{:fr}Les parentales de clan : Le culte de l’ancêtre fondateur.

ESPRIT de clan trouve son aliment et une force supplémentaire dans le culte de l’ancêtre, de celui dont on porte le nom, du héros éponyme. C’est, sous d’autres cieux et en fonction d’une mystique plus relevée, le culte du clocher, du patron de village, avec sa fête votive./ culte éminemment social en son principe et en ses effets, nourri de piété filiale et de sentiments fraternels, souverainement apte à maintenir la cohésion du groupe et la solidarité entre ses membres.

Ce culte n’altère aucunement la foi-confiance en Imana ; il ne se substitue pas au culte des bazimu domestiques, c’est-à-dire des mânes de la parenté immédiate, il se superpose aux hommages privés et quasi quotidiens s’exprimant dans l’intimité des kraals. Il réunit au moins une fois l’an, tous les contribules, dans un hommage collectif à l’ancêtre fondateur, parfois très anciennement décédé.

.Ce culte a pour sanctuaire un « haut lieu », générale-ment le point• culminant et le plus en ‘Vue de l’aire que l’on occupe. C’est là que l’aïeul pionnier a élevé sa cabane. Les deux poteaux qu’il a Plantés au seuil – umuryangode l’enceinte sont devenus des arbres ; un sycomore et une érythrine. La demeure a disparu, les deux arbres subsistent : ce sont des monuments commémoratifs et des principes de bénédiction, des imana. L’ancêtre a été inhumé à leur pied : sous leur ombre se dresse son mémorial, le ndaro un faisceau de broques le tambourin de la communauté est posé à côté, telles des cloches de village.

C’est là que se célèbrent les parentales de clan, à l’anniversaire de l’aïeul, sous la présidence du chef de la lignée, prêtre-patriarche. La fête peut durer plusieurs jours elle a le caractère des réjouissances publiques de chez nous, de nos kermesses. L’élément indispensable est le festin, où le boire a plus de part que le manger. Chaque mai-son apporte son panier de légumes, son pot de bière, sa chèvre, son taureau. Egorgement des bêtes et cuisson des aliments ont lieu sur place. La beuverie, se poursuivant pendant la nuit, s’accompagne naturellement de chants, de musique et de danses. L’acte rituel proprement dit consiste dans l’offrande à l’ancêtre de quelques bouchées de victuailles, de quelques gouttes de pombé, et surtout dans des requêtes, des supplications, que le chef du clan for-mule au nom de tous.

U n’y a pas que les descendants restés au pays natal qui prennent part à la solennité : ceux de la dispersion, que la nécessité a contraints à l’émigration, y déléguent et y envoient leurs présents, s’ils sont empêchés d’y venir eux-mêmes. Ainsi les familles Abasinga, fixées au Bugoyi dans la plantureuse plaine de Rwéréré, et puis encore au Busizi, restent en liaison avec le. noyau de la tribu à Bugarura dans le Mulera son berceau. Au retour de l’anniversaire, elles y expédient trois taurassins, conduits par une commission élue : l’une de ces bêtes est consornraée sur place avec les autres victimes ; les autres sont présentées en hommage à la branche ainée, gardienne des souvenirs : elles sont versées clans le troupeau de la communauté. On conçoit aisément combien de telles assemblées liturgiques sont susceptibles de reserrer les liens de famille.

Le sanctuaire champêtre, avec tout ce qu’il renferme, est vraiment le coeur du groupe ethnique. C’est le tribunal indiqué pour les ordalies. Un passant se présente-t-il, qui se donne pour un congénère, on le conduit sous les arbres imana ; on l’invite à. s’,accroupir sous le ndaro de l’ancêtre. S’il y consent, s’il en sort sain et. sauf, l’épreuve est concluante ; il n’a. pas menti ; il est traité en frère. C’est ce qu’on nomme l’épreuve de « pénétration n. Faute de papiers d’identité, c’est l’ancêtre qui est requis d’avouer un des siens. Son ombre vénérée joue ici le même rôle que la châsse du corps saint dans nos villes d’Occident à l’époque barbare.

