut battre le grain pendant l’orage car celui qui est demeuré aux champs serait frappé par la foudre.

Les greniers destinés à recevoir la moisson sont pourvus d’un talisman irema (de kurema : créer) consistant en une pierre et un coussinet de portage ingata déposés au fond, ce talisman est censé devoir assurer au grain une puissance de multiplication remarquable.

Non seulement de la paille du sorgho symbole de fécondité on tire la couronne de m aternité des femmes, mais les épis rouges sont portés en Urundi lors de la naissance de jumeaux.