{:fr}Après avoir vécu si longtemps en solitaire, Dian commençait à se sentir un peu comme une « sauvageonne». Elle vit donc d’un très bon oeil l’arrivée d’Alan Root qui devait passer l’été 1968 au camp. Ce fut une période productive pour tous les deux. Pendant qu’Alan filmait les gorilles ou prenait des photos, Dian et ses pisteurs rwandais exploraient les pentes escarpées du Visoke et du Karisimbi. A la fin de l’été, elle avait réussi à repérer neuf groupes ou familles de gorilles, quatre-vingts spécimens, au total, qu’elle arrivait à identifier et nommer.

Alan Root devait quitter le camp vers la fin du mois d’août, mais la National Geographic Society lui avait trouvé un remplaçant en la personne de Robert Campbell, un autre photographe qui continuerait à filmer les animaux et garderait le camp pendant le voyage de Dian aux États-Unis.

Dian initia ce jeune Écossais à la vie du camp et lui présenta l’équipe et les gorilles. C’est à ce moment-là qu’elle apprit, par un télégramme de sa belle-mère, Kathryn, le suicide de son père, George Fossey.

La nouvelle l’affecta profondément et ce père disparu devint plus réel qu’il ne l’avait jamais été. Dian éprouvait le besoin de partager son chagrin avec quelqu’un et il n’y avait à ses côtés que le nouveau venu, Bob Campbell. C’était un jeune homme sensible qui savait écouter et se taire, et qui gagna la sympathie de Dian au point qu’elle lui montra la première lettre qu’elle avait reçue de son père.

 

                                                                                                                                                                                                                Le 15 avril 1959

Ma très chère Dian,

J’imagine que tu seras surprise d’avoir de mes nouvelles, mais je viens tout juste d’avoir ton adresse par R.S. Il l’a obtenue par une fille qui était à l’école avec toi. Il y a un an et demi, j’ai demandé ton adresse à Hazel, mais je n’ai jamais reçu de réponse.

 Mon bébé, je me suis remarié avec une personne merveilleuse et nous sommes très heureux. C’est arrivé il y a deux ans. Nous vivons maintenant à Inverness, à Tomales Bay. C’est un très bel endroit. On y rencontre des biches, des ratons laveurs et des cailles. Ma chérie, j’avais tellement envie de t’écrire et de savoir ce que tu devenais. J’ai appris que tu avais renoncé aux études de vétérinaire et que tu avais choisi l’ergothérapie.

 S’IL TE PLAÎT, écris à ton papa et raconte-lui tout. Si tu as une photo de toi, S’IL TE PLAÎT envoie-la-moi. Kathryn est impatiente de rencontrer ma jolie fille et elle suggère d’aller te voir si tu le veux bien. Est-ce qu’il t’arrive de venir sur la côte ?

S’IL TE PLAÎT, mon bébé, écris-moi et parle-moi de toi. Je suis tellement impatient de savoir ce que tu fais. S’IL TE PLAIT, mon bébé, s’il te plaît, écris.

Avec tout mon amour Ton papa George FOSSEY

Dian manifestait très rarement ses émotions profondes et elle regretta d’avoir montré son chagrin qui était l’expression de la perte de son père comme de celle de son enfance. Mais la réaction discrète et compréhensive de Bob Campbell la rassura.

Bob est si gentil. Il écoute, mais ne parle pas de ces choses-là de manière embarrassante. Nous nous entendons très bien et j’espère qu’il pourra rester ici après mon retour.

Le 24 septembre 1968, Dian prit un petit avion pour Kigali, puis pour Nairobi. Après deux ans d’absence, c’était la première fois qu’elle revenait dans son pays. Mais pendant ce temps-là, elle avait changé, c’était une autre femme avec une autre vie et elle ne savait plus très bien si son vrai « foyer » était encore aux États-Unis.

