LE REGNE DE KIGELI I MUKOBANYA. 10ème  Roi, ± de 1378 à 1411

a) Luttes de compétition au trône et ire Invasion des Abanyoro.


 

  1. Comme nous l’avons dit plus haut, les exploits attachés au nom de Kigeli I Mukobanya ont été accomplis sous le règne de son père. L’Aède Musare, fils de Kalimunda, qui mourut sous Yuhi IV Gahindiro, dans son poème « Ukuli kwimutsa ikinyoma ku ntebe =le mensonge doit céder le siège de la Vérité, nous a révélé une tra-dition que nous n’aurions pas connue autrement. A savoir que, à la mort de Cyilima I, son autre fils Karimbi (cfr n° 107) provoqua une guerre de compétition au trône, voulant supplanter Kigeli I Mukobanya. Il est bien possible que, dans son esprit, les origines de Mukobanya invitaient à le contester. Mais, comme cela était un tabou pour les princes d’avoir accès aux règles et aux poèmes du Code ésotérique, il pouvait en juger selon l’opinion du profane. Le cas de Kigeli I Mukobanya était cependant hors de contestation puisqu’il avait été intronisé par Cyilima I en personne, et que, du vivant de ce dernier, il jouissait déjà de la dignité royale. Le prétendant fut vaincu et, au dire de Musare, fut tué dans la localité appelée mu-Nvuzo près Kanyoni, dans la Commune actuelle de Mugambazi. Préfecture de Kigali. (cfr Inganji Karinga, II, p. 88- 89).

 

  1. L’événement le plus marquant du règne fut la 1ère invasion des Abanyoro, dirigée par le Roi Cwa, fils de Les Mémorialistes et Bardes du Rwanda. disent : Cwa, fils de Nyabungo. Dans son livre Entre le Victoria, l’Albert et l’Edouard (Rennes, 1920, p. 64), Mgr Gorju nous donne la liste des Rois du Bunyoro. Sur cette liste, Cwa occupe la 4ème place. Nous avons transcrit ladite liste face à celle des Rois du Rwanda (cfr Inganji Karinga,’11, p. 91) en remontant de Mutara III Rudahigwa. jusqu’à Ruganzu I Bwimba, et pour celle du Bunyoro à partir de Winyi IV Kafabusa jus-qu’à Nyabwongo I Mhuga, Se-ingoma. Sur les deux listes, le nombre des monarques est égal : 19 de part et d’autre. Nous ne pouvons pas juger si cette parité résulte du parallélisme normal des générations, puisque nous ne savons pas si les monarques du Bunyoro ont régné de père en fils. Evidemment l’auteur cité indique deux fois la note « compétiteur ». Au Rwanda aussi il y a eu des compétiteurs, mais entre frères, ce qui revient au même, puisque le vainqueur succédait à son père.

 

  1. Ce qui était significatif à nos yeux, cependant, c’est que Nyabwongo II Bulemu et son fils Cwa I Cwamali sont parallèles à Kigeli I et à son fils Mibambwe I. La liste dont s’est servi Mgr Gorju lui avait été donnée par le P. Torelli, Missionnaire au Bunyoro. Il l’avait dressée en se servant de poèmes épiques recueillis en ce pays.

Nous avons cependant trouvé une autre liste publiée par J.W. Nyakatura, dans son livre Abakama ba Bunyoro-Kitara (St-Justin, P.Q., Canada, 1947, p. 77-78). Ici, malheureusement, entre Nyabwongo I .« Bulemu » (qui est Nyabwongo II « Bulemu » chez Mgr Gorju) ont ‘été intercalés d’autres noms. En foute hypothèse, J.W. Nyakatura attribue à ce Nyabwongo I Rumoma-mahanga l’invasion du Rwanda. Ce Roi, disent les traditions au Bunyoro, aurait passé 4 ans en notre pays (ibidem p. 96-97).

  1. Les Mémorialistes Rwandais et les Aèdes du genre dynastique, désignent donc ce monarque comme Cwa fils de Nyabungo ; nous corrigeons ce dernier nom en Nyabwongo comme il se devait. Lorsque se produisit l’invasion, Kigeli I avait sa résidence sur le mont Kigali. Les envahisseurs arrivèrent en deux colonnes : l’une déboucha de l’ancienne province du Bwanacyambwe, à l’Est de Kigali, tandis que la deuxième arrivait du Nord en suivant le cours de la Nyabugogo. Cette dernière subit une défaite dans le Gatsata, au pied du Jali (en face de la ville capitale actuelle). Quant à la colonne venant de l’Est, elle se heurta aux guerriers envoyés à sa rencontre sous le commandement du prince Sekarongoro. La bataille eut lieu à la colline de Musave (en la Commune actuelle de Rubungo) et le prince Sekarongoro y fut blessé d’une javeline au front.

