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  1. La Convetion Orts-Milner. La Belgique Confirmée Dans L’Occupation Du Ruanda, 1919

 C’est à Paris au cours de l’année 1919, pendant que s’élaborait le traité de Versailles, que devait se décider l’avenir colonial du Ruanda. Soustrait à la domination de l’Allemagne, passerait-il sous celle de l’Angleterre ou resterait-il occupé par les Belges ?

En février de cette même année, la Belgique, prenant les devants, revendiqua auprès du Conseil des Dix par l’organe de M. Hymens, ministre des Affaires Etrangères, « le droit de conserver la totalité des territoires qu’elle administrait depuis 1916 », compris entre les lacs Tanganyika, Kivu et- Victoria-Nyanza. Elle réclamait le tout dans l’attente de « certaines combinaisons plus favorables » à la colonie du Congo.

Or, le traité de Versailles, distinguant entre « puissances à intérêts généraux », ou « Principales Puissances alliées et associées », France, Grande-Bretagne, Italie, Japon, et « Puissances à intérêts limités », Belgique, Portugal, Serbie, Roumanie, c’est en faveur des premières que l’Allemagne, aux termes de l’article 119, renonçait à ses anciennes colonies.

Il appartiendrait donc aux « Principales Puissances », par une redistribution des territoires acquis de la sorte, de « matérialiser la récompense de l’effort militaire en Afrique » des moindres, savoir de la Belgique et du Portugal.

Après que le projet de traité sous sa forme définitive fût remis aux Allemands, et avant qu’il fût accepté par eux, M. Hymens se tourna donc vers les chefs d’Etat de France, des Etats-Unis et de Grande-Bretagne, réunis à Paris, les requérant de statuer sur les revendications déjà formulées par son gouvernement. L’affaire regardait l’Angleterre, à qui était échu l’Ostafrika et qui s’était moralement engagée dans les tractations antérieures à faire sa part de butin à son alliée et collaboratrice. Aussi le Premier britannique Lloyd George convoqua-t-il à Paris lord Milner, spécialement chargé des questions coloniales au sein de la délégation d’outre-Manche, pour se mettre en rapport avec un plénipotentiaire délégué par la Belgique, qui fut dans l’espèce M. Pierre Orts, inspirateur de la campagne de 1916, assisté entre autres experts de M. O. Louwers. La négociation aboutit à une convention, qui porte le nom de ses auteurs, paraphée le 28 mai, un Mois avant la signature du Traité de Versailles du 30 juin.

Par cet accord la Belgique s’engageait à abandonner à la Grande-Bretagne les territoires de Kigoma et Ujiji, les rives du Nyanza, les petits états indigènes de l’Uha et de l’Uswi, soit une moitié environ de sort gage, et ne gardait que l’Urundi, sauf la province du Bugufi, et le Ruanda, amputé de ce qu’on appela pour la circonstance le « Territoire du Kisaka ». Le Bugufi n’est qu’un petit pays, fief mouvant de la couronne du mwami de l’Urundi, compris dans l’angle aigu que forment avant de se rejoindre la Ruvubu et la Kagera. Le « Territoire du Kisaka » était tout autre chose que l’ancien état de ce nom : c’était une bande de terre, longue de cent kilomètres sur trente de large, symétrique au Karagwe de l’autre côté de la Kagera, englobant le Kisaka, le Ndorwa avec ses provinces du Mubari et du Mpororo, en outre une partie du Mutara et du Buganza, bref en superficie un huitième du Ruanda. La nouvelle frontière est décrite par la Convention dans les termes suivants :

Du point où la frontière entre le Protectorat de l’Uganda et l’Afrique Orientale allemande coupe la rivière Mayumba dans la direction du sud-est, une ligne droite aboutissant à la côte 1640, à 15 kilomètres environ au sud-sud-ouest du Mont Gabiro de là, une droite dans la direction du sud jusqu’à la rive nord du lac Muhazi, où elle aboutit à un confluent de rivière situé à deux kilomètres et demi environ à l’ouest du confluent de la rivière Msilala.

« Si le tracé du chemin de fer à l’ouest de la rivière Kagera entre le Bugufi et l’Uganda s’approchait de la ligne définie ci-dessus à moins de 16 kilomètres, la frontière serait reportée vers l’Ouest suivant une ligne à une distance minima de 16 kilomètres du tracé.

« De là, une ligne dans la direction du sud-est et jusqu’à la rive sud du lac Muhazi de là, la ligne de partage des eaux des rivières Ntaruka et Mukarange, prolongée vers le sud jusqu’à la pointe nord-est du lac Mugesera la ligne médiane du lac Mugesera, prolongée vers le sud à travers le lac Sake jusqu’à la Kagera, de là, le cours de la Kagera en aval jusqu’à son point de rencontre avec la limite occidentale du Bugufi ».

On saisit dans cette description que la mutilation du Ruanda, comme celle de l’Urundi, était déterminée et conditionnée par le passage d’un chemin de fer projeté, savoir le prolongement vers l’Uganda de celui que les Allemands étaient en train de construire entre Tabora et l’entrée du Kisaka, et dont la plate-forme atteignait déjà Ushirombo, chemin de fer qui constituerait un tronçon du Transcontinental Cap au Caire, grande pensée des impérialistes coloniaux britanniques, et notamment des Afrikanders.

