Le long de cette monographie, nous avons pu nous rendre compte combien il est facile à nos indigènes de se tromper dans les multiples obligations, que leur impose le catalogue si varié des us et coutumes, et combien fragiles sont les observances auxquelles ils se livrent pour contrebalancer le danger qui les guette à chaque manquement. Les dispositions prises s’avèrent insuffisantes, les remèdes prônés et payés bon prix ne sont d’aucun effet, les amulettes qui parfois les surchargent outre mesure ne semblent pas les préserver dans la mesure de leur foi rien de ce qu’il désirait ne s’est produit, et le malheur qu’il voulait éloigner a fondu sur lui et sa maison.

Il n’accusera pas l’inanité de ses moyens, qui doivent être bons, puisque venus jusqu’à lui par toute une tradition respectable, mais il n’en aura sans doute pas assez fait : il se sera peut-être involontairement trompé, lui ou un des siens, ou le sorcier aura erré dans les dispositions prises. Au fond de tous ces échecs, il faut retrouver l’incorrigible sévérité des mânes qui ne peuvent laisser impunie la moindre infraction aux coutumes établies. Ils en sont les vengeurs, et la crainte qu’en ont les vivants, les forcent à les calmer de toute façon, fut-ce au prix du sacrifice de tous leurs biens. Il faut bien avouer aussi qu’une autre raison plus prosaïque intervient dans la fréquence de l’immolation de leur cheptel, soi-disant sacrifié aux mânes : C’est le désir de manger de la viande, qu’ils ne pourraient pas assouvir assez souvent si n’intervenaient pas des raisons supérieures, cette faim de viande, qu’ils appellent « amêru » ou « amêrwe », quand l’autre se nomme « inzara ». Par des chemins plus ou moins détournés l’intention en revient toujours vers le but avéré, qui est de se rendre favorable les esprits des morts.

Même souci pour ce qui est des ordalies. L’épreuve judiciaire, quelle qu’elle soit, vise avant tout à renvoyer le coupable présumé à la justice des mânes.

La vendetta n’a pas d’autre cause. Si l’on doit en effet venger un défunt disparu par la faute, — volontaire ou non, — comme il sera indiqué plus loin, c’est encore pour apaiser ses mânes, de peur qu’ils ne punissent ceux qui auraient manqué à ce devoir du « gusasira », (préparer au tué une couchette de repos !).

Sacrifices, ordalies, vendettas, qui tiennent une place si importante dans la vie de nos indigènes, trop importante pour qu’on ait pu les laisser passer sous silence, ne sont donc que la triple manifestation, déterminée par des obligations diverses, d’un même culte, pour autant que culte il y a , aux esprits des morts. Aussi les a-t-on réunis sous un même chapitre.

Sacrifices.

On devrait donner à cesactes plutôt la dénomination d’«offrandes » parce que nos indigènes dans leur «guterekéra » se refusent résolument à admettre que ces sacrifices vont à un autre qu’à l’esprit qu’ils invoquent. Leur théorie est celle qu’ils appliquent couramment dans la vie : pour obtenir une faveur d’un préposé rien ne vaut le petit cadeau dont on appuie sa demande. Cette raison est encore plus forte, quand il s’agit d’obtenir d’un supérieur ou d’un plus fort que soi, le pardon d’une faute ou d’une injure. Dans la vie courante, se présenter à son chef offensé sans ce cadeau propitiatoire, serait la pire des insultes et le plus sûr moyen de se faire assommer.Tout d’ailleurs, dans les termes qui accompagnent l’offrande, indique non l’adoration, mais simplement la supplique. Ces sacrifices ne sont donc pas adressés à la divinité, mais servent uniquement à apaiser la colère supposée des mânes. Ils sont une preuve non-équivoque de leur croyance à la survivance de quelque chose de l’homme, pour laquelle ils n’ont d’autres nom que « abazimu » (Ceux qui sont enfouis sous terre). En parlant donc de sacrifices, notons qu’il ne s’agit que d’offrandes faites dans un esprit utilitaire aux défunts dont on croit avoir raison de redouter la mauvaise volonté et de détourner la vengeance.

Ce n’est pas toujours le sorcier qui indique à quel défunt l’offrande est à faire, bien qu’en de nombreuses circonstances on ait recours à ses lumières, pour déceler celui dont le mauvais caractère est le plus ombrageux. Très souvent c’est au hasard de l’inclination du chef de famille qu’est laissé le choix du défunt à contenter. Toujours ces offrandes se font autour des « turaro », (cases mortuaires) qui entourent la hutte.

Les objets qui servent à ces offrandes peuvent être tous aliments sur lesquels on prélève une minime part qu’on va déposer sous la poignée d’herbes qui sert de toiture à la case mortuaire, en énonçant, dans une invocation au mort même, l’objet de sa demande et son espoir d’être exaucé.

Les sacrifices d’animaux sont fatalement plus rares, puisque nos indigènes ne mangent pas de la viande tous les jours. C’est d’ailleurs la raison aussi pour laquelle ils n’attendent pas que le sorcier leur conseille de tuer une bête, mais leur propre « amêrwe » leur suffit quand il est d’accord avec une épreuve dont ils veulent être débarrassés. Cependant les grandes bêtes à cornes ne sont pas sacrifiées aux mânes, sinon par l’intermédiaire de Lyangombé et ici nous touchons de plus près l’idolâtrie.

Quand il s’agit de sacrifier une chèvre ou un mouton, le chef de famille ou le fils aîné en absence du père, se saisit de la bête et l’entraîne vers le « kararo » bâti en souvenir de celui qu’on veut invoquer, Il passe la main sur la tête et les reins de la bête en énonçant la formule de donation et la raison pour laquelle la famille est réunie. Elle change donc suivant les circonstances et les personnes. Une formule générale et qui semble couper court à tout malentendu est ainsi libellée : « Ngiyo ihene watubazaga ! » — Voici la chèvre que tu nous réclames ! — En d’autres occasions, elle est simplement offerte avec cette clause : « Fais qu’elle ait des petits mâles, et on t’en servira ! » et on laisse courir la bête, ce qui montre bien qu’ils gardent un peu d’humour dans les relations avec ceux de l’autre monde. Le coup fatal est donné à la bête en enfonçant le couteau en plein coeur et non en coupant la gorge. Le sang est précieusement recueilli pour être cuit dans les aliments et rien ne vaut pour eux comme un plat de haricots assaisonnés de sang.

 La bête est ensuite dépouillée et dépecée. Cependant de chacun des abatis on prélève une petite partie qu’on offre aux membres de la famille, à tous les assistants, et on réserve une partie pour les parents absents. Grands et petits participent ainsi à l’offrande, et communient en quelque sorte au sacrifice offert. C’est le « Ntonôrano », qui n’est jamais omis. Si l’offrande s’est faite pour obtenir la guérison d’un malade, celui-ci est déposé sur une natte près du kararo, dont le mâne est sensé avoir provoqué le mal, et c’est là qu’il essaie de manger la bouchée qui lui est échue, après avoir formulé sa prière.

Chacun est libre d’inventer celle dont il est capable, car il n’y a pas de recueil, comme bien on pense. Voici quelques exemples des plus authentiques, et que nous transcrivons mot à mot.

