{:fr}Le Clovis du Ruanda, le fondateur de la dynastie munyiginya, c’est peut-être Bwimba. Ce Bwimba est le premier sur la liste des Bami (1), dont le nom ne paraisse pas fictif. Néanmoins tout ce qu’on raconte de lui est fortement, teinté de légende. La postérité lui a décerné le titre de Ruganzu, « le Gagnant, le Vainqueur », du verbe kuganza, « gagner au jeu ». Il est aussi le prernier des « sauveurs du peuple » umutaba•i. Voici pourquoi. Sa soeur Robga avait été contrainte d’é-pouser le mwami du Kisaka, Kirnényi Kimenyi umuheto : « Le virtuose de ‘l’arc ». Les destins avaient annoncé que

  • Voici la liste des bami banyiginya que l’on peut tenir pour authentiques avec l’indication approximative des temps oit ils ont vécu.

XVe et XVIe siècles             XVIIe et XVIIIe siècles             XIXe et XXe siècles

Ruganzu Bwimba                Mutara Muyenzi                        Yuhi Gahindiro

Cyilima Rugwe                    Kigeri Nyamuheshera               Mutara Rwogera

Kigeri Mukobanya               Mibambwe Gisanura                 Kigeri Rwabugiri + 1895

Mibambwe Mutabazi           Yuhi Mazimpaka                       Mibambwe Rutalindwa + 1896

Yuhi Gahima                       Cyilima Rujugira                       Yuhi Musinga, 1896- 1931

Ndahiro Cyamatare             Kigeri Ndabarasa                      Mutara Rudahigwa 1931

Ruganzu Ndoli                     Mibambwe Sentabyo              

On peut voir par ce tableau que la série quaternaire des noms de règne : Kigéri, Mibambwe, Yuhi, Mutara, n’est fidèlement observée que depuis les deux derniers siècles.

de ce mariage résulterait l’union du Ruanda naissant et du Kisaka, le fils de Robwa devant hériter des deux tam-bourins. C’était l’asservissement du Ruanda au Kisaka. Pour écarter cette honte, pour briser cet arrêt fatal et fléchir le destin, il ne fallait rien de moins que le sang de Bwimba et celui de Robwa, versés au Kisaka, ouvrant un droit de vengeance pour le Ruanda. Le frère et la sœur se résignèrent bravement au sacrifice. Bwiraba, revêtant les insignes du mutabazi, champion de son peuple, pénètre au Kisaka, excite la colère d’un chasseur de rencontre, en affectant de poursuivre le gibier qu’il a levé, reçoit de lui une flèche en plein front, et tombe baigné dans son sang. Son veneur, un mutwa, apporte la nouvelle à la cour de Kiményi. Celui-ci exulte, Imana sourit à son ambition. Il fait déposer le tambourin national, Rukurura, auprès de son épouse sur le point d’accoucher. Celle-ci, fidèle à sa résolution, saisit à pleines mains les poteaux de l’alcôve, saute de sa couchette, se précipite sur la caisse rigide du tambourin, et rend l’âme, tuant avec elle le fruit de ses entrailles, auquel était promise la domination sur les deux pays. Ainsi fut rompu l’anneau fatal dans lequel les sorts avaient enfermé le Ruanda, et sauvé son indépendance nationale.

Ce drame patriotique fait l’objet d’une geste. Si Bwimba est un Regulus, Robwa est une Judith, une sainte de la patrie, un être sacrificiel. Son nom est passé en proverbe. On dit au Ruanda « Il s’est fait Robwa », Yabaye Robwa, pour signifier qu’un tel a donné sa vie pour son pays.

C’est donc sur une scène de délivrance nationale et d’abnégation patriotique, digne d’inspirer un Eschyle et un Corneille, que s’ouvrent les annales du Ruanda. Elle donne le ton à la littérature épique et révèle un des ressorts de l’âme Rouandais. L’événement en son fonds historique se réduit peut-être à une simple compétition entre états voisine, frères jumeaux. Nous apprenons par la suite que c’est le Ruanda finalement qui absorba le Kisaka, mais plus tard, au terme de l’évolution historique.