La convention du 30 mai fut homologuée, le 22 août suivant, par les quatre Principales Puissances alliées et associées, « qui convinrent que la Belgique exerçait le mandat sur cette partie de l’ancienne colonie de l’Afrique Orientale Allemande ». Ce fut le titre officiel de l’occupation belge, titre que devait confirmer la Société des Nations une fois constituée,en même temps que celui des autres nations mandataires, le 20 juillet 1922.

  1. L’ « Erreur » De La Disjonction Du « Territoire Du Kisaka »

 Disons-le tout de suite, — a écrit M. Louwers dans sa réponse aux critiques dont fut l’objet dans la presse belge la convention à l’élaboration de laquelle il avait participé, — l’abandon du Kisaka fut une erreur, non pas du point de vue belge, mais du point de vue indigène et humanitaire ». Erreur consciente, peut-on ajouter ; car aucun des deux négociateurs n’ignorait que le « Territoire du Kisaka » faisait partie intégrante du Ruanda, comme le Bugufi de l’Urundi, que sa distraction du reste du pays constituait un démembrement, la dislocation d’un organisme historique, de la même espèce que l’ancien partage de la Pologne. Ils avaient, en effet, sous les yeux des cartes géographiques à l’échelle de 1/1.000.000e, tant allemandes qu’anglaises, mentionnées dans le texte de la Convention, qui ne pouvaient laisser aucun doute dans leur esprit sur le caractère préjudiciable, du dépeçage auquel ils procédaient ou consentaient. Ce qui prouve du reste péremptoirement que leur religion était suffisamment éclairée à cet égard, c’est qu’ils escomptaient une opposition de la part des parties lésées, à s’avoir du mwami du Ruanda et de ses sujets, de ceux surtout qui étaient ainsi brutalement séparés du coeur de la patrie. La Convention stipulait, en effet, que, si Kigoma et les autres gages seraient remis à l’Angleterre à la date du 22 mars 1921, le soi-disant Territoire de Kisaka ne le serait qu’un an après jour pour jour, « afin de ménager les intérêts des indigènes », ainsi que s’exprime M. Louwers.

A vrai dire, les négociateurs avaient l’excuse d’un précédent. « Ce n’était pas la première fois, pensaient alors les plénipotentiaires, écrit encore le même diplomate, que le royaume de Musinga, comme celui de tant de chefs indigènes, avait été mutilé. En 1910, plusieurs lambeaux encore en avaient été détachés, et il s’était remis de la blessure ». Cette fois, le membre disjoint était de taille proportionnellement au tronc, non une simple « languette ». L’opération chirurgicale était ici d’autant plus audacieuse qu’on se proposait de la faire avaliser par la Société des Nations, instituée précisément pour la défense et la protection des états petits et faibles, – menacés dans leur devenir par les grands et forts.

S’il y eut erreur inconsciente et ignorance, ce fut tout au plus sur la valeur spéciale que le territoire démembré présentait aux yeux de Musinga et de l’aristocratie. C’était,en effet, comme il a été conté en son lieu, au Mubari que les Batutsi situaient leurs origines ethniques, et au Buganza que la dynastie munyiginya avait créé le premier Ruanda. C’est là que certains grands avaient leurs sépultures de famille,là que passaient les meilleurs troupeaux de bovins, ceux surtout qui étaient exploités en régie directe par le mwami. Mais cela était accessoire, et, à supposer, comme l’a affirmé le général Malfeyt, qu’« une documentation très complète, principalement au point de vue économique et agricole », sur cette région eût été fournie au gouvernement belge par ses agents du Ruanda, ces données pesèrent peu dans la balance, les impérialistes et hommes d’affaires britanniques, dont lord Milner se faisait le porte-parole, ayant jeté un dévolu irrévocable sur cette zone orientale du pays, estimée par eux nécessaire pour la réalisation de leurs grandioses conceptions.

L’erreur des diplomates belges fut peut-être de n’avoir pas suffisamment montré aux Britanniques que l’établissement de leur voie impériale ne nécessitait pas laviolation de l’intégrité du Ruanda et pouvait se concilier avec elle, ainsi que l’évidence en apparut plus tard, et notamment que le Karagwe, qui leur restait, se prêtait aussi bien que le Kisaka, pas plus mal tout au moins, au passage du rail. La bande là n’était pas de trente, mais de soixante kilomètres en largeur sur la même longueur.

Orts, au dire de son collaborateur, soucieux par-dessus tout de faire aboutir avec l’appui de l’Angleterre des « combinaisons avec le Portugal » au sujet de débouché du Congo dans l’Atlantique, mit l’accent sur les sacrifices en hommes et en argent consentis par son pays pour la conquête de l’Est-Africain. Terrain peu propice à la défense, car les sacrifices de la Grande-Bretagne en cette rencontre avaient été incomparablement supérieurs. Ecoutons encore M. Louwers. « La Belgique avait mis en ligne de 12 à 15mille hommes, dépensé quelque deux cents millions de francs ; l’Angleterre avait mis en ligne quatre ou cinq fois plus d’hommes et dépensé près de trois milliards. Les Belges avaient fait campagne pendant douze ou treize mois en tout, l’Angleterre pendant près de trois ans. » Les Belges avaient perdu 850hommes entre Ngoma et Tabora ; les trente mille Afrikanders et Anglais avaient fondu de moitié entre le Victoria-Nyanza et ce même Tabora. Les Britanniques auraient pu vaincre seuls, non les Belges sans leurs alliés. Au reste, si le Ruanda et l’Urundi n’étaient qu’une partie minime de l’Ostafrika, n’en était-ce pas la perle, presque aussi peuplé que tout le reste et d’ailleurs deux fois grand comme la Belgique ? Enfin, dans l’ordre économique, tout apaisement serait donné à la Belgique au sujet d’un accès libre et avantageux au littoral de l’océan Indien pour le trafic de sa grande colonie congolaise.

