Les festivités des prémices du sorgho et de l’éleusine au Ruanda (umuganura).

Selon la légende, ce sont les bami du Ruanda qui auraient introduit la culture du sorgho et de l’éleusine dans le pays. On attribue tour à tour cette introduction aux premiers bami intitulés Ibimanuka, au mwami mythique Gihanga et enfin à Ruganzu-Ndori. Pour accréditer cette légende, on prétend que doit régner le prince naissant avec des graines des quatre plantes principales dans ses menottes : sorgho, éleusine, courge et isogi.

Il est donc naturel que la cour détint le rôle prééminent dans les festivités entourant les prémices du sorgho et de l’éleusine dont les gardiens de la tradition se trouvaient au Bumbogo, se répartissant à la fois parmi les Batsobe, Batutsi commandant la région, et les Bega-Baswere, Bahutu pratiquant pour le roi du Ruanda la culture symbolique du sorgho et de l’éleusine. Les Batsobe étaient par excellence conservateurs des coutumes ésotériques de la cour du Ruanda, non seulement ils participaient à la fête des prémices, mais encore au deuil national de juin (gicurasi), ils imposaient un nom de règne au nouveau mwami et étaient chargés de l’annoncer publiquement.

Le clan des Batsobe avait son mwami qui était investi à l’avènement d’un nouveau roi du Ruanda. Il n’en était pas de même du clan muhutu des Bega-Baswere, ici au lieu de quatre noms de règne, il n’y en avait que trois : Musana, Mumbogo et Nyamurasa. La concordance entre les noms de règne des rois du Ruanda et ceux des Batsobe était la suivante :

Kigeri                                    : Nyaruhungura

Mibambgwe                     : Nyunga

Y uhi                                     : Birege

Mutara ou Cyilima          : Rubambo

En leur qualité de bami, les Batsobe disposent de deux tambours-enseignes : le Rwamo (litt. qui a un haut cri) et le Baruhirubusa (litt. ils s’efforcent en vain) qui se trouvent à l’heure actuelle à la colline Kinambi au Rukoma (territoire de Nyanza) sous la garde d’un mwiru (conservateur des règles ésotériques). Le Rwamo et son siège intebe, mangés des insectes, sont en morceaux ; le Baruhirubusa existe toujours, tout enduit de sang coagulé.

De même, les Bega-Baswere disposent d’un tambour enseigne et d’une batterie de dix tambours ordinaires qu’ils frappaient matin et soir comme à la cour du Ruanda.

Les cultures destinées à la fête royale des prémices s’opéraient dans un district du Bumbogo circonscrit par les rivières Nyabarongo, Base, Conyonyo et Cacika, il comprenait les collines suivantes : Muhondo, Huro, Munanira, Mbirima (où se trouve la tombe de N yirakigeri, reine-mère du mwami Kigeri-R wabugiri), Gasiho, Congori, Cyombgwe, Kiruka, Rushashi, Rukura, Joma, Minazi, Burimba Kigali et Va. Cette région était inaccessible aux étrangers sous peine de mort.

Gusezera.

Le labour initial du terrain, intitulé en langage ésotérique local gusezera, se pratiquait à la colline Munanira et plus spécialement au hameau Huro, capitale des bami Bage-Baswere et résidence de la reine-mère de Rwabugiri, Nyirakigeri. (Celle-ci accusée d’entretenir des rapports avec le nommé Serutaganya se suicida avec son amant dans l’incendie de sa hutte). Le premier labour était exécuté par les Bega-Baswere au début du mois de juillet. Dès lors, les feux de brousse étaient interdits jusqu’à l’époque des semis qui s’opéraient dès le début de la saison des pluies, le contrevenant eut été puni de mort.

Prise des houes chez le mwami du Ruanda.

