{:fr}Dian se retrouva au Rwanda qui était le plus petit, le plus peuplé et le plus pauvre des pays africains. Cinq millions d’habitants y vivaient sur une superficie pas plus grande qu’une région de taille moyenne. Haut perché sur le plateau central du continent, à quelques kilomètres au sud de l’équateur, le Rwanda était couvert autrefois de forêts luxuriantes. Mais pour subvenir aux besoins de deux cents habitants au kilomètre carré, la terre avait été livrée aux exploitants agricoles et aux propriétaires de mines de charbon. Quelques forêts précaires et leur faune survivaient dans deux parcs nationaux : Akagera au nord-est et le parc des Volcans, au sommet des montagnes du Virunga, au nord-ouest.

Bien que surpeuplé et surexploité, le Rwanda avait une beauté sauvage et dramatique. Les plis rocheux de ses montagnes faisaient penser à une version terrestre de la houle impétueuse de l’Atlantique et la chaîne des vieux volcans se dressait au nord comme un archipel enneigé, se dessinant sur le bleu intense du ciel des tropiques.

Pendant ses premiers jours dans le pays, Dian n’avait ni le temps ni l’envie d’admirer ces paysages. « Elle était très préoccupée, littéralement obsédée », raconte Rosamond Carr, une des premières Blanches que Dian rencontra au Rwanda.

Rosamond Carr était une petite bonne femme de cinquante-trois ans qui s’était expatriée des États-Unis et vivait depuis trente ans à l’ombre des Virungas. Elle gagnait sa vie en cultivant et en vendant des fleurs aux hôtels et refuges dispersés autour du lac Kivu et dans la capitale, Kigali. Un jour, à la fin du mois de juillet 1967, Rosamond Carr reçut une invitation à déjeuner chez l’attaché militaire américain, à Kigali.

« En chemin, j’ai rencontré la femme de l’ambassadeur qui m’a dit : vous allez rencontrer, à ce déjeuner, une fille très étrange. C’est Dian Fossey qui a fait des recherches sur les gorilles du Congo d’où elle vient de s’échapper. Elle est à la recherche d’un endroit pour y monter un camp, mais soyez prudente. Elle est vraiment très bizarre ».

« Bizarre ? Elle a sûrement des raisons de l’être après de telles péripéties. Je suis donc allée déjeuner chez les Frayzes et je n’oublierai jamais cette première rencontre. Elle était si séduisante, si vivante. Je veux dire qu’avec sa longue tresse noire et son regard brillant, elle était absolument épatante. Elle portait une robe absolument superbe, d’un mauve lilas et d’une coupe raffinée. Et comme elle avait de très grands pieds, les seules chaussures qu’elle arrivait à porter étaient une paire de tennis crasseux et énormes. Elle se tenait, là, avec sa robe superbe, ses beaux cheveux et ces horribles chaussures!

« En voyant, dans ses yeux, cette expression absolument sauvage, j’ai compris ce que la femme de l’ambassadeur voulait dire.

« La table était mise avec du cristal et de l’argenterie. Nous avons pris place et Dian a aussitôt sorti un carnet de notes des plus ordinaires et bon marché. Elle a ignoré ses hôtes, les Frayzes, m’a regardé droit dans les yeux et m’a dit : « Madame Carr, j’ai quelques questions à vous poser. » Les questions étaient nombreuses, une vingtaine presque. Elle en posait une, la cochait dans son carnet et passait à la suivante. La première question était : « Puis-je m’installer dans votre plantation pour reprendre mes recherches sur les gorilles ? »

« Eh bien, ai-je répondu, vous le pouvez, mais vous ne trouverez pas de gorilles sur le versant rwandais du mont Karisimbi. Elle a dit : « Oh non, vous avez tort. Les gorilles sont bien là. » Je lui ai dit sur un ton catégorique : « Je suis désolée, mais ils ne se trouvent pas sur ce versant du Karisimbi. »

« Elle ne connaissait pas ce côté de la montagne, mais persistait dans son idée et me bombardait de questions. Les pauvres Frayzes étaient exclus de la conversation et semblaient assister à un déjeuner mondain. »

Dian n’avait pas plus de temps à consacrer aux mondanités qu’au paysage. Elle appréhendait la réaction de Leakey quant à son « échec » au Congo, et avait la ferme intention de recréer une base de recherches sur le versant rwandais des Virungas, avant de le rencontrer à Nairobi. Elle avait déjà obtenu la permission des autorités rwandaises pour s’installer dans le parc des Volcans qui jouxtait le parc congolais des Virungas, à Kabara. Mais elle n’avait encore trouvé personne qui sache où étaient les gorilles. Comme Rosamond Carr habitait près des pentes boisées des volcans, elle avait espéré trouver, chez elle, un appui. Son attente ne fut pas déçue.