Il s’agit d’un jeune malade dont l’aîné mort a été désigné par le sorcier comme étant la cause de la maladie. Voici le texte complet en kinyarwanda, malgré sa longueur, pour la saveur qu’il exprime pour ceux qui en saisissent toutes les nuances : Il est donc étendu sur sa natte près du kararo où est censée habiter l’âme de son frère; il tient en main le bout de viande que tout à l’heure il va manger et dit : « Seka, mwana wamama; ko tuvukana, ko alinjenasiga ; unyumvire ! Nunyicauzaterekerwanande ? Gatindi!mbese kugira ngo unyice, uragira ngo uzajya ku makoma nk’inyoni ! Genda kwa ntuza, azaguha indi ! » Dans la traduction même, on saisira tout le sens qu’ils attachent à leur supplication : « Souris-moi, enfant de ma mère ; alors que nous sommes nés de la même mère, moi seul je survis Et si tu me tues, qui donc te fera des offrandes ? Malheureux 1 en me tuant tu veux donc t’isoler comme l’oiseau sur la branche ? Eh! va donc chez un tel, il t’offrira une autre chèvre ! » Le malade pense de la sorte détourner sur un autre la cause du mal qui l’a terrassé.

Dans une autre circonstance, c’est un chef de famille qui est dans la détresse et qui fait, sur recommandation du sorcier, une offrande à l’âme de son père ; « Seka, dawe, dit-il, unsiga ndi imfubyi; none undangire umpa amaronko, umutware amvugeneza » « Souris-moi, père ; tu m’as laissé orphelin.; et maintenant conduis mes pas, que je m’enrichisse et que le chef me veuille du bien! »

Une autre fois, c’est un veuf remarié auquel on a fait croire que sa première épouse défunte, le poursuit de sa jalousie. Pour la circonstance, il a momentanément renvoyé chez elle l’objet du litige, et il s’est étendu sur une natte près de la case mortuaire et voici son plaidoyer : « Seka mugore wanje mukuru, uwomfite none, si umugore, ni umuja ; nyagasani-biheko, seka ! »

« Souris-moi, toi ma seule femme ; celle que j’ai maintenant, n’est pas ma femme, mais ma servante, Je t’en prie, souris-moi ». Cela dit, il se lève, va prendre une banane qu’il dépose dans le kararo, se rassied et avale  une gorgée de bière de bananes. La réconciliation se fait ainsi dans un festin supposé.

Quand l’offrande doit aller au grand-père défunt, on emporte dans le grand kararo, qui lui est propre, certains objets qui lui ont servi de son vivant, son carquois, sa lance des imandwa, la peau dont il usait comme habit, et sa pipe. On lui présente tout cela en un seul paquet en disant : « Seka sogokuru ! Ugororoke !Wigira Imana ! » « Souris-nous, grand-père !Redresse-toi ! Sois-nous clément ! »

Dans tous ces cas, on a déposé sous le kararo un petit morceau de la nourriture offerte avec une petite cruche de nzoga, qui seront dans leur croyance absorbés par l’intéressé.

Un homme mort sans enfants, dont l’esprit serait désigné comme causant du trouble dans la famille, n’a pas droit aux offrandes, On se contente alors de déposer à son intention une poignée de cendres sur la bifurcation d’un sentier. Il n’en vaut pas plus.

Un étranger mort dans le voisinage sera traité de la même façon. On déposera en outre sur la bifurcation du sentier un paquet d’herbes, qui estcensé contenir un viatique pour la route, et un tesson de cruche en terre cuite qui représente une houe ; celui qui est chargé de remettre tout cela à l’endroit indiqué s’en acquitte au plutôt, en adressant ses voeux de bon voyage à l’intéressé, qu’il veuille bien prendre le chemin de chez lui, où il trouvera les sacrifices des siens. Ces exemples peuvent suffire pour donner une idée du sens de ces offrandes ou sacrifices.

Ordalies.

Les épreuves judiciaires ont une importance capitale dans un pays tout imprégné d’idées superstitieuses et où le mensonge d’intérêt ne parvient que trop à dépister la justice et à rendre inopérante l’autorité constituée.

Le flagrant délit n’est pas une preuve convaincante à moins que le coupable ait pu être lié  et ficelé sur place par plus fort que lui, et exécuté sur le champ. Plus on trouvera de témoins, plus on aura de chances d’embrouiller les affaires et de les faire traîner en longueur, en sorte qu’en fin de compte ce sont ceux qui n’ont rien vu et qui mentent le plus, qui auront gain de cause.

Souvent, il faut l’avouer, c’est l’innocent qui demande à être « gushôka » terme par lequel ils désignent le processus de l’épreuve, et qui signifie à proprement parler : être abreuvé, en parlant du bétail. Il voit là une dernière chance de se dépêtrer, soit en abandonnant son sort au hasard du moyen, soit en achetant celui qui présidera à l’épreuve. Car ici comme ailleurs, ils n’ont qu’une confiance relative à l’impartialité et l’incorruptibilité des interprètes de la justice immanente. D’autre part, si le coupable demande l’épreuve judiciaire, parce que les témoignages lui sont contraires, il se base sur le même doute et en fin de compte c’est un jugement donnant donnant, où il y a au moins un gagnant, et c’est le sorcier qui aura encaissé des deux mains.

Le voleur convaincu de larcin par cette épreuve aura d’ailleurs un moyen de se libérer de la poursuite des mânes, qui sont censés prendre ici la cause en main, par, le « kumara igihango ». Le terme lui-même indique que toute la procédure du « gushoka » n’est qu’une incantation pour soumettre le coupable présumé à la vengeance des mânes. Et le moyen, approuvé par la tradition, pour neutraliser cette vengeance est précisément ce « kumara ikihango » — (se débarrasser du sort jeté). A lui d’avoir les jambes assez rapides pour échapper momentanément à ses juges mortels. Si dans sa fuite il rencontre un homme dont il peut facilement venir à bout, il l’arrête, l’empoigne par la tête et lui crache dans la bouche ! C’est un premier moyen de rendre vaine l’imprécation dont il est victime. Un autre moyen est de s’emparer de la première jeune fille qu’il rencontre et le l’entraîner à l’écart. Il n’aura désormais plus rien à craindre des mânes. Quant aux hommes et à leur justice, il se garera comme il pourra, et il n’y aura rien de changé dans son cas.

Les épreuves sont de diverses sortes. Les opposants reçoivent chacun assignation pour tel jour et telle heure, chez tel devin, qui décidera du jugement à subir et de son mode.

Gushoka Ikibabo

C’est l’épreuve du fer rouge. Pendant que la hachette ou le marteau plonge dans le brasier, le devin prépare sa décoction de plantes, dont les deux plaignants se lavent les mains. Cela fait, le sorcier lance ses imprécations contre le coupable en tendant à chacun le fer rougi au feu, qu’ils doivent à tour de rôle toucher de la langue ou de la main. Celui qui se brûle est déclaré coupable.

GushokaUbwahora

On peut traduire ce terme par être abreuvé de confusion. C’est un moyen psychologique. L’inculpé est placé accroupi au milieu de la place, on fait autour de lui une barrière formée de deux lances dont l’une est piquée en terre avec le fer en bas, l’autre fer en l’air, deux louches à pâte dont l’une debout et l’autre tête-bêche, un tesson de cruche avec de l’eau et la petite pierre meulière. Dans, cette position; il doit entendre toutes les malédictions et imprécations que peut inventer, une tête de sorcier contre le coupable et tout ce qui lui est cher, en invoquant Lyangombé et ses imandwa, leur colère et leur vengeance, jusqu’à ce que tremblant de peur il avoue.