Elle passa d’abord quelques jours à Nairobi, en compagnie du Dr Leakey pour faire le point sur son travail. Puis elle prit l’avion pour l’Angleterre où elle devait rencontrer son directeur de thèse qui avait été aussi celui de Jane Goodall. C’était le professeur Robert Hinde de Cambridge. L’étape suivante était Washington où elle devait essayer de trouver des fonds auprès de la National Geographicet visionner le film qu’Alan Root venait de réaliser. Ce n’est qu’après toutes ces formalités qu’elle devait se replonger dans sa vie d’antan qui lui paraissait si lointaine.

Elle quitta donc Washington en direction de Louisville. Des gens qu’elle ne connaissait pas habitaient maintenant dans la ferme qu’elle aimait tant ; la mère de Mary White chez qui elle passa le plus clair de son temps ne correspondait plus à son souvenir ; et, dans l’ensemble, Louisville était décevant.

Dès son arrivée aux États-Unis, Dian avait téléphoné, par devoir, à sa mère, Kitty Price. « Crois-tu que tu auras le temps de voir ta mère ? » s’était lamentée Kitty. « Bien sûr. Dès que j’aurai fini mon travail et que je me serai fait soigner les dents », avait répondu sa fille.

Mais Dian n’était pas pressée. Elle consacra quelques journées à trier et classer des centaines de diapositives qu’elle avait expédiées à Mme Henry pour qu’elle les lui garde en lieu sûr. Puis elle subit une petite intervention chirurgicale à l’oeil et passa des heures sur le fauteuil du dentiste. N’ayant plus aucune autre excuse, le temps vint d’aller retrouver la chaleur de la Californie et de supporter la froideur des Price.

Kitty se répandait en reproches et lamentations. « La vie que tu mènes nous torture. Pourquoi nous punis-tu ainsi ?

—C’est ma carrière, maman. C’est le but de ma vie.

—Ces lettres que tu nous écris. Elles ont un affreux effet sur ta mère. As-tu besoin de raconter tous ces détails ? » renchérit le beau-père.

—Je n’écris que la vérité.., je veux partager ce que je fais avec vous. Et c’est ce que je veux faire. Vous devez le comprendre. J’ai trente-six ans et c’est ma vie.

Pendant le reste du séjour, Dian et les Price se forcèrent à ne plus provoquer de discussions. Surtout en ce qui concernait Alexie For-rester, Dian était intraitable.

Beaucoup de bla-bla à propos d’Alexie. J’ai raté ma chance ! Maman en a pleuré en disant que j’étais folle. Dommage qu’ils n’aient pu l’épouser !

Mais malgré tout, les Price ne pouvaient cacher la fierté qu’ils éprouvaient devant le succès naissant de Dian. Avant son départ pour l’Afrique, ils lui offrirent un petit magnétophone et elle choisit quelques cassettes qu’elle aimait : du piano classique, les Beatles, Frank Sinatra, Edith Piaf, du jazz, et la musique du film Docteur Jivago.  Sur la route de retour, Dian s’arrêta de nouveau à Londres où se trouvait Louis Leakey qui lui confectionna un repas de fête.

Leakey s’est escrimé autour de deux oies rôties, accompagnées de sauce africaine et d’autres plats exotiques qu’il a l’habitude de préparer. Il adore cuisiner, mais il faut nettoyer la cuisine après son passage.

 Trois jours plus tard, elle était de retour en Afrique où l’attendaient Rosamond Carr et la Land Rover de Dian.

Le lendemain, dimanche, je suis allée au village, au pied de la montagne pour informer les porteurs de mon retour. Ils m’attendaient et lorsqu’ils m’ont vue, ils ont versé de vraies larmes. Je n’en reviens pas. Après leur avoir laissé quelques messages pour Robert Campbell, je suis partie à Kisoro et j’ai passé la nuit au Traveler’s Rest. Lundi matin, après avoir fait des provisions, je suis remontée au camp où tout semblait marcher comme à l’ordinaire. Mes Africains étaient fous de joie et je ne peux vraiment pas comprendre pourquoi ils m’aiment alors que je les injurie du matin au soir.

 Bob Campbell était prêt à passer une nuit de plus au camp pour me raconter tout ce qui s’était passé pendant mon absence, ce qui était très gentil de sa part, d’autant plus que j’avais pris un retard fou. Il est reparti mardi matin. Depuis, j’ai perdu six jours à essayer de retrouver mes groupes de gorilles, ce qui est extrêmement contrariant.

