Après les âpres discussions auxquelles donna lieu le projet de réforme de 1973, le problème ne fut repris qu’à partir de 1976, et les premières concrétisations apparurent à partir de 1979. L’ancien Résident général J. P. Harroy, revenant avec pessimisme sur son expérience de la fin des années 50, a écrit à cette occasion dans Rwanda. De la féodalité à la démocratie :

“Bien que théoriquement détenteurs du pouvoir, nous n’étions pas maîtres du jeu. Et nous cédions aux mêmes poussées irrésistibles qui, vingt ans plus tard, viennent de forcer le gouvernement de la République rwandaise à consentir, en 1980, une nouvelle et démesurée réforme scolaire qui, sauf volte-face, va immanquablement le conduire à la faillite”.

Le recensement général de la population de 1978 révélait un taux de croissance annuel de 3,7 %, ce qui mettait à mal toutes les projections antérieures et explique que le taux de scolarisation n’a fait que baisser au fil des années. Une fois de plus on procéda à une analyse critique sévère du système en place : fortes disparités “ethniques” et régionales, déséquilibre des capacités d’accueil et d’encadrement, formations trop générales et sans utilité pratique, sous-estimation des besoins en matière de formation professionnelle, trop lourdes déperditions en cours de route, transitions non aménagées entre école et vie active, place mineure accordée à la langue et à la culture nationales. L’idée de base, elle aussi toujours la même, était donc de mieux intégrer l’école dans une dynamique de développement national, essentiellement rural, d’en permettre progressivement l’accès à tous les enfants et d’y revaloriser le patrimoine culturel du pays.

 “Le système éducatif nouveau ne doit plus seulement servir à la production du personnel d’exécution, sans aucune imagination, mais surtout il doit fournir un personnel compétent, dynamique, conscient et avide du travail bien fait, capable de résoudre continuellement les problèmes du développement” (allocution du nouveau ministre de l’Education Nationale Pierre Claver Mutemberezi).

Pour cela il fallait lier école et production, planifier l’enseignement secondaire et supérieur en rapport avec le marché de l’emploi et les besoins en main-d’oeuvre et en cadres qualifiés. Le pays s’apprêtait donc à engager une politique très active en matière de formation à tous les niveaux.

Dans le projet de plan quinquennal (1977-1981) présenté par le ministre du Plan J.C. Nduhungirehe on prévoyait

-la ruralisation de l’enseignement primaire en place par l’adjonction d’un cycle pratique de deux ans ;

– la professionnalisation de l’enseignement secondaire et supérieur ;

– la formation des adultes, des jeunes déscolarisés et non scolarisés dans des centres communaux de stages, des centres de jeunesse et des foyers sociaux restructurés ;

-une meilleure insertion dans le milieu rural des CERAR et des sections familiales ;

– la promotion coopérative à partir des noyaux post-primaires. Voici esquissé dans ses très grandes lignes et dans le concret le mouvement de réforme amorcé en 1979:

 L’enseignement primaire

On était conscient que la restructuration projetée n’avait des chances de réussir que si parallèlement les attitudes changeaient en profondeur : d’une vision souvent négative, pessimiste, voire défaitiste, il fallait passer à une perception positive du monde rural et de ses possibilités de développement, des ressources de la culture et de la langue rwandaises, et des perspectives que le cadre communautaire peut ouvrir à l’initiative individuelle.

Comme on ne pouvait pas retarder l’entrée à l’école, mais comme d’autre part il était vain de vouloir dispenser un enseignement pratique à des enfants trop jeunes, on songea à prolonger la scolarité de base de 2 ans : de 6 ans elle passait à 8. Une 7èmeet une 8èmeannées, orientées vers l’agriculture et l’artisanat étaient donc instituées, ayant en principe à leur disposition un atelier et un champ expérimental, et ébauchant ainsi une formation professionnelle. Aux deux cycles précédents s’en rajoutait donc un troisième, et les enfants étaient destinés à fréquenter l’école primaire, commune aux garçons et aux filles, de 7 à 15 ans. En 1978, le ministère publia “Mesures générales d’application de la réforme de l’enseignement”.