Du frère utérin et successeur de Bwimba, Cyilima Rugwé, on nous fait savoir tendancieusement qu’il échoua dans ses entreprises, parce que né d’une mésalliance desa mère, veuve de roi. Le fait que son souvenir reste attaché à la nécropole de Gaséké près du Rukoma, heu de sa sépulture, laisse supposer qu’il franchit la Nyabarongo pour une razzia au Nduga, et qu’il y laissa la vie.

 KIGERI MUKOBANYA ET LA DEFENSE DU TERRITOIRE NATIONAL : LES PIRATES BANYORO.

Avec Mukobanya, la fortune de la dynastie se relève et sa renommée grandit. Ce mwami, qui avait sa résidence au Bwanacyambwe, à Mwurire, sur le faîte de la butte de Kigali, surplombant le cours de la Nyabarongo, passe pour avoir arrêté, à la, bataille de Nyamirambo, près du fleuve, une invasion d’aventuriers Banyoro, qui détruisaient tout sur leur passage, « dévorant jusqu’aux feuilles des bananiers et aux rameaux verts des arbustes ». Ils tuaient les hommes et emmenaient les femmes et les enfants. Une partie de là horde aurait franchi la Nyabarongo et serait parvenue jusqu’à Nyundo dans le Nduga. ,

Mukobanya s’assura, pour contenir le flot, des barbares, le concours de son voisin Mashira, muhinza du Nduga. Il fut le Charles Martel de cette ruée sauvage. Il ne laissa pas les pirates survivants retourner dans leur pays d’origine. Il les retint, les traita en frères, leur donna des filles batutsi à épouser, et leur confia la garde d’une marche frontière, les installant au campement — Ndara — de Rukugéra aux confins de Burundi. Cela ne put se faire. Qu’avec l’assentiment de Mashira, encore maître du pays. Ainsi avait procédé Charles le Simple à l’endroit des Vikings normands. C’était une habile politique d’assimilation. On serait enclin à conjecturer que ces -razzieurs banyoro étaient une nouvelle vague de Bahima pasteurs et _ que les Banyarwanda, reconnaissant en eux des congénères, leur firent, pour cette raison sans difficulté, place au foyer national.

Quoi qu’il en soit, le succès de l’opération permit aux Batutsi de poser en défenseurs heureux du territoire, en vengeurs des humbles bahutu, jusque-là impunément foulés par les nomades. Le nouveau maître, qui gagna à cette victoire son titre de Kigéri, « le Belliqueux », s’avérait comme un protecteur indispensable et sûr de ses sujets. L’épreuve de sa force lui inspira sans doute le goût des conquêtes, qu’il passa à son fils et successeur Mibambwe.

LA CONQUETE DU NDUGA : MIBAMBWE MUTABAZI, ET MASHIRA.

MIBAMBWE aurait assuré par sa vaillance la victoire sur les pirates : d’où le surnom de « Secoureur » ou « Défenseur » — Mutabazi, qu’on lui aurait octroyé. Avec lui le Ruanda sortit de ses frontières primitives et s’éleva au rang de puissance prépondérante dans la contrée. La conquête du Nduga, dont il serait le héros, est un événement capital dans l’évolution du Ruanda. Elle marque une volonté d’expansion, qui se poursuivra dorénavant jusqu’à l’accès aux frontières naturelles et linguistiques.

C’est à Mashira, le plus illustre des ethnarques autochtones, lui aussi soucieux d’unité nationale, que le Nduga et ses annexions récentes furent enlevés. A quelle occasion et dans quelles conjonctures ? La geste, plus curieuse d’épisodes sensationnels que de précisions historiques, ne le dit pas. Une version donne à l’événement un romanesque, qui rappelle de loin la guerre de Troie. Le jeune Mibambwe, chassant au Nduga chez son voisin et allié, aurait rencontré fortuitement l’une de ses filles, qui était à l’extrême ce que disait son nom : elle s’appelait Bwiza, « La beauté ». Ce fut un coup de foudre. Soudainement épris, il adressa incontinent au père une demande en mariage. Hélas ! La belle enfant était déjà fiancée au toparque de Buzi, petit canton au nord du Kivu. Humilié et rageur, le bouillant Achille du Ruanda lança un défi au vieux Priam, et envahit ses états. Mashira, perdant toute confiance en ses prestiges de magicien, désespéra de son destin, et, ne voulant pas survivre au désastre inévitable de ses troupes, il se perça le corps en se jetant sur sa lance fichée en terre. Mibambwe s’installa tout pacifiquement dans ses paillotes et retint comme captive la belle Hélène, dont le charme ensorceleur avait inconsciemment causé les malheurs des siens. Il faut relever ces singulières rencontres du génie, hamite et de l’âme antique, expressions spontanées de l’universelle et permanente sensibilité humaine.

