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  1. Pour Mieux Connaître Le Rwanda. Ce Qui Distingue Le Civilisé du Primitif.

Le Rwanda pour certains lecteurs, ne représente peut-être qu’une grande «Chefferie », une grande « Tribu »; une grande « Peuplade ». Mais son étendue de 30.000 km2, sa population de près de 2 millions d’habitants, parlant pratiquement une même langue et obéissant à un même Roi, ne semblent pas justifier de telles appellations. Ceux qui connaissent notre pays l’appellent «Peuple ». Je me conformerai à l’usage.

Notre pays est encore primitif. A certains points de vue cependant, cette infériorité ne joue pas également sur toute la ligne. L’esprit est de même nature chez le civilisé et chez le primitif. Seulement, chez celui-là, l’esprit a déjà associé le corps à ses opérations supérieures ; le corps se sert des lois de la nature, sous la direction de l’esprit, et leur fait faire des merveilles. On a défini la civilisation; « Se servir des lois de la nature, en observant la Loi de Dieu ».Quant au primitif, son corps à lui n’a pas encore su comment s’asservir la nature. La loi du moindre effort aidant, l’esprit inventif se contente parfois de petits moyens :gagner sa nourriture, son vêtement,… si encore il ne le trouve pas superflu!

Est-ce à dire que tous les primitifs en soient là? Non ! II y a des degrés! On peut rencontrer des peuplades, des peuples de civilisation inférieure quant aux inventions matérielles, qui ont cependant des productions intellectuelles d’une grande élévation. L’esprit étant de même nature chez tous les hommes, une fois le point de départ donné, et à supposer qu’il existe un stimulant efficace, rien n’empêche que l’esprit se développe à l’infini et produise des chefs-d’oeuvre, en comparaison desquels les réalisations manuelles, chez le même homme, sont en arrière de plusieurs siècles.

Ce degré de progrès intellectuel pourrait peut-être utilement établir la différence entre « tribu» et «peuple primitif». Le régime des tribus ignore, du moins en général, l’esprit de conquêtes. Le patriarche préside aux destinées de sa famille; tout au plus se permet-il des razzias chez ses voisins. Aussi l’organisation fondamentale de la Société reste-t-elle essentiellement stagnante, et les occasions de progresser plutôt rares, si non nulles. Les traditions, la mentalité et les coutumes sont au niveau de l’idéal.

2.Tradition D’Un Peuple: Source De Sa Grandeur.

Il en va autrement d’un peuple conquérant! Pour annexer de nouveaux territoires, aux dépens d’un voisin parfois de force égale; pour repousser les attaques des peuples environnants, dont les qualités belliqueuses ont été -éveillées peut-être par le dit conquérant: il a fallu lutter. A telle époque donnée, tel danger a inspiré telle tactique déterminée; à tel obstacle, on imagina d’opposer tel stratagème; le succès qui s’en suivit révéla que dans des circonstances analogues, il faudra désormais appliquer les mêmes remèdes. De là des institutions nouvelles joueront un rôle plus ou moins important dans la langue, dans la Tradition, dans la mentalité de ce peuple. Et ainsi de luttes en luttes, de dangers en dangers, d’institutions en institutions, le peuple acquiert son expérience à lui; (forme sa Tradition, Source de son idéal, de sa mentalité.

Du reste il en va des pays comme des hommes. L’homme fait que nous rencontrons a dû lutter pour vivre jusqu’à ce jour. Dans cette lutte il a acquis une expérience grâce à laquelle il évite les obstacles qui s’opposeraient à la poursuite et à l’acquisition de son bonheur, idéal de sa vie. Vivre, c’est entrer dans l’avenir avec l’être du passé qui s’adapte, au fur et à mesure, aux circonstances variées du présent. Celui qui se refuse à cette adaptation renonce à vivre. Le peuple qui ne se conformerait pas à cette loi du vivant, se condamnerait également à la mort, à la désagrégation de son ancienne société ; deviendrait ( par conquête, par absorption ou par asservissement,) la proie de quelque peuple vivant qui sent la nécessité de lutter pour vivre.