– Le premier cycle de 3 ans était consacré à l’acquisition de la lecture, de l’écriture et des rudiments de calcul. Le deuxième cycle, aussi de 3 ans, comportait des leçons de langue, calcul, morale et religion, histoire, géographie, hygiène, dessin, musique, sport, travaux manuels. Le troisième cycle était orienté directement vers la vie en milieu rural et en plus de l’enseignement général étaient introduites des leçons d’agriculture, d’économie domestique et de techniques artisanales dans un “atelier scolaire”.

– Tout au long de ces 8 années, la promotion était automatique, les redoublements n’étant admis qu’à titre exceptionnel. Le contrôle des connaissances devenait continu et avait pour unique but d’apprécier le niveau de compréhension de la matière enseignée. Le résultat en était que concrètement chez bon nombre d’élèves les retards allaient s’accumuler d’année en année.

– Les deux premiers cycles du primaire étaient quasi entièrement assurés en kinyarwanda. Le français n’intervenait que durant les deux dernières années pour préparer une éventuelle entrée dans le secondaire.

– La double vacation était maintenue au premier cycle, avec des effectifs d’une soixantaine d’enfants dans chaque section ; il était prévu que par la suite elle serait progressivement supprimée.

– La 8ème année s’achevait sur un examen permettant de sélectionner les 10% qui étaient appelés à poursuivre au niveau secondaire (en fait ils n’étaient que 8 % en 1987).

– Les autres 90 % devaient avoir à leur disposition un enseignement rural et artisanal intégré (ERAI) de 3 ans, prolongeant les 2 dernières années. Cela fait qu’en théorie la scolarité de base était de 11 ans, avec sortie du système à 18 ans !

– Les concours nationaux d’admission au secondaire portaient sur la matière de la 6èmeannée. Si même ceux qui un jour seraient sélectionnés devaient rester jusqu’au terme des 8 ans, c’était pour les maintenir proches des réalités économiques et culturelles de leur milieu…

En 1980, 828 “ateliers scolaires” étaient prêts (sur les 924 planifiés). Les jardins scolaires mesuraient de 30 ares à 1ha, et leur production était censée alimenter la caisse de l’école. Les ateliers, qui servaient de locaux aux 7ème et 8ème années, sont devenus un dispositif central de la réforme. Chacun comportait deux locaux de 11,2 m de long et de 7,2 m de large. Le premier, en sol en terre battue et ouvert sur l’extérieur, servait d’atelier proprement dit pour une vingtaine d’élèves ; le second, clos et au sol cimenté, servait de salle polyvalente pour 20 à 40 élèves. Chacun disposait de dépôts qu’on pouvait fermer à clé et qui servaient à entreposer les outils, les instruments agricoles et le matériel didactique. Différentes surfaces bien dégagées autour de l’atelier pouvaient servir aux exercices de construction ou de sciage. La construction fut effectuée grâce au travail collectif umuganda institué dans les communes ; le gouvernement a fourni tuiles, ciment et tôles, et la Coopération allemande a assuré l’équipement de départ.

On a prévu sept étapes pour le processus didactique :

– les élèves vont avec leur maître observer des artisans au travail ; – le maître procède à partir de là au choix des objets à fabriquer ; – des groupes se forment et le travail est réparti entre eux ;

– des fiches sont rédigées comportant les indications nécessaires à chaque fabrication ;

– les indications technologiques sont données au fur et à mesure ; – les élèves sont initiés au dessin technique ;

– il est veillé à un maniement correct des outils et à une vérification de la qualité des objets produits.

