10° Les Poèmes Dynastiques sous Mutara II Rwogera.

90. Se reproduire en ses enfants réjouit les parents.
Ukwibyara gutera ababyeyi ineza.
Très beau et très populaire poème de 391 vers, composé par Nyakayonga fils de notre Musare. Il le déclama devant le nouveau Roi, durant les solennités de son intronisation. On a trouvé la traduction in extenso au chapitre des lectures.

91. Que je console ceux qui pleurent.
Mpoze abarira.
Poème à ibyanzu de 107 vers, composé par Matali, Aède du Burundi, pour consoler une des filles du Roi Ntare IV Rugamba, mariée depuis quelques semaines et dont l’époux avait péri durant l’expédition appelée « Rwagetana », « Rwagetana »: mot qui a le sens de « s’entre-découper, — s’entr’égorger ». Cette fameuse expédition fut ainsi dénommée par un ministre de la secte des Imandwa qui, fuyant devant l’invasion des Barundi, rencontra la Compagnie Officielle de la Cour qui se portait au devant de l’ennemi. On lui posa la question : « Quelles nouvelles I» — Il répondit : « Nsizé rwagetana !» (A mon départ, l’entre-carnage commençait). Les humoristes de la Compagnie rentrèrent du combat ayant baptisé l’expédition, de ce nom de u Rwagetana » dirigée contre le Rwânda.
C’est une coutume relevant du Code Ésotérique du Burundi d’envoyer une expédition guerrière contre tout nouveau Roi du Rwanda. Parfois cette expédition se réduit à une poignée de guerriers qui passent la frontière et se contentent d’incendier quelques unités d’habitations.
Mais à l’avènement de Mutara II, le Roi du Sud envoya une expédition monstre, dont les colonnes débouchèrent de tous les points de la frontière à la fois, afin de mettre les guerriers du Rwânda dans l’impossibilité de se porter mutuellement secours. Voulait-il enlever au Rwanda l’initiative des guerres qu’il détenait depuis le grand Cyilima II et l’obliger à adopter une politique défensive ?
Les colonnes du Burundi s’avancèrent profondément à l’intérieur du pays et l’une d’elles ne fut arrêtée qu’à quelques dizaines de kilomètres seulement de l’actuel Nyanza. Les Armées du Burundi furent ensuite taillées en pièces par les populations et les guerriers réguliers des Marches qui leur avaient coupé les voies de retraite.
L’Aède Matali lui-même y perdit deux de ses fils. Il déclare que le deuil a frappé le pays entier, et qu’il était bien rare de trouver une famille qui ne pleurait pas un membre englouti dans l’immense désastre ! Le Poème contient de très belles pensées sur la caducité du bonheur de la vie présente et sur la résignation en face de la mort.
Ce fut en 1899 que Kigeli IV, qui tenait sa Cour à Ngeli, à la frontière du Sud, envoya une délégation à Mwezi IV Gisabo, lui demandant des Poètes Dynastiques, à l’effet d’entendre les morceaux du Burundi. Celui qui est étudié ici fut retenu par le fils de Bamenya, (celui-ci Préfet des Poètes Dynastiques) Karera qui me le dicta. L’Aède Matali descendait de Rubyutsa, parent de Bagorozi dont la famille avait été déportée au Burndi.

92. Les oracles qui n’ont pas trompé leur élu.
Imana zitabeshye nyirazo.
Poème ikobyo de 80 vers par Bamenya, fils de Ruhama, célébrant la grande victoire de l’expédition « Rwagetana ». Les oracles divinatoires ayant désigné Mutara II Rwogera, viennent de démontrer par une victoire aussi éclatante que le nouveau monarque était vraiment prédestiné à cette dignité.

93. J’entends les échos d’une joie triomphale.
Numvise urwamo rw’impundu.
Très beau Poème, mais malheureusement fragmentaire de 24 vers. par Nyakayonga, pour célébrer la victoire de l’expédition « Rwagetana». C’est un Poème d’une allure vraiment triomphale que nous avons perdu !

94. Les oracles divinatoires ont désigné selon mes voeux.
Zabonye uko nshaka.
Poème fragmentaire à impakanizi de 220 vers, par Bikwakwanya, après une victoire contre le Burundi et au début du règne. Il s’agit de « Rwagetana » sans aucun doute. Il y manque les paragraphes de tous les successeurs de Mutara I.

95. Ce en quoi ils surpassent les autres Rois.
Icyo barusha abandi Bami.
Poème ikobyo de 138 vers, par Rundushya, vraisemblablement à l’occasion du « Rwagetana ». Il félicite le Roi faisant allusion à des succès, mais sans précisions plus caractérisées.

