213.La population du Ruanda-Urundi se répartissait comme suit au 31 décembre 195 et au 31 décembre 1946 :

1956                         1946

Européens                                              6.486                         1.897

Asiatiques                                               2.492                         1.986

Métis                                                           967                            205

Africains non soumis au régime

Des chefferies                                          68.996                         52.562

Autochtones soumis au régime

Des chefferies                                         4.415.536                  3.596.997

Total                                                         4.494.536                  3.653.647

214.Le problème social par excellence du Ruanda-Urundi est la pression démographique. En 1954, l’excès des naissances sur les décès avait été de moins de 100.000 unités; en 1955, il fut de 110.000; en 1956 de 119.000. Le taux d’accroissement en 1956 a donc été de 2,6 pour 100, ce qui signifie une possibilité de doubler la population en une trentaine d’années.

215.Ce phénomène est dû à une forte natalité qui n’est plus contrebalancée par les famines périodiques et la forte mortalité de jadis. Ce rapport a déjà fait allusion plus haut au manque de terres, à la pauvreté générale des sols et des ressources du pays, et à l’absence d’industrialisation. Il est donc facile de comprendre comment l’évolution démographique du Territoire sous tutelle pourrait devenir une menace des plus graves pour l’avenir. En effet, chaque progrès péniblement accompli dans le domaine de la production vivrière, de l’overstocking, de la productivité, et de l’augmentation des niveaux de vie, risque d’être annulé par les conséquences de cette inflation de la population. Dans ces conditions, la tâche du gouvernement devient une véritable course contre la montre. L’objectif de l’Administration, déjà défini plus haut, est de résoudre le problème technique de faire vivre un plus grand nombre de personnes sur les terres cultivables disponibles en augmentant au maximum des disponibilités. Son deuxième objectif est de rendre la population consciente du problème que pose son accroissement, et de la nécessité de travailler davantage pour augmenter ses ressources vivrières et sa production industrielle.

  1. L’Autorité administrante a, dans le passé, fait preuve d’un grand optimisme et le plan décennal déclarait que

« cette population anormalement dense au coeur du continent noir, pourrait devenir l’un des facteurs essentiels du développement du Ruanda-Urundi, en raison du potentiel de productivité et de consommation qu’elle représente; à l’instar de la Belgique, petit territoire densément peuplé et incapable de nourrir sa population, le Ruanda-Urundi, situé au centre de l’Afrique, se spécialiserait dans l’importation et la transformation des matières premières des vastes territoires voisins où la main-d’oeuvre manque; il pourrait édifier sa richesse sur le travail de sa population, incorporé dans les produits manufacturés qu’il exporterait; ces exportations lui procureraient les ressources nécessaires pour acquérir au dehors l’indispensable complément de vivres ainsi que les biens nécessaires à son essor et à son bien-être”.

 La mission rappelle que depuis que ces lignes ont été écrites (vers 1950), la population autochtone a passé de 3.208.191 (fin 19)9) à 4.415.595 (fin 1956) en augmentation de 607.404, ,c’est-à-dire près de 16 pour 100, alors que les progrès dans la voie de l’industrialisation étaient bien minimes, et que l’importation des matières premières transformables des territoires voisins, ainsi que la création d’une classe d’ouvriers hautement spécialisés semblent encore loin de devenir des réalités. La mission préférerait donc être en mesure de baser sa confiance dans l’avenir du Territoire sous tutelle sur un accroissement moins dynamique de population. Elle souhaite à cet égard que se justifie l’espoir de l’Administration que le problème fondamental sera attaqué indirectement. L’Autorité administrante a rappelé en effet à la mission qu’il est normal, qu’à partir du moment où le niveau économique s’élève, la courbe des naissances redescende doucement. Une augmentation du pouvoir d’achat permet déjà des dépenses qu’exige un niveau de vie plus élevé (par exemple, le fait d’avoir des enfants à l’école entraine des frais de vêtements, d’internat, etc. qui constituent une charge); le résultat est que dans une classe de plus en plus nombreuse de la société l’axiome ancien qui voulait qu’une famille nombreuse était- toujours une bénédiction, commence progressivement à s’estomper. La mission espère que cette tendance régulatrice apparaitra suffisamment tôt de manière à ce que le niveau de vie des autochtones puisse continuer à s’élever. Entretemps, elle espère que l’Autorité fera de son mieux pour que la population prenne conscience de la gravité de la situation démographique, ce qui -comme l’a déjà fait remarquer la mission de 1954 – ne semble guère être le cas.