Rien que pour le passage des 6 à 8 ans de scolarité, 2 272 classes nouvelles et 924 ateliers devaient être mis en place rapidement grâce à la contribution de la population ; 2 400 maîtres et 925 auxiliaires devaient être recrutés. Le troisième plan quinquennal prévoyait une croissance de 8 %, ce qui s’avérait d’emblée insuffisant pour pouvoir un jour atteindre une scolarisation totale. Dans un premier temps, on a assisté à une forte croissance de la scolarisation de base, qu’A. Guichaoua a décrit ainsi :

“Après la stabilisation politique de 1973-1974, la pression déjà forte sur le système scolaire s’accroît immédiatement et s’accélère : + 8,1 % des effectifs à la rentrée 1976-77, + 11,3 % en 1978-79, + 10,2 % en 1979-80, etc. Signe nouveau, elle se répercute sur l’ensemble des années du cycle primaire, y compris les 5èmeet6èmeannées : au cours du II. Plan, les effectifs scolarisés dans le primaire (7 à 13 ans) sont donc passés de 400 000 en 1975-76 à 620 000 en 1980-81, soit une augmentation de 55 %. La croissance des taux de scolarisation (54 et 65 % pour les enfants de 7 ans, 46 et 59 % pour le groupe des 7-13 ans) se traduit par un alignement progressif des taux entre les sexes et les âges sur l’ensemble de la population concernée par le cycle primaire. En 1982, 70 % du groupe d’âge des 7-13 ans est scolarisé avec des taux respecte de 67 et 72 % pour les sexes féminin et masculin” .

Pour répondre aux énormes besoins d’encadrement des deux années supplémentaires, les sections pédagogiques furent multipliées (21 en 1978, 37 en 1990) et des écoles normales techniques auxiliaires créées pour la formation de moniteurs. Un Service Mobile d’Encadrement Pédagogique fut mis sur pieds avec une aide allemande. Mais malgré des mesures de recyclage durant les vacances et une formation continue par la radio grâce à la Coopération française, on ne transformait pas facilement un maître traditionnel en moniteur d’agriculture ou d’artisanat. Provisoirement on faisait appel à des sortants de CERAR et de sections familiales. Les connaissances et habiletés à transmettre aux élèves étaient rarement maîtrisées correctement par des enseignants plus ou moins improvisés. Le nombre d’élèves par maître passa en 1979 de 53 à 61 (80 pour les 3 premières années et 40 pour les suivantes).

On recruta 3 000 nouveaux instituteurs au cours du 2èmePlan et de très nombreuses nouvelles constructions scolaires, à la charge des communes, furent réalisées grâce aux travaux communautaires. Mais face à la “ruralisation” la population demeurait réticente.

En 1976 la conférence des ministres africains de l’éducation a réfléchi de son côté aux minimum essential learningneedsauxquels se doit de répondre une formation de base : celle-ci devrait apporter, estimait-on,

– des connaissances élémentaires en lecture, écriture et calcul,

– une compréhension élémentaire des phénomènes naturels qui conditionnent l’alimentation, l’hygiène, la santé, l’agriculture, l’élevage, l’économie, etc.

– des savoirs et des savoir-faire nécessaires pour pourvoir à la survie d’une famille,

– la capacité de pouvoir participer à la vie publique et d’en comprendre les mécanismes,

– le développement d’une conscience critique permettant une réflexion personnelle et une attitude active face aux problèmes qui se posent.

On assistait ainsi à une véritable explosion scolaire et à une transformation en profondeur extrêmement ambitieuse du système.

L’enseignement postprimaire

L’ébauche de professionnalisation réalisée à la fin du primaire devait se prolonger en un cycle post-primaire ruralisé au sein de Centres d’Enseignement Rural et Artisanal Intégré (CERAI) destinés aux deux sexes avec une scolarité de 3 ans. Au départ, on avait prévu 1 290 établissements par lesquels tous les élèves non sélectionnés pour le secondaire devaient passer ; puis en 1981 le nombre de ces établissements fut restreint à deux par commune.

– 65 % des enseignements devaient y être pratiques, à contenu agricole et artisanal, avec, selon les régions, des spécialisations en maçonnerie, serrurerie, poterie, forge, électricité, menuiserie, travail du cuir, couture, cuisine, petit élevage, etc. Les 35 % restants se répartissaient en leçons de kinyarwanda, français, mathématiques, histoire, géographie, morale, religion et un cours sur la vie et l’organisation communautaires. Le kinyarwanda était le véhicule exclusif de l’enseignement.

-Les CERAI étaient gérés par les communes et les parents, l’Etat finançant le personnel, élaborant les programmes et étant censé assurer les équipements. Aucun diplôme n’était prévu, mais une attestation était délivrée.