La substitution, de l’aristocratie pastorale et guerrière des Batutsi à l’oligarchie des agronomes bahutu paraît s’être effectuée sans heurts. Les cultivateurs se firent volontiers bagaragu des capitalistes vachers, dont ils reçurent en fief quelques bêtes. Le Munyiginya, dé son côté, eut la sagesse de maintenir en situation les chefs indigènes, déjà tributaires de Mashira. C’est ainsi que se perpétuèrent jusqu’à nos jours, dans la Mésopotamie rouandaise, des dynasties bahinza au Bugamba-Kiganda, Bulembo, Ivunja, Buliba, Ntondé Karama Kagogwé, Muhanga, Nyabitaré, et encore au Marangara, le plus considérable de ces petits états, où régnaient les Bakoma, illustres magiciens, dont le dernier héritier mourut de la variole en 1894. Le reste du territoire fut organisé en domaine propre de ribwami, des zones, telles que le Nduga, le Bibwanamukari, le Nyaruguru, furent administrées en régie directe par des intendants révocables, ou confiées en apanage aux princes du sang.

Que le territoire nouvellement conquis devint dès lors le domaine propre et préféré des bami et l’Éden d’es Batutsi, les preuves abondent. Le pays, particulièrement sur la ligne qui relie Butaré à Kigali, est jalonné de boqueteaux — ibigabiro, vestiges des résidences — indorwa, parfois des simples haltes, des souverains en continuel déplacement : Ruhango près d’Astrida, Nyanza, capitale actuelle, Réméra près Kanyinya, Rukaza au Marangâra, Kamonyi, et des dizaines d’autres. De nouvelles nécropoles royales, Musényi, Gaséké, furent aménagées dans la contrée. La croyance s’accrédita que le znwa.rni, quand il porte le titre de Yuhi, mettrait l’État en péril — ntibambuka uruzi, s’il sortait des limites de l’Entre-fleuves, son vol du chapon ». Les Batutsi les plus huppés, habitués de ribwami, firent souche sur place : nulle part ailleurs, sinon au Bigogo, la proportion des eugéniques• et des métis n’est plus forte.

ANNEXION DU BUGESERA : QUERELLES DE SUCCESSION A LA COUR DES PRINCES BAHIMA

MIBAMBGE MUTABAZI passe pour avoir réuni à Kalinga le tambourin du Bugéséra. Ce « pays », enveloppé par les biefs de la Kanyaru et de la Kagera, tout en parc, prairies, marigots, où avaient séjourné les Bahima, qui fondèrent l’Urundi, était un royaume frère du Ruanda, gouverné par la dynastie Abahondogo, parente des Banyiginya.

Une des principales causes de faiblesse de toutes ces cours hamites c’étaient les brouilles de familles que provoquaient les successions au trône. Le droit d’aînesse n’existant pas, la désignation arbitraire de l’héritier présomptif par le prince régnant donnait lieu, au lendemain de sa mort, à des compétitions ardentes, qui dégénéraient en guerres intestines, aussi furieuses que stériles. Ce qu’il advenait quasi régulièrement, c’est que le parti le plus faible, sur le point d’être écrasé, faisait appel à l’étranger, au puissant voisin. Celui-ci profitait de l’aubaine. Il imposait son arbitrage aux contendants, et, en bon juge Perrin Dandin, grugeait l’huître et abandonnait les écailles aux plaideurs.

Cette histoire classique se renouvela plusieurs fois au cours des siècles au profit du Ruanda et au détriment du Ndorwa, du Kisaka et du• Bugéséra. Ici ce fut Nsoro, le dernier des Bahondogo, qui, rejeté par les siens, victime d’une faction adverse, appela à son secours Mibambwe. Celui-ci mit tout le monde d’accord en renvoyant les partisans dos à dos et en s’adjugeant la pièce en litige. Un devin indigène, Runyotwé, fils de Nyamigogo, aurait joué, comme de règle, un rôle d’annonciateur dans l’occurrence.

