Les œuvres de charité tels que les soins aux malades, la distribution d’aide aux nécessiteux ont donné aux Missions les premiers convertis au catholicisme. Le travail payé, la protection sociale assurée et l’école ont, d’une certaine manière, attaqué et fondu la glace. Les rapports entre les missionnaires et la population rwandaise ont emprunté progressivement l’allure de confiance sinon celle de tolérance. Le recrutement de nouveaux adeptes au Christianisme est devenu de ce fait de plus en plus possible et facile. Dans les pages qui suivent, nous nous proposons de montrer comment se recrutaient des catéchumènes rwandais pendant la période de l’avant-première guerre mondiale. Pour ce faire, nous, allons distinguer deux phases qui nous ont été imposées par les principaux acteurs du recrutement des catéchumènes.

Comme propagandistes de la Religion chrétienne et recruteurs des adeptes, les Pères Blancs avaient, au début, fait appel au zèle des catéchistes étrangers, en l’occurrence les Baganda. Jouissant de la protection des missionnaires, ces catéchistes prenaient volontiers des airs de supériorité et de suffisance qui froissaient la susceptibilité des Rwandais. Aussi, en plus de leur insuffisance de la connaissance du milieu, leur devoir de recruteurs fut-il couronné de peu de résultats satisfaisants. Leur bail d’engagement expiré (il ne durait qu’une année renouvelable), les prêtres se gardèrent de le reconduire pour enfin se mettre eux-mêmes à l’oeuvre de recruter personnellement des aspirants.

Pour pouvoir entrer en contact direct avec le peuple, les missionnaires durent circuler dans les collines, s’adressant à toutes catégories de personnes sans distinction. Toutefois, ils incitaient de préférence les jeunes qu’ils rencontraient sur leur chemin à venir à la Mission. C’est ainsi qu’ils ont eu comme premiers élèves dans leurs écoles des jeunes seulement. Cette façon de procéder rendait les Pères Blancs à la fois objet de curiosité et de crainte.

Objet de curiosité d’abord, parce que les Rwandais accouraient regarder ces hommes qui “n’avaient ni orteils ni cheveux et qui étaient habillés d’une manière étrange”. Ils ne laissaient voir que leurs doigts et leurs visages (le reste étant couvert de gros casque blanc, de soutane et de souliers), ce qui leur a prévalu sans tarder le qualificatif de ibihindugembe– «personnes sans forme ou à forme bizarre ».

Contents à cause de l’affluence des gens, les Pères Blancs qui ne savaient pas exactement pourquoi tous ces gens venaient à eux, commençaient à leur conter l’objet de leur visite. Quelques-uns parmi l’assistance suivaient avec intérêt leur discours axé surtout sur la fin de la misère et le règne de la paix et de la liberté. En recourant souvent aux paroles du “Sermon de la montagne”, les prêtres arrivaient, malgré leur Kinyarwanda incorrect, à captiver l’attention de quelques auditeurs, surtout les malades, les dépourvus en général. Ainsi, s’explique aussi la raison par laquelle les Missions ont été fréquentées d’abord par les nécessiteux. Ceux-ci, après avoir reçu remède, après avoir été aidés d’une façon ou d’une autre, allaient convaincre à leur tour leurs voisins des bienfaits des Blancs et les entraînaient à se rendre eux-mêmes auprès d’eux. Les prêtres alors profitaient de cette affluence journalière pour dompter quelques âmes et les mener “à apprendre les vérités de la Religion chrétienne. Aussi, les Missions ont-elles eu comme premiers catéchumènes les personnes de basse extraction sociale et économique.

Si les habitants des collines que visitaient les missionnaires s’amassaient sur leur passage, ils ne les craignaient pas moins pour autant. Ils toléraient leur va-et-vient dans les sentiers sans toutefois souffrir leur présence dans l’urugo– “enclos” de qui que ce fut. Or il arrivait souvent aux prêtres de se glisser jusqu’à l’intérieur de l’urugo de certaines personnes et de se faire inviter à entrer dans leurs huttes. Ces gestes, qui normalement permettent des contacts faciles avec les hommes d’une localité donnée et la connaissance rapide de la population et du milieu, étaient, aux yeux des Rwandais, mal à propos car les Blancs étaient des étrangers tous “porteurs de mauvais sort”. Ainsi, les gens les voyant arriver tout près de leurs demeures, les fuyaient, se cachaient dans les huttes ou dans les greniers à provisions, pourtant inconfortables; faute d’avoir eu le temps de s’esquiver, ils y restaient muets.