Ce n’était pas sur un tel terrain que M. Orts pouvait l’emporter, mais sur celui du droit imprescriptible reconnu par les présents traités à un peuple de rester uni dans une même patrie sous un même chef dans les limites acquises par lui au cours de son évolution historique. Ici l’Angleterre était susceptible d’entendre raison : de fait elle reconnut son « erreur », mais non sans un tournoi juridique, dans lequel la Belgique déploya autant d’habile loyauté que de diligence.

 

  1. Les Protestations De Musinga Et Leur Justification Par L’Organe Du Vicariat

 La publication de la convention Orts-Milner, souleva, comme il fallait s’y attendre, une grosse émotion dans l’opinion belge, surtout dans les cercles

coloniaux. On fut naturellement plus sensible à l’abandon de Kigoma, terminus duCentralbahn, résidence du Commissaire Royal, qu’à la mutilation du Ruanda, appréciée seulement par des hommes tels que le lieutenant Carlier, ancien administrateur du Kisaka, dont l’intervention spontanée auprès des négociateurs se produisit malheureusement trop tard. On fit remarquer avec regret que l’avis des anciens fonctionnaires belges de l’Est-Africain, présents en Europe, n’avait pas été sollicité.

Sur place ce fut, on le conçoit, le partage du Ruanda qui frappa le plus régnicoles et européens. A la cour dumwami, l’effet fut la colère et l’indignation. La Mission Catholique se sentait elle-même atteinte, la station de Zaza et sa vaste circonscription ainsi que la moitié du district de celle de Rwamagana passant sous l’administration britannique à tendance anglicane et le pays s’ouvrant, ainsi à la propagande rivale. Le résident de Kigali, M. van den Eede, à qui incombait la pénible mission d’annoncer à Musinga le transfert à l’Angleterre d’une portion notable de son royaume et d’en régler avec lui les modalités, entendant ses plaintes et ses protestations, réalisant en plénitude le préjudice immérité qui lui était causé, estima que la Belgique ne pouvait en rester là, son honneur étant engagé autant que son intérêt lié au redressement de ce tort. Il résolut dès l’instant même de constituer un dossier en vue d’une instance en révision de la fâcheuse convention. Nul avis n’avait plus de poids en cette matière que celui des européens les plus anciennement domiciliés dans le pays, savoir les Pères Blancs. Il le sollicita donc par écrit de la bonne grâce de Mgr Hirth, qui confia à son vicaire général le soin d’en rédiger la formule. La note du P. Classe porte la date du 25février 1920et comprend cinq pages dactylographiées. L’auteur observe que la Convention mutile une grande communauté indigène, détache arbitrairement une tranche vitale, d’un état organisé et compact, qu’elle divise en deux fractions inégales une unité politique et ethnique parfaitement homogène, que spécialement elle spolie Musinga d’une partie considérable de sa fortune en bêtes à corne, qu’elle soustrait d’un trait de plume à sa juridiction cent mille sujets, taillables et corvéables à merci, qu’elle distrait du corps du royaume des provinces gardant les monuments les plus sacrés de mainte famille mututsi et les souvenirs les plus lointains des origines nationales. Cette pièce, qui tirait son exceptionnelle valeur de la compétence hors pair de son auteur, fut transmise augouvernement belge par les soins du Haut-Commissaire, général Malfeyt, conjointement avec les véhémentes protestations de Musinga.

L’auteur ci-dessous, plaidant les circonstances atténuantes, insinue, à la décharge des signataires de la Convention, que « de très hauts et intelligents coloniaux, qui avaient été dans le Ruanda, ne purent eux-mêmes, après les premières protestations de Musinga, donner exactement la justificatifs de celles-ci », comme si le simple fait du partage ne les justifiait pas surabondamment sans plus. Il ajoute : « Ce n’est que de nombreux mois après, à la suite des études de savants missionnaires, qu’on put dégager avec netteté les données spéciales du problème. » Ces données, on vient de le voir, furent dégagées au Ruanda dès la connaissance qu’on y prit des termes de la convention, et le résultat des « études » fut transmis sans délai à Bruxelles.

  1. La Remise A La Grande Bretagne Du « Territoire Du Kisaka », 22 Mars 1922

 L’instrument diplomatique était paraphe, il n’y avait rien de mieux à faire que de l’exécuter. La loyauté que l’on mettrait à en observer les stipulations les plus rudes serait une des conditions les plus favorables poux son rajustement espéré.

