Les obligations et les contrats.

L’obligation type résulte du contrat dit d’ubagaragu, par lequel un homme qui a fait sa cour (guhakwa) auprès d’un propriétaire de bétail obtient de celui-ci une ou plusieurs vaches prises dans ses inyarurembo (Le patron n’est pas vraiment lié par un engagement contractuel; il se contente plutôt d’accepter les services du client).

Elles sont appelées inkazibiti si l’umugaragu (client) est un Muhutu, ingabane si c’est un Mututsi. L’umugaragu n’a droit qu’à l’usufruit de ce bétail ainsi que du croît et seulement pour le temps qu’il plaira à son shebuja (patron) de les lui laisser.

D’autre part, quand un homme se lie par le contrat d’ubugaragu, les vaches qui étaient sa propriété personnelle (imbata) deviennent des inkazibiti.

Les principaux avantages que retire le client du contrat d’ubugaragu sont : la vente du lait, beurre, viande, peaux, l’assistance dans le cas où il deviendrait infirme et serait dans l’impossibilité de subvenir à ses besoins, l’honneur d’être nommé homme-lige d’un tel ou d’un tel, au lieu d’entendre ces appellations pleines de mépris : uriyamuntu = cet homme; uriya mugabo = ce bonhomme. C’est pourquoi l’on dit : kugira ugubatse ni ukugira izina (avoir un chef, c’est avoir un nom).

Chaque client est soumis vis-à-vis de son patron à diverses obligations et prestations dans l’accomplissement desquelles il peut se faire aider par ses fils et même éventuellement par ses abagaragu et leur famille.

  1. — Obligations du client.

1° Gufata igihe: prendre le temps), c’est-à-dire faire sa cour pendant un temps dont la durée est déterminée par le chef.

Le client doit accompagner son patron en voyage, par exemple quand il se rend à la cour du Mwami ou chez un grand chef. Pendant ces déplacements, il lui sert de cuisinier, assure les corvées d’eau et de bois, garde les injishywa. Le temps pendant lequel le client doit suivre ainsi son patron dépend du nombre de vaches qu’il détient ou désire encore acquérir et aussi du nombre de clients entre lesquels l’obligation peut se répartir.

Quand le maître est dans ses terres, l’umugaragu porte sa pipe, l’escorte quand il rentre la nuit, porte les vivres dans ses greniers.

2° Kubaka inkike (litt :construire une partie du rugo).

Les clients doivent construire ou réparer chacun une partie de l’enceinte entourant la hutte et les greniers du patron, en fournissant le matériel à cette fin.

Quant à la hutte, l’obligation de la bâtir repose sur tous les abagaragu indivisément.

Kurarira (garde de nuit ou veillée de causerie).

Les clients doivent à tour de rôle veiller sur le repos du patron et garder son rugo. Les sentinelles doivent apporter le bois nécessaire pour allumer le feu de garde.

Gutumwa (être envoyé).

Chaque client doit porter les messages de son maître à n’importe quelle distance et accompagner les serviteurs chargés de porter des cadeaux à un parent ou à un ami du patron. L’umugaragu peut même être messager et porteur à la fois quand il s’agit d’un présent destiné à une personne importante ou qui est particulièrement chère au coeur du shebuja.

5° L’umugaragu doit participer aux semailles du sorgho (ishaka : Le sorgho est une plante sacrée et les semis donnent lieu à une cérémonie propitiatoire.) pendant deuxjours.

6° Gutanga imibyizi, (cultiver les champs).

Les clients bahutu viennent travailler dans les champs du patron pendant un temps plus ou moins long, (qui n’est pas fixé, mais qui dépend à la fois du nombre d’abagaragu et de l’importance du bétail qui leur a été remis par le shebuja. La tâche de chacun n’est pas non plus déterminée exactement.

7° kumutabaraho (litt: accompagner à la guerre).

Il s’agit d’une obligation générale : suivre le maître au combat, couper son bois, etc.

8° Le client, désigné dans ce cas sous le nom de umwozi (laveur de pots), doit veiller à la qualité du lait conservé dans des pots, l’apporter à son patron (kugemera) et faire laver les pots par un serviteur appeléumuhondamonyi.

9° Les abagaragu, sauf ceux qui sont pauvres, ont outume d’honorer leur maître de cadeaux : pots de bière, par exemple. Le patron se contente généralementde goûterl’inzoga, puis il la distribue à ses abagaragu.

10°En cas de perte de bétail par le patron, le client doit lui offrir une vache inshumbushanyo.

11°De même, quand le shebuja est éprouvé par un deuil, il reçoit de son umugaragu une indorano.

  1. — Obligations du patron.

