8° Les Poèmes Dynastiques sous Mibambwe III Sentabyo.

57. Je vengerai le prestige du Roi.
Ncire Umwami inkamba.
Poème à ibyanzu de 50 vers, peut-être fragmentaire. Composition de Musare. Kigeli III est mort. Son fils Mibambwe III, déjà co-régnant, doit prendre en main le gouvernement du pays. Mais le grand favori du Roi défunt, à savoir Rukali, fils de Muhabura (Ce personnage est différent de l’Aède Muhabura fils de Bwayi, son homonyme dont nous avons fait connaissance plus haut) tente de s’y opposer en soutenant la candidature de Gatarabuhura à la dignité royale. Musare compose le Poème réquisitoire contre le Ministre tout puissant du règne écoulé. Il l’accuse avec véhémence : 1) d’avoir tenté de faire introniser Gatarabuhura, compétiteur de Mibambwe, alors que Kigeli III avait clairement désigné comme son successeur ce dernier. 2) D’avoir induit en erreur, à l’occasion de consultations divinatoires, son maître Kigeli III, lorsqu’ils se trouvaient au Ndorwa. L’Aède avait osé en faire la remarque au Ministre, à l’effet de le détourner d’une tromperie grosse de conséquences funestes ; mais Rukâli y répondit en le giflant.
Le nouveau Roi, après l’audition du Poème, fit arrêter Rukali, le condamna avec les membres de sa famille et les fit mettre à la torture.

58. Une large blessure.
Uruguma
Poème à ibyanzu de 76 vers, composition de Ntibanyendera, fils de Ndamira et petit-fils de Muhabura, notre vieil Aède du temps de Cyilima II.
C’est indubitablement le 2ème du règne que nous possédons. Rukali a été arrêté avec toute sa famille ; il a été jugé et condamné à être noyé dans le lac Muhazi, car le Roi se trouvait à Gasange, dans le Buganza. Le Poète composa cette satire contre le lac Muhazi, tombeau du criminel. Le refrain rappelle au « noyé » qu’il avait machiné d’évincer le prince héritier, mais que ses vains efforts avaient été déjoués par les dispositions sagement prises à l’avance par le Roi défunt, en vue d’écarter toute compétition au trône.
59. Personne ne peut dépasser les limites de sa destinée.
Nta we urenga icyo azira.
Très beau Poème à ibyanzu de 140 vers, compose par Muganza fils de Nyungura. C’est une satire contre le prince Gatarabuhura que le parti de Rukali avait voulu faire introniser Roi du Rwanda.
Document de premier ordre, concernant le rôle de Dieu dans le choix du Roi qui devra régir le Rwanda. Il est absolument impossible que les plans de Dieu en cette matière puissent être déjoués par les desseins des humains.

60. La royauté est léguée et ne se vole pas.
Ingoma iraragwa ntiyibwa.
Poème à ibyanzu de 140 vers, composition de Musare contre Gasenyi fils de Kigeli III, autre prétendant au trône. Se sentant en danger à cause de ses prétentions, Gasenyi s’était réfugié d’abord au Gisaka, peut-être à la même époque que Gatarabuhura. Puis il revint et obtint très facilement le pardon du Roi, son demi-frère. Resaisi bientôt par la folie des grandeurs, Gasenyi reprit le chemin de l’exil, pour chercher des alliances grâce auxquelles il triompherait. L’Aède qui nous renseigne sur cet épisode du règne de Mibambwe III, nous apprend en même temps que les prétentions de Gasenyi s’étaient fait jour déjà du vivant de son père. Kigeli III avait déclaré à Ruhanga, son confident, en présence du Poète, que ce jeune homme devait tôt ou tard, ou bien vivre en exil, ou bien être condamné par le Roi.
Développant un autre genre d’argument, le compositeur démontre la folie de Gasenyi, en rappelant que sa mère ne fut épousée qu’en l’honneur du Libérateur Kibogo et que de ce chef elle était dans l’impossibilité de régner au même titre que les autres Reines.
Le morceau contient beaucoup de renseignements concernant le Libérateur Kibôgo frère de Rugânzu II, et les familles dont il est l’ancêtre.