Gushoka Akashaba

L’épreuve de l’anneau de laiton. Celui sur qui est tombé le soupçon se rend avec son accusateur chez le devin. Celui-ci fait bouillir de l’eau et jette un morceau de laiton dans la cruche. Il s’agit maintenant de retirer le bracelet avec la main sans éclabousser les assistants. Celui qui par un brusque mouvement mal calculé enfreint cette condition, est perdant.

 Gushoka Inkoko

Chacun des accusés emporte chez le devin une poule de son choix. Au milieu des imprécations, approuvées en des grognements affirmatifs par les deux clients, chacun d’eux force le bec de la poule et lui crache dedans, en la conjurant de révéler la vérité. Le devin prend alors les deux poules, leur tord le cou et cherche la sentence dans leurs entrailles, Il y trouve paraît-il, l’image de l’objet du litige. La poule trahit ainsi son maître.

Le coupable convaincu n’attend généralement pas les effets de sa condamnation et met la distance entre lui et la justice. S’il est trop lent, il est mis à la corde et il ne sera libéré qu’après paiement de sa dette et des intérêts. Cependant la corde n’est nulle part de bonne augure, et celui qui a ficelé un homme tombe sous l’exécration publique qui lui interdit le commerce de ses semblables jusqu’au moment où il s’en sera lavé par le «kumara ingoyi ».

La Vendetta

De même qu’il eût été impardonnable de ne pas traiter des coutumes àpropos des cultures chez un peuple qui est cultivateur avant tout autre chose, de même nous ne pouvons passer sous silence une des manifestations les plus fréquentes et les plus tyranniques de leur vie sociale, et qui illustre d’une façon non équivoque, parce que plus tragique, leur, croyance à la survivance de ce que nous appelons âme, et qu’ils nomment muzimu après que sa séparation s’est faite d’avec le corps. La vendetta, — « guhôra » ou inzigo» — est en effet un facteur très important, tant au point de vue religieux qu’au point de vue social ; leur vie publique en est comme tissée. C’est une institution sociale qui n’est pas seulement basée sur un principe de justice, dont malheureusement l’application se trouve dépassée par les excès auxquels elle donne lieu, mais, d’après tous les détails que nous pouvons enregistrer, il semble bien que sa première base, et de loin la plus importante, repose sur une croyance erronée de la survie.

Aucun homme, arrivé à l’âge de porter une lance, ne reste indifférent aux meurtres qui se commettent dans son pays ; tous sont solidairement responsables des blessures mortelles infligées par un membre de son clan, et chacun doit prendre sur soi de venger la mort violente d’un homme de sa famille. L’autorité constituée, quand elle existe, est impuissante à punir le meurtre ; il faudrait pour cela une police à ses gages et les moyens pour faire respecter ses décisions. Les jugements de ces procès sont entachés de tant d’irrégularités et de tant de manoeuvres criminelles, que les partis lésés reprennent tous leurs droits de calmer par eux-mêmes les mânes frustrés, à la première occasion qui s’offrira à eux.

La femme elle-même ne peut rester indifférente devant des événements qui, sans lui coûter la vie sauf en de rares circonstances où la laine l’ remporté sur la coutume, l’exposent cependant à des craintes et des tracas sans nom. Elle forme de par sa condition et sa nature le trait d’union qui relie plusieurs clans ou familles ; elle quitte son clan pour entrer par son mariage dans un clan ami qui demain sera le grand ennemi. Elle sera repoussée des champs et de la maison où elle aura élevé ses enfants ; sera violemment arrachée à son foyer au moment où précisément elle aurait besoin de ménagements particuliers ! Elle se verra forcée d’accepter comme, juste la mort de son fils innocent, immolé par la main de son plus proche parent, parfois de son propre père, pour expier le meurtre d’un inconnu, qui n’aura d’autre droit à ce sacrifice que de porter le même nom que celui de ce clan dans lequel elle est entrée par son mariage et auquel elle a donné ses enfants. Elle accepte cette position, sans réclamer le châtiment du meurtrier, parce que son fils aura servi de rançon légitime au repos de l’âme de la première victime

Les Causes De Vendetta

Toute mort violente, causée par la main de l’homme, exige la vengeance sanglante sur le clan auquel appartient le meurtrier, Il n’est pas requis que le meurtrier ait terrassé son antagoniste dans un guet-apens à la façon des brigands ou encore lors d’une dispute provoquée et envenimée dans les longues heures qui s’écoulent autour des cruches de boissons fermentées, Il n’est même pas nécessaire que la victime ait succombé sous les coups. Dans nombre de circonstances un accident peut arriver, causé involontairement, dans lequel quelqu’un de la compagnie sera blessé plus ou moins gravement : si des complications surviennent, que le membre touché s’envenime, et que la mort s’en suive, la vendetta prend ses droits. Une maladresse au tir à l’arc, un faux mouvement aux exercices de lance, une inattention dans le maniement de la hachette, un malencontreux coup de houe, une distraction dans la pratique d’une saignée, tout autant de causes possibles d’un conflit sanglant. Souvent même l’ouverture de la vendetta est déclarée d’une façon révoltante.

Voici un homme qui a été blessé accidentellement par son compagnon dans un travail qu’ils accomplissaient de conserve. Ils étaient sortis ensemble couper du bois ou déblayer un champ ; en écartant des buissons son compagnon par mégarde pique son bâton ferré dans le pied de son camarade. Nous citons un cas concret dont nous avons connu les acteurs et les victimes.

La plaie soignée sans retard guérit lentement comme elles peuvent guérir chez des gens auxquels leurs occupations dans les champs ne permettent pas de prendre toutes les dispositions pour garder un pansement propre. Enfin elle guérit. Or douze ans après, une plaie se reforme, pour une raison ou une autre, au même endroit ; elle s’envenime cette fois, se gangrène, et le patient succombe en accusant son compagnon de jadis de lui avoir causé cette plaie. Le même jour les hostilités sont déclarées contre la famille de ce dernier, et un jeune homme de 16 ans, qui n’a été certainement pour rien dans un accident arrivé quand il n’avait que 4 ans, mais qui était de la famille ennemie, est grièvement blessé d’un coup de lance. Nous parvenons à lui remettre en place les intestins qui heureusement sont intacts, seul le foie a été lacéré, mais comme par miracle le jeune homme guérit. La vendetta reprit donc et pendant trois ans les adversaires s’épièrent. Après ce laps de temps, une occasion favorable se présentant, un homme de cette même famille fut tué dans un guet-apens pour satisfaire aux mânes de la famille adverse.

Dans les chapitres précédents, nous avons fait allusion à certains faits où la volonté humaine n’a certainement pas une part directe à la mort de la victime, mais où ils jugent coupable celui qui aura attiré sur eux la vengeance des esprits par sa négligence à se conformer aux exigences des coutumes ancestrales, Les faits les plus typiques sont constatés, quand il s’agit de jeunes mères parvenues à l’époque de leur délivrance.Il y a une loi d’après laquelle l’enfant ne doit pas naître pendant le divorce ; aucun enfant ne peut venir au monde et être orphelin de père ou de mère, il faut de toute nécessité que les parents séparés reprennent la vie commune pour le temps de la naissance. Si la femme est remariée, l’obligation n’existe plus pour le Père de l’enfant à moins que le mari actuel refuse de connaître l’enfant d’un autre. Si dans ce cas il arrive malheur à la mère ou à l’enfant, la vendetta sera exercée sur la famille du récalcitrant. Souvent c’est la mère elle-même qui refuse de retourner vers son premier mari, père de l’enfant, on s’en prend alors en cas d’issue fatale à la famille de la femme ou à celle qui lui aura donné un abri provisoire.