Si le client a volé une sache chez un autre proprietaire, le patron, pour éviter un chatiment à son umugaragu, intervient(kugura : racheter) et indemnise le lésé. S’il n’agissait pas de la sorte, il serait mal vu.

2° Si le client est fort pauvre, le patron lui donne un taurillon pour qu’il puisse manger de la viande et se vêtir avec la peau. Il lui fournit du lait.

3° Le patron doit assister son client dans ses palabres (kurengera).

4° Le patron doit aider le client, qui désire se marier, à payer la dot. Il lui donne une vache dans ce but. Si l’umugaragu est important, le shebuja l’autorise à choisir lui-même la vache inkwano. S’il n’a reçu qu’une vache du patron, celui-ci peut l’autoriser à la donner comme dot; les liens qui l’unissent à son patron en sont par là resserrés, car la femme sert de garantie à la bonne exécution du contrat d’ubugaragu.

En cas de faute grave de l’umugaragu, le shebuja peut reprendre l’inkwano chez le beau-père (iyo batararongoranya ou barakoranura : litt. : empêcher le mariage) aussi longtemps que son client n’a pas reçu l’indongoranyo. Quand celle-ci a été remise, les droits du shebuja s’exercent sur elle.

5° A la mort du client, le patron doit veiller sur le sort de sa femme et de ses enfants. Si l’umugaragu n’a pas de frère, le shebuja devient le tuteur des orphelins (kumurera) . Dans le cas contraire, un oncle (patentel ou maternel) partage la tutelle avec le patron.

Si le patron a payé la dot de son client, il prend les dots données pour les filles de celui-ci et les conserve en attendant de les remettre aux garçons pour qu’ils puissent se marier à leur tour.

6° Le patron devait jadis venger lui-même le meurtre de son client (kumuhorera) accompagné de ses abagaragu et de l’un des fils du défunt, il allait tuer le meurtrier en usant d’un subterfuge. Désignant l’orphelin, il disait au meurtrier : « Voilà celui qui te tue », puis il le tuait, ou bien le shebuja allait demander justice au Mwami. 

Le client peut disposer du lait des vaches qui lui sont remises (intagemura) et en faire du beurre et du fromage quand les besoins du patom en lait sont assurés. De même, avec la permission du shebuja, il peut tuer des bêtes et consommer ou vendre la viande.

8° Le patron doit donner une houe de temps en temps à son client muhutu.

Il n’est jamais mis fin au contrat de clientèle, sauf si les vaches meurent ou si le client se montre indigne de la confiance placée en lui. Dans ce dernier cas, le maître lui reprend ses vaches (kunyaga) et leur croît.

De plus, si le shebuja est en même temps chef de colline, de province ou le Mwami, il peut dépouiller le client de ses champs, de son rugo et le chasser de la colline. Celui-ci ne peut emporter que son baton (bamuha akabando) : litt: on lui donne un bâton), chose la plus accessoire et la moins utile.

A côte du contrat d’ubuguragu et d’autres baux à cheptel tels que l’ingwate el ses variantes, l’indagizo, etc., le droit coutumier du Ruanda connaît nombre d’autres contrats. Nous énumérons ci-après ceux dont il est fait le plus fréquemment usage :

L’achat-vente (Kugura).

Ces transactions ont lieu sur les marchés (amaguriro — plur. iguriro), situés généralement aux carrefours des voies de communication. Les plus fréquentés sont ceux du Rukiga et du Kinyaga. Les gens du Buganza et du Buliza y viennent échanger leurs vaches contre du sel, des vivres, de la bière, du miel, des paniers, etc. Jadis les animaux et les choses mis en vente étaient évalués en houes (Le vendeur de sel désireux d’acquérir un taurillon demandait combien celui-ci valait de houes. On lui répondait : cinquante. Il prenait alors un panier de sel dont la contenance valait une houe et en versait cinquante au propriétaire du taurillon. On disait aussi couramment : c’est une chèvre de trois houes. Aujourd’hui la valeur d’une houe est de huit francs).

Des commerçants spécialisés (abatunzi litt. : les riches) s’y rendent également et offrent en vente les denrées et objets qu’ils ont été chercher au loin, par exemple les ubutega (Ces minces anneaux de fibres de rotin portés autour des jambes, des chevilles aux genoux, par les femmes banyarwanda, avaient naguère encore une certaine valeur : trois mille ubutega valaient un taurillon, et une parure complète ne pouvait être achetée que contre paiement de deux vaches stériles), fabriqués dans l’Urega (pays des Warega). Ils unissent parfois leurs ressources pour effectuer des achats importants (gufatanya urutundo : litt rassembler le commerce).

Les femmes et les enfants sont admis aux marchés sans restriction. Jadis les gens y venaient en armes, car ils risquaient d’être dévalisés et même tués en route par des bandits de grand chemin.