Quelques semaines s’écoulèrent avant de pouvoir les retrouver. Les frontières des terrains qu’elle explorait reculaient tous les jours et elle finit par admettre, à contrecoeur, que si elle voulait recenser tous les gorilles de la région, il lui fallait de l’aide.

Partager Karisoke avec d’autres Blancs n’était pas une chose évidente. Tout en attendant avec impatience la visite de ses amis proches, Rosamond Carr, Alyette de Munck ou Alan Root, elle avait appris à aimer et apprécier sa solitude et sa responsabilité sans partage sur l’activité du camp. Mais elle finit par demander à Leakey de lui trouver un photographe qui serait prêt à vivre dans le camp pour y faire des films et des photos sur la vie des gorilles. Elle lui demanda aussi un ou deux étudiants qui recenseraient la population de gorilles.

« Robert Campbell ferait bien l’affaire, mais s’il n’est pas libre, je vous fais confiance pour choisir quelqu’un qui voudrait bien installer son propre camp à dix minutes de distance du mien. J’espère que cette demande ne vous parait pas trop excentrique. Mais je perds assez de temps le soir à rédiger mes notes et je n’aimerais pas m’encombrer de quelqu’un à qui je devrais faire la cuisine ou la conversation. Si vous connaissez un photographe qui s’accommoderait d’une telle situation, je m’entendrai sûrement avec lui. »

Dian avait eu beaucoup de mal à localiser le Groupe 5 et quand elle finit enfin par les retrouver, à quelques kilomètres du camp, elle fit une expérience assez terrifiante.

Les petits et les jeunes gorilles se trouvaient devant les dos argentés et ces derniers, croyant leurs petits en danger, sont devenus trèsmenaçants. Puis, dans un acte d’intimidation, un des jeunes est pratiquement tombé de l’arbre, sur mes genoux, ce qui a entraîné une série d’attaques des dos argentés qui voulaient protéger leurs petits.

Ce comportement agressif des jeunes qui se sont approchés de moi sans la « sanction » des dos argentés ébranle ma confiance. Je me demande si j’arriverai jamais à me mélanger à eux.

Elle n’avait pas besoin de s’en inquiéter. Un mois plus tard, elle envoya à Leakey le télégramme suivant :

TOUS LES 6 MEMBRES DU GROUPE 8 M’APPROCHENT À UNE DISTANCE DE 1 À 3 MÈTRES. J’ESPÈRE UN CONTACT PHYSIQUE D’ICI UNE SEMAINE. J’AVAIS JUSTE BESOIN DE PARTAGER MON ÉMOI AVEC VOUS. DIAN.

 Mais le contact physique qui devait constituer le point culminant de cette technique si peu orthodoxe et couronner des mois de patience et d’observation fut retardé par une grave entorse. Dian dut interrompre son travail sur le terrain pendant deux mois.

Le 24 février 1969, en revenant au camp avec son pisteur, elle trouva un message urgent d’un de ses amis médecins, à Ruhengeri. Un jeune gorille, capturé par les braconniers, avait été remis au conservateur du parc qui l’avait enfermé dans une cage minuscule, près de son bureau.

Le lendemain matin, Dian dévala la montagne et se précipita à Ruhengeri. Une foule d’enfants bruyants entourait l’un des baraquements de l’administration du parc. L’objet de leur attention était un jeune gorille, enfermé dans une petite cage. L’animal – un mâle de trois ans – lui montra faiblement ses crocs lorsqu’elle chassa les enfants et ouvrit la porte de la cage pour mieux le voir. La pauvre créature était très malade et dégageait une odeur nauséabonde.

Hors d’elle, Dian se précipita dans le bureau du conservateur.

– D’où vient ce bébé et que ferez-vous de lui ? lui demanda-t-elle. Sans se laisser impressionner par sa colère, il lui expliqua qu’il avait engagé un célèbre braconnier du nom de Munyarukiko pour capturer un bébé gorille.