Une autre cause qui provoque la vengeance est la mort causée par empoisonnement ou ensorcellement. Toutefois alors on ne se venge pas sur le clan ou la famille entière, mais uniquement sur celui que le verdict du muhuzi aura dénoncé comme le coupable. C’est la famille elle-même dans ce cas qui livrera le coupable dénoncé ou prendra sur elle de l’exécuter. Le défendre par pitié ou amitié exposerait tout le clan à la vindicte de la famille opposée.

Le Mode De L’Exécution De La Vendetta

Dès qu’un meurtre est connu, on en recherche l’auteur. De suite les esprits s’échauffent ; les hommes valides se rassemblent, on bat le tambour de guerre et le clan qui a subi l’affront se met en devoir d’aller ouvrir les hostilités sur le territoire du meurtrier (« Kwemeza inzigo »), ce qui se fait en incendiant sa maison et celle de ses proches parents. Désormais tout le monde est averti qu’entre telle et telle famille il y a du sang et que l’ère de la vendetta est ouverte que chacun dorénavant soit sur ses gardes. En règle générale, le kwemeza inzigo ne comporte pas de bataille l’attaque est trop soudaine, ceux qui en sont les victimes trop surprises ne sachant même pas pourquoi on les attaque, et comme les habitants ne sont nulle part groupés en agglomérations ou villages, il leur est matériellement impossible de se liguer rapidement contre un coup de force. Les assaillants ont donc généralement toute facilité d’incendier les huttes appartenant au meurtrier et aux siens.

Cela fait, ils s’en reviennent vers le mort pour procéder à son enterrement. Désormais entre les deux familles on se tient sur ses gardes. Un quelconque du clan lésé a le droit de tuer un quelconque du clan coupable, peu importe dans quelles circonstances il l’aura rencontré, et de quelle ruse il se sera servi pour l’entraîner dans un guet-apens par soi ou par un autre. Cet état de guerre latente et de haine à mort pourra durer des années, et bien que dans leurs proverbes ils confessent que « haine ancienne se liquide à coups de bâtons », des cas très anciens de meurtre se règlent tout à coup alors que personne ne semblait plus y penser. Nulle part cependant on ne s’attaque aux femmes de l’ennemi ; elles ne peuvent jamais être responsables du meurtre commis par leurs maris, et leur mort serait inutile juridiquement, puisqu’elle ne satisfait pas à la loi du talion.

Parfois la longue attente d’une occasion propice exaspère le clan lésé. On veut en finir parce que des malheurs l’ont éprouvé, dans la parenté du mort des maladies ont éclaté, ou les enfants restent chétifs, les moissons ne réussissent plus et le mupfumu a déclaré que l’assassiné se venge sur sa famille négligente, qui refuse de lui procurer le repos et la paix auxquels il a droit.  Alors un jour, c’est la levée en masse des boucliers. Tout le clan entre en guerre pour obtenir satisfaction, et dans le camp adverse on fait le rassemblement dans la plaine ou sur une hauteur en avant des bananeraies. Ce sont les luttes homériques qui se déroulent alors, telles qu’Homère les a décrites, avec des invectives violentes de plusieurs jours et dont le sens semble être de part et d’autre « Retenez-moi ou je fais un malheur ! » Parfois ils s’en retournent comme ils sont venus parce que personne n’a osé s’approcher à la distance d’un vol de flèche et « l’on remet ça ». Parfois aussi une pluie survenue à propos éteint toute l’ardeur de ce feu belliqueux. Cependant si la bataille s’est engagée et que de part et d’autre il y a eu des victimes, rien n’est arrangé si les morts des deux côtés ne sont pas équilibrés.

Des cas se présentent où la victime est simplement blessé grièvement et le coupable a pu être capturé vivant. Celui-ci est alors mis à la corde une torture abominable, un vrai martyre. Les bras rejetés en arrière, on enlace d’abord les mains en commençant par les petits doigts avec une ficelle de nerf de boeuf qu’on enroule autour des mains jointes pour remonter peu à peu au -delà coudes, aussi haut que les chairs des bras peuvent être rapprochées. Les ficelles dans cet effort rentrent dans les chairs et causent à la victime d’indicibles souffrances. Mais ce ne sont pas ses plaintes qu’on écoute. Le blessé gît à côté et ce sont les gémissements et plaintes de celui-ci qui règlent les atrocités qu’on fait subir au prisonnier. A chaque lamentation du mourant on fait souffrir de diverses façons la victime liée, on le bouscule, on le frappe, on le brûle de tisons enflammés. Ses cris et ses plaintes ont pour but de détourner l’attention des mânes de-dessus le blessé et guider leur colère sur l’assassin. Au moment où malgré tous ces moyens le blessé rend l’âme, le prisonnier est mis à mort et satisfaction est ainsi donnée à la vendetta.

Un des cas les plus frappants pour le point de vue qui nous intéresse dans cette étude, est celui où la victime avant de mourir parvient à tuer elle-même son agresseur en sorte qu’elle lui survit ne fusse qu’un moment. Les indigènes disent alors le mot qui expliquerait à lui seul toute leur croyance sur laquelle repose la vendetta « Yarisasiye ! » — Il s’est lui-même arrangé son lit de repos ! — Voilà un mort dont l’esprit ne sera pas dans l’inquiétude et ceux de la famille n’auront rien à craindre de ses sautes d’humeur,

En Cas D’Intervention Du Roi

Le roi du Rwanda intervient dans le règlement de la vengeance entre grands chefs de la race des batûtsi. Son influence sous ce rapport est d’autant plus grande, et sa décision sans appel, que toutes les familles de ces chefs sont représentées à sa Cour, et que la moindre velléité de justice privée ferait tomber sa colère sur les otages de la cour.Outre cette influence, dont peut user le roi en toute occasion, il faut avouer que les grands chefs ont pour la personne du roi et ses décisions un respect et une soumission qui frise l’adoration. Une discipline rigoureuse, la délation pour la moindre incartade, l’intrigue la plus raffinée contribuent à entretenir cet esprit d’absolue obéissance aux ordres royaux, dont sont témoins tous ceux qui ont eu l’occasion de séjourner à la capitale. Leur respect de la personne du roi, quand il serait noir comme charbon, leur fera dire qu’il est blanc ; dire le contraire serait un cas pendable. Le classer parmi les humains en le qualifiant de « umuntu » (homme) est une injure impardonnable. Il est seul « umwâmi » que nous avons traduit « roi », mais qui dans leur esprit dit quelque chose de plus, comme l’être sans défaut, le maître qui n’a jamais tort, surpassant tout le monde en toute perfection. Cela explique que le roi puisse faire cesser parmi les grands d’une façon pacifique la vendetta sanglante, et que sa décision soit inviolable. Il est vrai que dans ces décisions et arbritages, il les prend par leur côté faible, en faisant payer au délinquant un certain nombre de bêtes à cornes dont ils n’ont jamais assez et qui augmente ainsi leur considération. D’autre part, la famille coupable doit abandonner aux parents de la victime une jeune fille qui sera donnée séance tenante comme future épouse à un de leurs jeunes gens. Outre que cet arrangement ne manque pas d’une certaine poésie, il est généralement une bonne aubaine pour la famille lésée, si elle est d’un rang tant soit peu inférieure à celle qui est condamnée par le souverain.