Nous avons trouvé que cette méthode de conversion directe comportait des dangers pour les missionnaires surtout à cette époque où la majorité de la population restait encore hostile ‘à l’installation des Missions dans le pays et au moment où les autorités leur tendaient des pièges pour les écarter de leur royaume. En effet, leurs visites répétées auprès du peuple incitaient des soupçons chez les chefs qui craignaient que leurs sujets ne S’échappassent à leur contrôle pour adhérer à la Mission.

Alors, elles épiaient discrètement les Pères Blancs dans leurs déplacements et dans leurs entretiens avec les gens: “Presque toujours’, les chefs, alors nos ennemis, nous faisaient suivre par un de leurs hommes, lequel, sous des dehors affables, jouait en réalité le rôle d’agent de 2èmeBureau, tenant à connaître les maisons visitées par nous, les réactions rencontrées, désireux surtout de repérer, puis de dénoncer les familles moins revêches qui osaient afficher quelques bienveillance pour nous, de l’estime ou simplement de la curiosité envers la doctrine chrétienne.”

En plus, l’irruption des missionnaires aux domiciles des Rwandais pouvait déclencher par occasion des injures ou autres réactions dangereuses à leur encontre. Le Père Arnoux qui s’est un peu penché sur cette question, nous fournit une série de phrases où se manifestent “la désinvolture et la répugnance” des Rwandais à l’endroit des Pères Blancs. Nous ne citons ici qu’un seul passage pour nous faire une idée de la situation: “(…) Il nous a fallu essuyer bien des rebuffades et des insultes du genre de celles-ci: “Pourquoi, disait-on à l’adresse de notre homme de confiance qui nous accompagnait, pourquoi amènes-tu chez moi ces “ibikokobyaBulaya”, ces bêtes sauvages d’Europe? Nous ne désirons aucune relation avec ces “ordures étrangères”, avec ces sorciers qui se repaissent de chair humaine.

Mises à part les réactions que les missionnaires ont rencontrées au cours du recrutement des postulants, ce passage est intéressant à plus d’un endroit. _Il nous montre à la fois que le sorcier ou le sauvage, c’est “l’Autre” et que le cannibale est aussi “l’Autre”. Ceci nous a prouvé que chaque peuple manifeste dans son fort intérieur, et extérieur un esprit de grandeur par rapport aux peuples étrangers. Plus encore, nous avons décelé dans ce paragraphe l’attitude de chaque peuple de se sentir plus noble qu’autrui et donc plus “civilisé” qu’autrui. Si les missionnaires ou plus globalement les colonisateurs européens avaient su la perception du Blanc par le Noir, il y aurait eu, nous paraît-il, moins de destruction des acquis des peuples africains par les peuples européens désireux de régner en maitres supérieurs.

En face des difficultés que suscitait leur présence dans le milieu rural rwandais, les missionnaires ont décidé de rester à la Mission, d’y sortir le moins souvent et de déléguer plutôt ceux parmi le peuple qui avaient accepté de venir à la station. Au départ, ils eurent à leur portée des “ouvriers” accourus pour la construction et les cultures. Ces travailleurs, rassemblés en plein air, suivaient une leçon de catéchisme donnée par un prêtre pendant les repos du midi ou après le travail. Ceux qui accueillaient favorablement ce que le Père disait, partaient le dérouler presque machinalement dans leur famille et y ajoutaient leurs propres commentaires très souvent allachants et en faveur de la Mission. Il y a lieu de se représenter les effets positifs que cette manière de propager la doctrine nouvelle a eu dans le domaine du catachuménat au Rwanda: attirés à la fois par les avantages matériels qu’offrait la Mission et par les paroles colorées de leurs congénères, les jeunes comme les adultes ont pris le sentier de la station et y ont reçu progressivement l’instruction religieuse.

Afin de stimuler le zèle de nouveaux venus et redoubler celui des anciens dans la conversion de leurs concitoyens, les Pères ont eu l’astuce d’exiger de leurs adeptes la présentation d’une ou de deux de leurs camarades “Convaincus” comme eux des “bienfaits” de la Religion chrétienne et décidés de l’embrasser, avant d’accéder au baptême. Par cette pratique, nous constatons que les Pères Blancs ont visé juste, ils ont su toucher la corde vibrante de leurs catéchumènes. En effet, grands causeurs en groupe et curieux, les Rwandais aimaient à se renseigner sur les nouveautés de quelque ordre qu’elles fussent et à les discuter. C’était là leur moyen d’information efficace -(il n’y avait pas de radio!). Dans les circonstances normales, le prosélytisme leur plaisait parce qu’il leur donnait l’occasion de montrer leur science et de satisfaire leur goût, on dirait inné, d’exercer quelque emprise.