– Pourquoi ? fulmina Dian.

– Quelques visiteurs allemands désirent posséder un ou plutôt deux gorilles de montagne pour les exposer au zoo de Cologne.

Les Allemands avaient offert au conservateur une Land Rover qui serait suivie d’une grosse somme d’argent, destinée au travail de « conservation » dans le parc. De plus, le conservateur recevrait un billet de voyage gratuit pour accompagner la marchandise à Cologne. « Malheureusement, comme Mademoiselle peut le constater, le jeune gorille n’est pas en état de voyager », dit le fonctionnaire.

Dian devait découvrir plus tard que, pour capturer le jeune animal, il avait fallu tuer un groupe de dix gorilles adultes qui tentaient de protéger leur petit, sur la face sud du mont Karisimbi. Les braconniers avaient attaché les mains et les pieds du petit captif à des tiges de bambou et l’avaient gardé dans cette position pendant trois ou quatre jours. Plus tard, il avait été placé dans une cage où il lui était impossible de se retourner ou de se tenir debout. Enfin, il avait été amené à Ruhengeri, les membres toujours liés. Lorsque Dian le découvrit, il était gardé par le conservateur depuis deux ou trois semaines. Les fils de fer qui liaient les poignets et les chevilles de l’animal lui avaient fait des blessures qui s’étaient infectées ; il souf-frait de malnutrition, de déshydratation et avait du mal à respirer.

Convaincue que le bébé ne pourrait survivre plus d’un ou deux jours à Ruhengeri, Dian était prête à négocier à n’importe quel prix avec le conservateur pour ramener l’animal à Karisoke et s’en occuper. Elle promit de le soigner et de le renvoyer dès qu’il serait guéri pour qu’il puisse être expédié à Cologne.

Pendant que l’équipe transformait une des chambres de la cabane en une pouponnière tapissée de feuillage, Dian descendit en trombe à Kisoro pour acheter des antibiotiques, des analgésiques, du glucose, des vitamines et du lait concentré. Les porteurs transportèrent le bébé qu’elle appela Coco dans un petit parc pour enfants.

Le travail sur le terrain fut oublié et Dian se mit à pouponner jour et nuit, faisant avaler au jeune gorille du lait additionné de médicaments et allant même jusqu’à le coucher dans son propre lit, pendant une période de crise. Tous les jours, la chambre était nettoyée, désinfectée et regarnie d’herbe fraîche et de branchages. Au bout du cinquième jour, Coco manifesta de très légers signes de guérison.

Puis, le 4 mars, ce fut un nouveau choc. En voyant des porteurs s’approcher de sa cabane et transporter un baril en bois, suspendu à deux barres en bambou, elle comprit immédiatement ce qui l’attendait.

Un des porteurs lui tendit un message de son ami, à Ruhengeri : « Ils en ont capturé un autre pour le zoo de Cologne et le conservateur aimerait que vous vous en occupiez. Je pense qu’il avait peur de vous l’écrire lui-même, mais le voilà. »

Ce soir-là, elle écrivit une lettre à la secrétaire de Leakey : « Je deviens cinglée. Ils ont capturé un deuxième bébé, une femelle de trois ans, en meilleur état que le premier qui risque fort de mourir.

« Ce matin, je les ai mis ensemble sans que cela pose le moindre problème, mais j’ai peur que le deuxième soit infecté par le premieret je ne sais pas si je dois tout de suite commencer un traitement d’antibiotiques. »

Elle décrivait le régime alimentaire et le traitement médical de Coco et poursuivait : « C’est tout ce que je sais faire. C’est peut-être mauvais, mais quand vous recevrez cette lettre, il sera déjà trop tard pour changer.

Toutes vos suggestions seront les bienvenues…

« Comme le premier, le nouveau bébé aussi a des doigts palmés à son pied droit. En observant leurs réactions, j’ai pensé qu’ils étaient peut-être de la même famille, et ces doigts palmés semblent confirmer mon hypothèse… Inutile de dire qu’il m’est impossible de poursuivre mon travail sur le terrain, en ce moment. Je prends des notes sur les bébés, mais je ne les ai pas encore recopiées à la machine. »

Trois semaines plus tard, les bébés allaient bien et elle écrivit de nouveau à la secrétaire de Leakey :

« Je joue à la maman gorille trois heures par jour et je vais leur chercher dans la forêt ce qu’elle a de plus raffiné à leur offrir : par exemple, des mûres comme ils n’en ont jamais mangé.