217.L’émigration a conservé la même allure au cours des dernières années: un petit nombre d’hommes recrutés pour travailler au Congo belge (1.435 en 1956) ou dans les territoires britanniques de l’Uganda et du Tanganyika (2.461); un petit nombre d’hommes partant spontanément travailler au Congo belge (1.689) et un relativement grand nombre partant spontanément et de manière saisonnière vers les territoires britanniques (40.631); enfin un certain nombre de familles (1.700) émigrant vers le Kivu (Congo belge) à proximité du Territoire sous tutelle pour s’y fixer définitivement. L’émigration saisonnière vers les territoires britanniques fait l’objet d’une enquête de l’Institut pour la recherche scientifique en Afrique Centrale (IRSAC). Il y a d’ailleurs un nombre assez élevé de Banyaruanda et de Barundi dans les territoires britanniques de l’Est africain, et un haut fonctionnaire du Ruanda-Urundi vient d’être nommé à un poste spécialement créé pour cette raison au Consulat général de Belgique à Nairobi (Kenya). Il jouera un rôle d’agent de liaison entre le Gouvernement du Ruanda-Urundi et les Bami d’une part, et les ressortissants du Ruanda-Urundi habitant l’Uganda et le Tanganyika de l’autre. Il y a lieu de signaler aussi que les Bami ont récemment rendu visite à leurs ressortissants dans ces deux territoires.

218.En ce qui concerne les conditions de vie dans le Territoire sous tutelle, il a souvent été remarqué que le Ruanda-Urundi est un pays sans villages, et la dispersion typique des cases sur les collines est considérée à juste titre par l’Administration comme un sérieux obstacle au progrès non seulement matériel, mais aussi au développement d’une vie sociale quelque peu intense. L’Administration a encouragé des tendances au regroupement en alignements résidentiels, et à certains endroits le mouvement s’est d’ailleurs manifesté spontanément. Les habitants commencent, sans pour cela déplacer leurs cultures, à venir établir leurs demeures en bordure des pistes, comme dans les paysannats, et cette question a fait l’objet d’études et de directives administratives.

219.D’autre part, la Mission a constaté avec grand intérêt que dans certaines régions, les autochtones commencent spontanément à se construire des maisons coquettes en matériaux durables (pierres, briques, tuiles). Il existait en fin 1956 11.370 maisons en matériaux durables dont 5.233 dans les campagnes; un certain nombre (1.050) de ces dernières ont été construites avec l’aide d’un fonds d’avances, mais la majorité (4.183) l’a été sans aide de ce fonds. Il est aussi intéressant de noter que 3.767 maisons sur ces 5.233 n’appartiennent ni à des chefs, ni à des sous-chefs, ni à des notables.