De là nous comprenons que ce qui leur était demandé, c’est-à-dire le recrutement d’autres catéchumènes, n’était pas une lourde tâche. Selon le diaire de Save, cette méthode de conversion entra en marche en janvier 1901: “Le mouvement,de conversion s’est encore accru; plus de deux cents sur chacune des 30 collines qui nous avoisinent savent au moins les principales vérités; il s’instruisent entre eux.” En mai de la même année 1901, le diaire rapporte: “Nous donnons la médaille de la Sainte-Vierge à une quarantaine de nos enfants qui savent le mieux et dont la conduite est meilleure. Ils sont nos premiers catéchumènes et ils sont les premiers de notre station.” Le prosélytisme allait son train. Pour en suivre le mouvement, il suffirait de parcourir le diaire, véritable journal de bord des Missions catholiques. Nous n’avons pas calculé le nombre d’adhérants mensuels, car tous ne continuaient pas leur catéchuménat jusqu’au bout. Souvent même, il y en avait qui visitaient une seule fois la Mission pour ne plus y revenir. Nous nous sommes contenté de relever certains passages du diaire qui nous renseignaient sur l’action de conversion des catéchumènes. Là encore, nous ne l’avons fait que pour les quatre premières années. A partir de 1904, nous avons suivi le mouvement d’adhésion en nous référant au Liber batizatorum de certaines Missions. Nous avons pris l’exemple de Rwaza et y avons relevé le nombre annuel de baptisés (1904-1916).

En laissant de côté le rôle des catéchumènes dans le recrutement des nouveaux adhérents, nous avons voulu souligner celui des chrétiens car, plus convaincus, plus instruits encore sur les vérités chrétiennes et les pratiques morales, ils se livraient davantage à la coequête de nouveaux catéchumènes. C’est ainsi que quelques-uns d’entre eux ont amené, dans un délai seulement d’une année, de soixante à quatre-vingts recrues. Leur action s’étendait principalement sur leurs familles, sur le cadre d’amis; bref, elle trouvait sa résonance dans le cercle social ordinaire du chrétien. Cela se comprend car les Pères Blancs n’ont jamais tenté de séparer les “priants” du reste de la population et de former des “villages chrétiens” comme il a été le cas dans les milieux musulmans de l’Afrique du nord. La méthode employée au Rwanda pour convertir le peuple, a permis à l’élément chrétien d’agir directement sur l’élément païen dont il connaissait bien les forts et les faibles. Elle a entretenu le proselytisme de l’individu et a assuré ainsi beaucoup d’avantages à l’Eglise en plein commencement: les postulants croissaient en nombre, ceux qui étaient déjà enrôlés croissaient “en valeur”.

La tactique de développer chez les premiers chrétiens, en majorité jeunes gens, le goût de convertir leurs compatriotes au catholicisme, a donné dans l’immédiat et même à long terme des effets positifs en faveur des Missions. Les enfants ont entraîné leurs parents dans leur sillage en faisant miroiter devant eux de “nombreux bienfaits” que leur réservait l’adhésion au christianisme: être “plus heureux dans ce monde et dans l’autre” et en y insistant chaque jour davantage au cours des causeries qu’animent les soirs, assis autour du foyer, les membres de chaque famille nucléaire rwandaise. Vieux et vieilles jadis opposés à la doctrine des Pères Blancs finirent par se rallier au “parti” de leur progéniture. Soucieuses d’excuser leur défection du paganisme, ces nouvelles recrues aux cheveux blancs émettaient des réflexions du genre: Que voulez-vous? Abana banone ! – ah: les enfants d’aujourd’hui! Ils sont intraitables. Puisqu’ils ne cherchent plus à nous entendre, faut-il au moins que nous marchions avec eux !