A la date du 22 mars 1921 remise fut donc faite aux autorités du Tanganyika Territory des districts occupés sur les lacs, de l’Uha, de l’Uswi et du Bugufi. A Kigoma, a écrit M. Pierre Daye, « aucun de nos compatriotes ne voulant, selon le protocole établi, amener notre pavillon devant le gouverneur anglais Byatt, on dut finalement ordonner à un sergent noir d’accomplir cette humiliante besogne ».

En compensation de cette amère renonciation, la Belgique obtenait au même moment les «, avantages économiques» dont le principe avait été posé lors de la signature de la convention. Au trafic de sa colonie du Congo et des pays sous mandat vers l’océan Indien étaient assurés : la liberté de transit à travers tous les territoires de l’Est-Africain, les tarifs les plus favorables poux l’usage des voies de communication à travers ces territoires, des facilités spéciales sur la ligne Kigoma-Dar-es-Salaam avec emplacements pour constituer aux deux extrémités de cette voie des ports francs. C’était, a-t-on écrit, « la complète nationalisation du transit belge par l’Est Africain britannique », le drapeau belge flottant sur les deux concessions au lac et l’océan. L’année suivante, au22mars, eut lieu la remise du « Territoire du Kisaka ». Notification officielle en fut donnée aux chefs locaux, convoqués à cet effet par le résident de Kigali. Le Rapport sur l’administration belge de 19221923 relate à ce propos :

« Au moment où lecture leur a été donnée de l’acte de cession, les notables ont insisté pour qu’il leur fût permis de rester en relations avec Musinga et de lui envoyer leur tribut comme par le passé, affirmant leur attachement au roi indigène et leur regret de se séparer de l’administration belge.

« Musinga, de son côté, écrivit à la Résidence, quelques jours avant la remise, insistant pour que ses intérêts soient sauvegardés, et protestant de son loyalisme envers la Belgique, quoi qu’il arrive. Son attitude n’a pas varié depuis, mais on peut croire que ce n’est pas sans une profonde rancoeur qu’il s’est incliné devant l’inéluctable.« Les bonnes dispositions, vis-à-vis du roi indigène et de l’administration belge, des chefs qui avaient des terres, des parents et des troupeaux des deux côtés de la frontière, ne tardèrent pas à se modifier. Ils avaient espéré tout d’abord voire peu de changements dans la vie indigène et pouvoir continuer de jouir de tous leurs biens. Mais la frontière se révéla comme un fait. Nombre de notables, demeurés en territoire belge, ont été lésés, voyant passer sous l’administration britannique une grande partie de leur domaine. Plusieurs d’entre eux, entraînés naturellement par leurs intérêts, sont passés de l’autre côté, d’autres hésitent et se demandent quelle allégeance choisir ; tous se plaignent d’être amoindris.

«De plus, le bruit court dans le Nord-Est qu’une nouvelle partie du territoire de Gatsibo, correspondant à la bande prévue par la convention Orts-Milner en cas de construction d’une voie terrée à moins de 16 kilomètres de la frontière, devra être cédée à bref délai. Cet état d’incertitude n’est pas de nature à rassurer la population. »

Quelque déplaisir qu’en éprouvât la nation, l’Angleterre ne laissa pas que d’occuper effectivement le territoire cédé. Un poste administratif fut organisé à Rukira dans le Kisaka, composé de plusieurs bungalows au milieu d’une plantation d’arbres : un lieutenant s’y installa avec sa troupe et ses services. L’Eglise anglicane franchit aussitôt la Kagera et se mit à l’oeuvre dans la région pour un apostolat que favorisait désormais la puissance mandataire.

5. La Rétrocession Du Ruanda Oriental : Restauration De L’Intégrité Territoriale Du Royaume, Janvier 1924

 Dès le jour où le gouvernement belge reconnut le tort causé au Ruanda par la convention Orts-Milner, il n’eut de cesse qu’il n’en eût obtenu le redressement. L’organisme de la Société des Nations était tout indiqué pour l’aider dans une telle entreprise. Le dossier commencé à Kigali par le Résident fut complété par ses soins. Le P. Classe, qui en avait fourni la première pièce, se trouvant précisément en Europe appelé par ses supérieurs réguliers, il le pressa instamment de venir l’informer oralement. Fixé à Anvers, le vicaire général de Mgr Hirth eut plusieurs conférences à Bruxelles avec le Ministre des Colonies, M. Louis Franck, et à sa demande rédigea sur la question un mémoire daté du 4 octobre 1921, qui fut versé au dossier. Puis une instance fut portée à l’audience du Conseil de la Société à Genève, les revendications du mwami et de son peuple étant placées au premier plan. L’affaire mise en délibéré, le Conseil invita en octobre 1922 « la Belgique et l’Angleterre à réexaminer la question ».