Ces querelles de succession, qui n’épargnèrent pas le Ruanda, expliquent pourquoi les prises de pouvoir accompagnaient traditionnellement d’abominables hécatombes. Le nouveau prince imaginait aisément quelles coalitions les ambitions frustrées allaient monter contre lui. Pour parer au danger, il prenait les devants et livrait à un massacre systématique ses opposants positifs ou éventuels. Parfois il avait le dessous et devait céder la place aux violents, qui trouvaient toujours dé bons arguments pour justifier leur audace. Mais, avec le temps, un parti légitimiste, groupant les mécontents du régime usurpateur, gonflait, serrait les rangs, appuyé sur l’étranger, auprès duquel son chef évincé avait trouvé asile. Une restauration avait lieu, entraînant de dures représailles. Quand, l’héritier légitime était un mineur, c’est le clan de sa mère qui prenait sa cause en main, pâtissait pour elle et puis la faisait triompher.

Une histoire dé ce genre est rapportée au sujet du fils de Mibambwe, Yuhi Gahima, qui dut défendre son trône d’abord contre son frère Honde, et ensuite contre l’usurpateur -Cyubaka, chef de Gatsibo au Mumilonko , au Sujet aussi du grand Ruganzu Ndori, son petit-fils, que son frère Byinshi contraignit à émigrer. C’est peut-être au fait que ces discordes de famille y furent plus méthodiquement étouffées dans l’œuf que le Ruanda dut de fournir une carrière plus soutenue et plus sûre que ses émules du voisinage.

NDAHIRO : SA MORT VENGERESSE.

Entre Gahima et Ndori se place l’infortuné Ndahiro Cyamatare. La poésie a exploité son tragique sou- venir Elle a fait de lui le type du noble vieillard, trahi par le sort, victime de malheurs immérités, renié par ses fidèles, recevant le coup de pied ‘tel l’âne de la part d’un fils d’esclave, dans l’espèce ‘Nsibura, qui le supplante après lui avoir infligé une humiliante défaite. Alors, aigri et découragé, il abdique, il rumine sa vengeance, il s’exile volontairement, échoue incognito chez les barbares Bagoyi,- se fait brancher vif, haut sur un grand sycomore, face au Ruanda, aux fins que sa défroque desséchée, balancée par le vent, soit une source de malédiction pour ces ingrats qui lui ont rendu le mal pour le bien. En effet, le Ruanda, « n’ayant plus de roi », les calamités fondent sur lui, jusqu’à ce qu’arrive un messie rédempteur. C’est la figure de ce malchanceux amer que les parentales expiatrices de l’ibwami invoquent spécialement au mois igicurasi.

RUGANZU NDORI, LEGENDAIRE ARTISAN DE L’UNITE NATIONALE.

Le glorieux Ruganzu Ndori fait contraste avec son père, dont les malheurs payèrent sa chance. Néanmoins, lui aussi, il connut l’adversité. Le premier pain qu’il mangea fut celui de l’exil au Karagwé.

L’emphase coutumière des bardes indigènes n’a pas su garder la mesure à son endroit. Elle a pensé le grandir en portant à son actif tout ce que l’on racontait déjà de Kigwa et de Gahinga, au risque de brouiller ses traits.

« C’est lui, écrit le P. Pagès, qui aurait le premier doté les indigènes de ce qu’ils ont de mieux en fait de plantes nourricières, de troupeaux et d’armes. Bananiers, haricots, petits pois, patates passent pour avoir été introduits par lui dans le Rwanda, ainsi que les vaches, les chèvres et les moutons. Il aurait enseigné le premier la façon de faire la bière, de bâtir les maisons et de fondre le minerai qu’il avait découvert. » Bovins, aruspices, magiciens, enchanteurs, se le donnent pour fondateur.

Ce sont là galéjades, dont les gens censés au Ruanda ne croient pas un mot. Il doit suffire à la gloire de ce David d’avoir annexé au territoire national toute la zone occidentale des Hauts-Monts, doublant ou triplant ainsi sa surface, d’avoir occupé le Bwanamukali en son entier, le Bunyambiriri et le Busozo en direction de la Rusizi, le Bwishaza et le Bugoyi jusqu’aux rives du lac Kivu, le Muléra et le Gishari de part et d’autre des volcans, portant ainsi les limites du Ruanda jusqu’à ses frontières actuelles au sud, à l’ouest et au nord.