96. Le champ où sont récoltés les Rois.
Isambu yera Abami.
Poème ikobyo de 187 vers, par Bikwakwanya, réclamant l’arrestation du méchant qui avait causé la mort de Yuhi IV. L’Aède avait en vue le puissant Chef Rugaju, mais il ne le désigne pas nommément. — Il fut de fait arrêté et exécuté.
97. Puisque personne ne m’a dénoncé, je viens m’accuser moi-même.
None nabuze umurezi nirege.
Poème fragmentaire à impakanizi de 167 vers, par Rurezi. Les Infirmités de la vieillesse l’avaient tenu à l’écart de la Cour depuis la mort de Yuhi IV. Il put enfin venir, après la mort de Rugaju, et présenta le Poème tandis que la Cour se trouvait à Ruyumba près Matovu au Nord du Mayaga. Le paragraphe de Cyilima I Rugwe l’exalte seul ; à partir de son successeur les Rois sont exaltés deux à deux par paragraphe, jusqu’à Mibambwe III. Yuhi IV Gahindiro n’y est pas chanté par un para-graphe spécial.

98. La Bienfaisance du Roi.
Ineza y’Umwami.
Poème à ibyanzu de 175 vers, par Bikwakwanya, à l’occasion de la révolte (c’est-à-dire résistance armée) de la famille des Bayumbu proscrite. Le Roi était à Gihara près de Runda dans la province du Rukoma. Le Poète rappelle d’autres révoltes à celle-là semblables. Puis il s’étend longuement sur sa requête qu’il présente au Roi à l’effet d’obtenir un fief bovin.
99. Nous voici dans les constructions.
Tuli mu bibanza.
Poème fragmentaire de 28 vers, par Muzerwa. Le Code Ésotérique retient les Rois aux appellations de Mutara et de Cyilima dans la boucle de la Nyabarongo et de la Kanyaru, jusqu’au moment où ils auront accompli le Cérémonial appelé « Voie des Abreuvoirs ». Alors ils passent la Nyabarongo et se voient confinés dans la province du ‘Bwanacyambwe, à savoir celle honorée de la ville de Kigali.
Le peu qui nous reste du morceau laisse voir que l’Aède veut « prédire » les futures résidences de Mùtara II à l’Est de la Nyabarongo, lorsque le Cérémonial de « la Voie des Abreuvoirs)) l’y aura conduit. Il paraît que la Cour tenait le Poème en grande estime.

100. La résidence dans laquelle il a triomphé des nations.
Urugo yivugiyemo ibihugu.
Poème peut-être fragmentaire de 65 vers, par Rurezi. Il exalte la résidence royale artistiquement construite à Rukambura dans la province actuelle du Nduga. Le souvenir que les Mémorialistes eux-mêmes ont gardé de cette capitale est des plus émerveillés. Il paraît que certaines cases étaient intérieurement ornées de perles, de coquillages et d’ivoire, tandis que l’extérieur se trouvait recouvert des plus fines réalisations de vannerie. C’est le sujet du Poème de Rûrezi.

101. Nous contemplons une rare habitation royale.
Twabona ingoro.
Poème de 62 vers, par Bamenya. Il exalte les beautés de la résidence du Roi dont la construction artistique émerveillait tout le pays, non plus à Rukambura comme pour le Poème précédent, mais cette fois à Mwima, non loin de l’actuel Nyanza. Très belle composition.

102. Je communiquerai au Roi le message des autres Rois, ô Fidèles
messagers.
Mbwire Umwami uko abandi Bami bantumye, batumikira.
Poème ikobyo de 104 vers, par Rurezi ; adieu au Roi et à la poésie. L’Aède dit que sa mort approche. Comme toujours en pareil cas, touchantes pensées d’un païen se préparant à se rendre dans le monde des esprits, pour y faire sa cour aux Rois de l’ascendance. Il se figure déjà la scène de son arrivée dans l’autre monde : les Rois lui posent des questions concernant le régnant, leur fils. L’Aède recommande ses fils au Roi, lui rappelant la fidélité qu’il a toujours témoignée aux Représentants de la Dynastie.

103. Il me faut exalter la bienfaisance du maître.
Ntambe ineza y’umuhatsi.
Poème ikobyo de 116 vers, par Mutsinzi. Il ne possède pas des pacages suffisants pour ses vaches devenues nombreuses. Pour obtenir une plus vaste propriété de pacages, sa requête est un message dicté par ses vaches et par son taureau. Celui-ci rappelle que son rôle dans le troupeau est analogue à celui du Roi dans le Rwanda. Touchante composition, où l’amour de la vache se rend ingénu.