Les téraphim de clan : La corne d’antilope des Bashobyo à Nyundo.

Les clans, outre la tombe de l’ancêtre, outre le tambourin, vénèrent parfois un objet matériel, trésor liturgique de la communauté, talisman protégeant du mal et porte-bonheur, en dépôt dans la demeure du chef, sorti aux parentales, et qui chez les fa- milles émigrées prend la valeur d’un mémorial, d’une relique, d’un symbole d’attachement au pays natal : telle la motte de terre enlevée au sol patrie’ que des émigrants emportent avec eux et conservent comme souvenir dans le pays qui les accueille. Ainsi plutôt Rachel, emmenée par Jacob en Canaan, dérobant à Laban l’Araméen, son père, ses téraphim de famille (1). Au Bugoyi, par exemple, véritable macédoine de clans, où les émigrants ont afflué de partout au cours de ces deux derniers siècles, les Bahuma gardent précieusement et vénèrent un horn-bugle en ivoire, appelé urumaka, les Bakora un bloc de quartz hyalin, les Bakuku une pagaie de ménage en bois d’érythrine, etc. Le P. Pagés nous renseigne particulière-ment sur la corne d’antilope des Bashobyo.

Les Bashobyo, dont un rameau, transplanté sur répéron de Nyundo, à l’endroit où se dresse depuis 1901 une station de Pères Blancs, a provigné sur les collines à la ronde, remontent, disent-ils, à un certain Gashobyo, qui, émigrant un jour du Gishari, de l’autre côté des Birunga, emporta de la maison paternelle une corne d’antilope, nommée Mibungo, reliquaire d’herbes magiques, un imana. L’un des héritiers de Gashobyo, Murasano, chef du groupe, fit l’épreuve de sa vertu prestigieuse : lors d’un assaut soutenu contre des voisins incommodes, sa simple ostension suffit à les mettre en fuite. Une casé lui sert de sanctuaire. On l’exhibe processionnellement lorsque la grêle menace. Les malades accourent auprès d’elle, implorant leur guérison. Avant de se mettre en campagne les guerriers du clan viennent lui demander de leur dire à sa façon la bonne aventure. Ils la déposent à terre sur un grand van. Puis, prenant leur élan, ils la franchissent d’un bond. Si le saut a été heureux, c’est qu’ils reviendront sains et saufs du combat.

Aux parentales de clan, le chef, prêtre du culte, gardien et desservant du talisman symbole, se met dans le personnage de Murasano. Il se coiffe de son chaperon en fourrure de civette, impimbi, s’arme de sa lance, se purifie le corps avec des herbes spéciales — ikori, — com-me il faisait, s’assied sur son escabeau, pose la corne sur ses genoux, la vénère, non en la baisant mais en soufflant sur, elle, il la présente ensuite au souffle des fidèles, ses contribules, qui défilent devant lui à la queuleuleu. Lorsque les victimes ont été égorgées, il la plonge dans leur sang il lui verse goutte à goutte ce breuvage enivrant par la trompe. En tout cela il est censé mimer son prédécesseur..

Le téraph ainsi vénéré), il invoque les ancêtres collectivement, leur adresse les voeux de la communauté. Chaque assistant formule à sa suite, s’il le veut, sa demande particulière. Après quoi, modifiant son timbre de ‘voix, prêtant son organe •au premier aïeul, il proclame d’un air inspiré : « Ne craignez pas, mes enfants ; je vous exaucerai; je ne vous abandonnerai pas je serai avec vous; je vous défendrai contre vos ennemis.