 

  1. Les Rwandais furent battus et se replièrent sur Kigali. Le monarque dut fuir de sa capitale que les envahisseurs incendièrent sous ses yeux ; il avait passé la Nyabarongo et fixé son camp à Runda, localité qui monte de la vallée de la Nyabarongo. Des cérémonies magiques ordonnées à faire reculer les envahisseurs ne manquèrent évidemment pas. Un arbre mémorial de ce genre, appelé Umuganzacyaro, fut planté sur les lieux du camp, et donna son nom à l’un des contreforts du massif de Runda, où il était ensuite devenu un arbre géant. Ce nom « Umuganzacyaro » est de la langue rwandaise archaïque, signifiant : « Triomphateur-sur-le-pays-étranger ».

 

  1. Les vainqueurs essayèrent bien de passer la Nyabarongo, à la poursuite de Kigeli I, pour lui arracher le riche butin de vaches qui avaient été évacuées. Quelques éléments, ayant réussi à atteindre la rive occidentale, furent facilement vaincus par les Rwandais, à l’endroit appelé depuis lors Ishinjaniro au pied de la localité Gihara. (en la Commune actuelle de Runda). Ceux qui furent faits prisonniers, eurent les doigts et les oreilles coupés et furent renvoyés vers le gros de l’expédition, afin de le terroriser.

Remarquons que le terme « Ishinjaniro » est un monument de cette victoire en réalité trop facile. Dans la langue archaïque, il signifie : «Lieu-de-la-victoire. Dans la langue moderne nous dirions : Itsindaniro. Comme il se présente sous la forme de réciprocité, sa traduction plus littérale est « Lieu-de-la-victoire-de-part-et d’autre », « de la Victoire réciproque : » les uns triomphant, puis les autres à leur tour. Dans « Ishinjaniro », la racine est « shinj- ». Elle est conservée dans la langue moderne dans le verbe (gu)shi-nja : être témoin à charge (faire vaincre par le témoignage) ; et dans le substantif ishinjo = amphore d’hydromel dégusté durant les séances de hauts faits (autour de laquelle chaque héros narre ses victoires).

 

  1. Nous avons vu que le prince Sekarongoro fut blessé au front à la bataille de Musave. Il n’était certainement pas parti en Libérateur, car autrement il aurait dû se laisser tuer. Ce fut donc par le simple hasard des combats qu’il fut atteint. Mais ensuite son sang versé fut considéré comme un élément décisif dans la lutte engagée contre les Abanyoro et il fut décoré du surnom de Mutabazi = le Libérateur, qui éclipsera progressivement son vrai nom.

Les Aèdes du genre dynastique qui parlent de ce sang libérateur supposent en général que le prince a été proclamé héritier à la sui-te de la blessure ; (cfr Inganji Karinga, II, p. 104-105). Un seul Aède, Mirama fils de Rutwa, est allé trop loin, en supposant que le prince avait été envoyé en Libérateur officiel (ibidem p. 93). Tout ceci démontre simplement que ces gens transfèrent au domaine du Code ésotérique les décisions-récompenses de la vie « profane », où telle dignité est concédée pour actes de bravoure. Le futur Mibambwe I avait été désigné depuis longtemps, avant ces événements.

 

  1. b) Les traditions « vitales » concernant Kigeli I Mukobanya.

 

  1. 1) Après la 1ère invasion des Abanyoro, plus aucun Récit ne fait allusion à Kigeli I Mukobanya. Il fut enterré à Rutare (Commune du même nom, en Préfecture de Byumba), sur le plateau de l’un de ses contreforts appelé Nyansenge. Son Tambour-des-audiences = Indamutsa, s’appelait Kibanza I (il y aura ensuite le Kibanza II sous le règne de Yuhi II Gahima II).

 

2) La Milice Abatsindiyingoma (contraction de Abatsindiye-ingoma) c.à.d. les Triomphateurs-pour-la-Dynastie a été créée par lui, et elle s’est perpétuée jusqu’à. notre époque (cfr les Milices p. 37-38). Son premier Chef, sous ce règne, fut Muzimanganya, fils de Segisabo, du clan des Abacyaba, et son dernier titulaire, sous Yuhi V Musinga, fut Semugeshi, fils de Rukabura, qui habitait à Nyaruhengeri, en Préfecture de Butare. La propre Milice du monarque, les Ibidafungura a complètement disparu de nos traditions.

 

3)En plus de son successeur, Kigeli I avait deux autres fils: Nkoko qui mourra en Libérateur contre le royaume du Nduga sous le règne suivant, et (Gitore, l’ancêtre éponyme de l’actuelle vaste Famille des Abenegitore.

 

4) Le tombeau de sa mère, Nyirakigeli I Nyanguge, est à Rubingo, en son quartier appelé ku Kabira (en la, Commune de Shyorongi, Préfecture de Kigali). C’est la première Reine -mère dont le lieu- cimetière est connu. La dynastie subalterne, descendant de Mugina (cfr no 107), habitant en cette localité, était chargée de rendre un culte spécial à cette Reine mère, sous la haute direction des Abiru-rois du Nyamweru, si intimement liés à sa venue au Rwanda.