Ce n’était là qu’une justification devant le grand public encore opposé aux Missions. En réalité les vieux se rendaient au catéchuménat parce que leurs enfants les avaient convaincus et avaient réussi à briser en eux leur attitude trop attachée aux coutumes et croyances de leurs pères. Surtout, ils se disaient que si jamais ils n’allaient pas s’instruire chez les Pères, leurs enfants finiraient par perdre les avantages qu’ils retiraient de chez ces derniers. Alors ils se rendaient soit à la Mission, soit aux hangars-chapelles construits dans les environs pour assister aux séances de catéchisme qui leur étaient réservées. Dans les collines éloignées de la Mission comme à la station même, ces postulants de la onzième heure étaient instruits par des ressortissants des écoles missionnaires qui remplaçaient les Pères Blancs comme catéchistes. Ils interprétaient les textes bibliques,ils enseignaient les prières; bref, ils assumaient le rôle de formateurs des futurs chrétiens. Dès lors, les missionnaires cessèrent pratiquement de se rendre dans les collines sinon pour le contrôle de l’école-chapelle et les derniers secours aux malades. Le recrutement de nouveaux adeptes fut désormais l’oeuvre des Rwandais.

Le fait d’avoir utilisé les autochtones pour faire passer la Religion chrétienne parmi le peuple et par voie de conséquence vaincre progressivement l’opposition de celui-ci, demeure pour nous un point capital. Il témoigne sans ambiguité de l’importance du rôle joué par l’individu et par ceux qui ont résisté à l’expansion européenne et missionnaire d’abord et ont, par après, contribué à vaincre leur ancienne résistance. Nous avons remarqué que les vieux, “fouettés par l’espoir”, se livraient de suite à un recrutement intensif d’autres vieux, vouant ainsi à l’échec le mouvement d’opposition que jadis ils entretenaient.

Une question alors se pose à savoir comment, après avoir recruté les gens, les Pères Blancs les domestiquaient, les préparaient au baptême et au prosélytisme. Nous allons ébaucher une réponse en tâchant de mettre en relief respectivement la méthode de préparation au baptême et la méthode d’instruction religieuse que les missionnaires ont employées au Rwanda.

Etant donné que le baptême introduit une personne dans l’Eglise et en fait membre de cette Société aux exigences variées et sévères, celle-ci doit veiller à ne s’agréger que des gens décidées et reconnues comme vraiment converties à la doctrine Chrétienne. De là un temps de probation prolongé sur une période de quatre ans pendant lesquels les missionnaires et leurs auxiliaires donnaient des leçons de catéchisme suivies d’instruction religieuse destinée à créer et à enraciner dans les aspirants de “fortes convictions”. De là aussi, des exhortations multiples et répétées pour former le coeur du catéchumène et promouvoir en lui l’acquisition et l’assimilation des vertus théologales: la foi, l’espérance et la charité. C’est durant cette période que le postulant faisait l’apprentissage de la vie chrétienne. Cela veut dire, d’après nous, qu’il apprenait à abandonner définitivement son culte et ses croyances rwandaises, à les considérer comme superstitions, à les détruire en se détruisant lui-mime afin d’entrer pleinement dans l’Eglise chrétienne romaine pour laquelle il venait d’acquérir de l’estime: son Dieu suprême, ses représentants et ses représentations, etc. le fascinaient!

Ces quatre années de préparation au baptême constituaient une épreuve prolongée durant laquelle les missionnaires avaient le loisir d’étudier surtout la situation matrimoniale de leurs catéchumènes et de la régulariser. C’est-à-dire que quand ils se trouvaient devant un polygame, pour ne citer que le seul cas, ils l’amenaient à garder comme femme légitime la première épouse et à répudier toutes les autres ou à se détourner d’elles complètement même s’il les laissait jouir de leur-“intekeshwa” – lopin de terre concédé à chaque épouse par la famille de l’époux ou par l’époux lui-même. Un tel comportement des Pères Blancs à l’égard de leurs clients nous a paru très sévère et plus est, il montre jusqu’où est allée l’ingérence des missionnaires dans les affaires internes de la Société rwandaise.

L’épreuve de quatre ans aidait également les prêtres “à s’assurer de la pureté d’intention des candidats au baptême. Personne ne s’étonnera d’apprendre que les premiers motifs de fréquenter la mission, affleurant dans l’âme du païen, risquent fort d’être contaminés par l’espoir de certains bénéfices matériels (…) car ces biens temporels émeuvent évidemment plus que la perspective d’acquérir la grâce sanctifiante et des secours surnaturels. Cependant, c’était difficile de savoir exactement si le Rwandais affichait oui ou non ses vraies convictions à l’égard de la doctrine nouvelle et si son comportement profond répondait aux pratiques morales des Européens, ses nouveaux martres.