Après que le premier gros labour fut terminé, le mwami muhutu des Bega-Baswere préparait de l’hydromel en vue de le faire porter au mwami du Ruanda auquel il sollicitait l’obtention des houes pour les semailles symboliques. Dans le courant du mois de juillet, le mwami muhutu des Bega-Baswere envoyait à la capitale l’un de ses oncles et son umwiru, de clan Muzigaba, munis d’une vingtaine de cruches d’hydromel. Cette association d’un membre d’un des premiers clans d’immigration ne doit pas nous étonner, elle est en relation avec le culte des morts ; nous la retrouverons lors du choix d’un terrain  résidentiel. Une fois arrivée à la cour, cette députation se présentait d’abord au chef de clan des Batsobe, gouverneur de la province de Bumbogo, qui résidait en permanence auprès du mwami du Ruanda. Il convient de souligner ici que ce chef de clan était une personne différente du mwami mutsobe, et que ce dernier tombait d’ailleurs sous sa juridiction familiale. Le chef mutsobe prélevait dix cruches de bière pour lui-même, après en avoir présenté dix au mwami du Ruanda. Celui-ci s’asseyait sur son siège inteko déposé sur une natte, le mwiru du mwami muhutu s’agenouillait devant lui et recevait de ses mains huit houes et huit manches neufs qu’un magasinier apportait. Ces houes provenaient du Buberuka, colline Cyungo, où elles étaient fabriquées par un forgeron tributaire du mwami du Ruanda, de la corporation des Bahinda. Uumwiru disait : « M pa inzoga y’ikibibiro » : « Donnez-moi de la bière en faveur du complexe de fécondité agraire ikibibiro » ; après l’avoir reçue, il remerciait le mwami qui ajoutait : « Urahinge weze » : « Que vos cultures soient bénéfiques », à quoi le conservateur répondait : « Uraherezwa » : « Que la production soit pour vous ». Ces houes étaient emballées dans une petite natte ficelée par des liens injishi semblables à ceux servant à entraver les pattes arrière des vaches laitières, mais servant ici à arrimer le tambour-enseigne Karinga à l’un des piliers de la hutte intitulée « kwa Cyilim aRujugira » où est conservé le trésor royal. La députation du Bumbogo en rentrant dans cette province, munie des houes, ne pouvait franchir la Nyabarongo qu’au passage de Gisizi, au pied de la colline Gikingo. A partir de ce moment, plus personne, hormis les Batsobe, ne pouvait pénétrer dans la région interdite du Bumbogo, avant la germination de l’éleusine. Aucun résidant de cette région ne pouvait se rendre au dehors porteur de pâte ou de grains d’éleusine ou de sorgho, la transgression de cette interdiction lui eut valu la peine de mort. Cette défense n’était levée qu’après l’accomplissement du muganura par le mwami du Ruanda.

Après être passée chez le mwami des Batsobe, la députation présentait les houes au mwami des Bega-Baswere par l’intermédiaire de l’un des siens. Le mwami muhutu contrôlait attentivem ent les houes, une à une, car elles devaient être neuves et sans défaut (isugi) , ainsi que les manches. Le mwami muhutu conservait quatre houes pour lui et donnait les autres au mwiru muzigaba ; chacun retenait une houe pour soi car elle était destinée à ensemencer un champ symbolique, et en rem ettait trois aux membres de sa famille. Le mwam’ des Batsobe renvoyait alors à la capitale du Ruanda, la natte et les liens injishi dans lesquels les instruments avaient été emballés.

Après le retour de la députation, les gens de la région réservée du Bumbogo, apportaient des tributs aux Bega-Baswere à la résidence de leur mwami à Huro et à la reine-mère Nyirakigeri : bananes, bois de chauffage, haricots, cruches, tandis que les Batsobe présentaient sous le nom d’Isanga, leurs vaches intitulées Abalita.

Guturutsa.

Au Bumbogo, pour désigner l’action de semer, on emploie, en langage ésotérique local, le verbe guturutsa au lieu de kubiba usité partout ailleurs au Ruanda. Le mwami Mwega-Muswere donnait lui-même le signal des premières semailles à sa résidence de Huro. Dans le courant de la soirée, avec le concours des siens et des conservateurs des coutumes, il ensemençait un petit lopin de terre, d’une superficie d’un mètre carré environ, de graines de sorgho, d’isogi, d’éleusine et de courge. Le lendemain on opérait de même à la résidence du mwiru umuzigaba. C’est alors que les tributs d’hommage amenés à l’occasion de l’apport des houes étaient consommés, les vaches Abalita étaient traites et leur lait bu. Seuls, les gardiens des coutumes avec le mwami MwegaMuswere participaient à ces agapes. Les semailles s’opéraient lors de l’installation de la saison des pluies en septembre-octobre (Nzeri). L’ikibibiro, charme magique de fécondité déposé au milieu du terrain, était détenu par le mwami Mwega-Muswere, il se composait d’un seau à lait igicuba peint au kaolin, recouvert d’un couvercle conique de vannerie spiralée, il contenait des semences des quatre variétés précitées, et était déposé à terre sur un anneau de portage en feuilles de bananier tressées.

Immédiatement après cet ensemencement, l’on poussait des cris de joie impundu et l’on battait les tambours, tandis que le mwami muhutu pratiquait une copulation rituelle avec une femme qui lui était fournie en guise d’hommage par le mwami du Ruanda, notamment au début de chaque règne. Cette femme provenait d’un des premiers clans d’immigrants, et il est à se demander s’il ne s’agit pas de la jeune fille que les Bacuku devaient présenter au mwami du Ruanda lors de son avènement. Le mwiru muzigaba opérait de son côté une copulation rituelle avec sa femme, ce rite s’intitulait « kwakir’ikibibiro » : agréer le charme de fécondité agraire.

Les autochtones ne pouvaient semer qu’après la germination des graines confiées au petit champ symbolique, événement qui était annoncé au pays par une batterie des 10 tambours du mwami des Bega-Baswere.

Umurorano (de kurora : voir, pour la première fois : découvrir).

 A Huro, le mwami Mwega-Muswere faisait préparer dans le courant du mois d’avril (Werurwe), une première charge d’une vingtaine de kg, comportant de l’éleusine et du sorgho récoltés encore tendres. Cette charge passait à Kinyambi, résidence du mwami Mutsobe, et de là les deux bami se rendaient à la cour du mwami du Ruanda où le chef Mutsobe, résidant à la capitale, présentait les prémices au roi.