La Tradition d’un peuple commande ses aspirations à lui, et fait sentir, plutôt qu’il n’exprime son idéal, travers toutes ses manifestations. La mentalité d’un peuple, c’est la conscience de ses traditions, qui plane sur toute la vie du pays, s’exprime dans les actions humaines de tous ses habitants. Elle pourrait se définir: répertoire de la spiritualité, de la richesse intellectuelle, du génie et de la personnalité d’un peuple, comme groupe ethnique localisé. C’est dans cette mentalité que les poètes, la langue et les penseurs d’un peuple primitif puisent leurs compositions et expriment explicitement l’idéal de la race. Les auteurs des proverbes, puisent les axiomes, dans lesquels cette mentalité est condensée en des vérités irréfragables, que personne n’oserait contester.Nécessité

3. Nécessité de connaître le peuple.

Il est dès lors nécessaire de connaître réellement ceux qu’on veut éduquer je dis « réellement », parce on peut se tromper soi-même, et croire qu’il suffit d’une connaissance supposée, puisée dans des rapports annuels composés par des hommes qui ignorent bien des choses d’un pays dont ils ne parlent pas la langue. Ces rapports et beaucoup de documents semblables sont utiles sans doute, mais n’éclairent pas suffisamment les gouvernants d’un pays. Le commandement suppose avant tout la connaissance des hommes : il est nécessaire de les fréquenter et de s’intéresser à eux.

Il n’est même pas nécessaire de connaître la langue pour s’intéresser effectivement aux gens, en vue de pénétrer leur mentalité et de saisir la tournure de leur esprit. Cette connaissance de la langue peut être remplacée par un vrai sens du commandement : un vrai chef ne doit pas tout savoir, ni à plus forte raison, tout faire par lui-même ! Il doit savoir se servir de la hiérarchie dont il est la tête. Lorsque le pays à éduquer est un groupe de clans hétérogènes, l’éducateur doit savoir ce qu’il convient d’imposer à l’ensemble des groupements, et ce qu’il faut appliquer séparément à chaque clan et tribu. Mais quand le primitif à éduquer est un peuple, le véritable éducateur ne peut lui imposer la même méthode qu’aux tribus hétérogènes, car alors il le heurterait. Un peuple, dans le vrai sens du mot, ne peut évidemment pas être déformé, c’est-à-dire dépouillé de son idéal, de sa vie, sans résistance. Qui s’étonnerait dès lors, qu’au lieu de l’éducation désirée, c’est-à-dire : cet ensemble de vertus sociale et civiques, dont le bon esprit est la fleur et dont la reconnaissance est le fruit, on aboutirait à une crise générale de mauvais esprit, allant jusqu’à une xénophobie endémique, dont le pays ne pourrait se féliciter, ni dans le présent, ni dans l’avenir! L’Educateur crierait très fort à l’incompréhension, l’Eduqué l’en accuserait encore plus désespérément ! Et bien malin serait qui devinerait lequel des deux aurait raison !

C’est là, il faut le dire, que doit aboutir, du moins normalement, l’ignorance des aspirations d’un peuple, le manque d’une vraie et sympathique connaissance de son idéal, de sa mentalité, et de ses coutumes fondamentales, dans celui qui le gouverne. Chaque décision, touchant certaines organisations qu’il serait nécessaire de faire évoluer, prise prématurément ou gauchement, par suite d’une ignorance profonde du point de vue traditionnel qu’on va inutilement heurter, sera considérée comme une nouvelle vexation. Ainsi telle réforme qui aurait dû favoriser le progrès, si elle avait été introduite en temps apportun et avec les modalités requises, pourra qu’engendrer une REVOLUTION ; involontaire sans doute, mais révolution quand même ! Or la révolution n’est jamais bonne que quand elle se produit par évolution ! La Révolution tout court, brusquant les événements et taisant table rase du passé, est anti-traditionnelle ; elle n’améliore rien puisqu’elle ne tient pas compte du précédent! Et par là elle tue la vraie grandeur des nations comme des individus. C’est pourquoi quiconque veut faire du bien, en matière d’éducation, aux individus comme aux peuples, doitse rappeler que le progrès, (la civilisation ) ne commence pas avec lui. Il doit tenir compte de l’acquis traditionnel, comme des prédispositions propres à telle famille ; alors seulement il pourra éduquer. En dehors de cela, il impose une Révolution, c’est-à-dire: une décadence, une déformation.

 

 

 

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