Il faut d’ailleurs s’entendre sur le genre et le mode de – ces acquisitions. Il y a tout lieu de croire que des groupes de pasteurs s’étaient déjà infiltrés dans les hautes régions herbeuses, terres vacantes, du Cyingogo, du Bushiru, du Buhoma, où l’on nous montre l’ancien Kigéri Mukobanya abattant un aventurier étranger, nommé Murinda, qui s’en prétendait le maître. Au Bigogwé, cette façon de Plateau des Mille Vaches, se déployant sur les « cheires » du Karisimbi, où l’on voyait encore naguère les Bakono, batutsi de Rwankéri, se glisser après. Bien d’autres groupes à la recherche de pâturages libres, les pâtres vachers s’étaient installés sans doute de longue date, emmenant avec eux leurs valets bahutu. Il est donc probable qu’en maint endroit la conquête de Ruganzu consista en une simple homologation d’un état de fait, créé par une colonisation intense et un régime de féodalité pastorale, d’origine mu tutsi.

Au reste, fidèle à l’habile tactique de ses prédécesseurs, Ruganzu Ndori se contenta le plus souvent de soumettre au tribut et à la vassalité les dynastes indigènes. Au Buhoma, au Bushiru, au Bukonya, au Kinyaga, à Suti dans le Bunyambiriri, au Busozo, au Bukurizi, les bahima, dont certains se paraient du titre de mwami, restèrent, en fonction, bagaragu du hamite, contrôlés ou doublés quelquefois par des baillis batutsi. Ici encore, à n’en pas douter, l’or carthaginois, représenté par des troupeaux entiers de bovins, facilita l’adhésion des toparques bahutu à un ordre de choses qui s’avérait supérieur.

L’Alexandre, que chantent les aédes courtisans, ne fut donc qu’occasionnellement contraint de recourir à la force des armes pour réaliser l’unité nationale. Son hégémonie reposa sur des assises plus profondes que celles de la farcé et de la violence. Faisant le faisceau_ des groupes batutsi qui noyautaient la masse muhutu, il souda en un seul métal les fragments morcelés de la nationalité. L’couvre se-révéla solide et durable.

LES ENTREPRISES DANS LE BAS PAYS ORIENTAL : LA CONQUETE DU NDORWA PAR LUDJUGIRA.

Les successeurs immédiats de Ruganzu consolidèrent son œuvre sans beaucoup l’accroître. Mutera Nsoro aurait non seulement défendu les marches du Bungwé et du Bwanamukali contre les agressions de Mutage, mwami de l’Urundi, mais encore aurait annexé le Bufundu, le Busanza et le Nyakalé jus-qu’à la gorge’ de la Kanyaru. Kigéri Nyamuhéshéra aurait soumis le canton montagneux du Bukunzi au Kinyaga, faisant périr son chef Belishaka, mais maintenant en place sa descendance, dont le dernier représentant, Ndagano, mourut en 1923. Mibambwe Gisanura et Yuhi Mazirapaka repoussèrent les attaques de Ntaré, mwami de l’Urundi, qui poursuivait avec obstination le vieux rêve de la réunion des deux états jumeaux sous les auspices du tambourin murundi.

Plus pratiques, les bami du Ruanda regardaient maintenant vers la zone orientale, dont l’annexion devait parfaire l’édifice politique entrepris. Ce bas-pays comprenait le Ndorwa et le Kisaka, où s’étaient créés simultanément des états frères. Le Ndorwa, on l’a dit, avait servi de lieu de passage et pour ainsi dire d’apprentissage aux .Bahima pasteurs en route vers le sud. Doyen d’âge parmi les états, hamites, il semblait autorisé à voir dans les plus récents

  • d’entre eux des filleuls et des satellites. Le contraire se produisit. Par une sorte de choc en retour, c’est le Ruanda puîné qui plaça son aîné sous sa dépendance. On nous raconte sans détails que Cyilima Ludjugira mit à mort
  • Gahaya, son parent umushambo, mwami régnant, et s’installa simplement en son lieu et place. Avec la province maîtresse, le Mpororo, le Mutare, le Mubari, faisant partie de la même constellation politique, entrèrent dans le giron élargi du Ruanda. Les annexés ne se résignèrent pas de bon gré à leur situation diminuée, quelque soin que mit Kigéri Ndabarasa, fils et successeur de Ludjugira, à faire au milieu d’eux sa résidence ordinaire. Cet agrandissement territorial se situerait aux alentours de 1700.