La liturgie prend dès lors une allure plus profane,, danses et chants s’organisent les hommes d’un côté, simulant des combats et des exploits imaginaires, les femmes de l’autre, foulant le sol en cadence, et invoquant Mibungo, comme jadis les Bacchantes clamant : Evohé Bacché ! Voici le refrain des hommes. Ils pensent s’honorer en se qualifiant de « veaux », le boeuf étant à leur estime plus noble que le lion.

C’est nous les veaux,, (bis)    Tuli inyana,

Les veaux qui tuent sept fois Nyana y’umudende,

0 Mibungo ! l’ennemi s’en- Mibungo we ! Habunga abo.

fuit (bis).

Nous Bashobyo, est-c nous qui tournons le dos ? Mbe Bashobyo mwe tutangabunga ?

Est-ce nous qui fuyons ? Yee tutangabunga

O Mubingo ! l’ennemi fuit.Mibungo we I Habunga abo.

Le culte de clan, si prenant, ne se rencontre plus aujourd’hui qu’à l’état sporadique. Il ne s’est bien maintenu que dans les régions où l’organisation patriarcale a gardé son intégrité originelle. Il est permis de supposer qu’il fut jadis plus général au Ruanda, et qu’il n’a cédé que devant la désagrégation progressive de la vie tribale, supplantée par l’organisation territoriale.

La littérature, soit académique, soit populaire, ne parait pas s’être intéressée aux tribus indépendantes, comme si elle les. dédaignait, les jugeant frustes et arriérées. Elle est plus explicite sur les anciens monarques, abattus ou simplement assujettis par les batutsi. Elle les présente, il est vrai, moins en eux-mêmes que dans leurs relations d’alliés ou de ‘ satellites, finalement même de victimes, du vainqueur munyiginya. Mais ces petits princes ont pu, au temps• de leur indépendance, avoir, eux aussi, leurs bardes nationaux, chan–tant leurs exploits, dont les productions se seront déversées -et fondues dans des rapsodies plus vastes, glorifiant les vainqueurs. Grâce à eux, Mashira du Nduga, Nkoma du Marangara, Rutoké du Buhanga ont pu atteindre à la célébrité. Au demeurant, la postérité de bon nombre de ces roitelets est encore là pour nous renseigner sur leurs faits et gestes ; elle a survécu à leur déchéance` C’est ainsi que le P. Pagès a pu recueillir les fastes royaux des seize toparchies suivantes : Bukonya, Ruhengéri, Buhorna, Bushirui ._ Bugarnba-Kiganda, Kingogo, Budaha, Bwishaza, Bukunzi, Busozo, Marangara, Busizi, Bulembo-Ivunja, Bulila, Ntondé-Karama, Kagowé, Muhinga-Nyabitaré, Nduga.

Ce qui reste mystérieux, ce sont les causes qui ont dé-terminé le passage .du régime tribal au régime monarchique. Qu’est-ce qui a pu amener les chefs de clan dans Un rayon donné à aliéner tout ou partie de leurs prérogatives souveraines entre les mains d’une dynastie héréditaire, comme la Bible raconte que firent un jour les tribus israélites en faveur de la maison de Saül, puis de la maison de David ? Cette révolution ne semble pas avoir laissé de traces dans les mémoires : ahane fait l’objet d’aucun récit, du moins à notre connaissance. On peut supposer que certaines tribus, fatiguées de se voir périodiquement décimées par des querelles fratricides, par des vendettas atroces, se seront décidées à créer entre elles un organe d’arbitrage souverain, ou que la menace d’une domination étrangère les aura induites à rendre permanentes leurs confédérations jusque-là occasionnelles et transitoires. D’autres auront subi la contagion de l’exemple. C’est un fait que les récits d’histoire ne mettent jamais le mwami mututsi aux prises qu’avec un potentat de même qualité que lui.

Formes constitutionnelles de la monarchie Muhutu.

Autant qu’on peut s’en rendre compte, la monarchie muhutu n’apparaît pas autre en sa constitution que la monarchie mututsi : elle en semble même le prototype.

