256.L’enseignement au Ruanda-Urundi a acquis au cours des dernières années une importance particulièrement grande. L’une des raisons en est la pression exercée par tous les autochtones pour avoir plus d’écoles, et plus de possibilités d’éduquer leurs enfants, à tous les degrés. L’autre raison est la proportion grandissante que les dépenses consacrées à l’enseignement représentent dans des budgets eux-mêmes en accroissement constant. La proportion des dépenses récurrentes de l’enseignement dans le budget ordinaire a été en 1946 de 5,5% (7 millions de francs), en 1950 de 9,6 % (33 millions), en 1955 de 16% (89 millions), en 1956 de 16,9% (115 millions), en 1957 de 20 % (184 millions) et en 1938 vraisemblablement de 22% (plus de 230 millions). De plus, le plan décennal prévoyait 210 millions de francs de dépenses d’investissement pour l’enseignement (soit 6,2%); ces objectifs ont été par la suite portés à 380 millions, et le volume de ces programmes d’investissement va âtre encore accru au cours du réajustement actuellement en cours. Et pourtant, ces dépenses, que certains considèrent déjà – et à juste titre, semble-t-il, pour une bonne gestion financière – comme disproportionnées et consenties au détriment des dépenses publiques à caractère économiquement rentable, restent toujours insuffisantes pour faire face aux demandes de la population.

257.L’ampleur de ces dépenses a récemment soulevé des craintes au Conseil général du Ruanda-Urundi; un membre demanda à la session de juillet 1957 si la cause n’en était pas en partie parce que l’Administration voyait trop grand et construisait des bâtiments trop luxueux; de plus, comme il considérait que l’organisation de l’enseignement manquait de clarté, il a proposé qu’il soit constitué une commission permanente de l’enseignement, émanation du Conseil général, qui dispose de pouvoirs assez étendus pour que le Conseil puisse exercer une véritable tutelle sur l’enseignement. Cette proposition fut adoptée.

258.Une troisième raison pour laquelle l’enseignement a une importance capitale au Ruanda-Urundi est la contribution qu’il pourrait apporter à la solution du problème des rapports entre Batutsi et Bahutu. L’on se souvient que le “Manifeste des Bahutu »considérait que par le système de sélection, l’enseignement primaire dans ses dernières années avantageait tellement les Batutsi qu’en fait l’enseignement secondaire était quasi exclusivementréservé à ce groupe.

La Mission, tout en n’étant pas en mesure de vérifier si cette assertion n’est pas quelque peu exagérée, se demande s’il ne serait pas sage de veiller à l’inclusion systématique dans l’enseignement primaire et secondaire, d’un pourcentage minimum d’enfants bahutu même éventuellement au prix d’un assouplissement de certaines règles d’admission. Ce système aurait l’avantage, non seulement d’apaiser les craintes des Bahutu, mais aussi d’assurer à la longue une solution partielle au problème des Bahutu et des Batutsi, par la formation d’une classe de plus en plus nombreuse d’éléments éduqués des deux groupes. A cet égard, la Mission renvoie aux considérations qu’elle a développées dans son premier chapitre sur le progrès politique. Cette suggestion semble avoir d’ailleurs été favorablement reçue par l’Administration locale au cours de ses discussions avec la Mission.