LA COLONISATION DU BUGOYI ET L’AFFLUX DES « MUETS »

Depuis quelque temps se poursuivait au Bugoyi une œuvre typique de colonisation, sur laquelle nous sommes exceptionnellement renseignés grâce aux recherches du P. Pagès. Ce terroir, de la superficie d’un arrondissement français, sur lequel on recensait en 1930 une population de 70.000 âmes, un des plus fertiles du Ruanda, qui se déploie entre le lac Kivu et les volcans, avec sa perle, la plaine riche et sur/Peuplée de Rwéréré, ne fut jusqu’à une époque assez récente qu’une inextricable forêt vierge, dont il reste encore d’importants témoins. Ruganza Ndori fit appel pour le déboisement et la mise en rapport à des colons de tout pays, de toute provenance. L’opération fut brillamment menée. Le Bugoyi compte aujourd’hui parmi les provinces les plus prospères du royaume.

Le caractère allogène de sa démographie fait son on-gin alite Il est la « Galilée des nations du Ruanda. Son historien énumère une soixantaine de clans, indigènes et étrangers, qui ont fourni des essaims à la colonisation, et il confesse que le dénombrement n’est pas -complet. Des familles cadettes affluèrent du Bwishya, du Mushari, du Gishari, du Kamuronsi, du Bwito, de la Rutshuru, du Bue nyabungo, de l’Urundi, pays situés hors du Ruanda actuel, et aussi du Muléra, du Bumbogo, du Nduga, du Bunyambiriri, etc. Ces hardis pionniers, qui fleurirent excellemment en ce pays neuf, leur Amérique, entretinrent pour la plupart, nous l’avons dit, des relations d’officieuse et fidèle parenté avec les branches aînées moins opulentes, restées au pays.

Sous le principat de Ludjugira, le Bugoyi vit refluer vers lui de malheureux Bahundé, issus du • nord-ouest, fuyant les féroces Waréga, des bandoliers cannibales, que précédaient une réputation pire que celle des Huns. Ces -fugitifs apeurés, furent appelés « Muets », Ibiragi, au dire des conteurs populaires, probablement, parce que, ignorant l’idiome du pays, ils ne pouvaient se faire entendre. Il fallut endiguer et discipliner ce flot d’hôtes affamés, redoutables à l’instar d’un vol de sauterelles. Un chef muhutu, nommé Macumu, du clan Abagwabiro, dont les ancêtres avaient émigré de Suti en Bunyambiriri, se distingua dans cette tâche délicate. En récompense de ses services, Ludjugira l’anoblit et lui confia le gouvernement du pays. Ses descendants durent faire place à un prince du sang, Sharangabo, fils de Ludjugira.

ANNEXION DU KISAKA ET DES ILES DU KIVU.

Aucun événement d’importance nationale ne paraît avoir marqué les règnes des bami Kigéri Ndabarasa et Mibambwe Sentabyo. Sous le pacifique Yuhi Gahindiro, dont le principat remplit sans doute le premier tiers du XIVe siècle, les produits manufacturés d’Europe, perles et pagnes, firent leur apparition. C’étaient des cadeaux, que les toparques hamites de l’Uswi et du Karagwé, en contact avec les courtiers arabes, envoyaient en gage d’amitié à leur voisin du Ruanda. Le mwami voulut, dit-on, tout d’abord se réserver à lui seul l’usage d’articles si rares. Le mouvement commercial, néanmoins, une fois lancé, ne s’arrêta plus i mais il ne progressa que fort lentement jusqu’à l’entrée en scène de l’Allemagne.