61. Je me plierai au servage.
Ubuhàke.

Poème à impakanizi de 152 vers, composé par Muganza fils de Nyungura. Mibambwe III avait beaucoup à faire pour réduire le parti de Gatarabuhura, qui travaillait activement à rappeler ce dernier et à entreprendre une guerre en règle à l’intérieur du pays. Et voici que Kimanuka, le propre frère du Roi, semble lâcher la cause de Mibambwe III. La Reine Mère Nyiramibambwe III Nyiratamba, tente de prévenir ce malheur et charge le Poète de faire comprendre à Kimanuka que son attitude est blâmable ; il doit se soumettre à son frère, car sa défaite amènerait la propre ruine de l’imprudent insoumis. — Les Mémorialistes nous font savoir que le Poème eut plein succès et que Kimanuka prit en main les intérêts de son jeune frère, comme leur mère le souhaitait.

62. J’ignorais que l’on pût tenir le Roi en échec, comme s’il se fut agi d’un Muhutu.
Sinalinzi ko Umwami yanganwa inka nk’umuhutu.
Poème fragmentaire de 31 vers, composition de Musare. — Le parti de Gatarabuhura se montrait de plus en plus hardi et la situation intérieure s’aggravait du fait de l’indiscipline sociale qui en résultait. L’Aède composa le présent morceau contre les Banyiginya de haut rang qui fomentaient cet esprit révolutionnaire. Il faut bien croire que Mibambwe III ne se sentait pas de force à sévir ; la politique répressive aurait provoqué des luttes ouvertes, que l’on pouvait éviter en tempo-risant.
63. La cicatrice qui se rouvre embarrasse les guérisseurs.
Inkovu icitse irushya abavuzi.
Poème à ibyanzu de 86 vers, composé par Ntibanyendera. Les chefs Banyiginya visés par le morceau précédent avaient compris. Ils donnèrent des cadeaux à l’auteur du présent Poème, pour qu’il les vengeât.
Ntibanyendera, qui s’était toujours complu à la composition des morceaux satiriques, attaqua Musare ; il le met en accusation, le rendant responsable de la mort de Kigeli III. Il formule deux chefs d’accusation : 1) Il fait remarquer la trop grande précision de l’annonce du décès imminent du monarque, contenue dans les deux fameux Poèmes présentés au Ndorwa, y compris le lieu de sépulture (Munanira de Rutare) qui s’avéra exact dans la suite. Que dire dès lors, sinon que ou bien Musare avait empoisonné le Roi, ou bien qu’il connaisait ceux qui l’avaient fait trépasser ? — 2) Il rappelle un fait dont le présent Poème est la seule source, que le Roi mourut des suites de la coupure d’un nerf de sa jambe, coupure effectuée par quelqu’un de l’intimité de Musare.
Ntibanyendera conclut en réclamant l’arrestation immédiate de Musare et de son fils Nyakayonga. Il suggère que le supplice proportionné à leur crime, serait qu’ils fussent donnés en pâture aux crocodiles.
Mais le Roi qui sentait d’où venait le vent, n’entreprit rien contre l’Aède ainsi accusé par un collègue soudoyé !

64. Le jour où il fit solenniser Kigali.
Umunsi amalira Kigali.
Petit fragment de 19 vers, dictée de Kanyabujinja. — Le compositeur inconnu présenta le morceau au Roi certainement pour les solennités de l’inauguration de sa résidence de Musimba, l’un des sommets du mont Kigali. C’est tout ce que laissent comprendre les quelques vers recueillis, sans autre point de repère pouvant servir à le dater.

65. Le Roi n’est pas un homme I
Umwani si umuntu I

Après le cycle caractérisé du début du règne, inter-calons ici des Poèmes «spéculatifs » ultérieurs. — Le premier ci-dessus énoncé est oeuvre de Semidegoro, fils de Gasegege, de la famille des Benegitore. Le morceau totalise 114 vers. C’est un document des plus catégoriques sur le Roi, ses droits, ses devoirs et ses prérogatives. On peut dire que sur ce sujet le compositeur a condensé toute la tradition et qu’on ne peut rien dire de plus. Nous l’avons traduit in extenso et on le trouvera au chapitre des lectures.

66. Le Roi n’est pas un homme II.
Umwami si umuntu II.
Poème fragmentaire de 40 vers par le même Sémidogor. Après avoir présenté le Poème précédent, il fut vivement critiqué, pour son en-tête qui peut également s’interpréter « Le Roi est inhumain », ou « Le Roi est sans le savoir vivre ». L’Aède se justifia dans le présent Poème, dont l’en-tête propre a été oublié. Sekarama en a dicté ce fragment accolé au titre du précédent, mais sans confondre les deux morceaux. Leur teneur est totalement différente. Le premier est une composition calme, exposant la doctrine traditionnelle. Le second est une apologie, dans laquelle l’Aède se défend : « J’ai dit que le Roi est… s’il n’en est pas ainsi, que l’on me convainque et je parie ma fortune bovine »… « J’ai affirmé que cela ne peut m’être imputé à faute : on peut tout au plus m’en corriger devant de plus sages ! » Tout le fragment est de la sorte un plaidoyer, justifiant l’en-tête dont le sens semblait à certain ambigu.