« La seule personne qui a une réponse à votre question, dit-elle à Dian après le repas, est sur le point de quitter Nairobi pour Paris. Vous pourrez la rencontrer quand vous serez à Nairobi. Elle s’appelle Alyette de Munck, c’est une charmante Belge qui a passé une bonne partie de sa vie en Afrique, près des volcans qu’elle connaît bien pour les avoir escaladés. »

À cause de la situation instable au Congo, Alyette avait envoyé ses enfants étudier en Belgique, elle venait d’apprendre la mort de son mari à Paris et se retrouvait toute seule dans la ferme qu’ils avaient achetée au Rwanda.

« Alyette se sentira très seule et aura besoin de se distraire, avait dit Rosamond à Dian. Il est possible que vous et vos gorilles arriviez juste à propos. »

Le 12 août 1967, Dian faisait les cent pas dans la salle d’attente de l’aéroport de Nairobi en attendant le vol d’Air France, en provenance de Paris. Elle dévisagea les passagers du vol et finit par remarquer une belle femme, plus âgée qu’elle, accueillie par trois jeunes gens. Après le décès de leur père, la rencontre était émouvante et Dian se tint à l’écart.

Elle-même ne se trouvait à Nairobi que depuis une semaine, et elle était nerveuse et inquiète. Elle avait abandonné ses recherches au Congo, avait eu une suite de mésaventures et se retrouvait sans travail et pratiquement sans le sou. Elle redoutait sa rencontre avec le Dr Leakey qui s’était toujours vanté d’avoir pu poursuivre des recherches en Afrique et au Moyen Orient, dans les pires conditions politiques. Et s’il pensait qu’elle avait surestimé le danger qui lui avait fait quitter Kabara ? Et même s’il comprenait la situation, trouverait-il des fonds pour l’aider à établir un autre camp ?

Mais toutes ses craintes disparurent devant l’accueil chaleureux de Leakey qui la félicita pour son courage et son ingéniosité dans sa fuite du Congo. Il l’emmena dans un restaurant où ils discutèrent de son avenir. Leakey parla avec enthousiasme de la nécessité d’entreprendre des recherches sur les orang-outang de Bornéo ou les gorilles des basses terres, en Afrique occidentale.

Dian ne semblait pas enchantée. Elle tenait fermement à ses gorilles de montagne et le lui dit.

« Je resterai avec eux, docteur Leakey. Rien ne m’en empêchera. Ils m’intéressent plus que tout au monde ! M’aiderez-vous à recommencer au Rwanda ? »

Leakey fut séduit par son esprit et sa détermination. « Je n’oserai pas vous barrer la route, lui dit-il en riant. Mais pro-mettez-moi de ne pas vous approcher de la frontière congolaise et de revenir immédiatement à Nairobi si vous êtes menacée par les militaires. »

Une semaine plus tard, il la convoqua dans son bureau du musée pour lui annoncer que la Fondation Wilkins était prête à financer sa réinstallation au Rwanda.

Les trois jeunes gens qui attendaient Alyette de Munck à l’aéroport de Nairobi venaient d’achever leurs études à l’université de Louvain. Comme récompense, Alyette et son mari leur avaient promis un safari en Afrique orientale. Mais la mort subite d’Adrien de Munck avait bouleversé tous ces projets.

Invitée à dîner dans leur hôtel, Dian passionna les jeunes gens avec ses histoires de gorilles et dissipa l’atmosphère de deuil qui pesait sur la famille. Alyette lui en était reconnaissante et, avant la fin de la soirée, elle l’invita à s’installer dans leur plantation, au pied des Virungas rwandais. Elle lui proposa même de lui donner un coup de main pour monter son camp dès qu’elle aurait choisi le lieu approprié. Ils se donnèrent rendez-vous à la plantation des Munck, une semaine plus tard.