Le milieu du siècle vit l’annexion du Kisaka et l’achèvement du Ruanda moderne. Le mwami de ce vieil état, Rugéyo Zigama, étant passé de vie à trépas, deux de ses fils se disputèrent sa succession. L’un d’eux, Mu-shongoré sur le point de succomber, fit appel au puissant seigneur du voisinage, le monarque du Ruanda. Mutare Rwogéra ne laissa pas échapper l’occasion d’arrondir son •royaume et de lui donner, sur toute la frontière orientale, la vallée de la Kagéra pour limite. Ayant abattu et tué le contendant victorieux, Ntamwété, il rendit à la vie privée tous les survivants de l’ancienne dynastie, et consomma la réunion. A la tête des trois ” pays », dont se composait le royaume, Gihunya, Migongo, Mirengé, il maintint les gouverneurs en activité, qui avaient la confiance des naturels, se contentant d’appointer auprès de chacun d’eux un commissaire mututsi, chargé de surveiller ses agissements et de contrôler sa gestion. Les Banyakisaka ne se consolèrent pas de la perte de leur indépendance et de la réduction de leur patrie à l’état de simple province. Aussi lorsque le prétendant Rukura., chef de la dynastie mugéséra dépossédée, leva l’étendard de l’insurrection, en 1901 et 1903, trouva-t-il une armée de partisans prêts à le suivre. Les conjonctures politiques étaient devenues toutes nouvelles. Les Allemands occupaient le pays. Le prétendant avait cru pouvoir compter sur eux. Il fut traité en fauteur de troubles et interné à Usumbura. L’unité territoriale du Ruanda, œuvre d’un si long effort, fut ainsi sauvegardée.

Kigéri Rwabugiri, qui mourut en 1895 après un principat d’un quart de siècle environ, toujours par voies et par chemins, dirigea des expéditions de ‘razzias sur toutes les frontières de son royaume avec des visées de conquête et d’annexion. Il ne réussit qu’au Kivu, dont il occupa les îles, notamment la plus grande, celle d’Idjwi. ‘C’est lui qui reçut en 1894, dans la personne du comte Goetzen et de ses deux compagnons, les premiers représentants de l’Allemagne coloniale, qui, depuis dix ans, travaillait à s’établir dans son protectorat de l’Afrique Orientale. Il mourut l’année suivante au cours d’une campagne au Bunyabungo, plein de pressentiments peut-être, mais encore libre et indépendant. Sous le règne éphémère de son premier successeur Rutalindwa, les Belges occupèrent temporairement Ishangi sur le lac Kivu. En 1899, son autre fils, Musinga, accepta la tutelle allemande. En 1912, Belges et Anglais amputaient le Ruanda de l’île d’Idjwi, récemment acquise, et des districts sis au nord des volcans, Bwishya et Bufumbira, de plus ancienne colonisation. En revanche Ruanda et Urundi se trouvaient réunis tous un même gouvernement colonial étranger.

LES QUATRE ETAPES DE LA CONQUETE MUNYIGINYA.

 En résumé, l’évolution historique du Ruanda hamite et de sa dynastie munyiginya telle qu’elle ressort de la tradition orale des mémorialistes de Cour et si on la dégage des fioritures fabuleuses et anecdotiques, figure une courbe ascendante, continue et régulière, et comporte quatre étapes que l’On peut présenter comme suit.

  1. Constitution d’un noyau homogène et institution d’une monarchie héréditaire, au XVe siècle au plus tard, dans la région du Buganza et du Bwanacyambwe avec Ruganzu Bwiraba et Kigéri Mukobanya.

2, Première expansion par delà le fleuve Nyabarongo dans le Centre du pays au Nduga-Marangara, vers le XVIe siècle, avec Mibambwe Mutabazi principalement.

  1. Mouvement général d’agglutination plus ou moins spontanée des multiples toparchies bahutu des Rukiga ou Haut-Pays, autorisant l’appui aux frontières actuelles de la Rusizi, du lac Kivu et de la chaîne des Birunga, qui est dépassée, et ainsi création du Ruanda unitaire : œuvre nationale, imputée, en ordre principal, au glorieux Ruganzu Ndori, sans doute au tournant du XVIIe siècle.
  2. Réunion des états batutsi de la zone orientale, Ndorwa et Kisaka ; la frontière de la vallée marécageuse, presque infranchissable, de la basse Kagéra est atteinte de bout en bout, tandis qu’à l’ouest la maîtrise sur le lac Kivu est assurée : œuvres de Rujugira et de Rwabugiri.

Au terme de cette évolution de cinq siècles, toutes les terres où Von -parie le kinyarwanda et tous les groupes de la dispersion mututsi dans la moitié nord de l’Abyssinie des Grands Lacs se trouvent fondus en un même état et sous un même tambour, évolution, qui, sous une image réduite, répète le schéma de la formation des grandes unités nationales en Occident.

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