– Une participation financière était exigée des élèves, et l’on comptait sur la vente de produits fabriqués.

– En 1990, dix centres formaient en 5 ans des enseignants pour ce niveau avec un millier de sortants (sections normales rurales et techniques).

-Des Centres Communaux de Développement et de Formation Permanente (CCDFP), hérités de l’expérience de Nyakabanda, devaient progressivement se mettre en place pour prolonger l’action entreprise.

D’énormes difficultés survinrent dues au recrutement de personnels mal formés et à des recyclages mal acceptés, à la pénurie de matériel pédagogique et de manuels adaptés, à l’absence d’ateliers et d’équipements techniques, au flou dans la définition des objectifs, des profils professionnels et des débouchés potentiels, enfin à l’endettement massif des communes.

“Cette réforme inévitable, dont aussi bien les populations rurales que les autorités attendaient beaucoup, modifie sensiblement l’ensemble du contexte social rwandais, mais ne règle, à elle seule, aucune des contraintes nationales majeures. Elle ne fait, même dans l’immédiat, que les rendre plus fortes. Les jeunes générations majoritairement alphabétisées n’ont que peu d’occasions de mettre en application leurs nouveaux savoirs et la vitalité assez remarquable des activités artisanales (visible en particulier dans la qualité générale de l’habitat rural) trouve rapidement ses limites dans l’absence de capital, de crédits, d’espace pour s’installer, de machines pour s’équiper et la faiblesse du marché solvable… Sans débouchés urbains d’importance, l’absence de remboursement tangible des sacrifices et investissements faits par les familles suscite un réel mécontentement qui se traduit par un report des exigences au niveau de l’enseignement secondaire” (Guichaoua, I, pp. 176-177).

La réflexion pédagogique engagée en vue de cette réforme au niveau primaire et post-primaire a été longuement décrite par un expert allemand, Erhard Rathenberg (1985). Elle était centrée sur la prise en compte des besoins élémentaires (Grundbedarf) de la population (en matière d’alimentation, de construction, d’outillage, de santé, de transport, de vêtement, etc.) par la mise en oeuvre de technologies adaptées (angepassteTechnik). La création d’emplois devait se faire essentiellement en milieu rural, et ce

– à des coûts réduits,

– selon des procédures simples et donc sans grand machinisme,

– en privilégiant les ressources et les matériaux disponibles localement (en l’occurrence le bois, l’argile et les métaux tirés des carcasses de voitures),

– et en intégrant les données culturelles propres au milieu.

Il fallait se montrer prudent pour ne pas déstabiliser le marché de l’emploi à la campagne par l’introduction intempestive de techniques modernes. En plus des jeunes admis dans les CERAI, il fallait se préoccuper de ceux qui n’ont jamais fréquenté l’école, ou qui en sont sortis en cours de route, ou qui n’ont pu poursuivre après l’école primaire. Mais dans un premier temps l’accent fut mis sur un début de formation polyvalente dans les 6èmeet 7èmeclasses du primaire.

Voici quelques exemples de techniques simples, utilisables par des groupes même à ce niveau, a fortiori plus tard :

– alimentation : techniques améliorant le rendement agricole, le stockage et la conservation des aliments ; construction de supports de séchage, de fourneaux à faible énergie et d’extracteurs de miel ; production de gaz à partir de matières biologiques et construction de réchauds à méthane ; citernes et dispositifs pour recueillir l’eau de pluie ;

– habitat : production de briques, de tuiles et de tuyaux en terre cuite ; réalisation de charpentes simples, avec utilisation de chaume, de roseaux, de papyrus, etc. ; fabrication de petits meubles, de portes, fenêtres, charnières, verrous, etc. ; techniques de damage, de clayonnage ; utilisation de l’énergie solaire pour le chauffage de l’eau ; fabrication de tuyaux et d’échafaudages en bambou ;

– hygiène et santé : fabrication de savon, de filtres à eau, de pompes en bambou ; aménagement de fontaines ; construction de latrines, de fosses septiques, de systèmes d’évacuation d’eaux usées ;

– vêtement : tressage, nattage, tissage, couture, repassage ; construction de machines à laver simples ; etc.