  1. Au point de vue de l’organisation et de l’enseignement primaire et secondaire au Ruanda-Urundi, il faut distinguer entre diverses catégories. En ce qui concerne les écoles à programme européen (qui peuvent âtre multiraciales ou monoraciales suivant le cas), pour les écoles officielles,, tous les frais sont à la charge du budget de l’Etat, notamment : les bâtiments et l’équipement, les traitements du personnel enseignant, y compris les frais médicaux et de pharmacie, le logement et le retour annuel en Belgique; enfin les bourses d’études et frais de voyage des élèves dans certaines conditions. Pour le reste, l’inscription, les frais de pension et de livres scolaires sont à la charge des élèves. Pour les écoles libres subsidiées (qui sont les écoles des congrégations religieuses, agréées par l’Etat), l’Etat participe aux frais de construction des bâtiments et d’équipement dans la proportion de 80% pour l’enseignement moyen; pour l’enseignement primaire et les jardins d’enfants, dans la proportion de 80% dans les grands centres et 70% hors de ces centres. L’école et l’équipement deviennent la propriété de la congrégation religieuse. Les deux tiers du personnel enseignant agréé de l’enseignement primaire et des jardins d’enfants sont subventionnés à 100% (sur la base des traitements officiels), s’ils sont laïcs; les autres (donc au moins un tiers) sont subsidiés au “taux religieux” (c’est-à-dire en général 75% du “taux laïc”), qu’ils soient du personnel laïc ou religieux; le gouvernement prend à sa charge les frais médicaux et pharmaceutiques; rembourse 80% des frais de logement du personnel laïc; assure le retour en Belgique (annuellement ou tous les deux ans, suivant le cas); et assure les bourses d’études et les frais de voyage des élèves comme pour l’enseignement officiel. Il existe de plus des conventions particulières, telle que celle entre le gouvernement et le Collège du Saint-Esprit à Usumbura, qui prévoit que le gouvernement rembourse la différence entre le coût de la pension et les livres scolaires (15.400 francs par an et par élève) d’une part, et la participation (encore très minime) des parents autochtones, d’autre part.

260.En ce qui concerne les écoles à programmes africains dans les écoles officielles, tous les frais sont à la charge du gouvernement. Dans les écoles officielles congréganistes (c’est-à-dire des écoles officielles qui, comme le groupe scolaire d’Astrida, sont dirigées par un ordre religieux) les frais sont, à la charge de l’Etat, mais les professeurs religieux agréés sont payés à raison d’un forfait de 75.000 francs par an, indexé suivant une convention particulière.

261.Enfin, pour les écoles libres subsidiées des missions chrétiennes ayant souscrit à la convention scolaire, la participation de l’Etat aux frais de construction et d’équipement est la même que pour les écoles à programme métropolitain (80 ou 70 pour 100); les frais de fonctionnement de ces écoles se font sur les principes suivants : a) l’enseignement primaire est totalement gratuit; dans l’enseignement secondaire une contribution peut être demandée aux élèves, qui sont généralement des internes; les frais de pension sont remboursés par le gouvernement à raison de 80 pour 100 de la différence entre les frais normaux et la contribution des parents; b) les traitements du personnel enseignant sont entièrement subsidiés par le gouvernement au taux religieux; celui du personnel possédant des diplômes africains est subsidié de 80 à 100 pour 100 suivant le cas; c) le Gouvernement accorde des forfaits pour les livres et les fournitures classiques. En dehors de la convention, il y a un gentlemen’s agreement en vertu duquel les missions, tant protestantes que catholiques, ne créent pas annuellement plus d’écoles que l’Etat ne peut en supporter budgétairement.

262.Il faut se souvenir que récemment encore (1954) l’enseignement primaire et secondaire pour autochtones était pour ainsi dire un monopole de fait des missions religieuses, puisque les seules écoles officielles (celles du groupe scolaire d’Astrida), étaient dirigées par une congrégation religieuse. Le Conseil de tutelle avait à plusieurs reprises recommandé une plus large participation directe de l’Administration à l’enseignement et au développement des écoles laïques. Le développement d’écoles officielles et laïques au cours des dernières années s’est tout d’abord heurté à certaines difficultés. Certains groupes d’autochtones s’y opposèrent et allèrent jusqu’à envoyer une pétition au Parlement belge; d’autres, au contraire, y furent très favorables. Les avis sur la spontanéité de ces manifestations sont variables, et certains estiment qu’il faut y voir une regrettable extension au Ruanda-Urundi des controverses de politique scolaire de Belgique. Il semblerait qu’actuellement tout le monde reconnaisse qu’il y a de la place pour l’enseignement officiel laïc comme pour l’enseignement libre subsidié des missions religieuses, et que le problème des frais relativement moins élevés de l’enseignement missionnaire ne soit pas le seul argument à considérer. La Mission n’a été saisie de ce problème que dans la mesure où quelques communications ont soutenu que la position privilégiée des missions catholiques dans l’enseignement résultait en une pression religieuse unilatérale et inéquitable.