Quelques jours après, Dian revint à Kigali, reprit sa Lily délabrée, y chargea son matériel et s’engagea sur l’unique route asphaltée du Rwanda, en direction des Virungas. Elle traversa une région surpeuplée, à l’ouest de la capitale, Ruhengeri, un amas de cubes en ciment et de bâtiments en brique.

Puis elle quitta la route principale et s’engagea sur des chemins qui serpentaient à travers les lopins de terre des fermiers et leurs huttes au toit de chaume. Voilée par la fumée qui se dégageait des fours à charbon, la vallée présentait un spectacle de désolation. Pas de lignes téléphoniques ni électriques, pas de ronronnement de machines, pas de voitures, de camions, ni de tracteurs. Elle finit par discerner un mouvement et un bruit continus, et comprit qu’il émanait de milliers de corps humains. C’étaient les habitants de la vallée, occupés à extraire leur nourriture quotidienne de cette terre volcanique rouge et grasse qu’ils cultivaient tous les jours.

Au fond de la vallée, la route envahie par les traînées de lave était détériorée et les huttes des fermiers étaient plus proches. Des hommes et des femmes, portant des enfants sur leur dos, allaient et venaient. Ils avaient une allure noble et fière, mais Dian ne put s’empêcher de penser à toutes les maladies dont ils étaient souvent les victimes : fièvre jaune, choléra, malaria, typhoïde, etc.

Elle finit par arriver à la plantation, mais Alyette était absente. Le personnel de la ferme lui expliqua tant bien que mal que quelque chose de mauvais était arrivé aux garçons et que la dame était allée les voir.

Envahie par un horrible pressentiment, Dian reprit la piste de lave, en direction de la propriété de Rosamond Carr. Soudain, au bout de plusieurs heures de voyage, la piste déboucha sur un chemin recouvert de gravier. Des vaches de Jersey paissaient à l’ombre de vieux pins et les couleurs vives des fleurs et du gazon qui entouraient un cottage recouvert de lierre semblaient avoir surgi d’un rêve. Au bruit de la voiture, Rosamond sortit sur le pas de la porte, très élégante, mais avec une expression sombre sur le visage.

—Où est Mme de Munck ? lui demanda Dian avec inquiétude. Je suis arrivée chez elle, mais les domestiques ont été incapables de me dire ce qui s’est passé. Qu’y a-t-il ?

—Il s’est passé quelque chose de terrible, répondit Mme Carr. Vous savez bien qu’Yves, Philippe et Xavier avaient l’intention d’aller à Kisoro, de passer une nuit chez Walter Baumgartel et de revenir ici le lendemain. Mais ils ne sont jamais arrivés Au bout de trois jours, Alyette a traversé la frontière ougandaise en direction du Traveler’s Rest.

En la voyant, Baumgartel eut le pressentiment immédiat d’un désastre et lui demanda d’une voix étouffée :

—Qu’est-ce qui vous amène, madame ?

—Je cherche mes garçons, répondit-elle. Ils auraient dû arriver depuis des jours. Peut-être ont-ils des problèmes avec leur Land Rover et ont-ils besoin d’être dépannés.

Baumgartel se souvient de cet épisode qu’il qualifie « d’un des pires moments de sa vie ». « Nous savions très bien tous les deux qu’ils ne pouvaient arriver au Rwanda, raconte-t-il. S’il leur était arrivé quelque chose là-bas, tout le monde l’aurait immédiatement su. Ils ont dû se tromper de route et entrer au Congo, plongé dans une confusion sanglante. »

Mme de Munck fit des recherches frénétiques à travers ses nombreuses relations en Ouganda et au Congo. Elle finit par apprendre que les jeunes gens s’étaient, en effet, trompés de route et avaient échoué à Bunagana, à la frontière congolaise. Là-bas, ils avaient été arrêtés, accusés d’être des espions et des mercenaires. Un officier de l’armée congolaise à Goma lui avait dit au téléphone, avec les meilleures intentions du monde : « Il faut que vous soyez courageuse, madame. Les garçons ne sont pas en état d’être transportés. » Elle en avait conclu qu’ils étaient blessés et s’était mise en quête d’une ambulance. Mais avant même d’en avoir trouvé, elle apprenait, par des fonctionnaires de l’ambassade de Belgique à Kigali, que les trois jeunes gens avaient été tués par les militaires congolais.