Avant d’emmener l’umurorano à la capitale, l’on pratiquait au Bumbogo des séances de divination sur des entrailles de poussin tant chez le mwami Mutsobe que chez le mwami Mwega-Muswere, elles étaient suivies d’un culte aux ancêtres de ces bami au cours duquel des grains d’éleusine étaient jetés au feu car leur crépitement était de bon augure. De même chez le mwami du Ruanda, l’on passait à la divination et au culte des ancêtres et plus spécialement à celui de Cyilima-Rujugira. Avant de recevoir les prémices, le mwami du Ruanda était purifié par les exorcistes Abakongori et Abacumbi à l’aide d’un goupillon icyuhagiro et de kaolin. Ce goupillon se composait de branches de plantes bénéfiques ikibonobono, umucoro, umutabataba, urugarura, imposha, umuko, elles trempaient dans une calebasse contenant de l’eau pure, calebasse que l’un des exorcistes imposait au mwami en signe de croix, en prononçant les paroles rituelles suivantes : à l’épaule droite : « Akageba urubegera abakeba »: « Épaule (m wam i), fais l’aumône à tes rivaux » ; à l’épaule gauche : « Umusumba usumba abanzi » ; « Insurpassable, dépasse tes ennemis » ; au front : « Urutwaro utwara inka n ’ingabo »: « Toi qui commandes, puisses-tu commander à toutes les vaches et à tous les guerriers » ; à la poitrine : « Igituza utura mu Rwanda » : « Poitrine (mwami), que tu demeures (toujours) au Ruanda». Enfin, déposant la calebasse, l’exorciste s’aidant du goupillon, époussetait le mwami pour en éliminer les mauvais sorts qui, tels des miasmes délétères, se seraient accrochés à lui. Le mwami était touché au front et à la poitrine à l’aide de kaolin qu’un magicien déposait du médium, en disant ces m ots : au front : « Indahangarwa, ndahangarwa n’abanzi »: « Invulnérable, que tes ennemis ne t’atteignent pas » ; A la poitrine : « Igatuza, utura mu Rwanda»: «Poitrine, règne (toujours) sur le Rwanda». Ayant reçu les prémices, le mwami du Ruanda les confiait à l’une de ses servantes de confiance abanyamuheto (litt. de l’arc) laquelle devait être isugi : ne pas avoir perdu d’enfants. Elle réduisait le produit en farine à la cuisine intitulée « Kwa Mbungira », puis préparait la bouillie. Au moment où l’eau entrait en ébullition, le mwami Mwega-Muswere, puis le mwami Mutsobe et enfin le mwami du Ruanda, y jetaient de la farine des prémices. Prenant la spatule de ménage, chacun de la main droite, ils tournaient la pâte sans rien y ajouter. A force de cuire, la bouillie devenait aussi claire que de l’eau courante et prenait le nom d’ingezi (d’urugezi: rivière). Une fois prête, le mwami du Ruanda se rendait à la hutte intitulée « Kwa Cyilim a », et s’asseyait sur son lit ; ses trois serviteurs-cuisiniers, la cuisinière et le chef Mutsobe lui apportaient un peu de bouillie sur une assiette de vannerie bien propre. Comme d’habitude, le mwami m angeait seul. Une fois rassasié, il perm ettait aux deux autres bami de goûter également à la pâte. Le mwami Mutsobe faisait antichambre derrière les paravents (insika) de la hutte royale tandis que le mwami Mwega Muswere était toujours tenu à l’écart, attendu qu’il était de sang muhutu. Immédiatement après avoir mangé, le mwami du Ruanda devait exécuter une copulation rituelle avec l’une de ses femmes, ce rite s’intitulait « kwakira umurorano » (recevoir l’umurorano). Il s’opérait à la hutte dédiée à l’esprit de son ancêtre Cyilima-Rujugira abritant les tambours- enseignes et le trésor royal, et devait se pratiquer avec la femme épousée par le mwami à l’intention de cet ancêtre. Du temps de Musinga cette épouse était Nyirakabuga, mère du chef Rwigemera.

On prétend qu’il s’agissait là d’un simulacre d’acte sexuel et que si le mwami désirait l’achever il devait le recommencer par après. Quant aux deux autres bami, ils accomplissaient une copulation rituelle soit avec leur femme soit avec une compagne de circonstance. Quant aux tambours des bami Batsobe et Bega-Baswere ils demeuraient sur place au Bumbogo et n’accompagnaient pas l’umurorano. Envoi du panier (igitenga).

Après la cérémonie du murorano, le mwami du Ruanda rem ettait à la députation du Bumbogo un très grand panier intitulé igitenga haut de 1,60 m et large de 3 m, conservé près du tam bour enseigne Karinga dans la hutte intitulée « Kwa Cyilima ». Ce panier ne pouvait séjourner qu’une seule nuit en cours de route et devait obligatoirement franchir la Nyabarongo à Gisizi, il était transporté dans un hamac (ingobyi). Arrivé au Bumbogo, Y igitenga était rempli de sorgho et d’éleusine de la récolte actuelle. Comme le poids atteint était tel que son transport par porteurs eût été impossible, son contenu était réparti en petites charges portatives qui étaient amenées à la capitale du Ruanda accompagnées d’un tribut de cruches d’hydromel. L’une de celles-ci s’intitulait Rugina et était offerte par le mwami Mwega-Muswere, l’autre Rurara provenait de son maître de cultures, enfin environ deux cents autres cruches étaient données par les Bahutu habitant la zone réservée.