  1. Une convention passée entre le Ministre des colonies et le Haut Clergé prévoit qu’au Congo belge la répartition des crédits destinés à l’enseignement s’effectue comme suit : 45 pour 100 à l’enseignement missionnaire catholique; 10 pour 100 à l’Enseignement protestant; 45 pour 100 à l’enseignement officiel laïc. Un projet de vœu déposé à la dernière session du Conseil général insiste pour que cette convention soit appliquée au Ruanda-Urundi. Cette question, ainsi qu’un vœu tendantà créer plus d’écoles officielles laïques, a été renvoyée à la nouvelle commission de l’enseignement créée par le Conseil général.

264.Un membre européen du Conseil général a fait appel à l’entente dans les termes suivants : “Qu’’en cesse tout sectarisme : que les missionnaires et le clergé ne pensent pas toujours qu’une école laïque est dirigée contre le christianisme, que l’on ne sente pas par ailleurs en certains endroits une action officielle qui se départit étrangement d’une neutralité dont elle fait profession”.

265.La Mission estime que l’introduction de l’éducation officielle laïque (dans des proportions bien modestes d’ailleurs, puisqu’elle ne touche actuellement qu’environ 1 pour 100 des élèves africains de l’enseignement primaire, et 18 pour 100 dans l’enseignement post primaire), l’organisation de l’enseignement au Ruanda-Urundi. Elle est convaincue que les besoins de l’instruction sont tellement grands dans le Territoire qu’il y a toute la place voulue pour que les écoles officielles et les écoles libres puissent fonctionner côte à côte sans se gêner et sans entrer dans la voie de la compétition malsaine.

266.En 1956, les effectifs de l’enseignement primaire et secondaire se présentaient comme suit pour les enfants africains :

 

  Ecoles de

L’Etat

Ecoles libres

subsidiées

Total  
I.             ENSEIGNEMENT PRIMAIRE        
1.École à programme européen  G

F

2.Ecole à programme africain     G

F

28

2

2.337

153

46

2

172.283

61.342

 74

4

174.620

61.595

 
SOUS TOTAL 2.520 233.675 236.293  
II.           ENSEIGNEMENT POSTPRIMAIRE        
a)Enseignement secondaire général

1. école à programme européen    G

F

2. école à programme africain       G

F

Sous total

 

35

271

306

 

159

7

166

 

194

7

271

472

 
b)Enseignement pédagogique        G

F

Sous total

96

1

97

1.338

568

1.906

1.4434

569

2.003

 
c)Enseignement spécialisé        
(technique, ménager, agricole,

Médical)                                        G

F

 

Sous total

 

392

 

392

 

816

653

 

1.469

 

1.208

653

 

1.861

 

 
Total enseignement postprimaire

 

795 3.541 4.336

 

 
TOTAL GENERAL 3.315 237.214 240.529

 

 

 

267.Au sujet de l’enseignement primaire, dont le cycle normal est de six ans, la Mission note que malgré une légère augmentation du nombre d’enfants inscrits dans les écoles (environ 10.000 de plus en 1956 qu’en 1955), le chiffre de la population scolarisable dépasse encore très largement celui des effectifs scolaires. Suivant les évaluations de l’UNESCO, il y aurait au Ruanda-Urundi environ 600.000 enfants de sept à douze ans. Cela signifie qu’un peu plus du tiers seulement bénéficie actuellement de l’instruction primaire (soit un peu plus de la moitié des garçons, et environ un cinquième des filles) et près de 400.000 enfants ne fréquentent pas l’école. La situation est aggravée du fait que sur les 236.193 enfants autochtones de l’enseignement primaire, 110.852, ou près de la moitié sont en première année et seulement 1.788 en sixième année. Il y a une déperdition considérable au cours des six années d’études primaires. La Mission ne peut donc que partager l’avis de l’UNESCO que le problème de la généralisation de l’enseignement primaire constitue encore une tâche immense, et que les chiffres mettent en évidence l’effort accru qui est nécessaire pour y faire face. Le problème est particulièrement aigu pour l’éducation des filles.