Le monarque muhutu porte généralement le titre de muhinza, terme que l’on fait dériver de guhiziga « cultiver » il serait ainsi l’agriculteur par excellence, gouvernant un peuple de cultivateurs, Celui du Busozo au Kinyaga, celui du Bunyabungo de l’autre côté du Ki-vu, prend le nom de mwami, vocable de même racine, dit-on, que le verbe kwama, kwamamara dans la forme allongée, qui a le sens de « s’épandre », « jouir d’une réputation lointaine » I d’où le mot Rwama, « homme d’une grande renommée ». Les dynasties batutsi, qui ont reçu ou pris ce titre au Ruanda, au Kisaka, en Urundi, l’ont certainement trouvé en usage chez les aborigènes.

Muhinza ou mwami, le toparque gouverne de conserve avec une femme, qui n’est pas son épouse mais sa mère. Son pouvoir est absolu. Il est de même nature que la patria potestas du chef de clan. Il comporte l’usage inconditionné du jus gladii. Le souverain dispose à sa discrétion de la vie et des biens de ses sujets : son absolutisme n’est tempéré que par la coutume et par l’opinion.

L’emblème du pouvoir c’est le tambourin, que nous avons déjà vu en usage clans les clans : il est, en fait, tra-ditionnel dans les sociétés africaines depuis des temps immémoriaux, puisqu’il est déjà figuré, battu par des noirs, sur les monuments pharaoniques. Le muhinza est l’ishakwé. « Celui en l’honneur de qui on le frappe » — mubambuzwa shakwe. Un cérémonial rigoureux règle les relations des sujets avec lui : on ne l’aborde qu’en frappant discrètement des mains, comme pour l’applaudir, et au Busozo les officiers – abaganda – ne l’approchent , qu’inclinés, pliés en deux, les yeux baissés. Ses funérailles sont tragiques. Ce ne sont pas ses femmes qui l’accompagnent dans son trépas, comme dans l’Inde, brillées vives sur réchafaud, mais deux ou trois de ses officiers, que l’on égorge sur sa tombe pour qu’ils lui servent V de , mol « oreiller » gusegura umwami. Sa dépouille sera’ desséchée à petit feu, déposée dans une- hutte, dont un serviteur gardera perpétuellement rentrée, finalement in- – humée sur place. Un bouquet d’arbre – huma – marque-ra l’emplacement de la sépulture. Des parentales y seront célébrées. Les usages patriarcaux se perpétuent ainsi sous le régime monarchique, changeant seulement de bénéficiaires.

Capacités agronomiques du Muhinza.

Tous ces traits se retrouvent dans la monarchie mututsi : il en est un cependant qui est plus spécial au muhinza et qui peut servir à le distinguer. Le muhutu est, comme nous l’avons déjà indiqué, un roi agriculteur, tandis que le mututsi est un roi_ pasteur. Il a un don particulier pour promouvoir la prospérité des cultures `-et la multiplication des fruits de la terre. Ses anathèmes et conjurations ont la vertu d’écarter les passereaux et autres oiseaux pillards, les larves et chenilles – kagungu, – qui dévorent les tiges de Patates douces, les bahema, qui détruisent les feuilles des’ arbres,’ les sauterelles – inzige, – les charançons – imungu, – qui empêchent la conservation des céréales et des légumes secs: On recourt à lui, le cas échéant, comme muvubyi,  pour ouvrir le ciel en temps de sécheresse et le fermer en cas de déluge. On veut recevoir de sa main au moment des semailles une poignée de graines, gage assuré d’une bonne récolte. C’est un agronome magicien, un virtuose du génie rural.