A l’occasion de son départ vers la cour, Yigitenga vide était escorté jusqu’à Jondi, hameau de Huro, par les tambours battants du mwami Mwega-Muswere. Sur le chemin du retour, il ne pouvait passer qu’une seule nuit en cours de route et aboutissait chez le chef Mutsobe résidant en permanence auprès du mwami du Ruanda.

En cours de route, le tambour des Batsobe, Baruhirubusa, stationnant à Kinyambi (Rukoma), saluait le panier de sa batterie. Le lendemain de son arrivée chez le chef Mutsobe à la cour, le panier était congratulé d’une batterie des tambours royaux ordinaires. Les conservateurs des coutumes du Bumbogo qui l’avaient amené recevaient alors un taureau à manger. Celui-ci était remis par le chef Nturo des Banyiginya-Abanana, qui le prélevait parmi le bétail indwanyi (de boucherie) du mwami du Ruanda. Vers quatorze heures, on amenait le hamac du tambour-enseigne de la monarchie Kiragutse, on y déposait l’igitenga qu’on remplissait ensuite de sorgho et d’éleusine venus du Bumbogo, après l’avoir entouré de guirlandes à ’umwishywa. Il était alors pris en charge par les bouchers intalindwa de la cour. Dès ce moment, seuls les initiés pouvaient assister aux cérémonies rituelles : un étranger, une femme ou un chien ne pouvaient s’approcher du gitenga qui était apporté en grande pompe jusqu’à l’enclos royal, au milieu de batteries des tambours royaux ordinaires, et de dignitaires bien coiffés, vêtus avec recherche et propreté. S’avançaient à la rencontre du gitenga, pour le saluer, l’épouse royale mariée à l’intention de l’esprit du roi Cyilima, et le Karinga principal tambour-enseigne de la monarchie, transporté dans son hamac.

Dès l’entrée du gitenga à la cour, une beuverie générale se déclenchait à laquelle participaient le mwami et ses grands chefs, elle se poursuivait durant toute la nuit. Le lendemain matin, l’on abattait en faveur des gens venus du Bumbogo deux vaches stériles et deux taureaux prélevés par Nturo dans le bétail de boucherie du roi, l’abattage s’effectuait à l’endroit où la divination s’était révélée de bon augure pour la cérémonie du muganura.

Les Baroba, conservateurs des coutumes en service à la hutte « Kwa Cyilima » veillaient à ce que ce bétail fut réellement abattu selon les règles du code ésotérique, et en prélevaient le sang dont ils enduisaient ensuite le tambour-enseigne Karinga.

Umuganura.

A nouveau et selon le même rituel que celui de l’umurorano, la servante du roi préparait une bouillie de sorgho et d’éleusine prélevés cette fois dans le gitenga. Le mwami du Ruanda mangeait un peu de cette pâte : « Umwami yaganuye : le roi a consommé les prémices ». Le jour suivant, le mwami du Ruanda recevait les tributs d’hommage (amakoro) venus du Bumbogo : miel, bière de banane, bois de chauffage, herbe fine ishinge servant à tapisser les huttes. Ces tributs ainsi que le sorgho et l’éleusine restés dans le gitenga étaient distribués aux grands chefs présents, aux dignitaires et au personnel domestique de la cour. Durant la même journée, sur ordre du roi, on remplissait de lait des cuveaux servant en temps ordinaire à brasser la bière de banane, il était bu à l’aide de chalumeaux par les gens venus du Bumbogo à l’intention desquels on plaçait également du beurre dans un autre cuveau, beurre dont ils s’enduisaient le corps et leurs vêtements faits d ’écorce de ficus. Il est à noter que ces indigènes devaient apporter eux-mêmes leur impamba (provision de bouche consistant en produits végétaux), il semble donc inexact qu’on fît préparer des haricots à leur intention comme il fut parfois écrit. On amenait à la cour des vaches du Nyaruguru, intitulées intulire pour fournir du lait à l’occasion de la fête des prémices.

Muganuro (Urundi).