268.L’enseignement secondaire est encore manifestement très insuffisant, mais l’Administration considère que le développement des deux dernières années a été spectaculaire. Alors qu’il y a quelques années seul le groupe scolaire officiel congréganiste d’Astrida dispensait un enseignement du niveau secondaire – et encore s’agissait-il d’un programme africain nettement inférieur à celui de la Belgique – actuellement plusieurs nouveaux établissements ont complété le dispositif. A Usumbura, l’Athénée royal (officiel laïc pour garçons et filles; il y avait lors du passage de la Mission 157 élèves inscrits, dont 126 garçons et 31 filles se décomposant en soixante-douze Européens, soixante-quatorze Africains, neuf Asiens et deux mulâtres); le Collège du Saint-Esprit (catholique, pour garçons; comptant en 1957 environ 250 africains internes et une quarantaine d’Européens et Asiens externes); et le Lycée Stella Matutina (catholique pour filles). A l’intérieur du pays, les établissements de Nyanza (Ruanda) et Kibeta (Urundi) assurent une formation de niveau secondaire pour garçons; et il faut également mentionner le Collège du Christ-Roi à Nyakibanda (catholique, pour garçons) et l’école de Birambo (catholique,

pour filles).

269.Tous ces établissements dispensent l’enseignement suivant les programmes en vigueur en Belgique, et ils sont interraciaux. Les seuls critères qui déterminent l’admission sont d’ordre scolaire : les candidats sont admis suivant leurs possibilités intellectuelles et le degré de leurs connaissances.

270.La Mission a visité le Collège du Saint-Esprit à Usumbura dont la construction, qui est en voie d’achèvement, coûtera environ 148 millions de francs. Les bâtiments sont impressionnants, et se comparent favorablement aux plus beaux bâtiments scolaires d’Europe. Certaines critiques ont été faites au sujet de l’importance, du luxe et, par conséquent, du coût de ce bâtiment. La Mission a aussi visité l’Athénée d’Usumbura qui fonctionne encore dans des bâtiments provisoires. La construction d’un bâtiment définitif est décidée; le coût en est évalué à 110 millions de francs, mais il est question de réduire les crédits consacrés à cette école. La Mission espère cependant que des mesures d’économie ne compromettront pas le succès de cet établissement de caractère à la fois interracial et mixte, dont le besoin à Usumbura est évident et qui mérite tous les encouragements.

271.La Mission, tout en admettant que la situation de l’enseignement secondaire est très loin de répondre encore aux besoins du pays, se plaît à reconnaître qu’au cours de ces dernières années un progrès considérable a été fait, et que tant l’Administration que les congrégations religieuses ont à leur actif des réalisations impressionnantes. Le nombre d’élèves actuellement dans les écoles ne donne pas une idée équitable de l’effort fait dans le domaine de l’enseignement secondaire. Quand les écoles déjà créées seront achevées et fonctionneront à pleine capacité, le problème de l’enseignement secondaire au Ruanda-Urundi aura fait un pas décisif en avant; l’effort devra cependant être sérieusement soutenu, malgré toutes les difficultés financières, pour satisfaire les besoins de la population du Territoire, besoins dont elle commence à prendre conscience.

272.La Mission désire également exprimer sa satisfaction de constater que les besoins d’un enseignement secondaire pour filles ont été reconnus, et qu’il y a maintenant trois écoles qui offrent un début de solution à ce problème urgent, dont les autochtones aussi commencent à être très conscients.