La Grande-Bretagne se prêta d’autant plus volontiers à un rajustement de la Convention que l’itinéraire du bassin de la Kagera pour le railway en perspective n’était déjà plus guère en faveur et que la liaison entre ses possessions du sud et celles du nord en Afrique Orientale apparaissait plus aisée et moins coûteuse par une déviation de l’embranchement duCentralbahn à Tabora vers Mwanza, la ligne devant emprunter ensuite la voie lacustre pour atteindre l’Uganda. Le « Territoire du Kisaka »perdant ainsi pour elle toute valeur politique et économique, elle le rétrocéda sans exiger de compensation. A la demande des deux parties contractantes la Sociétés des Nations, par décision du 31 août, confirma à S. M. le Roi des Belges le mandat sur le Ruanda tout entier. L’évacuation du territoire par les fonctionnaires anglais était fixée au 31 décembre de la même année. Le Bugufi, sur lequel, audire du Rapport de 1923-1924, l’autorité du mwami de l’Urundi « était plutôt nominale » et qui «  formait un bloc sous la domination d’un chef unique », resta à l’Angleterre. C’est ainsi qu’au premier jour de l’année 1924 Musinga fut rétabli dans son droit, le Ruanda remembré, l’unité territoriale du pays reconstituée. Un règlement de comptes transférait à la Belgique, moyennant une somme de cent dix mille francs, les bâtiments administratifs de Rukira : un administrateur belge en prenait immédiatement possession. « Dans le premier Rapport qu’il est appelé à rédiger depuis la reconstitution du Ruanda, lit-on dans le document ci-dessus, le gouvernement belge tient à rendre hommage au généreux désintéressement avec lequel la Grande-Bretagne a consenti à satisfaire aux revendications des populations indigènes en cause. »

Le R. P. Smoor, supérieur de la station de Zaza, intéressé dans l’affaire, renvoit l’écho suivant des événements dont il est témoin :

« Le premier janvier 1924, les Anglais ont repassé la Kagera au grand contentement de Musinga, qui se voit de nouveau en possession de son royaume entier. Les habitants du pays, spécialement les bahutu, se trouvaient bien sous le régime britannique. Ils étaient sans doute imposés d’une taxe de 3 shillings et demi par tête, mais par contre ils étaient libérés de beaucoup de corvées et de prestations dues autrefois aux chefs. D’après les dires des indigènes les Anglais rendaient prompte et bonne justice.

« Depuis le premier janvier donc nous sommes redevenus sujets belges. Au point de vue de la Mission nous n’avons qu’à nous féliciter de ce changement. Déjà avec les Anglais, les missionnaires protestants de la Church Missionary Society de l’Uganda avaient fait apparition dans le pays : ils y restent.

« Avec le gouvernement l’attitude des chefs aussi a changé. Pour le moment ils sont quasi tous pour nous et nous invitent à placer des catéchistes chez eux. »

  1. Nature Du Mandat De La Belgique Sur Le Ruanda : Obligations Contractées Par La Puissance Protectrice

 Bien que la Belgique ait commencé dès 1921 à présenter à la Commission permanente des Mandats son rapport annuel sur l’administration des territoires occupés, ce n’est qu’en 1924, par la loi du 20 octobre, qu’elle approuva définitivement l’acceptation par son roi du mandat sur le Ruanda et l’Urundi. Quelles sont les obligations qu’elle a ainsi contractées et quelles sont d’après la théorie des mandats ses relations juridiques avec ces royaumes indigènes ?

L’ancienne colonie allemande de l’Ostafrika a été classée par les Puissances dans la catégorie B des territoires sous mandat, ce qui la met dans une situation intermédiaire entre celle des états issus du démembrement de la Turquie, Palestine, Syrie, Irak, (catégorie A), admis à faire valoir en temps opportun des droits à une indépendance complète, et celle de territoires tels- que le Sud-Ouest Africain (catégorie B) confié à l’Union Sud-Africaine, qui est toute voisine de la condition d’une province annexée. Le Ruanda et l’Urundi sont des pays que l’on tient pour susceptibles, moyennant une éducation pertinente, de s’élever au rang de Protectorats proprement dits, dans lesquels les ressortissants participent plus ou moins largement à leur propre administration. Ils ne constituent pas au sens juridique du mot une colonie, telle que le Congo. Leurs habitants n’ont pas la nationalité belge, ce sont des natifs « administrés par la Belgique ». Le titre officiel du Ruanda-Urundi est celui de « Territoire d’occupation, placé sous l’administration de la Belgique par la Société des Nations ».

Le Ruanda s’appartient donc à lui-même, à son mwami, mais c’est un mineur en tutelle. La Belgique tutrice a contracté en face de la Société des Nations à l’égard de son pupille des obligations générales et particulières, dont le principe est énoncé dans les termes suivants par l’article 3 de l’acte qui l’investit du mandat.

« Le mandataire sera responsable (vis-à-vis de la Société des Nations en tant qu’agissant en son nom) de la paix, du bon ordre et de la bonne administration du territoire, accroîtra par tous les moyens en son pouvoir le bien-être matériel et moral et favorisera le progrès social des habitants ».

Par l’engagement qu’elle prend de présenter annuellement au Conseil de la S.D.N. un rapport sur les mesures édictées en vue d’appliquer les dispositions de son mandat, la Puissance mandataire soumet d’avance sa gestion à un contrôle, qui est ordonné au bien des indigènes administrés.

« Le mandat, exposait naguère M. Pierre Ryckmans, aujourd’hui gouverneur général du Congo Belge, impose aux mandataires l’obligation de gouverner dans l’intérêt des communautés indigènes, et d’assurer l’égalité pour les échanges et le commerce entre les ressortissants de tous les Etats membres de la Société des Nations. Les mandataires ont accepté certaines interdictions : celles d’établir des bases militaires ou navales et de donner aux indigènes une instruction guerrière, certaines obligations : celle de prohiber la traite, le trafic des armes et celui de l’alcool; celle de garantir la liberté de conscience et de religion celle enfin de faire chaque année rapport sur leur activité civilisatrice dans le territoire sous mandat. Normalement le mandat ne peut prendre fin que d’une seule manière : par l’émancipation. définitive de la population sous tutelle, quand elle sera parvenue à un degré suffisant de civilisation pour pouvoir présider elle-même à ses destinées ».