104. J’ai passé la nuit en calculant la longueur des chemins.
Naraye mu mpaka z’inzira.
Poème fragmentaire de 28 vers, par Mutsinzi. Le Roi se trouve à Mukingo non loin de Nyanza. Toute la nuit l’Aède, qui habite à Matyazo, près d’Astrida, a calculé la longueur des chemins pour voir le plus court, qui lui permettrait d’atteindre son bien-aimé Roi le plus vite possible.

105. Devant les pays étrangers je vanterai l’arc.
Ndtire amahanga umuheto.
Poème fragmentaire de 24 vers, par Mutsinzi. Le Roi avait pris part à une partie de chasse dans le Mayaga. Et comme la coutume veut que le Roi, dans ces circonstances, tire le premier animal levé, Mutara II décocha sa flèche sur une hyène. C’est l’événement que l’Aède chante.

106. Il me faut aller offrir au Souverain des acclamations de joie.
Nshyire umugabe impundu.
Poème fragmentaire de 22 vers, par le même Mutsinzi. C’est une louange adressée à la Reine Mère. L’Aède décrit les beautés par lesquelles elle domine l’étranger.

107. Le Mwulire s’avançait devant moi.
Nimilije Mwulire imbere.
Poème fragmentaire de 47 vers, par le même Mutsinzi, en l’honneur de Nkoronko, frère puîné du Roi. Il célèbre ses exploits accomplis le long de la frontière du Burundi, et après une razzia exceptionnellement fructueuse effectuée dans le Nkole (Ankole).

108. C’est au Roi qu’il revient de nous tirer de l’impasse.
Umwami ni we ukura ahaga.
Poème ikobyo de 46 vers, par Rutinduka. Le chef Mabano lui avait pris ses vaches. L’Aède veut faire intervenir le Roi en sa faveur. Il déclare qu’il souffre injustice. Sa famille étant liée traditionnellement à la couronne, il ne comprend pas comment un particulier peut s’arroger des droits sur lui.

109. 0 front qui a triomphé des nations !
Ruhanga rwivuze ibihugu !
Poème ikobyo de 46 vers, par Ntibbanyendera. Le nommé Rwamisare, fils de Bikinga, alors habitant à Mukingi (dans la sous-chefferie actuelle de Musenyi, province du Marangara) avait pris des vaches de l’Aède, on ne sait plus pourquoi. Ce dernier adresse le Poème au Roi, le priant d’intervenir en sa faveur, afin que les vaches lui fussent rendues.

110. Une malédiction sérieuse tue comme la javeline.
Umuvumo cyane wica nk’icumu.
Poème ikobyo de 73 vers, par Rwamakaza fils de Ntibanyendera. Le nommé Bidugu avait provoqué le combat de deux taureaux : du sien et d’un autre ; il blessa ce dernier d’un coup de lance.
Les Poètes Dynastiques ont le droit de réclamer une amende pour les luttes de taureaux, et d’y obliger le délinquant par la saisie d’une vache, au besoin. Bidugu s’y refusa. L’Aède le dénonça au Roi, par le présent morceau.

111. Puisqu’il a trouvé une protection, Bidugu.
None ahawe umuvuro Bidugu.
Poème ikobyo de 113 vers, par Rwamakaza. Le Roi convoqua Bidugu, pour qu’il s’expliquât. Mais celui-ci reçut mal l’envoyé, le croyant un émissaire suborné par le Poète, et ne se présenta pas. La vérité connue, Bidugu membre de l’Armée Abakemba, fait intervenir en sa faveur son chef militaire, Rwihimba. De son côté Marara, chef de l’Armée Intaganzwa, prend parti pour Rwamakaza, parce que le taureau « blessé » par Bidugu appartient à son Armée. — Le Poète présente le morceau dans lequel Bidugu est représenté comme un révolté qui ne répond même pas à l’invitation du Roi. De ce chef le délinquant mériterait la peine de mort, par noyade, suggère l’Aède. L’histoire ajoute que, au lieu de l’amende insignifiante refusée à Rwamakaza, Bidugu donna au Roi une vache mère d’un taurillon pour n’avoir pas répondu à son invitation, puis une autre vache mère d’une génisse à Rwamakaza.

112. Nos Rois invoquent un Dieu victorieux.
Abami bacu bagira Imana itsinze.
Poème ikobyo de 161 vers par Bikwakwanya avant les invasions du Gisàka ; des expéditions étaient en vue pour les régions du Nord.