La confection d’un objet même très simple nécessite une succession d’opérations qui doivent être apprises : pour fabriquer un moule à briques, par exemple, il faut savoir mesurer, raboter, scier et clouer. On sait quelle importance a revêtu dans l’histoire des techniques le fait qu’on ait pris l’habitude de dessiner au préalable l’objet à construire, ce qui permet de fixer de manière plus abstraite l’idée que l’on en a et de tester sa faisabilité. En ce sens une initiation au dessin technique peut avoir une portée pédagogique à ne pas sous-estimer. Il faut ensuite apprendre à évaluer les quantités et les coûts, à manipuler mesures de longueur, de surface, de volume, donc à calculer à partir de données concrètes. Enfin, la technologie vient apporter les connaissances particulières nécessaires à telle réalisation. À titre d’exemple, E. Rathenberg a montré par une analyse approfondie tout ce qu’implique au plan didactique la construction d’un filtre d’eau potable et la masse considérable de connaissances qui en cette circonstance peut être mise en œuvre, transmise et expérimentée.

 L’enseignement secondaire

La réforme de l’enseignement secondaire fut mise en route en 1981. On n’y entrait plus qu’à 15 ans. Un cycle de 6 ans était instauré. L’accès en demeurait plus que jamais sélectif : autour de 1980, on comptait 3 000 entrants dans le secondaire pour 50 000 sortants du primaire, donc un pourcentage de 6 % (alors que l’objectif était de 10 %).

– Les CO étaient supprimés et on renforça l’importance donnée à la formation générale et aux filières générales longues.

– Les établissements à finalités professionnelles et techniques étaient sans doute multipliés et diversifiés, mais demeuraient nettement minoritaires (un cinquième des élèves). Des spécialisations plus pointues étaient instituées. On prévoyait deux cursus à durées variables: les EcoIes Techniques Inférieures étaient appelées à préparer en 4 ans des techniciens de degré moyen, les Ecoles Techniques Normales à former en 6 ans des agronomes, des vétérinaires, des agents de l’administration, des instituteurs, des infirmiers, etc.

– Une des nouveautés majeures qui transforma en profondeur le paysage scolaire fut l’évolution vers la pratique de la mixité et de l’externat : les établissements pouvaient ainsi augmenter sensiblement leurs capacités d’accueil. En 1987-88, à Kigali, sur 7 672 élèves du secondaire, 64 % (80 % des filles) étaient externes. Et ils étaient 76 % à ne pas être originaires de Kigali : parmi eux 60 % logeaient chez des membres de la grande famille, 25 % en location, 15 % dans des homes. De nouveaux problèmes étaient ainsi posés à de nombreux élèves, de logement, de restauration, de déplacement et de travail personnel à domicile.

– Un grand effort d’équilibrage régional fut entrepris : le Nord longtemps négligé fut favorisé, ce qui ne manqua pas d’activer les susceptibilités dans le Sud.

– Le kinyarwanda est devenu la langue d’enseignement à tous les niveaux, amoindrissant d’autant la place du français qui tendait à devenir simple matière d’enseignement. Mais comme malgré tout la connaissance du français jouait un rôle important dans la sélection pour le secondaire, cela pouvait favoriser les enfants de la bourgeoisie où il était davantage pratiqué, alors que les jeunes ruraux n’y avaient que peu accès : les inégalités pouvaient ainsi se trouver renforcées. – L’étude du milieu était introduite dans l’enseignement en matière d’histoire, de géographie, de biologie et d’instruction civique, mais dans la pratique cela ne correspondait guère à ce que l’on entend habituellement par là en pédagogie… On constatait toujours le même manque de matériel didactique et de personnel qualifié.

– La direction des écoles demeurait autoritaire, fonctionnant à coups de contraintes, et les procédures de sélection n’ont rien perdu de leur rigidité.

– Le métier d’enseignant était toujours aussi peu valorisé, les finances ayant beaucoup de mal à suivre.