Contrairement à ce qui se passait au Ruanda, le muganuro en Urundi ne coïncidait pas avec les prémices du sorgho mais précédait obligatoirement les semailles. Une foule nombreuse participait à cette cérémonie mystique rituelle qui s’opérait de nuit à Bukeyi, sous la présidence d’honneur du mwami. Karyenda, le tambourenseigne de l’Urundi y était amené soigneusement recouvert, accompagné de sa garde de six petits tam bourins, du Rukinzo dont la batterie annonçait l’événement à la ronde, et de sa vestale Mukakaryenda (litt. la femme du Karyenda), vierge choisie parmi les Bahima, dont le rôle ne cessait qu’à la mort du roi. Participaient encore à cette cérémonie : Mukakiranga (litt. la femme de l’esprit divinisé de Kiranga) avec son escorte d’initiés ibishegu, et les grands baganuzi, appariteurs du muganuro. La veille de la fête, quatre taurillons étaient tués et mangés par des Bahima ; deux d’entre eux étaient abattus au seuil de la hutte royale et les deux autres étaient sacrifiés devant la hutte votive dédiée à l’esprit du mwami Ntare, fondateur de la dynastie. Prenant de l’eau, deux grands princes aidés par d’autres Bahima effectuaient la purification rituelle des entrailles des taurillons que les aruspices se m ettaient à examiner en vue de prédire les augures. Au mot « zeze » (elles sont favorables) la cérémonie proprement dite pouvait commencer. Elle se déroule m aintenant de nuit en présence du mwami, de Mukakaryenda et des deux princes assistant en qualité de témoins. Mukakaryenda a préparé elle-même la pâte de sorgho umutsima dont le mwami doit manger quelques bouchées après quoi il effectue une copulation rituelle avec la vestale. A ce moment, jaillit le cri : « Umwami yaganuye » : « Le roi a mangé les prémices du sorgho ». L’événement est annoné au public par une nouvelle batterie du tambour Rukinzo auquel une centaine d’autres répondent aussitôt, tandis qu’accourent rendre hommage au roi, les grands chefs, les cérémoniaires et le peuple en b attan t des mains ainsi que le veut le protocole de la cour et en lui jetant une poignée d’herbe.

Dès lors, les semailles de sorgho peuvent commencer. Une beuverie monstre est entamée, et tandis que s’organise durant trois jours une chasse rituelle aux animaux déprédateurs des cultures, le mwami distribue des épis de sorgho au peuple et trente génisses aux principaux participants du muganuro. Enfin, au cours du neuvième jour, on rentre les tambours royaux à la capitale.

Les tubercules spontanés.

Irebe (nénuphar). Ses racines sont mangées par les Banyambo, à l’est du Ruanda, en bordure de la Kagera ainsi que par les Banyarwanda du Bugesera. Souvenonsnous que le nénuphar blanc était le lotus sacré des Égyptiens.

Inumbu (fougère). En temps de disette, les racines de fougère se mangent cuites à l’eau. A l’ouest du Ruanda, en bordure du lac Kivu, on observe de bien curieuses coutumes à l’occasion de la cueillette des tubercules de la fougère injugushu (Gymnograme verticalis). Elle fait apparaître sa tige droite et courte vers le début de la saison de pluie en septembre, tout en donnant naissance à un bulbe à chair gris-jaune, de la grosseur d’une noix. La récolte s’opère à l’époque où la tige enroulée en forme de ressort, commence à poindre hors du sol ; passé ce moment, le bulbe devient vénéneux. Les indigènes se servent d’une terminologie spéciale pour les opérations entourant cette récolte, terminologie sensiblement identique à celle usitée par les affiliés à la secte religieuse de Ryangombe. Les bulbes sont durs à cuire et coriaces. Seuls les hommes peuvent faire ce travail. Le produit ne peut être enjambé : il ne serait plus bon qu’à être jeté.

Les indigènes mangent également les tubercules spontanés de Y’inanka, genre d ’arachide croissant à l’est, et de Y’inyagatebe.

Plantes industrielles et commerciales.

 Bois.

Les forêts naturelles couvrent 3 % du Territoire, 6,8 % si l’on ajoute les savanes. Les reboisements des circonscriptions indigènes occupent une superficie de plus de 45.000 ha. Ce sont les forêts naturelles et les savanes boisées qui fournissaient à l’autochtone le plus clair des m atériaux ligneux dont il avait besoin pour ses constructions, la cuisson et ses instruments. Depuis l’occupation européenne, une évolution remarquable est à noter, car en astreignant les communautés indigènes et les individus à effectuer respectivement des peuplements collectifs et des boisements personnels, l’on trouve partout des essences exotiques de croissance rapide mises à la disposition de l’autochtone : eucalyptus, grévillea, filao, Acacia decurrens (black-wattle), cyprès, etc. Précédemment, pour cuire ses aliments, la ménagère employait de la bouse de vache séchée au soleil en forme de galette, des rhizomes de chiendent et des broussailles ; seuls les voisins des forêts et savanes parvenaient à trouver du bois de chauffage. La forêt naturelle longe la crête de partage des eaux Congo-Nil, elle comporte des bambous (Arundinaria alpina) dont l’indigène tire des lamelles d’écorce à l’aide desquelles il confectionne des paniers, des hamacs de portage, des vans, etc. Ces bambous se trouvent en association avec certains arbres : umuhurizo (Podocarpus misanjianus) dont la coupe était exclusivement réservée aux bami qui en retiraient leurs tambours, l’umugeshi (Hagenia abyssinica) ou faux santal donnant des bûches de bois odoriférant imibavu, l’umugoti (Syzygi). Parmi les résineux, signalons outre 1 ’umuhurizo précité, l’umufu (Podocarpus usambarensis), l’umusaisai (Harungana madagascariensis), l’umushasha (Macaranga kilimandcharia), l’umungu (Polyscias) , le murangara (Neobontonia macrocalyx). On y rencontre également la lobélie géante (Lobelia gibberoa) dont l’indigène tire la flûte intomvu.