Le louage de services (kubunga).

Un homme peut s’engager à travailler pour un autre, pendant cinquante jours par exemple, et à raison d’un jour ou deux par semaine, à la condition de recevoirenéchange la viande d’une vache.

L’échange (kuguza).

Un Mututsi demande à un Muhutu un grenier de sorgho (ihundo : litt. : épi de sorgho), par exemple, en échange d’un taurillon ou de houes (trente généralement).

Le prêt (gutiza).

Les Banyarwanda distinguent le prêt à usage (commodat) du prêt simple (ou de consommation).

Si le prêt à usage, en houes, par exemple, est accordé sans intérêt, il n’en est pas de même pour le prêt de consommation, qui a pour objet des denrées. Celui qui a reçu un panier de sorgho ou de haricots doit en rendre généralement deux. Le panier de denrées supplémentaire qui doit être donné au prêteur s’appelle kirenga .

La caution (gucyungura).

Primus possède une serpette que Secundus voudrait emprunter. Secundus, qui ne connaît pas Primus, s’adresse à Tertius ami de Primus. Tertius dit à Primus de prêter sa serpette à Secundus en ajoutant qu’il s’opporte fort pour ce dernier s’il ne rend pas l’instrument. Tertius peut éventuellement se retourner contre Secundus.

Ce contrat peut être conclu pour des vaches, des greniers de sorgho, etc.

Le gage (ingwate).

Primus désire emprunter quelques paniers de haricots à Secundus. Mais Secundus répond qu’il ne peut les lui donner sans rien recevoir en garantie. Primus offre alors à Secundus une chèvre, par exemple. Quand il apporte à Primus la contre-partie de son emprunt, il reprend sa chèvre.

Le mandat (kugerekesha)

Primusse rend au marché pour échanger une houe contre des haricots. Secundus lui demande, moyennant rémunération, d’y emmener une de ses chèvres et de l’échanger contre trois houes, par exemple.

Le dépôt (Kubitsa).

Le dépôt de biens ne consistant pas en bétail ne donne lieu à aucune obligation du déposant à l’égard du dépositaire qui accepte de conserver les biens mis en dépôt chez lui.

Ces contrats sont conclus devant des notables de la colline qui servent de témoins. Mais le plus souvent ils sont passés devant un rugo en construction ou un abreuvoir, endroits où les gens sont toujours nombreux. Ceux-ci, en cas de contestation, fourniront leur témoignage.

Si l’un des co-contractants ne s’exécute pas (Le cas de force majeure, par exemple une famine ou une invasion de sauterelles, s’il s’agit de la fourniture de denrées : sorgho ou haricots, délie provisoirement de l’obligation), ou est malhônnette, le tribunal du chef de colline, sur plainte du lésé, le force à s’acquitter de sa dette (umwenda).

Le créancier a la faculté de saisir un gage, par exemple une chèvre, pour obliger le débiteur à paver.

Si celui-ci ne peut payer, il est condamné à travailler pour indemniser le plaignant, généralement deux jours sur cinq, mais il peut se faire remplacer par son fils, sa fille, sa bru et éventuellement par un umugaragu. Jadis, si le débiteur s’enfuyait pour se soustraire à ses obligations, le créancier avait le droit de s’emparer de son bétail, de ses bananeraies et même de sa hutte. Toutefois, dans ce cas, les enfants pouvaient garder les biens de leur père, à la condition de s’engager à travailler pour le créancier jusqu’à l’extinction de la dette.

Il arrive qu’un patron paie pour son client, si celui-ci ne possède qu’un grenier de vivres et s’il a besoin de l’aide des siens pour traviller pour son shebuja. Si l’umugaragu meurt, son fils le remplace. L’obligation passe ainsi aux descendants jusqu’à ce qu’elle soit éteinte.

D’autre part, le frère ou le fils du créancier peuvent agir  au lieu et place de leurs parents.

Hospitalité.

Le devoir de l’hospitalité est sacré pour les Banyarwanda. Même un Mututsi ne refusera jamais l’icumbi(logement) et  l’izimano (bois, eau, nourriture) à un Muhutu. En effet, un proverbe dit : uwubaka wese yubakira ab’umwami :Celui qui construit une maison, le fait pour les gens du Mwami, ce qui veut dire que sa maison doit être ouverte à tous les sujets du Roi) et celui qui n’accorde pas à un voyageur le vivre et le couvert porterait le nom d’umugome (mauvais); il serait uwanga Umwami (1’ennemi du Mwami).

Responsabilité civile.

La responsabilité civile n’existe pas. Toutefois, les parents réparent eux-mêmes le dégât causé par leurs enfants.