« Leurs selles sont maintenant parfaites, si l’on peut ainsi définir des selles. Je suis encore préoccupée par les horribles plaies faciales de la femelle que j’ai appelée Pucker. J’ai un très bon médicament pour les soigner, mais nos rapports se détériorent considérablement chaque fois que j’essaye de l’appliquer et je mets plusieurs jours à la réapprivoiser… Et maintenant, c’est Coco qui en a une sur le visage.

J’emmène parfois Coco dans la forêt, mais il est très timide à l’extérieur. Je suis sûre que Pucker nous suivrait bien, mais je préfère être accompagnée ; c’est l’animal le plus obstiné que j’aie jamais rencontré et je l’imagine très bien grimpant au sommet d’un hagenia de plus de vingt mètres et refusant d’en descendre…

Je ne peux toujours pas partir observer mes groupes, mais je remplis des cahiers de notes sur le comportement de ces deux monstres qui sont fascinants et ressemblent en tout point à tous les jeunes animaux sauvages.

C’est passionnant de les observer de si près Grâce à la présence de la deuxième, je peux me dispenser de les pouponner pendant la nuit, mais ils en ont besoin pendant le jour. Il faut que je leur apprenne la signification de “non “, mais vu leur obstination, ce sera plutôt comique. Pour le moment, je ne regrette plus les jours de travail perdus, ce que j’observe est un complément important à mes recherches. »

Pendant ses rares moments de liberté, Dian se précipitait sur sa machine pour écrire des lettres furieuses au maire de Cologne, au directeur du zoo, aux diverses sociétés de protection de la faune et à tous ceux qui étaient susceptibles de l’aider à arrêter l’exportation des jeunes animaux.

Mais tous ses efforts étaient inutiles.

Le « conservateur » reste absolument imperturbable. Il est monté hier au camp pour me dire que les gorilles devaient arriver le 4 avril à Kigali, pour être expédiés le 5 en Allemagne. fi ne sait même pas comment s’y prendre et m’a demandé de tout organiser. Il était très nerveux et d’après ce que j’ai pu comprendre, toute cette histoire est une affaire privée entre l’ORTPN et le zoo de Cologne. Le voyage a été avancé de trois semaines et je pense que les lettres que j’ai écrites aux autorités y sont pour quelque chose. Je ne peux ni ne veux garder indéfiniment ces animaux, mais j’aimerais que Bob Campbell ait le temps d’en faire quelques photos. Le Dr Leakey s’est arrangé pour lui obtenir un séjour de six mois ici. Avec son aide, j’espère encore faire changer d’avis les autorités rwandaises ; le retour de ces bébés à la vie sauvage est peut-être encore possible.

Rien ne fut possible et Bob Campbell arriva au moment où l’on préparait les caisses pour le voyage des jeunes gorilles. Quatre jours avant la date de départ, Dian fit une ultime tentative de sauvetage.

Samedi, j’ai reçu un télégramme de la part de la Société pour la préservation de la faune, interdisant catégoriquement l’exportation des animaux. C’était ma dernière chance pour les rendre à la vie sauvage. Mardi matin, munie du télégramme, de photos de la cage et des bébés et accompagnée d’Alyette de Munck qui servirait d’interprète, je suis allée à Kigali. Ce fut un échec. Le directeur du service du Tourisme et des parcs nationaux ne voulait rien savoir. Mais ce voyage de deux jours n’a pas été complètement inutile. J’ai pu raconter l’histoire à quelques personnalités du gouvernement qui se sont dites choquées par le comportement de l’ORTPN. Je leur ai offert quelques photos des bébés que Bob Campbell avait prises, ils en étaient ravis.