67. Leur parole est irréformable, les Rois.
Ko bavuga ilidakuka, Abami.
Poème fragmentaire de 11 vers, dont le compositeur est inconnu. C’est un morceau des plus vénérés, détaillant la puissance des décisions royales. La parole du monarque doit passer de générations en générations, elle modifie ou abroge les coutumes reçues, sans qu’il soit possible de la réformer.
On voit combien les Aèdes éprouvaient le besoin de formuler, à cette époque, les croyances traditionnelles concernant le pouvoir du Roi.

68. Le Dieu qui a prédestiné les vaches.
Imana yabonye inka.
Très beau Poème à ibyanzu de 153 vers, compose par Rukomo fils de Bujyugu. Le Poète chante la Vache, son naturel doux, son rôle social au Rwânda. Celui qui en est enrichi devient un personnage de renom ; de l’état de pauvre mulnitu qu’il était, la noblesse du pays l’in-troduit dans sa sphère ! « Si nous n’avions pas la Vache, demande l’Aède, que deviendrions-nous désormais ? »

69. Nous entamons la journée avec des hauts faits.
Turamutse mu mihigo.
Poème ikobyo de 132 vers ; ceux qui l’ont dicté ont prétendu que le compositeur en fut Mirama, sous Yuhi III Mazimpaàka. Mais les deux choses sont impossibles. Le style n’est ni de Mirama, ni du règne de Mazimpaka. Le Poème lui-même ne comporte aucune indication pouvant déterminer avec certitude le règne de sa composition. Le style est des règnes de Mibambwe III et Yuhi IV.
Les vers 86 et 132 semblent désigner le règne de Mibambwe et c’est pourquoi il occupe la place que voici. Ce qui est certain, il ne peut être du règne de Yuhi III, ni ne peut avoir Mirama pour auteur.

70. Qui me dirait comment présageait l’augure intronisateur de ce
jeune homme.
Ikimbwiye Imana yamwimitse uko yasaga uwo mwana.

Poème « fragmentaire » de 38 vers, composé par Musare contre Nsoro IV Nyamugeta, Roi du Bugesera. A son avénement, Nsoro IV fit razzier un troupeau de vaches de la Cour, pacageant à Murinja, dans la province actuelle du Màyaga. Ce fut l’occasion des hostilités entre le Rwanda et le Bugesera, car jusque là notre Dynastie éprouvait un respect superstitieux vis-à-vis de ce Royaume. — Nsoro IV, au terme du Poème, ne faisait que monter sur le trône de ses pères. Jeune monarque dépourvu autant d’expérience que de sages conseillers, « sous quel destin avait-il été intronisé ? » Ce petit rien de Bugesera, s’attaquer au Rwânda ? C’était à n’y rien comprendre ! A son avénement, Mibambwe III avait fort à faire avec ses frères révoltés. Aussi ne voulut-il pas s’occuper de cette provocatrice affaire de Murinja. Il n’y reviendra que beaucoup plus tard. Et c’est le motif pour lequel le poème se place en cet endroit, dans le cadre des expéditions déclanchées contre le Bugesera.
71. 0 front foudroyant.
Ruhanga rucura inkumbi.
Poème à ibyanzu de 149 vers, composition de Nsabimana, fils de l’Aède Nyabiguma. Apprenant que le Burundi venait d’envahir le Bugesera par le Sud, Mibambwe III envoya des Armées qui l’attaquèrent par le Nord. Le compte de Nsoro IV était rapidement réglé ! Ne pouvant faire face à cette double attaque, le monarque du Bugesera se réfugia auprès de son cousin Kimenyi IV Getura, Roi du Gisaka, tandis que le Rwanda et le Burundi se partageaient leur conquête. L’Aède Nsabimana composa le présent morceau comme satire contre Kimenyi IV, recéleur du fugitif dont Mibambwe avait mis la tête à prix. Le Poème a été entièrement traduit et le texte est au chapitre des lectures.
Notons que le Tambour Dynastique du Bugesera, le Rukombamazi, fut capturé par les Armées du Rwanda, qui accompagnaient le Libérateur-offensif du nom de Semahangura. Il en fallait un, puisque le Rwanda voulait annexer un territoire régi par une Dynastie reconnue comme telle.