Parmi les espèces feuillues, dont certaines essences fournissent les pirogues et les cuveaux à bière, citons Yumushwati (Carapa grandi flora), le mbarembare (Conopharyngia), l’umushishi (Symphonia globulifera), l’umutoyi (Sideroxylon adolfifrider ici) , l’umukaka (Hersama) , l’umuhanga (Maesa), l’umukungu (Perinarik) , l’umusebeya (Albizzia) , l’umukereko (Piptadenia), l’umushika (Strombosia) , l’umunake (Croton), l’umusavi (Markhamia lutea) , l’umufe (Myrianthus) , l’umuyove (Entandrophragma) et l’umusagwe (Fagara) dont on retire le poison de chasse ubumara. Certains de ces arbres fournissent des remèdes et des amulettes.

Contrairement à ce qui fut si souvent nié, l’autochtone plantait auprès de son habitation certains arbres destinés à lui donner du bois d’œuvre : umusavi, umubirizi, umuyenzi, umuvumu et umuhati. En outre, il construisait son enclos avec des branches d ’arbre qui, en prenant racine, poussaient avec le temps pour donner parfois naissance à un ou plusieurs grands arbres sacrés (imana) qui, tels des monuments historiques, nous indiquent à présent l’emplacement (ikigabiro) qui fut habité par tel mwami ou par tel personnage im portant. Pour ériger son enclos, l’autochtone recourt aux essences suivantes : umuko (érythrine), umuvumu (ficus) alias umutabataba (que le malheur ne soit pas), l’umuyenzi (euphorbe), l’ikibonobono (ricin), l’umurehe, l’igitovu, l’umunyonza, l’ikiduha (cactus candélabre, litt. qu’il nous donne s. e. le bonheur), l’umusagara, l’umurama, l’igihondohondo (dragonnier), l’urubingo (Pennisetum), l’imyumbati (tiges de manioc), etc. Ces végétaux sont également employés pour délimiter les propriétés et tenures foncières.

L’umusavi convient pour la fabrication des manches de houe, de couteau, de faucille, des pots à lait, des beurriers, des seaux à lait et à eau, des spatules de ménage, des peignes. L’umubirizi donne des manches de houe (umuhini), l’umutobotobo convient aussi pour les manches de faucille, le ficus umuvumu permet avec l’érythrine umuko de fabriquer des cruches et des seaux à lait. C’est de l’écorce du muvumu qu’est tirée, par battage, le tissu impuzu servant de vêtement. Le bois à!umuko donne la planchette de divination. Les lances sont faites en uruhanda et en umukoma, les arcs proviennent d’umukore, d’urunda et d’umukoma, enfin les flèches sont confectionnées à l’aide d’umukurazo.

Le café arabica (ikahwa).

Introduit au Ruanda-Urundi au début du siècle par les RR. PP. Blancs pour leurs propres besoins, le caféier arabica a été diffusé dans les milieux indigènes dès 1920 sous l’égide de l’Administration afin de procurer une importante source de revenus aux autochtones. Mais les premiers résultats furent médiocres : l’exportation n’était que de 8 tonnes en 1923 et de 17 en 1926. Sous l’impulsion clairvoyante de feu le gouverneur Voisin, une propagande intensive d’extension systématique du café fut entreprise en 1931 chez les notables d’abord et parmi les natifs ensuite. Fin 1938, environ 22 millions de caféiers étaient plantés. La culture du café, qui s’opère entre 1500 et 1900 m d’altitude, est assez simple. On choisit des emplacements bien humifères où sont dressées les pépinières dans lesquelles les graines sont plantées à vingt centimètres d’écartement en tous sens. Lorsque les plants ont une douzaine de feuilles, ils sont mis en place à racine nue, dès le début de la saison des pluies, en adoptant un écartement de 2 m 50 en tous sens après une trouaison préalable du sol de 60 cm sur 60 cm. Les champs destinés à recevoir les caféiers sont choisis à proximité immédiate des habitants afin de permettre aux cultivateurs de leur assurer un entretien constant, une fumure et un paillis abondants. Après trois ans, la plantation donne sa première production qui est vendue en cerise aux coopératives et en parche au commerce local car, chose curieuse, l’indigène ne consomme pas son café jusqu’à présent. C’est du café que l’autochtone tire la partie la plus importante de ses ressources.

Fibres.