« Quand j’ai dit à Dian ce que je savais, raconte Rosamond Carr, elle a failli en perdre la raison. Je pense que toutes les émotions accumulées en elle depuis sa propre expérience du Congo se sont d’un coup libéré. J’ai fini par la calmer, puis elle a dit : ” Je passerai la nuit ici, avec vous et après, il faut que je sois avec elle.” Le lendemain matin, nous sommes allées à Ruhengeri où se trouvait Alyette. Elles se sont embrassées, ont pleuré, puis Alyette a dit qu’elle voulait, qu’elle avait plus que jamais besoin d’aider Dian. »

Au cours des jours tristes qui suivirent, Dian fit son possible pour réconforter Alyette, tout en étant, elle-même, au bord de la dépression. Elle écrit aux Price : « Je ne peux rien vous dire de sensé, en ce moment. Il s’est passé trop de choses. Vous ne pouvez imaginer l’horreur qui règne dans ce pays. Chaque lettre que j’écris ressemble à une dépêche de journal. C’est irréel, à peine crédible. Alors, j’y ai renoncé.

J’écris tout juste pour dire que je vais bien et qu’on s’occupe de moi. Mais je ne sais pas si je suis mentalement assez forte pour en supporter plus. Mes trois nouveaux amis Yves, Philippe et Xavier — ont été tués par les Congolais, à Rumangabo, le lieu dont je m’étais échappée. Nous nous sommes mis d’accord pour ne jamais dire la vérité à leur mère, Mme de Munck. Mais ils ont été torturés pendant dix-huit heures, de la manière la plus sauvage. Les événements du Congo ne peuvent être couverts par la presse comme ceux du Viêtnam, et personne ne sait ce qui arrive vraiment. En comparaison de ce qui se passe là-bas, le reste du monde ressemble à un jardin d’enfants.

Je reste auprès de Mme de Munck et la douleur que j’éprouve pour elle est impossible à supporter. Le pire est mon inaptitude à faire face à une telle situation. Personne n’y croirait, aux États-Unis. »

La lettre, gribouillée sur un aérogramme à un moment de dépression profonde, devait avoir un effet galvanisant sur les Price. Progressivement, les effets de cette sombre tragédie s’atténuèrent et, au mois de septembre, Dian s’installa dans la « maison du haut » de la plantation des Munck, au pied du mont Karisimbi. Elle se mit à sonder les forêts, à la recherche de traces de gîtes de gorilles. Elle avait décidé de poursuivre ses recherches en restant le plus près possible de la région à gorilles du Congo et d’avancer vers l’est, au coeur des forêts tropicales, à la lisière de la frontière rwandaise.

Le premier jour, accompagnée de porteurs et d’un guide du parc, elle arrive à des alpages, à quatre mille mètres d’altitude et campe à portée de fusil de la frontière congolaise. C’était une expédition décevante, les pentes étaient infestées de bétail cornu qui parcourait les forêts d’hagenias, site habituel des ‘gorilles.

Mais le jour suivant les résultats furent plus encourageants. Nous étions à une demi-heure de la frontière et je ne pouvais résister à la tentation d’explorer les pentes du Karisimbi qui se trouvaient dans le territoire congolais et faisaient face au Mikeno où vivait mon Groupe H de gorilles. Même si la chance a une maigre part dans ce genre de travail, ce jour-là, elle était au rendez-vous. Je me suis trouvée nez à nez avec le Groupe II sans même avoir à le pister. Je ne les avais pas vus depuis dix-neuf semaines, mais ils m’ont reconnue et après quelques cris d’alarme et des battements de poitrine, ils se sont postés à cinq mètres de moi. J’étais émue de constater que, pendant mon absence, une des femelles avait mis bas, et que tous les animaux étaient en bonne santé. Le plaisir de ces retrouvailles n’a fait que renforcer mon regret d’avoir perdu le contact avec ces animaux.

Puis, tournant le dos au Congo, Dian se dirige vers l’est, en direction des forêts inconnues, sur les pentes du Karisimbi, au Rwanda. Elle lei explore pendant dix jours et constate avec inquiétude qu’elles sont envahies par des troupeaux qui rôdent dans le parc national. Elle trouve et détruit de nombreux pièges de braconniers. Pis encore, elle voit son « guide » recevoir des pots-de-vin des nombreux braconniers qu’ils rencontrent. Tout cela est évidemment illégal et Dian n’y peut rien. Elle commence même à se demander si Rosamond Carr n’avait pas raison en affirmant qu’il n’y avait pas de gorilles au Rwanda.