72. Que j’achève le blessé frappé à mort par le Roi.
Nsongere Umwami inkomeli yishe.
Poème à ibyanzu de 177 vers, par un Aède inconnu. Nsoro IV Nyamugeta a tenté de revenir dans son Bugesera pour regrouper ses sujets et remonter sur le trône. Mais il n’a pu tromper la vigilance des représentants du Rwanda. Il a été arrêté et exécuté. Le présent Poème célèbre cet événement d’importance. Ajoutons ici une information concernant le morceau : le texte en avait été recueilli depuis des années et le sens en restait énigmatique. L’exécution de Nsoro IV ne se retrouve plus en effet nulle part dans les hauts faits que déclament les Mémorialistes de la Cour. La notice du Poème avait été rédigée en ces termes : « Composé après la mort d’un grand monarque qu’il est difficile de déterminer!»
Il fallut qu’en 1945 le texte du Bwiru (Code Ésotérique de la Dynastie) fût mis par écrit, pour dévoiler l’énigme ; il me fut raconté comment Mibambwe III avait pu saisir Nsoro IV, qu’il l’avait exécuté ; que le Karinga fut orné de son trophée ; et enfin que l’existence actuelle de la famille des Bacumbi est liée à cet événement.

73. J’ai été dans l’intimité des Rois.
Nuzuye n’Abami.
Morceau fragmentaire de 17 vers, composé par Nsabimana. L’idée que permettent de deviner les vers recueillis est que le Poème était une satire virulente, un réquisitoire serré contre Kimenyi IV. L’Aède y affirme la prochaine et indubitable exécution capitale de ce Roi. C’est le signe avant-coureur d’expédition guerrière.

74. Le Munyiginya dégénéré.
Umunyiginya mutindi.
Poème ikobyo de 155 vers, par Musare. Il le consacra à stigmatiser Kanywabahizi, fils du grand Libérateur Gihana. Envoyé en cette même qualité de Libérateur-offensif contre le Gisaka, Kanywabahizi avait passé à l’ennemi et préféré une vie de honte à une mort glorieuse. L’Aède flétrit sa mémoire en des termes tels, que personne dans la suite n’oserait plus se rendre coupable d’un pareil crime contre la patrie.
A la place de ce « dégénéré », indigne d’être appelé fils du glorieux Gihana, Mibambwe III envoya l’un de ses demi-frères, appelé Semucumisi, qui alla se faire tuer en Libérateur. Cela montre que la Cour du Rwanda estimait possible l’annexion du Royaume de Kimenyi IV Getura.

75. Etant donné sa jeunesse et son manque de dis-crétion.
Kulya yashukiranyije ubuto n’ubutamire.
Poème fragmentaire de 6 vers seulement. Composé par Musare. Il est dirigé contre Ntare IV Rugamba, Roi du Burundi. Il n’a d’autre intérêt ici que d’indiquer qu’après les expéditions dirigées contre le Gisaka, Mibambwe III allait maintenant se tourner contre le Burundi. Depuis la mort de Mutaga III, en effet, et à la suite des succès éclatants remportés sur le Gisàka et le Ndôrwa, depuis trois générations, c’est au Rwanda qu’appartient l’ini-tiative des guerres. Son Roi attaque le pays de son choix et au moment qu’il juge opportun.

76. Je suis l’envoyé des Rois.
Ndi intumwa y’Abami.
Poème à ibyanzu de 140 vers, composé par Ngogane fils de Bagorozi, certainement après l’annexion du Bugesera. Il rappelle des exploits du règne de Cyïlima II, accomplis dans le Buyenzi (où fut tué Mutaga III) et fait allusion à une expédition à la même frontière envoyée par Mibambwe III. Il avait arrêté les opérations pour concentrer ses guerriers, en vue de l’annexion du Bugesera.

77. Le rôle dont s’acquittent les Rois dans le pays.
Urubanza Abami bamalira igihugu.
Poème à ibyanzu de 147 vers, composé par Rukomo ; fiction d’une visite aux enfers auprès des ancêtres de Mibambwe III. — Ils posent successivement les uns aux autres des questions sur l’état actuel de leurs anciennes conquêtes. Le Poème exalte les hauts faits du Roi digne émule de ses aïeux. Était-ce peut-être les adieux de l’Aède à la composition !