L’autochtone tire ses cordes, ses fils, et les fibres dont il fait maints usages, de nombreux végétaux dont la plupart sont de croissance spontanée. Du cœur du bananier comestible il se procure la fibre blanche ubutumba, de son écorce il confectionne des cordes. Les Banyambo plantent du sisal dont ils font notamment des filets de chasse et de pêche. Le ficus umuvumu procure non seulement un tissu mais également des fibres. L’écorce du bambou coupée en fines lanières dans le sens de la longueur fournit un matériau excessivement solide pour la confection de paniers, de portes, de vans et d’arcs. Le palmier umukindo donne également des fibres intéressantes pour la corderie. Enfin il y a toute une gamme de plantes de brousse, de savane et de forêt croissant à l’état spontané, qui procurent des fibres à l’autochtone : umugusa, umunaba, umukerakenja, umugugu, umunyangongo, umusharita, umugwegwe, igihondohondo, umucundura, umucaca (herbe), umukongwa, umuhotora (écorce de papyrus), etc. Certaines productions indigènes comme celle des Sida et des Triumphetta sont intéressantes pour l’industrie européenne des cordes et tapis, mais celle-ci n’existe qu’à l’état embryonnaire. L’ortie umusurusuru fournit le fil du même nom qui sert à coudre les étoffes de ficus. L’arbre umwisi donne la corde à lier les chèvres.

Herbe (ubwatsi).

Pour couvrir les maisons, on emploie l’umukenke, herbe des pâturages, l’urukangaga, herbe des marais, les tiges de sorgho (ibikenyeri), de maïs, de papyrus et l’umushyimbo. L’herbe ishinge placée sous des nattes, sert de tapis dans la hutte.

Pour faire des paniers à gourdes de bière finement tressés on emploie l’urumampfu, l’ingaga et l’ingori.

Pour confectionner les nattes, on a recours à l’ubusunyu, fine herbe poussant au bord du lac Kivu, l’urukangaga, l’umurago (qui donne son nom à la natte ikirago). Les herbes suivantes servaient à préparer du sel : umuberanya, umurago, umushyimbo, urufunzo (papyrus).

Les couronnes de portage ingata sont confectionnées à l’aide de n’importe quelle herbe qui tombe sous la main. Toutefois pour les couronnes sur lesquelles on dépose les cruches de bière et qui sont habituellement ornées de dessins finement tressés, on emploie, comme pour la confection des paniers, Yingori, Yingaga et Yurumampfu. Les herbes ikiziranyenzi, umuhihi, umugano donnent des chalumeaux pour boire la bière, et des tuyaux de pipe.

De certaines herbes, on extrait des remèdes utilisés en médecine humaine et vétérinaire, on en fait également des charmes ; il faudrait un chapitre entier pour les décrire.

Pour confectionner la couche du lit, l’indigène coupe les herbes suivantes : urukangaga, umukenke, auxquelles il mélange souvent des feuilles de bananier.

Dans de nombreuses cérémonies rituelles, lors du prononcé d’un procès en sa faveur, et tandis qu’il reçoit une vache de son maître, l’indigène arrache une touffe d’herbe, s’agenouille et l’offre des deux mains, ce rite s’intitule gukur’ubwatsi. En principe l’herbe présentée est l’ivubwe mais elle est parfois remplacée par quelques feuilles d’umuvumu qui porte le nom magique d’umutabataba.

C’est surtout dans l’alimentation du gros et du petit bétail que l’herbe trouve son emploi dans ce pays ; si certaines d’entre elles présentent peu de valeur alimentaire, d’autres par contre constituent une nourriture de tout premier ordre.

Le Pyrèthre (ibireti)

Les circonscriptions indigènes firent des essais de culture en régie, mais le pyrèthre exigeant des terrains spécialement riches, ces essais furent abandonnés pour ne maintenir que la grande plantation du pays du Ruanda dans la plaine de lave de Kinigi qui comporte 214 hectares plantés assurant une production annuelle de 161 tonnes de fleurs sèches. Il n’existe pas de plantations individuelles bien que l’autochtone soit amateur de pyrèthre qui constitue un excellent insecticide pour déparasiter les huttes.

Le quinquina (ikinini).

Les circonscriptions indigènes, vers 1943, ont entamé sous forme de régies, certaines plantations de Cinchona ledgeriana et de Cinchona succirubra qui totalisent 200 hectares. Toutefois la mévente des produits en a fait arrêter la culture. L’indigène ne consomme pas de ledgeriana à titre d’antidote contre la malaria mais pré­fère se procurer les sels de quinine ou des produits synthétiques de remplacement, aussi ne cherche-t-il pas à cultiver lui-même le Cinchona.

Le coton (ipamba).

Superficie plantée : 8.967 hectares, récolte annuelle : 7.284 tonnes. Cette plante industrielle se cultive uniquement dans la plaine de la Ruzizi et du Tanganika, à des altitudes inférieures à 1000 m, dans les terres sablo-argileuses. En principe, les indigènes mariés cultivent une quarantaine d’ares chacun et parfois plus lorsqu’ils engagent de la main-d’œuvre. Après un labour complet du terrain, le semis s’opère entre le 20 décembre et le 15 janvier, en poquets espacés de 45 cm dans des lignes distantes entre elles de 1,20 m. Après démariage et buttage, on écime les cotonniers à 1,20 m de hauteur, la récolte s’opère en juillet. Ayant séché le coton au soleil sur des claies, le cultivateur le vend aux usines spécialisées pour l’égrenage et l’extraction de l’huile. L’indigène ne file pas son coton.