  1. La Mission désire attirer particulièrement l’attention du Conseil de tutelle sur la question de l’inter-racialité dans l’enseignement. Il existe encore des types différents d’écoles : écoles de régime européen, écoles pour Africains et écoles pour Asiens. L’Autorité administrante précise que ces distinctions ont pour origine non une discrimination raciale, mais une nécessité matérielle résultant des différences profondes de mœurs, d’éducation et surtout de langues qui rendent impossible un enseignement commun. Mais l’Autorité administrante a ajouté qu’elle entend s’acheminer progressivement vers une conception totalement exempte de discrimination raciale et vers un enseignement interracial.

274.L’enseignement secondaire, de type européen, est maintenant entièrement interracial. Au Collège du Saint-Esprit, il y a une majorité d’élèves africains et une minorité européenne, et asiatique ; à l’Athénée la répartition est à peu près égale. Cette intégration ne pose aucun problème ni chez les élèves, ni parmi le corps enseignant, ni chez les parents, dont la plupart en sont même très fiers. L’enseignement donné dans ces écoles est à tous égards du niveau de celui donné en Belgique.

275.De plus, il y a maintenant quelques écoles primaires officielles ou libres subsidiées  où le principe d’inter-racialité est appliqué, et où des enfants de toutes les races étudient et jouent ensemble. L’admission à ces écoles inter-raciales est décidée par une commission qui statue sur la chance que les enfants ont de suivre les cours avec profit. Elle s’appuie sur le critère du milieu social; elle demande un minimum de standing, en fait de vêtements, de propreté corporelle, et d’habitation, et une enquête est généralement faite par une assistante sociale.

276.La Mission a été très favorablement impressionnée par l’inter-racialité des écoles secondaires. Elle est heureuse de voir le principe de l’inter-racialité admis et appliqué dans le Territoire — même si ce n’est encore que sur une échelle infime dans les écoles primaires. Elle désire féliciter très vivement l’Autorité administrante pour sa décision de principe d’introduire progressivement l’inter-racialité dans l’enseignement à tous les degrés; elle est heureuse de constater à quel point l’attitude do la population européenne dans son ensemble est positive, constructive et coopérative à cet égard.

277.La Mission ne doute pas que la réalisation du programme d’inter-racialité se poursuive rapidement et sans heurts, et elle recommande à l’Autorité administrante de continuer à prendre toutes les mesures pour le favoriser.

278.La Mission a été saisie d’une requête des Dames Bernardines qui dirigent à Kigali un complexe d’écoles pour filles, dont une école primaire, une école normale et une école ménagère. Cet ordre religieux a ouvert en septembre 1956 une école primaire interraciale à programme européen, dont elle a assumé tous les frais de construction. A la fin de l’année scolaire 1956-1957, elle comptait quatre-vingt quatorze élèves, dont quatre-vingt sixEuropéens et sept autochtones, et au début de l’année scolaire 1957-1958, quatre-vingt une élèves, dont soixante-six Furopéens et quinze autochtones. Les Dames Bernardines ont demandé au Gouvernement du Ruanda-Urundi d’agréer leur établissement et par conséquent d’en subventionner les frais de fonctionnement. Mais l’Administration n’a pu donner suite à cette requête parce qu’il y avait déjà une école primaire officielle interraciale à Kigali, et que cette localité ne justifiait pas encore la coexistence de deux écoles primaires de ce type. Il est en effet un principe de politique générale que le gouvernement ne crée pas d’école officielle ou n’agrée pas d’école missionnaire dans les localités déjà desservies par une école primaire d’un de ces deux régimes jusqu’au moment où l’importance de la localité justifie l’existence de deux établissements.

279.Eu égard aux limitations budgétaires trop bien connues, la Mission croit que ce principe est sage, mais elle recommande à l’Administration de l’interpréter de manière particulièrement large lorsqu’il s’agit d’écoles interraciales où toute initiative mérite des encouragements.