Le menu peuple des sujets ne voit que rarement ses querelles portées au jugement du mwami, du moins quand elles n’intéressent pas directement les affaires d’un grand. Les distances qui séparent les provinces de la capitale rendent les déplacements onéreux, les recherches d’avocats favorables et qui sont toujours des chefs influents de la cour, sont coûteuses, parce qu’ici aussi tout se vend ; l’infidélité aux engagements, de la part du parti condamné, est d’ailleurs certaine, dès que l’on sera hors de la capitale, en sorte que le commun du peuple préfère vider sur place ses vengeances et donner satisfaction selon la coutume aux mânes des siens. Cependant, quand un chef de province a suffisamment d’empire sur ses sujets, il arrive qu’on vienne plaider devant lui pour un arrangement pacifique, qui sera toujours copié sur la jurisprudence de la cour du mwami. Et pour rester dans la vérité il faut avouer que les quelques cas dont nous avons connaissance comme ayant été tranchés par des chefs, se sont trouvés un jour de nouveau sur le tapis et se sont terminés par les armes.Il y a des mânes qui s’accommodent mal des nouveautés et manifestent encore dans l’au-delà leur mécontentement de l’ingérence d’étrangers dans les affaires de famille de leurs descendants. Il leur faut le repos d’après le coutumier ancien ; autrement ils font sentir leur mauvaise humeur, et de celle-là les indigènes ont plus peur que des menaces des chefs.

Rites Funébres

En abordant ce dernier chapitre de la monographie sur les us et coutumes, religion et vaines croyances des habitants d’une des provinces du Rwanda, le Kinyaga, nous nous défendons de nouveau de vouloir généraliser et de donner l’impression que les rites dont il est question ici sont également pratiqués de la même façon dans le reste du pays. En grande partie, ils sont sans doute pareils, mais il y a des divergences notables de détail dues à la compénétration des coutumes étrangères venues de l’Urundi et du Bunyabungu qui bornent ses frontières.

Au moment où un homme va quitter les siens pour entrer dans l’au-delà, cet autre pays, dont ils ignorent tout et d’où il espionnera et morigénera ceux qui mépriseraient les prescriptions ancestrales, on comprend que les observances rituelles vont se multiplier d’autant plus que l’apport fait par des étrangers sera plus considérable. Eux aussi ont des obligations et tiennent à y être fidèles, en sorte que tout se mêle, et devient une mosaïque rituelle qu’on ne retrouvera sans doute pas ailleurs aussi bariolée.

Quel qu’en soit le nombre et la signification, on doit se borner aux plus compréhensibles et aux plus honnêtes, car ici plus qu’ailleurs « non omnia expediunt ».

 Devant La Mort

Quand les signes précurseurs de la mort se font sentir chez le malade et que sacrifices aux mânes, amulettes, consultations, incantations, offrandes à Lyangombe sont restés sans succès, on avertit parents, amis et connaissances de l’issue fatale attendue. Pendant que les visiteurs affluent dans la cour et jusque dans la case, mais sans s’occuper autrement du mourant ou de la famille, et que bruyamment ils s’entretiennent de leurs propres affaires, dans la hutte sur son lit de mort, le chef de famille fait son testament en présence des siens. Autant que cela lui est loisible, il fait la distribution de ses biens, dispose de ses femmes, les lègue â celui-ci et à celui-là, comme il décide d’ailleurs également au sujet de ses bêtes grandes et petites, recommande ses enfants plus jeunes tout particulièrement à tel de ses parents ou amis, rappelle une dette à payer ici, un crédit qu’il a chez tel autre. Nous avons admiré souvent avec quelle lucidité d’esprit certains vieillards en mourant se souviennent des moindres détails de telle période de leur vie, de telles transactions oubliées depuis des années et laissent alors aux survivants le soin de régler des arriérés, auxquels personne ne pensait plus. Il fait ses recommandations dernières à chacun des siens, et réclame auprès de lui tel compagnon, tel ami pour lui dire un dernier adieu.

Les voisines sans désemparer continuent, tandis que dure l’agonie, à crier et à se lamenter, (kuvuza induru), et des collines environnantes les cris sont repris par toute la population féminine.

Tout a été inutile, et le père de famille a rendu l’esprit. Tout aussitôt, sous un redoublement de cris et de lamentations, la case, dans laquelle il vient de trépasser, ainsi que celles bâties dans le même enclos, sont dépouillées de tous les comestibles qu’elles contiennent, haricots, pois, sel et viande, qui ne doivent pas rester sous le même toit qu’un cadavre. Le feu du foyer est éteint et on ne le rallumera qu’après les funérailles.

Un des proches parents du défunt s’en va en hâte sur la hauteur voisine de la montagne ou monte sur une butte dans le champ et annonce à la population qu’un tel vient de mourir (« kubika »). Le lendemain en effet personne ne pourra toucher un instrument de travail sous peine d’irriter l’âme du trépassé et d’attirer sa colère sur tout le clin.

Tout en chantonnant une complainte qui ne tarit pas depuis l’agonie de son mari, et dans laquelle elle exhale ses regrets et fait l’éloge de toutes les vertus de celui qui fut son fidèle compagnon dans les bons jours comme dans les mauvais, la veuve procède à la toilette funèbre du défunt. On a apporté de la bouse de vache auprès du mort et sa veuve se met en devoir d’en enduire la jambe droite, tandis que le fils aîné, assisté d’autres membres de la famille, en fait autant pour la jambe gauche, Le défunt, parait-il, et c’est le sens des incantations qui accompagnent ce singulier embaumement, se souviendra ainsi toujours que les siens ne l’ont pas laissé partir tout seul et qu’on aura soin des bêtes qu’il leur a laissées.

Dans la main droite du cadavre, trois petits paquets sont fixés, l’un de poils de moutons, l’autre de poils de vaches, et le troisième de quelques feuilles de « ishoza», qui ont chacun leur signification bien particulière. Les poils de mouton, et si je dis poils de mouton c’est que nos moutons n’ont rien de ce qui ressemble à notre laine d’Europe, ces poils sont un gage de paix entre le défunt et sa famille, car le mouton est « Nyirabuhoro », prince de paix. Les poils de vache représentent la prière que font les survivants au défunt, qu’il veuille leur octroyer une descendance innombrable comme le sont les poils sur la dépouille d’une vache. Les feuilles d’ishoza, qui sont parmi leurs remèdes connus employées comme calmants, continueront leur influence sur lui, quand son âme se sentira en colère.