Pour expliciter, nous recourons encore à l’exemple donné dans le paragraphe précédent. Au lieu de répudier ses femmes pour n’en garder qu’une seule, souvent, si pas toujours, le catéchumène se contentait de dire aux prêtres qu’il était désormais attaché à une seule de ses femmes, celle qui allait avec lui dans les salles de catéchuménat et qu’il ne fréquentait plus les autres. Toutefois, il se pressait d’ajouter qu’il devait travailler quelquefois dans leurs champs, entretenir en bon état leurs huttes, etc. afin d’assurer aux enfants qu’il a eus avec elles un bon avenir. Cette dernière assertion ne pouvait que réjouir les Pères Blancs qui soutenaient toute action charitable. Mais c’était pour eux une erreur. En réalité, le postulant continuait ses relations normales avec toutes ses femmes et de connivence, celles-ci déclaraient que leur mari aujourd’hui converti les avait désertées. Ce qui importait, et là Alexandre Arnoux ne s’est pas trompé, c’étaient des bénéfices matériels, surtout la protection contre les exactions des dominants d’alors. C’est principalement pour cette raison, sommes-nous arrivé à remarquer que les candidats au baptême se soumettaient si patiemment aux quatre années presque analogues à celles qu’ils consentiraient eux-mêmes en se soumettant aux services d’un seigneur tutsi dans l’espoir d’obtenir de lui une vache et protection.

Pendant cette période aussi, les missionnaires et leurs auxiliaires catéchistes s’attelaient à rendre Dieu présent dans les divers moments des catéchumènes comme c’était le cas pour les chrétiens. Quotidiennement, ils récitaient les prières familiales (matin, soir, repas), hebdomadairement, ils assistaient à la messe dominicale, mensuellement, ils se réunissaient et entendaient des directives émanant de la Mission. Ils étaient donc “encadrés”. A la suite de cette séance mensuelle, le Père ou le catéchiste établissait, revisait, complétait le dossier des individus: dossier personnel, familial, matrimonial, sans oublier le contrôle, la direction du prosélytisme. Ce dossier ainsi rempli accompagnait le candidat au baptême et servait pour la confection du registre de Mission. Ces fiches qui seraient très utiles pour les chercheurs sont actuellement introuvables. Les registres des premiers catéchumènes n’existent plus dans certaines paroisses. Ils ont été brûlés ou déchirés pour céder la place aux registres des baptisés.

Enfin, pendant toute la période consacrée à la préparation au baptême, les postulants suivaient des instructions religieuses. Celles-ci se donnaient en Kinyarwanda, langue n’ayant aucune ressemblance quant à la forme et quant au fond avec les langues européennes. En recourant à leurs premiers adeptes, les Pères Blancs apprirent le mécanisme de cette langue. Au fur et à mesure qu’ils s’informaient de tout ce qui constituait sa richesse et les secrets qu’elle véhiculait, les missionnaires découvrirent chez les Rwandais les points de comparaison aptes à faciliter, dans une certaine mesure, l’exposé de la doctrine chrétienne. Ils exploitèrent surtout les formes des institutions et les expressions rencontrées pour préciser les relations entre l’homme et Dieu qu’ils prêchaient.

Ainsi, ils comparèrent leur Dieu à l’Imana des Rwandais. Ils montrèrent qu’Il réclamait des hommes des attitudes et des sentiments analogues à ceux que demandait le souverain rwandais de ses sujets: amour, fidélité, service, sacrifices… A cela, ils ajoutèrent que les droits du Créateur dépassaient de loin ceux du roi terrestre. Ils saisirent l’institution de clientèle pour placer l’homme à l’égard de Dieu. Dans ce cadre, ils montrèrent que les relations des vivants avec Lui, les engageaient au dévouement total et leur assuraient des biens beaucoup supérieurs à ceux que les seigneurs tutsi gratifiaient à leurs clients hutu. Sans devoir multiplier des exemples des faits rwandais qui ont paru aux prêtres comme des pierres d’attente de la Révélation, nous constatons que les missionnaires ont su répondre au plus pressé: préparer les gens au baptême et les former au prosélytisme en empruntant des images captivantes dans leur univers quotidien. Ils cherchaient à s’assurer de leur attachement total et de leur collaboration dans le recrutement de nouveaux adeptes. Ce dernier fut surtout facile à partir du moment où l’attitude de certaines autorités a été plus ou moins favorable aux missionnaires et à leurs ouailles.