– Un autre changement de fond intervint dans le paysage scolaire rwandais avec la multiplication des écoles privées non subsidiées, surtout en ville. Comme il fallait qu’elles rémunèrent elles-mêmes les enseignants, les écolages y étaient élevés, ce qui entraînait une inévitable sélection par l’argent. Le plus souvent ces établissements étaient gérés par des associations de parents. Ils contribuaient puissamment à détruire le mythe de la nécessité de l’internat. Quand les diplômes de ces écoles n’étaient pas reconnus, les élèves devaient se présenter devant un “jury central”. En 1989 fut créée une Fédération Rwandaise de l’Enseignement Privé (FREP) (un même terme recouvrant en fait des réalités fort diverses : des écoles privées non reconnues, des écoles privées reconnues et agréées, mais non subsidiées, et des écoles privées agréées rendues quasi publiques du fait de la subsidiation). On assista aussi à l’apparition d’institutions préscolaires privées.

Quelques données chiffrées : en 1987, sur 127 écoles secondaires, 69 étaient publiques ou subsidiées et 58 privées ; en 1988-89, l’enseignement privé non reconnu comptait 9 740 élèves, soit 27 % du nombre total ; en 1989-90, 35 % des élèves étaient scolarisés dans des écoles privées, dont une majorité de filles. En 1987-88 on comptait à Kigali 21 établissements secondaires, dont 14 étaient privés avec 4 517 élèves et 7 publics avec 3 155 élèves, le privé dépassant ainsi les établissements officiels et agréés (60 % contre 40 %). Malgré cette explosion, les élèves fréquentaient le secondaire seulement à 1,8 % de l’ensemble et l’Université à 0,2 %, toujours un des taux les plus bas d’Afrique.

 L’enseignement supérieur

– En 1980-81, 906 étudiants fréquentaient l’Université et 219 diplômés en sortaient (129 de premier cycle et 90 de deuxième cycle). En 1988- 89 on comptait 2 050 étudiants au pays et 773 à l’étranger.

– Un deuxième campus fut ouvert à Nyakinama, près de Ruhengeri, avec une capacité d’accueil de 220 étudiants, destiné à la faculté des lettres dont la France avait la charge. Ce transfert occasionna d’inévitables doubles emplois et frais de déplacement.

– En 1980 fut créé un Centre Universitaire de Recherche sur la Pharmacopée et la Médecine Traditionnelles (CURPHARMETRA).

-En 1981 fut réalisée la fusion de l’UNR et de l’IPN, ce qui permit la naissance d’une Faculté des Sciences de l’Education.

-Jusqu’en 1988-89, la fréquentation de l’Université était liée à l’attribution d’une bourse officielle et à un statut d’interne ; à partir de là, on admettait des externes qui finançaient par eux-mêmes leur scolarité et on demandait à tous des droits d’inscription.

-Le premier cycle fut réduit de 3 à 2 ans.

– De nouvelles écoles supérieures furent créées, dont certaines étaient privées : l’Institut Saint-Fidèle de Gisenyi pour l’administration et l’informatique ; l’Université Internationale des Adventistes du Septième Jour à Mudende (Gisenyi) ; l’Ecole Supérieure Internationale de Statistiques et de Sciences Economiques (IAMSEA) ; l’Institut Supérieur Catholique de Pédagogie Appliquée à Nkumba (ISCAPA -Ruhengeri), etc. – En 1990 une grave crise éclata à l’Université du fait qu’un pourcentage excessif d’étudiants échoua aux examens terminaux. Les causes alléguées étaient : le raccourcissement de certaines formations entraînant une surcharge des études, un manque d’enseignants compétents, l’inadaptation des contenus, une mauvaise orientation au départ.

– Le grand-séminaire de Nyakibanda comptait en 1980 146 séminaristes, et l’Ecole Supérieure Militaire 83 élèves, dont 2 filles.

 Relations Eglise-Etat

En avril 1987 une convention scolaire fut signée entre l’Etat rwandais et l’Eglise catholique : celle-ci était autorisée à diriger des écoles privées, des écoles libres subsidiées et des écoles officielles. Les curés de paroisse avaient à nouveau une responsabilité à exercer vis-à-vis des écoles primaires et post-primaires de leur secteur.