220.En fait de logement dans les milieux non coutumiers, la Mission a visité les travaux de l’Office des cités africaines à Usumbura, notamment dans la communauté de Ngagara. L’opinion publique ainsi que le Conseil général ont fait certaines critiques aux programmes et aux méthodes de l’OCA. Il a été dit notamment qu’une partie des constructions nécessitait déjà d’importantes réparations et qu’une autre partie menaçait ruine; que l’OCA refusait d’accepter les avis des autorités locales, ou de se soumettre à leur contrôle, et que les comptes de cet organisme n’avaient subi aucune vérification dans le Territoire. Aussi le Conseil général a exprimé le voeu qu’une enquête approfondie soit faite et que le statut de l’OCA soit modifié. La Mission partage néanmoins l’avis de l’Administration que d’ici quelques années Ngagara apportera une solution satisfaisante à une partie importante des problèmes de la ville d’Usumbura. Elle espère aussi qu’avec la plantation des arbres, qui sont déjà en pépinière, ces quartiers des centres extra-coutumiers d’Usumbura prendront enfin l’aspect de cités-jardins.

221.La Mission a été très favorablement impressionnée par les réalisations du Fonds du bien-être indigène en matière d’approvisionnement en eau potable des collectivités autochtones. Cette question revêt une grande importance au Ruanda-Urundi, non seulement parce que l’état sanitaire de la population en dépend, mais encore en raison de la pénurie dont souffrent en permanence les régions surpeuplées et particulièrement fertiles du Nord-Ouest,et aussi en saison sèche, les parties Est et Sud du pays. Un programme estimé à 630 millions de francs a été établi fin 1956 par la mission hydrologique, et 26-3 millions avaient déjà été dépenses; 48 millions seront dépensés en 1957 et 45 millions en 1958.

222.Dans les régions où la nappe aquifère le permet, des sources ont été captées ou des puits creusés. Dans les régions du Bugoye et de Mulera (près de Kisenyi), le captage des ruisseaux en haute altitude, l’épuration des eaux et leur acheminement vers les plaines de lave par de longues adductions accrochées aux flancs abrupts des montagnes (59 kilomètres réalisés sur 152 kilomètres prévus) représentent une réussite technique de premier plan que la Mission a eu l’occasion d’observer. Le service hydrologique a établi des points de prélèvement (fontaines, lavoirs, douches et abreuvoirs à bétail) judicieusement répartis. La population apprécie grandement ces réalisations dans cette région où à certains points la seule ressource en eau était auparavant le lac Kivu, distant de 15 kilomètres.

223.Dans le domaine de la santé publique, la Mission a pu constater que les éloges décernés au service médical par les missions précédentes étaient pleinement mérités, tant dans le domaine de la médecine curative que dans celui de la médecine préventive et sociale. Il en est de même dans le domaine de la formation du personnel médical auxiliaire autochtone. Outre de nombreux hôpitaux, dispensaires, et sanatoria, la Mission a visité le nouveau laboratoire d’Astrida, où sont produits des vaccins sur une grande échelle, et où diverses recherches scientifiques sont en cours, tant dans le domaine médical que vétérinaire.

224.Deux réalisations récentes méritent une mention spéciale. En premier lieu, dans le domaine de la lutte antituberculeuse, suite aux résultats scientifiques obtenus par la CEMUBAC (Centre médical de l’Université de Bruxelles au Congo belge) dans le dépistage et la prévention de la maladie, le service médical a préparé en 1957, en liaison avec cet organisme, une campagne de vaccination massive par le BCG, susceptible de toucher près de deux millions de personnes (150.000 avaient déjà été vaccinées lors du passage de la Mission). En second lieu, la lutte contre la malaria a été marquée par la généralisation de la désinsectisation au DDT de toutes les habitations et leurs annexes, situées au-dessous de 2.000 mètres d’altitude. Depuis le 1erjuillet 1956, un million d’habitations avaient été traitées, à raison de deux fois par an, et le nombre de cas de malaria avait enregistré une diminution sensible.

225.Les dépenses des services médicaux représentaient 16% du budget ordinaire pour 1956.