280.La Mission s’est également intéressée à la question des langues dans l’enseignement dans les écoles primaires de régime africain. L’enseignement s’y donne normalement en kinyaruanda (Ruanda), en (Urundi) ou en kiswali (centres urbains), mais l’enseignement du français commence très tôt. Dans les écoles des grands centres, on commence cet enseignement depuis les classes gardiennes. Dans l’intérieur du pays la situation diffère suivant la connaissance du français qu’ont les moniteurs et monitrices qui ont la charge des classes. On y commence souvent le français en première année primaire, et dans la situation là plus défavorable en troisième année. La Mission approuve leprincipe de commencer l’étude du français aussi tôt que possible et a constaté avec plaisir qu’un très grand nombre d’enfants et d’adultes au Ruanda-Urundi connaissent au moins les rudiments du français.

281.Dans l’enseignement de type européen, l’enseignement se donne en français. Au niveau secondaire, à partir de la quatrième année le flamand fait partie du programme d’études. Cette dernière obligation n’a pas manqué de provoquer de sérieuses réclamations de la part des autochtones, comme en témoigne la “Mise au point”.

282.La Mission hésite à émettre des considérations sur un sujet aussi délicat qui touche à un problème spécifiquement belge. Néanmoins, comme il s’agit ici de l’instruction au Ruanda-Urundi, la Mission croit qu’il faut tenir compte, avant tout, des nécessités locales et de l’intérêt de la population du Territoire sous tutelle.

  1. En ce qui concerne l’enseignement supérieur universitaire, il n’y a aucun établissement de cette catégorie au Ruanda-Urundi. En 1955-1956, avait fonctionné à Astrida un Institut préuniversitaire (desservant le Ruanda-Urundi et le Congo belge) destiné à servir de chaînon entre l’enseignement secondaire, souvent encore qualitativement insuffisant, et l’enseignement universitaire. Comme il fut décidé en 1956 d’établir l’université officielle du Congo belge et du Ruanda-Urundi à Elisabethville (Congo belge) plutôt qu’à Astrida, cet institut préuniversitaire a été transféré à Elisabethville. La plupart des étudiants de cet Institut étaient d’ailleurs des Congolais, et non des ressortissants du Ruanda-Urundi. D’autre part, la nécessité de cette institution va bientôt disparaître; en effet, au fur et à mesure, que sortiront les élèves des nouvelles écoles secondaires – à programme en tous points semblables à celui des écoles métropolitaines – ce chaînon de transition entre l’enseignement secondaire et l’enseignement universitaire ne sera plus nécessaire.
  2. Les deux universib5s du Congo belge : Université Lovanium à Kimwenza – Léopoldville (émanation de l’Université catholique de Louvain en Belgique) et Université officielle d’Elisabethville et leurs instituts préuniversitaires – sont ouverts aux étudiants qualifiés du Ruanda-Urundi. Ces deux universités ont des programmes semblables à ceux des universités belges et décernent les mêmes diplômes que les diplômes officiels belges. Ces universités sont interraciales. En 1956-1957, vingt étudiants du Ruanda-Urundi étaient inscrits à Lovanium et une dizaine à Elisabethville. La Mission a eu l’occasion de visiter l’Université Lovanium, dont les bâtiments sont en voie d’achèvement. C’est une réalisation remarquable, et lorsque les constructions seront achevées, ce centre universitaire ne le cèdera à aucun autre. Pour l’année 1957-1958, il y avait 240 étudiants inscrits, dont soixante-cinq Européen. Parmi les Africains, trente six étaient originaires du Ruanda-Urundi.

285.Soixante-dix étudiants du Ruanda-Urundi font des études en Belgique, dont une vingtaine dans l’enseignement supérieur et les autres dans l’enseignement secondaire.