Aussi le Ruanda est-il sous le régime belge, au point de vue de sa personnalité nationale et de ses garanties d’avenir, dans une situation bien supérieure à celle que lui faisait le protectorat allemand. Union administrative du Ruanda au Congo Belge : péréquation des organismes administratifs.

  1. Union Administrative Du Ruanda Au Congo Belbe : Péréquation Des Organismes Administratifs

 La puissance mandataire étant autorisée à administrer la contrée soumise au Mandat comme partie intégrante de son territoire et à lui appliquer sa propre législation sous réserve des modifications exigées par les conditions locales, la Belgique, par la loi du 21 août 1925, a uni administrativement le Territoire du Ruanda-Urundi à sa colonie du Congo, y établissant un vice gouvernement général, l’assujettissant aux mêmes lois et le faisant bénéficier des mêmes institutions « Le Ruanda-Urundi constitue néanmoins une personnalitéjuridique distincte. Il a son patrimoine propre. Ses recettes et ses dépenses sont inscrites à des tableaux spéciaux dans les budgets et les comptes de la colonie. Lee décrets et les ordonnances législatives du gouverneur général, dont les dispositions ne sont pas spéciales au Ruanda-Urundi, ne s’appliquent à ce territoire qu’après y avoir été rendus exécutoires par une ordonnance du vice-gouverneur général qui l’administre.

En conformité avec cette loi, le Ruanda possédait au 31 décembre 1925 l’organisation suivante, qui est restée la même depuis en ses grandes lignes.

Au loin, à Léopoldville, le gouverneur général secondé par les directions générales , plus près, à Usumbura, le commissariat royal ou vice-gouvernement assisté des directions particulières (Service territorial, Magistrature, Service des secrétariats, Service des finances et des douanes, Service Postal et Postes de T. S. F., Service médical, Service vétérinaire et agricole, Travaux publics, Enseignement, Force publique, Mission cartographique) , plus près encore, la Résidence de Kigali, dont le titulaire était alors M. Mortehan.

Le service territorial, relevant directement de la Résidence, était composé de dix délégations territoriales aux postes de Kigali, Nyanza, Butare, Tshyangugu, Rubengera,Kisenyi, Ruhengeri, Kabaya, Gatsibu, Rukira, dont quatre remontaient aux Allemands et un cinquième avait été récemment créé par les Anglais. Chacun d’eux était desservi par un ou plusieurs administrateurs ou agents territoriaux : soit un personnel de seize Européens, plus le Commissaire Résident.

Les dix territoires englobaient cinquante-cinq provinces indigènes, distribuées entre eux, gouvernées chacune par un grand, le plus souvent membre d’une des familles princières, vassal héréditaire du mwami. Chaque province était subdivisée en sous-chefferies à raison de quinze à vingt chacune, un millier en tout. Chefs et sous-chefs, encore illettrés pour la plupart, s’adjoignaient à leurs frais pour tenir leurs écritures un secrétaire ou karani, sachant lire, écrire et compter.

Ainsi, maintenant les cadres administratifs traditionnels, une poignée de fonctionnaires et agents territoriaux administrait par l’organe des familles possessionnées dans leur office, un territoire grand comme la métropole, peuplée d’un million et demi environ de justiciables.

  1. La Force Publique Assurant La Police Du Territoire

 L’article 3 de la décision de la Société des Nations relative au mandat belge stipule : « Le mandataire ne devra établir sur le territoire aucune base militaire et navale, édifier aucune fortification, ni organiser aucune force militaire indigène, sauf pour assurer la police locale et la défense du territoire ».

En raison de laréserve dernière, la Puissance mandataire aurait eu la faculté de recruter sur place les éléments de la force publique nécessaire au maintien de l’ordre. Elle a préféré, à l’instar des Allemands, recourir à des contingents étrangers, congolais dans l’espèce. Au reste, « toutes les troupes détachées au Ruanda-Urundi sont des troupes en service territorial, c’est-à-dire de police ». Elles relèvent de l’officier supérieur commandant les troupes dela province du Congo dénommée Province Orientale. L’effectif présent au 31 décembre 1925 était de 3 officiers, 4 sous-officiers, 580 gradés et soldats, dont 250 environ à la Compagnie du Ruanda. Celle-ci, pour une moitié de son effectif, tient garnison à Kigali avec son chef européen, ayant grade de capitaine, le reste est réparti dans les postes à raison d’une escouade ou d’une section par poste. Tant aux chefs-lieux que dans les postes, les troupes sont chargées de pourvoir au service des sentinelles, de garder les détenus, de convoyer le numéraire, de fournir l’escorte des administrateurs en tournée, en somme de remplir toutes les missions incombant à la police.