 Nouvelles propositions en 1990

Le gouvernement prit acte des critiques ainsi formulées, et en avril 1990 un Projet de Réajustement de la Réforme Scolaire en vigueur depuis 1978-79 était soumis aux congrès préfectoraux. Les discussions furent très vives et émotionnelles. Les représentants des milieux aisés demandaient un retour aux situations antérieures. De nombreuses propositions étaient émises, forcément contradictoires entre elles :

– Ramener la scolarité primaire à 6 ans, avec deux cycles, l’un d’alphabétisation, l’autre de formation générale, avec examen de sélection au terme. Supprimer la double vacation.

– Faire des 7ème et 8èmeannées un complément de formation pour ceux qui ne peuvent entrer en secondaire.

-Rétablir le français comme langue d’enseignement dans le secondaire. L’introduire dès la première année primaire, ou au plus tard en troisième année, mais en maintenant aussi le kinyarwanda comme langue d’enseignement.

– Renforcer les aspects techniques de la formation des CERAI.

– Permettre aux meilleurs élèves du post-primaire d’accéder au secondaire, en particulier pour la formation de cadres moyens.

-Revenir au “tronc commun” avec examen de sélection au terme de deux ou trois ans, ce qui renforcerait la formation générale, permettrait une orientation effective, faciliterait les réorientations ultérieures et rapprocherait les écoles de la population durant les premières années du secondaire.

-Généraliser l’externat, surtout pour les enfants des familles aisées.

-Demander à l’Etat de soutenir l’ensemble des écoles privées. – Mettre en place des crèches et un secteur pré-primaire.

-Moduler les frais de scolarité en fonction des revenus des parents et réactualiser la disposition ancienne, jamais appliquée, exemptant les familles indigentes.

– Permettre aux élèves de fréquenter en externes les écoles proches de leur domicile, et ne plus les affecter systématiquement en d’autres régions.

Le gouvernement hésitait à revenir en arrière, car cela aurait été pour lui un cuisant aveu d’échec qu’il aurait été difficile d’expliquer à la population. Après 1990, comme les circonstances politiques viraient au drame, d’autres priorités s’imposaient et le problème des écoles passa au second plan.

Voici comment s’exprima à propos de la réforme une observatrice extérieure, Danielle de Lame, en voyant les choses à partir de la campagne :

“La réforme scolaire coupait de la connaissance d’une langue internationale les enfants rejetés à l’examen d’accès à l’enseignement secondaire, réservé à 10 % d’entre eux, dont 10 % de Tutsi, soit 1 % de ceux-ci au total. La réforme de l’enseignement rural et artisanal s’accompagnait d’une baisse de qualité dont les paysans étaient conscients et qui diminuait encore les chances de leurs enfants d’accéder à un emploi salarié. La suppression des internats qui assuraient un confort minimum aux lauréats de l’examen d’entrée issus du milieu paysan était l’instrument complémentaire de cette gestion. Les apparences étaient (parfois) sauves au niveau de l’examen, mais l’éloignement des enfants démunis assurait une déperdition maximale qui laissait vacantes des places non contrôlées dès la deuxième année du secondaire. Les enfants de famille aisée et favorisée pouvaient alors le réintégrer après un an d’école privée. Dans les régions moins comblées, les parents s’efforçaient d’offrir à leurs enfants un enseignement secondaire privé. Les enseignants comme les paysans décrivaient cet état de fait avec amertume. Certains, ravis d’un succès inattendu, vendaient leur bétail pour assurer les frais de la première année et voyaient ensuite leur enfant obligé de céder la place à un enfant plus favorisé. Les facteurs régionaux et le clientélisme jouaient à plein dans l’accès au secondaire officiel. Ces situations constituaient les causes principales de plaintes ouvertes contre le régime. Le trait le plus saisissant de la deuxième République est, en effet, l’enrichissement rapide en termes monétaires, d’une bourgeoisie de fonctionnaires-commerçants qui maintient pourtant des liens avec les régions rurales d’origine” .