226.La Mission n’a malheureusement pas eu l’occasion de consacrer beaucoup de temps aux questions relatives au travail et à la sécurité sociale. Le décret du 6 juin 1956 sur la pension des travailleurs est entré en vigueur au Ruanda-Urundi le 1erjanvier 1957; jusqu’à présent, les travailleurs y sont, parait-il, restés assez indifférents, étant donné que les prélèvements de leurs cotisations ont été souvent couverts par des augmentations de salaire équivalentes, et qu’ils ne comprennent pas encore très bien l’intérêt du système. Les premiers mois de fonctionnement du régime des pensions ont soulevé à nouveau la question du champ d’application exact de cette législation; il a été proposé d’élargir la définition des ouvriers non réguliers qui ne participent pas au régime des pensions (les ouvriers travaillant quatorze jours par mois sont considérés être des ouvriers réguliers) de manière à éviter d’inclure de trop nombreux ouvriers temporaires qui ne toucheraient de toute façon qu’une pension dérisoire, en disproportion avec toutes les formalités imposées par la législation aux employeurs et à l’Administration. En 1956, le Conseil de Vice-Gouvernement général avait d’ailleurs émis le vœu d’être consulté préalablement à la mise en vigueur du décret projeté sur les pensions, mais aucun compte ne fut tenu de ce vœu à Bruxelles.

227.L’application au Ruanda-Urundi de la législation congolaise sur les allocations familiales a de nouveau été remise à plus tard; de l’avis de l’Administration et de certains employeurs, cette législation n’est pas adaptée aux besoins du Territoire et imposerait à l’économie des accroissements de charges sociales trop lourdes et trop brusques. Certains membres du Conseil général ont, cependant, été d’avis que rien n’empêchait d’accorder ces allocations immédiatement aux travailleurs des centres extra-coutumiers (Usumbura, Rumonge, Nyanza et Kitega), des cités indigènes (Kigali, Astrida, Nyanza) et des cités de travailleurs. Le Conseil général a décidé, à sa session de juillet 1957 de remettre l’examen de cette question à sa session suivante, en attendant le résultat d’une étude approfondie du Service du travail.

228.L’Administration souligne qu’en considérant la situation des travailleurs au Ruanda-Urundi, il ne faut pas perdre de vue qu’à l’exception de ce qui concerne la région d’Usumbura et de la petite minorité de travailleurs qui vivent dans les camps miniers, le problème du travail au Ruanda-Urundi se pose de manière assez particulière; l’immense majorité des salariés au Ruanda-Urundi, qu’ils soient du service des chefferies, du gouvernement central, des missions, des colons miniers, ou des colons agricoles, restent avant tout des agriculteurs, qui sont sûrs de pouvoir, dès qu’ils le doivent ou le désirent, réintégrer le milieu rural; ils ne demandent le plus souvent à leur employeur qu’un complément partiel des ressources agricoles qui constituent l’essentiel des moyens de subsistance de leur cellule

Il y a donc au Ruanda-Urundi des travailleurs-paysans, plutôt que des travailleurs tout court, et il faut en tenir compte.

  1. L’administration a également signalé deux nouveaux décrets de janvier 1957 instaurant le droit d’association et la liberté syndicale pour les agents et travailleurs de l’Administration et du secteur privé; un décret de mars 1957 organisant la limitation de la durée du travail, le repos dominical et le repos des jours fériés, et une ordonnance législative mettant en vigueur des nouvelles méthodes de règlement des conflits de travail. En 1957, le Service du travail, qui était auparavant extrêmement réduit, a été accru de deux inspecteurs spécialement chargés d’aider les employeurs en matière de pensions des travailleurs.

230.Enfin, la Mission voudrait mentionner qu’elle a visité un certain nombre de foyers sociaux et d’ouvroirs qui assurent chaque année la formation d’une dizaine de milliers de jeunes femmes et de jeunes filles dans tous les domaines des arts ménagers.

231.Pour conclure ce chapitre, la Mission tient à rendre hommage aux oeuvres privées, et principalement aux missions religieuses qui jouent un si grand rôle dans les services sociaux et médicaux du Ruanda-Urundi.