«A côté de la police régulière, représentée par, les troupes en service territorial, et parce que celles-ci, étant composées de Congolais ignorant les langues locales, ne peuvent rendre aucun service dans les relations avec les indigènes, il a été recruté sur place un corps de policiers autochtones, chargés de la surveillance des agglomérations européennes. Ils ne sont armés que d’un yatagan et d’une paire de menottes, n’ont aucune instruction militaire et n’ont pas defusil ». Ces agents de la police municipale sont au nombre de quarante-deux au Ruanda.

9. La Poursuite Accélérée De L’œuvre De Rénovation En Cours

 La Belgique eut à coeur de réaliser au mieux et au plus vite le programme inscrit dans son mandat en faveur de l’avancement moral, économique etpolitique des indigènes. Lioeuvre ayant été amorcée par sa devancière, elle confirma la législation en vigueur, la perfectionnant dans le détail, et surtout la développant. Nous nous bornerons ici aux traits principaux.

L’impôt de capitation, dont les timides essais remontaient à 1913, fut généralisé : la taxe arrêtée primitivement à une roupie fut fixée à 3 fr. 50. Les recensements furentde plus en plus précis. La recette des contributions indigènes s’éleva en 1925 à 1.089.946 fr.contre 879.440 fr. en 1924.

L’assistance médicale fut à ce point étendue que la statistique de 1925 indiquait pour le Ruanda-Urundi plus d’un demi-million d’indigènes soignés et vaccinés dans l’année. Un hôpital pour indigènes s’élevait à Kigali. De leur côté dix-sept dispensaires de missions, dont douze de la Mission Catholique, avaient donné deux cent mille consultations.

Aménagement de nouvelles voies de communication, plantation d’arbres par centaines de mille, distribution de boutures de manioc, établissement de pépinières de caféiers, vaccination du bétail, toutes ces initiatives novatrices furent poussées activement selon les méthodes expérimentées depuis près d’un demi-siècle au Congo.

Les Allemands avaient décidé l’ouverture de quatre écoles élémentaires d’Etat : à cet effet ils formaient des instituteurs indigènes de toute confession à l’école normale de Dar-es-Salaam. Les Belges réalisèrent leur dessein et créèrent les écoles de Tshyangugu, Ruhengeri, Gatsibu et Rukira, où 265 élèves en 1925 étaient instruits par cinq moniteurs noirs. L’enseignement y était neutre.

Pour les fils de chefs, clercs et instituteurs, une école fut fondée à Nyanza, substituée à celle des Pères Blancs, où l’on donna une « instruction primaire du degré supérieur ». Elle comptait à la même époque un directeur européen, instituteur diplômé, trois moniteurs noirs et 349 élèves inscrits. L’enseignement était échelonné sur trois années, plus une quatrième consacrée à la spécialisation. Le souahéli était maintenu comme langue véhiculaire, mais dès la deuxième année des notions de français étaient données. Aucune doctrine confessionnelle n’y était professée, mais le directeur européen inculquait à tous en un cours spécial des éléments de morale naturelle. Outre la formation de chefs capables, l’administration attendait de cette pédagogie celle d’auxiliaires pour ses services, greffiers de tribunaux, clercs de bureau, secrétaires de chefs, adjoints à la collecte de l’impôt et aux travaux de recensement, instituteurs diplômés. A leur sortie de l’école les fils de chefs faisaient un stage d’un an dans un posteadministratif. En 1925, 78 secrétaires indigènes et 59 fils de chefs, en état d’assister leur père, avaient profité de cette formation. La discipline laissant à désirer dans ces divers établissements, des dispositions nouvelles furent prises plus tard à leur endroit, qui seront relatées au chapitre suivant.

En cette même année 1925, la Mission Catholique comptait 200 écoles, administrées par 13 Pères, 13 Soeurs, 185 moniteurs, instruisant 17.475 élèves, dont 10.013 garçons et 7.462 filles, les autres missions 28 écoles, administrées par 49 instituteurs, instruisant 2051 élèves, dont 1460garçons et 591 filles.

10. La Réforme Des Institutions Indigènes Et Leur Relèvement Progressif.

 L’assentiment du mwami fut requis comme dans le passé, pour conférer la légitimité aux investitures de chefferies, pour valider les dépossessions de fiefs, pour donner force de loi aux mesures de réforme jugées opportunes par la Puissance mandataire. Cependant, pour remédier à des abus invétérés et devant l’incurie et l’inertie ou la résistance passive des chefs, la Résidence ne s’interdit pas, à titre exceptionnel, de prendre d’autorité des arrêtés en vue de l’intérêt général en se passant du consentement de Musinga. C’est ainsi que l’esclavage, même domestique, fut radicalement aboli, que le vol du bétail fut rigoureusement puni, même si c’était des chefs puissants qui s’en étaient rendus coupables.

La réforme principale réalisée à cette époque fut la stabilisation des situations acquises, tant des chefs dans leur office et à leur poste que des plus humbles paysans sur le lopin de terre qu’ils cultivaient. En1923 Musinga se vit notifier l’interdiction de révoquer les féodaux, gouverneurs de provinces, et ceux-ci de destituer leurs subordonnés, sans l’assentiment du gouverneur. Pareillement les chefs de collines ne purent plus évincer à leur discrétion les tenanciers et corvéables sans l’agrément de l’administrateur du territoire. Par cette dernière mesure le précaire féodal évoluait insensiblement vers la propriété immobilière individuelle, cependant que par la première les seigneurs apanagés se muaient peu à peu en fonctionnaires, propriétaires de leur grade, quoique révocables pour impéritie ou forfaiture, leur succession restant assurée en principe à quelque membre de leur descendance. Ces atteintes portées à l’arbitraire des gouvernants respectait la substance même de leur autorité.