Le dixième jour, elle traverse les hauts alpages, sur la face nord du Karisimbi pour voir ce que l’autre versant de la montagne lui réservait. A quatre mille mètres d’altitude, elle découvre toute la chaîne des Virungas et ajuste ses jumelles pour observer le col, situé entre le Karisimbi et le mont Visoke, au nord. A sa grande joie, elle découvre un relief tout à fait approprié à l’habitat des gorilles. C’est là que je devrais installer mon camp, se dit-elle immédiatement.

Le 24 septembre 1967, de bonne heure, Dian et Alyette vérifient une dernière fois le matériel chargé sur les voitures et prennent la direction des sommets. Leur destination précise était la plantation d’un Hollandais, détaché au titre d’aide étrangère, et vivant assez près du mont Visoke. Il supervisait un projet du Marché commun qui consistait à aider le Rwanda en y introduisant et y cultivant une plante, le pyrethrum. A ce titre-là, il connaissait bien la montagne,ses habitants et voulait bien aider Dian à y faire monter son matériel.

Dian venait seulement de prendre connaissance de ce projet et était consternée par ses effets sur le parc des Volcans. Pour réaliser ce plan ambitieux, il fallait dégager dix mille hectares de terrain plus du tiers de la superficie du parc — et le distribuer aux fermiers, après avoir abattu les forêts de bambous et d’hagenias. Ces petits cultivateurs recevaient leur terrain gratuitement, à condition de se consacrer à la culture du pyrethrum, cette espèce de marguerite qui, une fois séchée, était expédiée en Europe et servait à la fabrication d’un pesticide organique. Le gouvernement rwandais et les initiateurs du projet voyaient dans cette solution un léger remède aux problèmes d’emploi de ce pays surpeuplé. Mais Dian considérait tout cela comme une abomination qui réduirait encore plus l’espace vital des gorilles, au point de poser la question de leur survie. Dans les mois qui suivirent, Dian se lança dans une campagne infructueuse contre le projet du pyrethrum.

Le Hollandais avait engagé quarante porteurs qui attendaient ces dames dans un abri en tôle, au pied de la montagne. La grêle succédait à la pluie et les porteurs mécontents exigeaient soit de retarder le voyage, soit d’augmenter leurs gages. Les choses finirent par s’arranger et une file d’hommes, pieds nus, s’engagea sur le sentier boueux, portant sur la tête des paquets volumineux. Les deux femmes fermaient la file qui zigzaguait sur le sol visqueux.

Le nouveau parc était situé à près de trois mille mètres d’altitude, sur les pentes brumeuses du Visoke. Dian était étonnée par la quantité de visages qu’ils rencontraient sur leur chemin. Des hommes, des femmes et des enfants les accompagnaient, les dévisageant avec curiosité.

Le parc des Volcans commençait sans aucune transition là où les terres cultivées s’arrêtaient. Ils se trouvaient soudain plongés dans le silence impressionnant des forêts humides et moussues. Ils marchèrent pendant trois heures, se frayant un chemin à travers un passage ouvert par les troupeaux de buffles et d’éléphants. Par deux fois, Dian donna l’ordre de s’arrêter dans des sites qui lui semblaient propices à l’installation d’un camp. Mais le porteur principal et le guide insistaient pour continuer, persuadés de trouver mieux, un peu plus haut. A 16 h 40, le soleil fit enfin son apparition à travers le feuillage dense et mouillé et le groupe se retrouva sur une prairie longue et étroite, à plus de trois mille mètres d’altitude, sur un haut plateau, au sommet d’un col reliant les monts Visoke, Karismbi et Mikeno. La clairière était couverte d’un gazon épais, entourée de forêts et d’hagenias moussus. Un petit ruisseau traversait paresseusement la clairière. Les porteurs avaient tenu leur promesse, c’était un site idéal. C’était aussi le plus bel endroit que Dian ait jamais vu.

Les porteurs se mirent à monter les tentes, l’une pour Dian et l’autre pour les aides qu’elle avait l’intention de recruter le soir même parmi les porteurs. La nuit commençait à peine à tomber quand ils entendirent le pokpokpok caractéristique du battement de poitrine des gorilles. Cette nuit-là, étendue sur sa couchette, épuisée, Dian savoura cet instant.

 

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