Si le défunt n’a pas eu d’enfants, sa veuve fait sa toilette funèbre assistée de la famille, mais on le traite comme le corps d’un jeune garçon (« umuhungu ». On supprime donc bouse et petits paquets qu’on remplace par des cendres d’une plante appelée « umuhunga », sans doute tout simplement à cause de l’assonnance, et à côté de lui on placera unvieux manche de pioche et un balais hors- d’usage,

La jeune fille en mourant reçoit comme compagnon de son exil une vieille louche à pâte. Sur investigation pourquoi cette différence et pourquoi un traitement aussi ridicule à un moment où tout devrait porter à plus de sérieux, on répond : « Birakwiranye ». Ils ne méritent que cela ! — Comme les vieux ustensiles qui n’ont plus de raison d’être et sont inutiles, ainsi ils ont passé sans avantage pour la communauté et ne peuvent laisser plus de regrets qu’un morceau de bois dont on ne sait que faire, « Birakwiranye, ils vont bien de pair. »

Un enfant en bas âge, est enfoui sans cérémonie dans un endroit quelconque par son père, après que les parents ont accompli le rite du « kurya akanapfu ». Dès que le petit corps est inerte sous l’étreinte de la mort, les deux époux quittent la maison pour se rencontrer à l’écart dans la bananeraie ou dans un champ, et s’en reviennent enfouir l’enfant.

Pour la femme, mère de famille, on pratique les mêmes cérémonies que pour le chef de la famille. A ce moment on dépouille le mort de tout ce qu’il porte encore sur lui étoffe ou peau qui le couvre, bracelets de laiton ou de fer dont sont ornés ses poignets et ses chevilles, colliers de verroterie autour du cou et de la ceinture, et pour tout vêtement mortuaire on le ceint d’une mince bande de peau de chèvre ou de vache. Puis on le plie pour l’enterrement les jambes sont ramenées, en sorte que les genoux repliés touchent le menton, tandis que les bras sont relevés le long de la tête et repliés en arrière jusqu’à ce que les mains reposent sur les omoplates. Roulé ainsi en boule, pour occuper le moins de place possible, il est enveloppé dans une natte en herbe, qu’on noue des deux bouts par une corde. Jamais un mort n’est enterré étendu de toute sa longueur, et s’il est déjà raide, on lui brisera les membres pour les mettre dans la position exigée par les coutumes. Agir autrement serait s’exposer à le voir revenir et à ne jamais arriver à bout de ses vengeances.

Aux Funérailles

Qu’on veuille bien remarquer que le terme funérailles ne correspond, dans l’idée que nous en avons, à de ce qui se pratique chez nos noirs. Absence totale de tenue et de sérieux que la cérémonie suppose ; un travail comme un autre où les conversations roulent bruyamment sur tous les sujets, excepté sur le mort. Si le mot de « guhamba » dont ils usent parfois exprime bien le sens d’enfouir, le terme plus usité de « guta » jeter est davantage en accord avec la hâte qu’ils ont de se « débarrasser » de ce corps encombrant. Il n’est pas encore refroidi que déjà il est emballé et prêt à être enlevé, car la nuit ne tombera pas sur sa dépouille mortelle, que dans leur langage expressif ils nomment « ryashano ! » cette horreur ! En dehors d’une mort occasionnée par la foudre, comme il a été dit précédemment, le corps doit disparaitre dans le plus bref délai ; et ce délai est tellement court que malheureusement il arrive trop souvent qu’on enterre des vivants. Les cas en effet sont fréquents, où le réveil du « mort » correspond à sa mise en terre, et d’autres commencent à se débattre au moment où l’on attache la natte qui les enveloppe, à la traverse qui servira de brancard unique pour les charrier. Au Kinyaga un bon vieux de 70 ou 80 ans, qui avait été par deux fois victime de cette précipitation, avait eu la précaution à chaque fois de donner l’alarme avant qu’il ne fut trop tard ; les siens s’en amusaient comme d’une farce qu’on a jouée à quelqu’un et dans le pays on prétendait que le vieux ne mourrait plus, ayant échappé deux fois à la tombe.

Pendant que les membres de la famille procèdent à la toilette funèbre, comme dit plus haut, d’autres ont déjà commencé à creuser la fosse. Au Kinyaga on enterre généralement à proximité de la maison d’habitation. Nulle part il n’existe de cimetières ou d’endroits réservés au repos des membres défunts d’un même clan. Ce n’est qu’en temps d’épidémie, quand les bras manquent pour faire les fosses, que tous les morts sont jetés pèle-mêle au fond d’un précipice, dans un charnier commun, où ils restent oubliés pour toujours.

La fosse du père de famille est creusée généralement dans la maison même et sous le toit où il a vécu, ou au moins dans l’enclos qui entoure sa case. Elle dépasse toujours les 2 m. de profondeur et va en se rétrécissant en forme de cône renversé. Jamais, comme dans d’autres provinces du Rwanda, on ne creuse d’excavation latérale au fond de la fosse le cadavre alors est déposé dans cette chambrette latérale en sorte que le terre meuble ne le couvre pas. Au Kinyaga au contraire, le corps sera posé tel quel au fond de la fosse et la terre le couvrira directement.

Dès que la profondeur voulue est obtenue, on dispose au fond un lit de branchages qui doit rappeler au défunt son lit d’autrefois. C’est au fils aîné qu’incombe le devoir de déposer le corps du père de famille sur ce lit de repos ; la dépouille mortelle de la mère au contraire y sera déposée par le plus jeune garçon et s’il est encore trop jeune il descendra au moins avec le corps au fond de la fosse, pendant qu’un autre membre de la famille disposera le cadavre dans la position requise par les coutumes. On se rappellera que tous les assistants mariés portent à la ceinture un lien qui doit empêcher la maligne influence de cette cérémonie obligatoire sur les naissances futures.

Le corps est disposé sur son lit en sorte qu’il couche sur le côté droit, s’il s’agit de gens mariés, qui laissent des enfants. Tous les autres morts sont placés sur le côté gauche. La raison qu’ils donnent de cette pratique illustre d’une façon non équivoque leur croyance aux mânes et leur union persistante avec ce corps qui fut le leur et qui repose là en terre. Ils s’expliquent ainsi le bras droit est celui qui travaille, frappe, jette la lance, tire de l’arc, tandis que le gauche ne fait que difficilement ces actions. Couché ainsi sur son bras droit, le muzimu n’aura que peu de force dans sa colère, obligé qu’il est de frapper du bras gauche qui n’en a pas l’habitude.

Une raison identique, et qui corrobore leur explication, exige qu’on n’enterre jamais avec le fer dans la plaie, un homme mort de mort violente, soit dans le combat soit par traîtrise.On dit que ces mânes-bazimu armés seraient terribles pour la famille et feraient de la triste besogne parmi la descendance. Aussi, quand, dans le désarroi d’un combat, on aura enterré une des victimes avec la précipitation qui leur est propre et que des doutes se manifestent à ce sujet, on déterrera le mort, même après des semaines, pour extraire le fer malencontreux.

En Deuil

Par l’effet d’une solidarité dans le malheur, tous les habitants d’une même colline sur laquelle un décès s’est produit, sont tenus à une journée de chômage. Dans la famille du défunt, ce chômage se prolonge huit semaines quand il s’agit de la mort du chef de famille, et quatre semaines quand on pleure la mère. Pour un chef important, le pays entier sur lequel il règnait, doit s’abstenir de tout travail manuel pendant ces deux mois. On voit de suite les conséquences désastreuses d’une semblable législation, quand le deuil tombe au moment des cultures ou de la moisson. C’est la disette inévitable pour la famille en cause, ou, ce qui est plus grave la famine réelle pour tout un territoire.