A vrai dire, le vacher mututsi, en devenant le’ souve-rain de serfs de la glèbe, ae dû par fonction s’approprier les capacités de celui qu’il supplantait. Aussi ne lui marchande-t-on pas les qualificatifs de Ruméza, « Celui qui fait venir les plantes », de Nyarumé, a Celui qui produit la rosée » mais il n’accepte pas d’être un faiseur de pluie, ni non plus d’être un magicien en titre : il est au-dessus de• cet art équivoque. Le muhinza au contraire est le type du roi-devin, du roi-magicien. « De lui sans nul doute, écrit à ce propos le P. Pagès, est venue la profession de « pré-servateur et défenseur des récoltes », qu’ont gardée les bahinza actuels, presque tous descendants des anciens roi-telets soumis par Ruganzu. Ils n’ont jamais porté ombrage aux rois hamites, qui les ont non seulement .maintenus, mais les ont protégés, dans la pensée qu’eux-mêmes et leurs sujets pouvaient y trouver profit. Les plus renommés d’entre eux ont été jusqu’ici ceux de Lubengéra dans le Bwishaza et ceux de Suti dans le Bunyarnbiriri, parce que plus raprochés de la province centrale du Nduga et en relations suivies avec la cour hamite. Leurs compères du Kingogo, du Bushiru, du Buhorna, du Bugamba, etc., n’ont pas eu grande notoriété en dehors de chez eux. « En toute première ligne venaient ceux du Buhunzi au Kinyaga et du Busigi près de Rulindo, qui jusque dans ces dernières années étaient qualifiés de « seigneurs de la pluie » — umwami wimvura.

Le Mwami du Busozo.

Quelques rares échantillons de ces petits toparques agronomes ayant, comme il a été dit, persisté jus-_ qu’à nos jours, on ne saurait se faire une idée plus juste du type qu’ils représentent qu’en les considérant individuellement. Tel le mwami du Busozo.

Le Busozo est un coin de Suisse, accroché à la dorsale Congo-Nil au sud-ouest du pays, à près de 2.000 m. d’altitude, confinant à la forêt primitive, hérissé de rochers et tapissé de prairies, isolé du reste du monde, refuge d’un peuple réfractaire au progrès, figé dans la tradition civile et religieuse, immobile depuis des éternités. « Plus accessible aux chèvres qu’aux vaches » (P. Pagès), il nourrit des vaches néanmoins, depuis que Ruganzu Ndori, qui probablement, l’a réduit à vasalité, maintenant en exercice sa dynastie traditionnelle et sauvegardant son autonomie administrative. Sa population, évaluée à quinze ou vingt mille âmes, obéit à un rnwami du bon vieux temps, relique vivante, mannequin fossilisé, figure hiératique. Le dernier prince avait nom Buhinga lorsqu’il mourut en 1925, • son état peut-être, millénaire fut réduit à l’état de province et réuni au gouvernement du Kinyaga. Entre-temps les Pères Blancs l’avaient visité : ce sont eux qui ont tracé de lui le portrait suivant.

Le salut du prince, sa santé et sa vie, par suite le bien de l’état, sont suspendus à l’observation scrupuleuse de multiples interdits. Toute nouveauté, toute rupture avec les usages consacrés par la tradition, est chose vilaine et ne peut qu’engendrer des malheurs. Aussi le mwami ha-bite-t-il une cabane sans palissade et ne s’habille-t-il que d’écorces de ficus — impuzu. Il ne boit point de liqueur fermentée surveillé en cela par des vieillards, ses conseillers. Il se tient à l’abri de toute influence nuisible. A cet effet, il vit retiré au fond de son palais, invisible au public, ne parlant même à ses ministres que derrière un paravent, comme une moniale derrière le guichet ou le tour de la porterie. S’il sort nuitamment, il ne saurait sans danger dépasser le ruisseau Kabingo, qui borde son petit domaine.

