Encore aux prises avec les difficultés des premières années, les missionnaires écrivaient en affirmant qu’une foule de Rwandais accouraient à la Mission et que les prêtres étaient satisfaits de leur situation parce que: “Malgré ces petites misères inhérentes à la vie apostolique, les missionnaires jouissaient d’un bonheur parfait, car ils habitaient un pays rempli de monde où il y a beaucoup à faire. Placés dans leur temps, les écrits de se genre se comprennent assez aisément: les missionnaires, une fois débarqués en Afrique équatoriale, faisaient beaucoup de propagande pour attiser le zèle missionnaire de leurs compatriotes restés en Europe. En plus, ils cherchaient à persuader l’opinion chrétienne de l’ampleur de leur besogne au milieu de ces peuples “avides” de connaître le Christianisme et la Civilisation occidentale. C’est dans la mesure que leurs témoignages souvent exagérés frappaient l’attention des lecteurs européens qu’ils pouvaient s’assurer de leur soutien matériel car, rappelons-le, “La Société des Missionnaires d’Afrique” se place dans le cadre des Sociétés philanthropiques et scientifiques fondées au XIXème siècle et dont le but principal était de délivrer les peuples noirs africains du trafic humain, l’esclavage et d’explorer le “Continent mystérieux” afin d’y permettre l’entrée facile des Européens. Comme le personnel de ces autres sociétés, les Pères Blancs vivaient substantiellement des subsides et des donations des personnes intéressées à la conversion des peuples noirs africains restés jusque là à l’écart de la religion Chrétienne. Les missionnaires devaient donc faire une apologie de leur entreprise afin d’alerter l’opinion publique européenne.

 

A côté de leur exagération, leurs écrits reflètent une certaine réalité du moment. Malgré l’opposition qui régnait dans le pays et qui visait à barrer la route aux Pères Blancs, la population, quelques dirigeants même, venaient à la Mission. Le motif exact de leur affluence n’a pas souvent échappé à la perception des missionnaires qui y ont vu, à juste raison, la curiosité pour les objets exotiques et le désir de s’en acquérir. Toutefois, leur erreur a été de penser que tout ce monde serait, immédiatement après la distribution des cadeaux, l’objet de leur mission de convertir les païensalors qu’en réalité la majorité de personnes qui se présentaient à la Mission ne visait qu’une aiguille, une perle, un morceau de cotonnade, etc.

 

Elle n’envisageait, à ce moment-là, aucune autre forme de relation avec les missionnaires desquels elle voulait uniquement soutirer ce dont elle avait besoin.

Une infime minorité cependant, quelques orphelins, allaient à la Mission avec une certaine détermination d’approcher les prêtres et d’essayer de gagner leur sympathie. Dans les débuts, cela ne se faisait pas sans peur car les missionnaires, comme tous les autres Blancs, étaient, aux yeux des Rwandais, des ibilyabantu– “anthropophages”. Mais ils y allaient à leurs risques et périls car ils n’avaient rien à perdre et rien à sauver. Ils espéraient que peut-être ces nouveaux venus amélioreraient leur sort qui n’avait rien d’enviable. Ils manifestaient leur détermination de se mettre du côté des Missions par des menus gestes et par de menus services qui signifiaient dans la Culture rwandaise, et soumission et obéissance. Ainsi, le matin, quand ils se présentaient devant les Pères, ils les saluaient, les deux mains jointes et les yeux tournés vers le sol. De temps à autres, ils leur apportaient du bois de chauffage, de l’eau, etc.

 

Les missionnaires ne recherchaient qu’un tel esprit de bienveillance Pour un “bel accomplissement” de leur mission. Aussi, ne se firent-ils pas trop prier pour accueillir chez eux quelques jeunes gens dont le plus âgé avait environ treize ans. En se montrant accueillants, ces gens n’envisageaient Pas du tout de devenir des premiers chrétiens rwandais, ils visaient plutôt à améliorer, dans la mesure du possible, leur condition sociale et économique compromise par leur situation d’orphelin. Bien que dans la société rwandaise l’enfant qui perdait ses parents n’était pas abandonné car il était pris en charge par ses oncles paternels et quelquefois par ses oncles maternels, il reste cependant qu’il risquait de vivre pauvre toute sa vie et de devenir vagabond, surtout quand le père ne laissait pas beaucoup de biens: terres et vaches, chèvres et moutons. Ainsi, un orphelin pouvait, dès l’âge de huit ans, aller de colline en colline, s’offrant soit comme gardien de petit et gros bétail, soit comme un prêt à tout-faire pourvu qu’il gagnât son “pain” quotidien. Quand les conditions de vie lui devenaient difficiles, il quittait ses maitres pour errer de nouveau, si bien qu’au bout de quelques mois, il pouvait parcourir le pays du nord au sud. C’est parmi ces malheureux que les missionnaires recrutèrent leurs premiers adhérants rwandais.

 

Parmi la foule de gens qui affluait à la Mission, il y avait une autre catégorie de personnes qui voyaient auprès des Pères Blancs un remède à leurs maux: c’étaient des malades, surtout ceux qui étaient atteints de plaies qui n’avaient pas pu être guéries par les médicaments traditionnels rwandais. Accablés de souffrances, ils ne cherchaient pas à se dérober à la vue des prêtres ni à leur cacher leur inquiétude; ils espéraient qu’ils étaient en mesure de soulager leurs douleurs, car les Blancs étaient considérés aussi comme des “faiseurs” de nombreux miracles et des “guérisseurs” réputés. Tandis que les bien-portants menaçaient de chasser les missionnaires du pays parce que porteurs de mauvais sort, les malheureux cherchaient à gagner leur confiance afin de pouvoir se débarrasser de leur mauvais sort visible. Contradiction! Comme dans le cas précédent, les missionnaires furent abordés par les nécessiteux qui accouraient non pas pour se faire baptiser mais pour se faire guérir les maladies du corps. Mais ce n’était qu’un début prometteur pour les apôtres de Lavigerie: un jour, quelques-uns de ces orphelins et de ces malades soignés et guéris deviendraient, à coup sûr, des premiers chrétiens catholiques rwandais.

 

Comme ces orphelins et ces malades n’aspiraient pas au baptême, qu’ils ne le connaissaient même pas au départ, comment les missionnaires ont-ils réussi à les détourner de leurs pratiques “païennes” pour les convertir au christianisme? Nous venons de relever déjà quelques éléments (soins aux malades, orphelins adoptés) capables de nous fournir la réponse à cette question. Il nous reste à en donner quelques détails qui mettent clairement à jour la tactique des Pères Blancs dans le domaine de la conversion. Pour conquérir l’âme des premiers adhérents à la Mission et pour attirer d’autres Rwandais qui marquaient encore une grande distance à l’égard des missionnaires, ceux-ci se rangèrent tout simplement aux indications du Cardinal Lavigerie qui leur avait fait remarquer que dans les Missions qui les attendaient en Afrique, leur apostolat, durant un temps fort long, devrait se borner à l’exercice de la charité, et se manifester exclusivement par la pratique de cette recommandation du Christ à ses apôtres: “Infirmoscurate” – “soignez les malades”; que le dispensaire, les oeuvres d’assistance, la participation à l’amélioration de 1a vie économique et sociale de l’indigène et les écoles seraient les meilleurs moyens d’accès aux peuples africains, les seuls à employer pour se faire tolérer, puis se faire accepter au milieu de leurs tribus jalousement fermées dans un “susceptible fanatisme”.