La période prescrite pour le deuil, « ukwirabura », débute par un jeûne, ou abstention de toute nourriture, jusqu’à ce que l’oncle paternel ait fini de raser les cheveux de la tête de tous les membres de la famille. D’ici là, aucune nourriture ne peut rester sous le toit de la case, le feu lui-même doit être éteint. A la mort du père, tous les habitants, depuis la veuve jusqu’au plus jeune enfant, sont rasés, exception faite pour la seule jeune fille qui en ce moment serait demandée en mariage. La mère morte, son mari ainsi que ceux de sa maison seraient rasés encore, mais d’un côté de la tête seulement.

Ensuite tous les ornements qu’on porte au cou, aux bras, aux chevilles et à la ceinture, sont entourés d’écorce du bananier, et une bande de même matière est fixée autour du front par un noeud qui retombe sur la nuque. A partir de ce moment, « birabuye », ils sont noirs, ils sont en deuil. Un membre de la famille s’en va par les champs déchausser une grosse racine de l’arbre « muko » qu’il apporte dans la case. Cette bûche est mise dans le foyer et allumée par une extrémité, en sorte que d’une façon continue elle puisse brûler pendant sept jours consécutifs, pendant lesquels elle ne devra pas s’éteindre ni être remplacée. Le huitième jour, ce qui reste de cette bûche est solennellement emporté de la maison vers la rivière pour y être immergé. C’est le rite du « guta igiti ». Au matin donc de ce jour, le personnel féminin de la famille s’en va dans les champs environnants, cueillir tout ce qu’il peut trouver en fait de plantes et de fruits comestibles, cultivés ou poussant au gré du caprice, comme toutes les herbes dont ils usent comme assaisonnements. Tout cet ensemble est mis dans une seule cruche, on y ajoute du sel et une motte de beurre, pour être cuit sur la flamme de la bûche funèbre. Quand ce plat informe est suffisamment cuit, on le sert à la famille et chacun en mange à son gré ; puis une procession se forme, bruyante et hurlante, où chacun des assistants se lamente à qui mieux mieux, entremêlant ses lamentations de sons rauques et de cris déchirants, en se dirigeant derrière la bûche fumante portée par l’un d’eux, vers la rivière. Autant que possible, ils choisiront comme terme de leur procession une chute d’eau ou un rapide, et y jetteront le bout de bois encore brûlant, au milieu d’un redoublement de lamentation. Tout aussi tôt, tous les assistants descendent dans la rivière et ensemble prennent un bain dans lequel ils doivent se laver tout le corps.

A partir de ce moment, l’eau de la rivière en aval de l’endroit où a été jeté la bûche devient un muziro pour la famille, et plus personne d’entre eux n’osera y boire.

Pendant leur absence, une jeune fille du voisinage aura pris soin du ménage ; elle aura enlevé du foyer toute trace de cendres, balayé la case, replacé les nattes battues, jeté dehors tous les débris de nourriture et de tabac, et enlevé les restants de sel et de beurre.

De nouveau sept jours se passent, et les parents du défunt se réunissent pour le « kurendêza ». Il ne m’a pas été possible de traduire ce terme en un mot qui en donnerait la signification. Ce rite comprend d’ailleurs deux cérémonies lustrales qui semblent indiquer qu’il s’agit d’une purification.

De bonne heure, on entasse du bois de chauffage au milieu de la cour, comme ils ont coutume de faire à la rentrée du bétail le soir avant la traite des bêtes, et l’on se groupe autour de ce foyer encore éteint. Bientôt surviennent des enfants, un garçon et une fillette en compagnie d’un homme. Celui-ci doit être un frère du défunt ; aucun autre membre de la famille ne peut assumer ce rôle, qui, en cas où aucun de ses frères ne pourrait être là, est rempli par un membre de la famille des Bazigaba. C’est le « muse » dont j’ai parlé au moment de la naissance. Tous trois s’approchent du tas de bois et allument un grand feu. Puis ils s’assoient ; on leur apporte les grandes calebasses qui servent à barater, ils y versent du lait et commencent à barater. Quand le beurre est pris, ils le sortent, en font des boules et en enduisent tous les membres de la famille. C’est le « guha amata » — donner le lait.

Entre temps, une jeune femme du voisinage n’ayant pas encore d’enfants, a dissous du kaolin dans un vase d’eau et est allé asperger l’intérieur de la maison poussant des cris de joie (« gutera ingwa »).

Ces cérémonies terminées, la famille habille de vêtements neufs les trais officiants, qui seront désormais dénommés « ababyeyi » ou genitores, par tous ceux de la famille en deuil.

Il est entendu, que pendant tout le temps que dure le deuil personne des survivants ne pourra assister à une réjouissance publique ou à une beuverie dans le voisinage. A la maison même, la séparation « a toro » est rigoureusement commandée et dans les troupeaux les mâles sont éloignés et conduits à d’autres pâturages.

Pour Clore Le Deuil

Quand le temps prescrit par les coutumes est écoulé, on procède à la grande cérémonie de la sortie du deuil. Elle est dite « ukwera », blanchir, comme le deuil lui-même s’appelle « ukwirabura», être noir.

La veille du jour solennel, la veuve du défunt va annoncer la décision à celui qui devra la sortir du deuil, et lui faire ses instances les plus pressantes, pour qu’il consente à lui rendre ce service, Le « kweza umugore » est en effet dans leur croyance un acte qui peut avoir un double inconvénient d’une part, refuser ce que la coutume l’oblige à accepter, l’expose à toutes les colères des mânes qui seront sans repos ; d’autre part s’y prêter ,de bon gré, c’est s’attirer l’envie et la jalousie du défunt en s’introduisant dans l’intimité de l’épouse qu’il a été obligé de quitter. De toute nécessité, la veuve devra faire ses premières démarches auprès du frère de son mari défunt. A son défaut, elle ne peut s’adresser qu’à un membre de la famille des Bazigaba, et jamais aucun étranger à cette famille des Base ne consentirait à accomplir le rite du « kweza », sur la veuve d’un défunt. Même auprès du Muse les choses ne se passent pas aisément. Il y a tant à craindre de la part d’un mari jaloux, même mort, que le Muse, aussi bien que le beau-frère, poseront leurs conditions et demanderont une compensation assez importante pour le prix de leur dévouement. Ils savent bien qu’elle, la veuve éplorée, est obligée de passer par leurs exigences, et qu’elle ne peut en aucun cas laisser tomber la cérémonie, sous peine de voir tout le clan se révolter contre elle et saccager tout son bien. L’accord se fera donc contre payement comptant d’une contribution, qui variera selon l’importance des biens laissés par le défunt. Le marché conclu, toutes les frayeurs problématiques disparaissent et l’invité, beau-frère ou Muse, se présente le lendemain,

Le « pombe » mortuaire est prêt : d’immenses et nombreuses cruches sont en réserve. Sur les divers foyers mijottent haricots et petits pois ; la blanche farine de sorgho est accumulée dans un coin de la case pour accompagner tantôt en forme de pâte les bons morceaux de viande qu’on découpera dans la bête offerte en sacrifice.