Le directeur de l’ORTPN a proposé que le conservateur fasse capturer deux autres gorilles pour moi. Ces gens-là n’ont aucun sentiment de culpabilité ! Maintenant, je dois consulter un autre rapport sur ce que j’ai appris à Kigali : la faute incomberait au zoo de Cologne qui aurait commandé les deux animaux. J’ai eu une rencontre positive avec un membre de l’ambassade d’Allemagne pour contrecarrer, à l’avenir, ce genre de projets. Il paraît que deux autres zoos d’Allemagne sont à la recherche de gorilles, mais comme il ne s’agit que d’une rumeur, je ne peux pas la faire figurer sur mon rapport.

Les bébés prirent l’avion le 3 mai et, grâce aux soins de Dian, arrivèrent sains et saufs à Cologne. Ils moururent en 1978, dans leur cage du zoo, après avoir amusé pendant neuf ans ce primate supérieur qu’est l’homo sapiens.

Le départ de Coco et de Pucker ne ramena pas pour autant le calme dans la vie de Dian.

Le 10 mai, à 1 h 30, je me suis réveillée au bruit des flammes qui avaient envahi le mur d’en face et le plafond, au-dessus de la cheminée ! Avec beaucoup de calme et de présence d’esprit, je suis sortie de la maison en hurlant, j’ai trébuché sur une barrière, j’ai pu reve-nir de la cuisine avec deux récipients d’eau et j’étais en train de les lancer sur les murs quand mes hommes sont arrivés au secours. Quel gâchis, mais nous avons pu l’éteindre.

Puis, le lendemain, mes chères poules ont commencé à mourir. Chacune avait un nom et elles vivaient avec moi depuis longtemps. Elles avaient attrapé une maladie transmise par une poule que j’avais rapportée du village pour la manger. Je ne peux pas tueries miennes. Je les ai aussitôt isolées clans des cages individuelles pour les soigner, mais il n’en reste plus que deux sur dix-neuf et je pense que l’une d’elles mourra avant ce soir.

L’incendie fut une bonne excuse pour améliorer le confort du camp. Une fois de plus, Alyette proposa ses services d’entrepreneur et surveilla les travaux. Elle fit construire une cuisine en tôle ondulée et une cabane à provisions. Le camp comprenait maintenant deux cabanes permanentes et deux tentes : l’une pour les travailleurs du camp et l’autre pour Bob Campbell. Elles étaient situées en contrebas de la prairie, à quelque distance de la cabane de Dian.

Après le départ de Coco et Pucker, il fallut quelques mois pour que les observations reprennent leur cours habituel. Dian initia Campbell au pistage des gorilles et au rituel d’approche. Elle éprouvait une sympathie croissante pour ce jeune Écossais sensible et tranquille. Mais son travail était rendu difficile par une longue période de sécheresse qui avait chassé les gorilles de leur territoire habituel. Ils étaient partis à la recherche d’autres sources alimentaires et elle rait quelques semaines à les localiser.

 Hier et aujourd’hui, j’ai pu établir deux excellents contacts avec le Groupe 8, surtout avec Peanuts qui est assez curieux et joueur pour chercher la proximité. Hier, il a manifesté des capacités de raisonnement en essayant d’attraper un bonbon que j’avais mis à côté de moi.

C’était une sucette avec laquelle j’ai fait une grosse mise en scène :je me suis mise à grignoter le bout tout en imitant les sons de plaisir qu’émettaient Coco et Pucker en mangeant leurs aliments favoris. Peanuts était au comble de l’excitation, et alors j’ai posé le bonbon à côté de moi tout en me détournant légèrement. Au lieu dele prendre aussitôt, ce qu’il aurait pu faire très facilement, il a essayé de tirer vers lui les feuillages sur lesquels le bonbon était posé. Il était sur le point d’y arriver quand la sucette a glissé dans la poussière, disparaissant ainsi de sa vue. Il en était malade !

Pour le travail de recensement des gorilles, Leakey avait engagé un jeune homme anglais, rencontré à Nairobi. Mais Dian constatait, au fil du temps, que la vie isolée dans les Virungas exigeait des capacités physiques etmentales que la plupart des candidats ne possédaient pas ou qu’ils n’arrivaient pas à développer par manque de motivation profonde.