286.La décision prise en 1956 d’établir l’université officielle du Congo belge et du Ruanda-Urundi à Elisabethville (Congo belge) plutôt qu’à Astrida (Ruanda-Urundi) a été une grosse déception pour beaucoup de ressortissants du Territoire sous tutelle. La “Mise au point” du Conseil supérieur du Ruanda s’en plaint amèrement : “De nouveau il y a eu promesse non tenue : l’université, qui depuis 1952 aurait dû être érigée à Astrida, l’a été à Elisabethville…; le problème de la création d’une université au Ruanda est celui qui nous tient le plus à cœur, car il répond aux aspirations de tout le pays qui consentira aux plus lourds sacrifices pour l’obtenir”. Néanmoins, il a été d6cidé d’établir en 1958 à Astrida un Institut agronomique et zootechnique qui dépendra de l’université officielle d’Elisabethville.

287.Etant donné que le nombre d’étudiants du Ruanda-Urundi qui achèvent des études secondaires complètes les qualifiant pour des études universitaires (ou préuniversitaires) est encore très limité et ne pourra augmenter que très lentement vu la situation budgétaire du Ruanda-Urundi; étant donné enfin qu’il y a maintenant deux universités au Congo belge qui sont d’un niveau très élevé et qui sont ouvertes aux étudiants du Ruanda-Urundi, dans des conditions favorables, la Mission reconnait que l’Administration n’est pas en mesure de créer une université au Ruanda-Urundi dans un avenir immédiat. Il est certain néanmoins que la question se posera à plus ou moins longue échéance. Le centre d’agronomie et de zootechnie qui se construit actuellement à Astrida pourrait devenir par la suite le noyau de cette université.

288.Peu d’étudiants du Ruanda-Urundi étudient ailleurs qu’au Congo belge et en Belgique. Le rapport annuel de 1956 signalait quatre étudiants à l’Institut universitaire du Vatican à Rome et deux étudiants à l’Université El Azhar au Caire. Il y en a aussi un qui fait des études à Oxford, et qui a fait un court séjour à Harvard.

289.La “Mise au point” se plaint de ce que le Gouverneur général du Congo belge ait “interdit au Conseil supérieur du Ruanda d’accorder des bourses à l’étranger pour des éléments désireux de faire des études universitaires ailleurs qu’au Congo” et demande que cette interdiction soit levée. L’interdiction pour les Caisses de pays d’envoyer des boursiers dans des universités étrangères est mentionnée avec désapprobation dans diverses autres communications. L’Administration a déclaré à la Mission au cours de ses discussions avec elle qu’étant donné la limitation des budgets, elle préférait ne pas tenter des aventures avec des étudiants envoyés à grands frais à l’extérieur alors qu’ils pouvaient étudier sur place. Elle ne favorise les études en Belgique que quand il s’agit d’un enseignement qui ne peut être assuré sur place, ou quand les étudiants en question ne peuvent entrer ni à l’Université de Lovanium ni à celle d’Elisabethville au Congo belge. L’Administration envisagerait aussi favorablement que des élèves ayant terminé Lovanium ou Elisabethville entreprennent à l’étranger des études de perfectionnement. Au sujet de la caution exigée pour ceux qui sortent du Ruanda-Urundi, la Mission a été informée qu’elle est exigée de tous et s’applique donc également aux étudiants. Cette caution dont le maximum est de 50.000 francs est destinée à couvrir les frais de retour, les frais médicaux, etc. Le Gouverneur peut en réduire le montant à son gré. De plus cette caution peut être remplacée par une garantie donnée par une institution, par exemple, celle qui prend la responsabilité de l’envoi de l’étudiant à l’étranger. 250. Un problème essentiel à résoudre pour assurer le développement de l’enseignement au Ruanda-Urundi, surtout l’enseignement primaire, est celui de la formation du personnel enseignant. Cette formation est assurée dans les écoles d’apprentissage pédagogique (destinées à être remplacées par des écoles de r.rniteur1), les écoles de moniteurs et monitrices, et les écoles normales. Cet enseignement devra être considérablement étendu pour faire face aux besoins du Territoire sous tutelle.