Tous les proches parents ont été invités et tous ont répondu obligatoirement à l’appel ; tous sont là, jeunes et vieux par couples. Ceux qui ne sont pas encore mariés et les veufs viennent accompagnés de veuves et de divorcées choisies dans le pays. Même les jeunes garçons à partir de 14 ans doivent accompagnés d’une de ces femmes. Et la fête commence dans la case même où a vécu le défunt et dans laquelle il a expiré. C’est la grande ripaille au milieu des danses, des chants et des cris de joie, au milieu de beuveries sans nom et des joies excentriques : le deuil va finir et le grand nuage de tristesse et d’angoisse, qui depuis deux mois planait sur l’enclos, va être dissipé.

Vers le matin, aux premières lueurs roses de l’aurore, tous les invités quittent la case principale où ils abandonnent la veuve et l’homme choisi par elle, et vont se disperser couple par couple dans les habitations voisines, la bananeraie et les champs, où se termine ainsi le temps clos de leurs abstinences forcées.

C’est alors qu’a lieu le premier sacrifice expiatoire par l’immolation d’une bête à corne, qui doit rendre les mânes du défunt inoffensifs pour toujours. Et chacun s’en retourne chez soi.

Seul le Muse reste encore quatre jours auprès de la veuve inconsolable, au bout de quoi, sa propre femme, délaissée pendant ce temps, vient le ramener à son propre logis. Avant de se séparer momentanément, tous trois ensemble font un repas d’amitié d’une pâte de sorgho qu’ils cuisent séance tenante et laissent la veuve à ses occupations ordinaires.

Cependant quatre jours plus tard, la veuve s’en revient vers le Muse l’inviter à venir lui tenir compagnie pendant une huitaine. Ce dernier voeu satisfait, ils se séparent pour toujours, à moins que le Muse ne préfère garder la veuve comme concubine. D’après leurs explications, ces nouvelles relations sont déterminées par la crainte, qu’ont les deux acteurs du kweza, que les enfants qui naîtraient de leur union ne se trouvent affligés des « mahumâne », cette maladie tout particulièrement attribuée à l’influence des mânes irrités.

Terminons ce chapitre par quelques renseignements supplémentaires qui auraient alourdi le corps de la narration.

Une femme morte avant la délivrance n’a pas droit à la sépulture et n’est jamais mise en terre. A peine a-t-elle expiré et sans qu’on s’occupe en aucune façon de ce qu’il advient de son fruit, elle est emportée, enroulée dans une vieille natte, vers une pente abrupte de la montagne déserte, où on l’abandonne après l’avoir couverte de quelques branches de buissons. Aucune autre cérémonie n’a lieu à cette occasion : on n’a rien à craindre d’esprits qui n’ont su rien faire pendant qu’ils vivaient dans ce corps.

Un inconnu, voyageur affamé ou marchand ambulant, qui tombe au bord du chemin, ne reçoit pas les honneurs de l’enterrement. On le laisse là où il est tombé. Le passant se contentera de jeter sur le cadavre une poignée

d’herbes qu’il aura arrachée en « s’apercevant de cette horreur »-, ou une pierre qu’il aura ramassée, tout en détonant la tête. Si personne ne prend sur soi de traîner le cadavre un peu à l’écart en dehors de sentier, le passant fera un crochet à cet endroit quand l’odeur de la décomposition aura rendu l’air insupportable.

Tombé en pleine bataille ou assassiné à l’improviste, victime de la vendetta, le mort a toujours un droit strict aux funérailles. Ses proches y procéderont même au risque de nouveaux combats et de nouvelles morts. Rien de plus humiliant pour un clan, ni, disent-ils, de plus dangereux, que de ne pouvoir enterrer un de leurs parents tombé sous le fer ennemi.

La chanson s’emparerait du récit satirique de leur lâcheté, et, ce qui leur est encore plus sensible, le mort dans sa fureur ferait des ravages sans nombre dans les rangs de ses descendants et de sa parenté.

Conclusion

En terminant ces pages sur la vie religieuse d’un peuple dans toutes ses manifestations les plus importantes du berceau à la tombe, nous attirons l’attention du lecteur et surtout de l’éthnologue sur l’absence absolument garantie de tout métissage d’européanisme, Peut-être depuis, des infiltrations inconscientes dans les us et coutumes de la foule, l’enseignement du missionnaire, le contact sporadique d’un marchand ou askari islamisé, ont opéré sur certains rapports des changements et des suppressions, car la transformation de l’Afrique noire sous tous les points de vue se fait rapidement, et celui qui aujourd’hui penserait à recueillir les matériaux de sa monographie, ne trouverait que difficilement les témoins intègres ou simplement capables pour discerner la vieille coutume de l’apport récent.

C’est donc bien la vie religieuse païenne, sans influence d’autres religions, telle qu’elle se présentait à l’oeil observateur, sous certains rapports différents, dans leur croyance et ses applications, de ce qu’on enseigne dans les écoles sur l’universalité du fétichisme et du totémisme chez les noirs. On se sera aperçu que précisément ces deux points sont passés sous silence. Et pour cause. Le premier est absolument inconnu et l’allusion seule que certains de leurs frères noirs adoraient lune, soleil ou bouts de bois, faisait jaillir cette remarque « Na bashi » — Ce sont des sauvages ! Et l’autre, le totémisme, se réduit en tout et pour tout à ceci que tel clan est « crapaud ou corbeau ou vipère », et qu’il ne mange pas de cela. Comme personne dans tout le Rwanda ne mange ni crapaud, ni corbeau ni vipère, à quelque clan qu’on appartienne, il n’y a vraiment pas de quoi en inférer que ce sont des bêtes sacrées et objet d’un culte spécial. D’autre part, toute représentation par image est absolument inconnue.

Les multiples « miziro » — ou défenses, — qui « empoisonnent leur vie dans ses moindres détails et dont cette monographie n’est en somme qu’un catalogue incomplet, peuvent en un sens faire rentrer leur culte dans le tabouisme. Mais il appert suffisamment tout le long de l’énumération, qu’il y a quelqu’un derrière ces « miziro », qui en est le venguer ; et en fin de compte, on en arrive toujours dans leurs supplications aux mânes à rencontrer le fameux « wakagira Imana », Qu’Imana t’entende ou t’aide » — cet Imana créateur et conservateur de qui tout vient et sans lequel même les mânes ne peuvent rien,

Témoins des premières années, alors que seuls européens nous habitions au milieu de la population encore fruste et sauvage, souvent hostile, nous l’avons connue dans les circonstances les plus diverses et les événements les plus intimes. Nous avons annoté nos observations quand les particularités de la langue nous furent devenues plus familières et cela nous permit de classer, d’élargir nos renseignements, de contrôler nos données, jusqu’au jour où nous résolûmes de faire un travail suivi.

Nous ne croyons pas l’avoir épuisé, et, pour des raisons qu’on devine, nous n’avons pas voulu entrer dans certains détails, mais tel qu’il se présente, ce travail donne une idée assez exacte de ce qu’est la vie de nos indigènes dans ses relations avec le monde invisible auquel ils croient fermement.

Et c’est peut-être grâce à cette foi qu’ils ont d’un créateur et monde supérieur, qu’après une hésitation de deux décades, ils se sont jetés soudain à corps perdu dans les bras du Christ.

La seule preuve, deux chiffres, pour les deux pays aux mêmes coutumes religieuses et à la même langue, le Rwanda et le Burundi :

En 1900 ……………………Chrétiens : néant,

En 1938 ……………………Chrétiens : 630,000.