Ricin (ikibonobono).

L’autochtone connaît le ricin depuis des temps immémoriaux car il pousse dans son pays à l’état subspontané, bien souvent il en plante quelques arbrisseaux autour de son enclos. Du fruit (imbono), il tire, dans le nord-ouest du Ruanda, une huile (amagaja) à odeur rance profondément désagréable.

En 1943, l’Administration incita les cultivateurs à planter le ricin dont l’huile fut alors employée dans certains procédés de préparation du cuivre au Katanga. La récolte dépassa les 3.000 tonnes en 1947 mais elle tom ba à 1860 tonnes en 1949, suite à la raréfaction des débouchés, et à 1.150 tonnes en 1955.

Plantes excitantes.

Le chanvre à fumer (urumogi).

Bien que la culture de ce stupéfiant soit interdite en vertu de l’ordonnance législative du 22 janvier 1923 rendue exécutoire au Ruanda-Urundi par décret du 10 juin 1929, elle s’effectue néanmoins à la dérobée d’une manière sporadique ainsi que le prouvent certaines condamnations judiciaires prononcées de temps à autre. Il demeure certain que l’usage du chanvre à fumer, qui est vraisemblablement d’exportation congolaise, est rarissime. Il est principalement cultivé et fumé par les Batwa qui usent à cet effet d’une pipe constituée par un long bambou à l’intérieur duquel ils placent le chanvre tandis qu’ils lui adjoignent un chalumeau ordinaire pour le tirage. Ils emploient également une espèce de narguilé iramba se composant d’une petite calebasse emplie d’eau dans laquelle est enfoncé le fourneau de pipe.

Le tabac (itabi).

Production annuelle : 1.969 tonnes. Tous les Banyarwanda et les Barundi usent du tabac, hormis certains adeptes protestants et islamisés. La plupart du temps, il se fume dans des pipes en terre cuite à fourneau étroit pour les Bahutu, à fourneau haut et évasé pour les Batutsi ; elles sont munies d’un tuyau en bois ou d’un chalumeau long et étroit. Parfois il se fume dans des pipes d’importation ou entièrement en bois de fabrication autochtone. Sous l’égide des missionnaires, les indigènes du nord-ouest du Ruanda se sont mis à fabriquer et à fumer des cigares. Hommes et femmes fument, parfois même les enfants. Au Ruanda, on ne prise pas, par contre en Urundi on le fait fréquem­ment. Pour obtenir le produit nécessaire, on dépose une ou deux feuilles de tabac à l’intérieur d’une corne de vache, on y ajoute de l’eau et parfois un peu de cendre puis on malaxe la mixture à l’aide d’un bâtonnet. On verse le produit obtenu dans le creux de la main droite, on l’aspire par les narines et l’on se bouche le nez soit entre le pouce et l’index soit au moyen d’un bâtonnet fendu. Après quelques minutes, on évacue le produit, on se mouche et l’on s’essuie les doigts. Le tabac pris de cette manière semble excessivement fort et la cendre qu’on y mêle le rend encore plus piquant ; le visage se congestionne et des larmes jaillissent des yeux, les indigènes en sont parfois incommodés. Le tabac entre dans la composition de la purge et de la prise magiques administrées aux femmes et notamment à celles qui attendent famille car « cela fait du bien à l’enfant et le préserve du malheur ». Dans ce cas, le tabac macère dans de l’urine de veau avec de la cendre du foyer. Le tabac est cultivé un peu partout à raison de quelques plants autour des cases, et en champs étendus dans les plaines de lave des territoires de Kisenyi et de Ruhengeri. Le produit de ces régions, qu’on tend d’ailleurs à industrialiser, a la réputation d’être de qualité supérieure. Parmi les meilleures variétés, citons : buguru, gitama, uruyovu, kiboko, umushawiyami et gihanga.

Au goût de l’Européen, le tabac indigène est âcre et fort eu égard à sa trop grande richesse en nicotine. Ces défauts peuvent être attribués aux méthodes irrationnelles dont le cultivateur entoure son tabac : sol non amendé, la plante n’est ni écimée ni ébourgeonnée, enfin les feuilles lors de la récolte sont purement et simplement séchées au soleil et ne subissent aucune fermentation. Après dessication, les feuilles de tabac recroquevillées sont liées par paquets de dix et réunies en bottes de cent ou de mille, elles se vendent à l’unité et non au poids. Le Mututsi était toujours accompagné d’un serviteur ou d’un client portant son tabac et sa pipe qu’il était chargé de bourrer et d’allumer. Cette coutume marque une nette tendance à la disparition. Il est interdit de fumer à l’aide d’une pipe dépourvue de tuyau, celui qui le ferait devrait désormais s’abstenir de participer au kubandwa, culte des esprits divinisés : ceux-ci s’écarteraient de lui. Au mépris des règles les plus élémentaires de l’hygiène, la pipe passe de bouche en bouche, ce serait une injure que de refuser de la donner ou de l’accepter ; à ce sujet un proverbe dit d’ailleurs « qu’il n’existe qu’une pipe pour le pays ».