291.Dans le domaine de l’enseignement professionnel, il reste aussi beaucoup à faire, étant donné que ce n’est qu’en 1949, lors de l’élaboration du plan décennal que la création et le développement de cet enseignement a fait l’objet d’une réelle préoccupation de la part du gouvernement. Il y a actuellement deux écoles professionnelles importantes et modernes sous le régime officiel congréganiste : l’une à Usumbura, l’autre à Kigali (les bâtiments de la seconde sont en voie de construction). Ces écoles forment environ 650 élèves dans des sections menuiserie, mécanique, maçonnerie et tailleurs. Une section électricité est prévue pour 1958. De plus l’école de Kigali comprendra bientôt une section “mines et travaux”, qui permettra aux Africains de devenir des chefs porions capables de diriger seuls l’exploitation de petits gisements. Il y a de plus quatorze écoles artisanales qui ont été ouvertes par les missions de l’intérieur du pays, et qui groupent environ 500 élèves.

292.Pour conclure ce chapitre consacré à l’enseignement, .la Mission tout en rendant hommage à l’effort considérable qui a été fait au cours des dernières années, se doit cependant d’insister sur l’immensité de l’oeuvre qui reste à accomplir. En 1956, sur environ 600.000 enfants de sept à douze ans, 110.000, c’est-à-dire 18 pour 100 étaient en première année scolaire; 126.000, c’est-à-dire 21 pour 100 étaient répartis dans toutes les années suivantes (deuxième à sixième) et 60 pour 100 environ ne fréquentaient pas l’école du tout. En supposant que la population de treize à dix neuf ans soit aux environs de :i50.000, 4.300 seulement, c’est-à-dire moins de 1 pour 100 fréquentaient une école postprimaire. La population autochtone a pris conscience de cette insuffisance. La Mission connaît et partage les soucis financiers de l’Administration. Celle-ci se rend compte des difficultés qu’elle aurait à augmenter encore les dépenses de son budget consacrées à l’enseignement. Elle a, en effet, le devoir d’équilibrer ses différentes dépenses afin d’assurer une vie harmonieuse au pays, dont elle ne peut négliger les autres besoins. Il y a donc financièrement une période très critique à passer qui ne prendra fin, à moins de trouver des ressources extraordinaires ou extérieures, que lorsque la richesse du pays se sera développée. Maintenir ce qui existe est un impératif catégorique pour l’Administration du Territoire. Elle en est consciente, mais elle sait aussi, et la Mission partage ce point de vue, que livrée à ses propres moyens, il lui est difficile de faire davantage.

  1. La Mission se demande si l’Autorité administrante ne pourrait pas étudier la possibilité de constituer un Fonds spécial de l’enseignement du Ruanda-Urundi qui servirait à financer certains aspects des programmes d’enseignement du Territoire. Ce fonds suppléerait les ressources disponibles actuellement; tant au point de vue des dépenses d’investissement que des dépenses de fonctionnement.

294.Diverses possibilités pourraient être envisagées simultanément pour alimenter ce fonds :

  1. a) Faire un nouvel appel à la générosité du budget de la Belgique pour un don ou une avance sans intérêt, en plus des dons ou avances déjà faits;
  2. b) Faire un appel semblable au budget du Congo belge. Le Ruanda-Urundi est ni administrativement et douanièment à ce territoire, et a retiré certains avantages de cette union, mais d’autre part, il semble que le Congo belge, territoire mieux partagé par la nature en richesses naturelles que le Ruanda-Urundi, a aussi bénéficié de cette union administrative à certains égards!!;
  3. c) Rechercher des moyens pour permettre à la population du Ruanda-Urundi de contribuer de manière spécifique à ce Fonds

295.Si ce Fonds spécial de l’enseignement était ainsi créé, la Mission espère qu’il donnerait priorité à l’aide à l’enseignement secondaire et à la formation des martres