Le jeune étudiant anglais avait eu droit à un cours intensif sur les gorilles et, au bout de peu de temps, s’était trouvé un pisteur indigène avec lequel il s’était installé sur une autre montagne, à quelques kilomètres de Karisoke. Ses-notes de recherche qu’un coursier faisait parvenir à Dian devinrent rapidement si bizarres qu’elle se posa des questions sur son équilibre mental. Elle finit par apprendre par son équipe qu’il faisait une consommation massive de haschisch. Vers la mi-septembre, elle demanda à Leakey la permission de le congédier.

Le recensement était un aspect important de ses recherches et cette dernière mésaventure ne faisait que se rajouter à celles de ces derniers mois. De plus, son état de santé semblait prendre un mauvais tournant. Elle avait de fortes douleurs de poitrine et craignait d’avoir attrapé la tuberculose. La peur de cette maladie avait hanté son enfance et s’était renforcée à l’époque où elle avait travaillé avec des patients tuberculeux à l’hôpital de Duarte, en Californie. Quand un médecin, voisin de Rosamond Carr, confirma ses soupçons, elle, en fut si alarmée qu’elle écrivit à Leakey, lui demandant de la rencontrer à Nairobi.

Leakey était débordé comme d’habitude, voyageant pour recevoir des prix ou réunir les fonds nécessaires à poursuivre ses recherches. Il lui donna rendez-vous le 8 octobre à Nairobi, entre deux voyages en Europe et aux États-Unis.

En la recevant à l’aéroport, il ne fit aucun effort pour cacher le plaisir qu’il éprouvait à la revoir. Grande et droite, confortablement vêtue de jeans et d’une chemise de travail, ses longs cheveux tressés en une belle natte, Dian était l’une des femmes les plus marquantes qu’il ait jamais rencontrées.

« Je n’aime pas faiblir, mais je suis au bout du rouleau, lui raconta-t-elle. Tout s’est ligué contre moi. Coco et Pucker me manquent terriblement et je ne veux même pas penser à ce qui leur arrivera à Cologne. Je veux continuer le travail de recensement, mais il m’est impossible de le faire sans être convenablement aidée.

Les bergers et les braconniers me rendent folle. Et pour couronner le tout, j’ai peur d’avoir attrapé la tuberculose. »

« Ma chère amie, vous avez besoin de vacances, lui répondit gaiement Leakey. Quand j’y pense, j’en ai autant besoin que vous. Laissez-moi m’en occuper et j’organiserai quelque chose. En attendant, je vais vous prendre rendez-vous chez le meilleur spécialiste du Kenya pour qu’il examine vos poumons. »

Dian subit une série de tests, prit des médicaments pour enrayer ses symptômes, mais le- diagnostic définitif ne pouvait être établi que dans quelques jours. Leakey avait de la suite dans les idées et, un beau matin, Dian et lui quittèrent Nairobi pour un safari dans les plaines verdoyantes du sud du Kenya. En compagnie de cet homme enthousiaste et tant admiré, Dian oublia tous ses soucis.

Le safari organisé par Leakey n’avait rien à voir avec celui que Dian avait fait, six ans plus tôt, sous la houlette de John Alexander, le « Grand Blanc ». Les véhicules étaient confortables et équipés d’air conditionné. Les tentes comportaient des douches et des lits confortables. On servait une nourriture délicieuse, accompagnée de bons vins. Dans ces conditions idylliques, Dian succomba au charme des nuits étoilées dans la savane odorante. Quant à Leakey, il fit plus que succomber et il tomba follement amoureux de sa compagne.

Ils revinrent une semaine plus tard à. Nairobi où Leakey devait prendre un avion pour Londres. Le jour de son départ, il écrivit à Dian trois lettres aussi ardentes que celles d’un adolescent transi d’amour. Il était affolé par cette longue séparation dans l’espace et dans le temps, mais se consolait avec le souvenir de cette « semaine paradisiaque » et la conviction que, dorénavant, ils appartenaient l’un à l’autre.

 

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