La note dominante de ces tabous est une réserve distante à l’endroit de toute l’impureté rituelle. Tout ce qui a trait à la génération est péril. Aussi bien les mariages ne peuvent-ils se contracter qu’aux époques qu’il a arrêtées. Les présents, vivres et boisson, que lui apportent les jeunes mariés, doivent être d’une propreté méticuleuse. Seuls les enfants, garçonnets ou fillettes, non suspects d’impureté, peuvent y goûter : pareillement pour l’eau qui lui est destinée. Sa pipe, si elle tombe à terre, doit être purifiée avant qu’il s’en serve de nouveau. Le sang versé est impur : les gens qui portent des plaies sur leur corps, qui ont été saignés, auxquels on a posé des ventouses, ceux qui sont atteints du pian, doivent se tenir éloignés du palais. Les femmes et jeunes filles qui, à la cour, broient le grain sur la meule, le souilleraient si elles humectaient leurs mains de salive, ou les passaient sur leur corps impur.

Toutes ces observances ont pour objet unique d’écar-ter de cet homme mascotte qu’est le monarque régnant les influences malignes, les miasmes délétères, les ensorcellements et poisons, armes perfides des bazimu. Aussi, lorsqu’il a un fils et que ce fils, ayant atteint sa septième année, présente des garanties qu’il vivra, il est affranchi du réseau des interdits et c’est l’enfant qui doit y être as-sujetti à son tour.

Pendant cette sorte de minorité c’est la reine, sa mère, ce sont ses frères, qui ont gouverné à sa place. Nous avons dit de quelles marques de vénération les uns et les autres sont entourés.

Quelque asservissante que soit la fonction royale et sacerdotale dans de telles conditions, elle excite néanmoins les appétits de ceux qui sont susceptibles d’y pré-tendre : aussi les successions sont-elles l’occasion de com-pétitions ardentes. Lorsque Buhinga, à l’âge de dix ans, en 1904, hérita de son père Nyundo, il dut être arraché à un complot tramé contre sa vie. Sa mère l’emmena, ainsi que son frère encore à la mamelle, en Urundi, jusqu’à Usumbura, sur le Tanganyika, où se trouvait un poste allemand. Il ne dut sa restauration qu’à une intervention de la puissance protectrice.

En définitive, on s’en convaincra dans la suite, par nombre d’usages protocolaires, de moeurs politi-ques, de formalités consitutionnelles, les toparques bahutu ont frayé la voie et donné le ton aux bami batutsi, à ceux du Ruanda comme aux autres. On trouve déjà dans ces cours vieillottes et surannées, pay-sannes et patriarcales, le titre de mwami, l’institution de la reine mère, la séquestration partielle de Yuhi, le culte du tambourin enseigne, les rites funéraires inhumains, les intrigues et tragédies de palais aux changements de regrie, le caractère théocratique et pontifical de l’autorité monarchique. On dirait que les nouveaux venus n’ont trouvé rien de mieux que de coucher dans le lit de leurs prédécesseurs.

Au surplus, le souci d’agrandissement territorial et d’unification nationale n’appartient pas en propre et exclusivement,au mwami hamite : là encore il a_ rencontré des modèles. Avant Ruganzu Ndori le muhinza Mashira, chef des Ababanda du Nduga, fait figure de conquérant. A travers les récits fabuleux et populaires, qui le rapetissent naïvement à la taille d’un prestidigitateur de foire, jouant toute sorte de vilains tours à de trop candides clients et parvenant à force de coups de baguette magique à les subjuguer, on perçoit clairement qu’il a accru le domaine à lui légué par ses prédécesseurs, qu’il l’a étendu dans toutes les directions jusqu’aux fossés naturels, creusés par les fleuves, annexant au nord le Ndiza, au sud-est le Bwanamukali, peuplé par les Barengé, contrôlant au centre le Marangara. Le prestige de sa puissance fut assez éclatant pour que le mwami munyiginya, régnant outre-Nyabarongo sur le Bwanatshyambgé et le Buganza, fit appel à son concours pour repousser les envahisseurs arrivés des plaines septentrionales, les barbares banyoro.

Ainsi se préparait déjà avant les Hamites l’unité politique du Ruanda, dont l’histoire va maintenant nous retenir.

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