113. Le vigoureux taureau intronisé par d’heureux présages.
Ubukombe buteretswe n’iyeze.
Poème ikobyo de 149 vers, par Linguyeneza fils de Nduga, celui-ci fils de l’Aède Muganza. Sans autre précision, le Poète célèbre les victoires sur l’étranger, avant l’annexion du Gisaka, dont les « Vaches appellent Mutara II pour se mettre sous sa protection.»

114. Il faut que j’exulte en l’honneur du tambour.
Ntambire ingoma.
Poème ikobyo de 79 vers, par Kibarake. Il y dit qu’il est vieux ; il n’a pas pu se présenter à temps. L’Armée Abakwiye, Garde personnelle du Roi, avait remporté une victoire contre le Burundi et le Gisaka avait été razzié, sans autre précision.

115. 0 le digne de respect, taureau assorti aux bovidés.
Cyubahiro, mpfizi ikwiye inka.
Poème ikobyo de 169 vers, par Rwamakaza vers 1848, après une victoire éclatante contre le Gisaka, alors régi par Ntamwete. Les invasions d’annexion commençaient avec le sang du Libérateur-offensif appelé Ntabyera. C’est sa mort et les victoires qui l’accompagnèrent, que célèbre le morceau.

116. J’expliquerai au Léopardé. (« Léopardé » c.-à-d. « Muyenzi » nom sous lequel l’Aède figure Mutara», parce que homonyme du premier Mutara porteur de ce surnom).
Mpakanire Bugondo.
Poème ikobyo de 96 vers, par Bikwakwanya. Le Poète déclare au Roi que les infirmités de la vieillesse ne lui permettent plus de se présenter à la Cour avec assiduité. Il y est fait allusion à des succès contre le Burundi et contre les régions du Nord. Le morceau est placé ici comme il le serait ailleurs, vu qu’il n’y a, à son sujet, aucun point de repère historique.

117. Que je déclame mes hauts faits en face du tam-bour.
Nivugire ingoma.
Poème àibyanzu, fragmentaire de 61 vers, par Mutsinzi alias Condo (Une coutume du Rwanda veut que les femmes évitent de prononcer les noms de leurs beaux-parents, ainsi que ceux de toutes les personnes du même degré de parenté ; c’est-à-dire : tous ceux qui sont, de loin ou de près, oncles et tantes de leurs maris. Parmi les personnes dont la Reine Mère, Nyfiramavugo II Nyiramongi, ne pouvait pas prononcer les noms, se trouvait une femme appelée Nyiramutsinzi. Elle évitait ainsi de dire le nom de l’Aède Mutsinzi, et le désignait sous celui de Condo, qui était sa devise guerrière. La chose était à signaler ici, car on trouve ses Poèmes tantôt sous le nom de Condo, tantôt sous celui de Mutsinzi. Je mis du temps à savoir qu’il s’agissait du même compositeur).
Il passe en revue les conquêtes : Gisaka, Ndorwa, Bugesera, Ijwi, Bushi, devenus sujets du Karinga. Il décrit les inquiétudes du Kalyenda Tambour Dynastique du Burundi qui pense que ce sera son tour d’être soumis. Le morceau doit être des environs de 1850, après l’annexion du Gisaka.

118. Lorsque leur richesse a défié les pays étrangers.
Iyo barushije amahanga umutungo.
Poème à impakanizi de 193 vers, par Rwamakaza, fils de Ntibanyendera. Certainement après l’annexion du Gisaka, donc vers 1850.
Les paragraphes de tous les Rois s’y trouvent, à partir de Mibambwe I Mutabâzi.

119. 0 front qui as triomphé des roitelets.
Ruhanga ruganje Abahinza.
Poème ikobyo de 194 vers, par une femme : Nyirakunge. Le Gisaka avait été vaincu et Ntamwete tué. Son cousin Mushongore, chef du Migongo, était venu se soumettre. Le Roi lui déclara que le Tambour Dynastique du Gisaka, le Rukurura, devait être livré. Mushongore promit au Roi de le lui livrer et demanda son congé à cette fin. Son intention était cependant de passer la frontière et de s’exiler au Bushubi, plutôt que de livrer le Rukurura. La nouvelle de cette fuite de Mushongore donna lieu au Poème de Nyirakunge.
Cette Poétesse était fille de l’Aède Rutinduka, dont elle avait retenu les compositions dès l’enfance. Donnée en mariage à Rwasa, elle vint plus tard à la Cour comme veuve, suivant la coutume, et commença à composer elle-même. Le Poème est des environs de 1850-1853.