Dans l’ordre judiciaire, la présence obligatoire d’un agent de la Puissance mandataire aux audiences des magistrats indigènes, statuant d’après le droit coutumier, enraya la partialité et la vénalité des tribunaux, assura l’exécution loyale des décisions intervenues, fit disparaître graduellement les coutumes barbares : vengeance privée, épreuve du poison, dénonciation des sorciers. Au demeurant la plupart des crimes de droit commun furent réservés à la connaissance des tribunaux européens, le magistrat justicier assumant dans l’occurrence comme assesseurs les chefs indigènes, conformément à la coutume et dans le but de hâter leur initiation aux règles juridiquesdes pays civilisés.

En toute cette procédure d’action politique, tendant à hausser les caractères et à porter les institutions à un niveau supérieur de moralité, la Puissance protectrice eut la pleine approbation de la Commission permanente des Mandats, quelque insistance que mît parfois celle-ci à lm’ demander des éclaircissements sur des points de détail.

11. La Visite Du Prince Léopold De Belgique, Héritier Du Trône, Septembre 1925

 La visite du prince Léopold, duc de Brabant, délégué par son père, le roi Albert 1er, prit aux yeux du public la signification d’une confirmation imposante de l’occupation belge au Ruanda etd’un témoignage singulier d’approbation pour les efforts déployés par l’administration dans le Territoire sous Mandat depuis neuf ans. A cet égard, sa portée, n’eusse été que par la dignité du visiteur, fut autrement plus haute que ne l’avait été celle de la visite, dix-huit années en ça, du duc de Mecklembourg, dont elle pouvait passer pour la contrepartie.

L’Altesse Royale, qui, débarquée à Matadi, avait traversé le Congo dans toute sa longueur, atteignit le Ruanda par le Parc National Albert, et prit gîte avec sa suite Kisenyi, le 14 septembre 1925. Le gouverneur par intérim du Territoire, M. Pierre Ryckmans, arrivé d’Usumbura, s’était porté au-devant de lui. De là, le Prince excursionna dans la région des volcans, revint par Ruhengeri et gravit le coteau de Nyundo pour y saluer les Pères de la station.

A Kisényi il s’embarqua sur le lac Kivu et cingla vers l’anse de Musaho, escale transférée depuis à Kibuye, gardée à cette époque par un petit poste belge. Il y fut accueilli par le résident du Ruanda, M. Mortehan, qui espérait pouvoir l’attirer jusqu’à Kigali. Le programme du voyage ne comportait qu’une rencontre avec Musinga au camp de Nyabitare, dans le Marangara, à une lieue et demie , environ de la Nyabarongo, limite qu’un Yuhi ne pouvait , dépasser. Le Prince, à dos de mulet, arriva en cortège à Rubengera, où il reçut les hommages du pasteur Durand, chef de la Société belge des Missions Protestantes, franchit la dorsale Congo-Nil par le camp de Rukoko, passa le fleuve en pirogue, et atteignit Nyabitare, où l’avait précédé le souverain noir. Musinga lui présenta ses chefs et fit danser devant lui ses pages au milieu d’un peuple immense, qui manifestait joyeusement son loyalisme envers le Roi des Belges, protecteur du pays, en la personne de son héritier présomptif.

Nyabitare devait être la pointe extrême de l’excursion projetée au centre du Ruanda. Le Prince décida de prélever vingt-quatre heures sur l’horaire du voyage, afin de rendre visite au chef du vicariat apostolique à Kabgayi. Il arriva dans la matinée, accompagné seulement du gouverneur et du résident, salué à l’entrée de la capitale religieuse par la Brabançonne, chantée par les séminaristes grands et petits.

Il s’entretint avec Mgr Hirth, vétéran des temps héroïques, dont l’ancien vicariat du Nyanza Méridionnal avait confiné à l’Etat Indépendant du Congo, oeuvre géniale de son aïeul. Puis, convive de Mgr Classe et de ses collaborateurs, hors de tout faste et de toute formule protocolaire, il visita les établissements du siège épiscopal, s’etardent seul pendant deux heures d’horloge dans les classes des petits séminaristes, les interrogeant en sa langue avec cette simplicité de grand seigneur, qui arrachait à tous l’exclamation : « C’est tout à fait un prince du sang ! » – Koko ni imfuranyamfura !

Le Duc de Brabant reprit au lendemain le chemin de Musaho, d’où son steamer le fit atterrir à Tshyangugu. De là, par la rive gauche de la Rusizi, il atteignit Usumbura, aux rives du Tanganyika, où le jeune mwami de l’Urundi Mwambutsa était descendu de Kitega, pour la première fois de sa vie, aux fins d’un hommage de grand vassal protégé.

Les foules du Ruanda avaient été sensibles à l’apparition fugitive de ce Prince Charmant, grand et svelte, reflet fidèle de la majesté lointaine pour laquelle on les invitait à prier le dimanche dans les églises, reconnaissant en lui une personnification de la nation généreuse, qui, par esprit de solidarité humaine, avait revendiqué la mission de les civiliser.

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