TERRITOIRE DE BIUMBA

86 à 88. Des bandes de Hutu, dont certaines venant de Ruhengeri (affaire numéro 86), dévastent, pillent et incendient des habitations tutsi. Dans un cas (affaire numéro 87) l’un des prévenus a joué le rôle de chef de file en incitant la population à dévaster les habitations tutsi, prétendant agir sur ordre du Mwami et des Européens.

86.Le 7 novembre 1959 à Muvumu, sous-chefferie Mukiga, chefferie Buberuka (Cdg RU, 9/12/59, Président GUFFENS).

87.Le 7 novembre à Gitovu, sous-chefferie Rushya, chefferie Buberuka (Cdg RU, 11/12/59).

88.Le 7 novembre à Gitare, chefferie Buberuka (Cdg RU, 9/12/59 Président GUFFENS).

TERRITOIRE DE KIGALI

  1. Le 7 novembre 1959 en chefferie Bumbogo eut lieu une attaque de Tutsi dirigée contre les Hutu. Au cours de cette attaque trois habitations de Hutu furent incendiées tandis que quinze Hutu furent arrêtés arbitrairement et subirent des tortures corporelles, deux d’entre eux perdant la vie suite aux tortures corporelles infligées.

Suivons l’exposé du Conseil de guerre:

Il y a lieu, afin de fixer équitablement les peines, de rechercher quels sont les véritables attaquants et quel est le groupe ethnique qui a pris l’initiative de l’offensive et a ainsi perturbé l’ordre public dans la chefferie Bumbogo. Il est manifeste que si les Tutsi n’ont agi qu’en réaction à une attaque hutu, ils doivent être puni moins sévèrement

que s’ils ont agi sans aucune provocation ou attaque des Hutu dans leur chefferie. Quant à ce dernier point il est assez difficile en période révolutionnaire, durant laquelle les événements se précipitent et s’enchevêtrent, de déterminer avec une précision absolue l’ordre chronologique des événement. En l’espèce il est cependant acquis par l’enquête que, la chefferie Bumbogo étant voisine de la chefferie Ndiza, les événements qui eurent lieu au Ndiza quelques jours avant influencèrent considérablement les événements qui eurent lieu au Bumbogo par la suite. Au Ndiza (voir affaire numéro 1), le sous-chef hutu Mbonyumutwa fut attaqué par les Tutsi et il s’ensuivit une réaction violente de la part des Hutu. Cette réaction des Hutu déborda la chefferie Ndiza et les habitations du sous-chef R. du Bumbogo furent incendiées. L’enquête permet de conclure que le sous-chef R. en conçut un vif ressentiment à l’égard des Hutu et ce ressentiment fut à l’origine des événements qui ensanglantèrent le Bumbogo.

Le 7 novembre le sous-chef R., en compagnie de deux autres sous-chefs du Bumbogo entreprit une action contre les Hutu. Il fit incendier les habitations de certains Hutu et procéda à l’arrestation arbitraire de nombreux Hutu qu’il désigna à la vindicte populaire en les traitant d’Aprosoma et d’ennemis du Mwami. Il y a lieu de relever que cette action de R. eut les conséquences les plus funestes pour la paix dans la chefferie Bumbogo, alors qu’en sa qualité d’autorité coutumière il eût dû tenter d’apaiser les esprits, même s’il avait subi certain préjudice du fait de la révolution. Par une ironie du sort l’action que R. avait provoquée se retourna contre les Tutsi et les jours qui suivirent le 7 novembre 1959 virent, en chefferie Bumbogo, une réaction de la part des Hutu (Cdg Ruanda, 27/12/60).

Cette affaire a été soumise en appel à la Cour Militaire du Ruanda qui confirma le jugement entrepris pour le tout (CM Ruanda, 15/6/61, Président SMETS).

90 et 91. Les 10, 11, 12 et 13 novembre des bandes de plusieurs centaines de Hutu opéraient en chefferie Bumbogo, spécialement dans les sous-chefferies du Ruli-Huro et Gasiho, et s’étaient assigné comme but de piller et de dévaster les demeures des Tutsi habitant la région.

Presque tous les prévenus relatent avoir été incités par des leaders à partir en guerre contre les Tutsi. Ces dirigeants les auraient préalablement menacés de leur faire subir des sévices corporels ou d’incendier leurs propres maisons au cas où ils n’accepteraient pas de les suivre pour piller, saccager ou incendier

les habitations de leurs anciens seigneurs. La tactique habituellement employée par les divers groupes à l’approche d’une demeure tutsi consistait à piller le contenu des habitations pour ensuite ou simultanément dévaster les constructions proprement dites, soit en les incendiant, lorsqu’il s’agissait de huttes en paille, soit en les démolissant — en abattant les murs, arrachant les tôles, cassant les tuiles —, lorsqu’il s’agissait de maisons construites en matériaux tant soit peu résistants. Dans l’ensemble les agresseurs n’avaient qu’une idée: détruire tout ce qu’ils ne pouvaient emporter (Cdg RU, 20/11/59).

Les leaders furent jugés séparément, les affaires ayant été disjointes pour des raisons d’instruction celle-ci étant plus longue pour les leaders. Les participants hutu furent presque unanimes à désigner les prévenus comme leurs leaders en signalant que c’étaient eux qui, en les incitant à la haine raciale contre les Tutsi, avaient préparé les expéditions dévastatrices. Pendant les opérations c’étaient les mêmes hommes qui leur avaient donné des ordres précis, poussant des cris afin d’activer leur travail d’incendiaires et leur lançant des slogans tels que: « L’avion de reconnaissance des blancs nous survole, c’est pour nous donner le signal, c’est pour nous dire d’aller plus vite, c’est pour nous indiquer la direction à suivre; les soldats des blancs commencent à tirer, c’est pour activer les incendies » (Cdg RU, 13/5/60).

  1. Le 18 novembre 1959 à Muhura, chefferie Buganza-Nord, le sous-chef local donna ordre de procéder à l’arrestation d’une personne sur base des ouï-dires selon lesquels cet étranger, venant de Shangugu, serait arrivé au Buganza-Nord pour y faire de la propagande Aprosoma et ainsi jeter le trouble dans une chefferie restée calme. Quant au chef local, il reconnut qu’il avait donné l’ordre au conseil de chefferie d’arrêter les étrangers se promenant sur les collines.

Suivons les considérations du Conseil de guerre:

En soi et strictement parlant, il s’agit là d’un attentat manifeste à la liberté mais qui, dans le complexe du moment, se comprenait parfaitement. Où gît l’infraction, c’est à partir du moment où cette arrestation donne lieu à des scènes de violences non justifiées contre la personne arrêtée. Lorsque l’on connaît la durée du supplice et que celui-ci s’est passé presque entièrement dans le rugo du sous-chef, une seule conclusion peut en être tirée que le sous-chef consentait à tout le moins s’il n’encourageait pas. Au lieu d’exercer son pouvoir, il démissionnait en faveur des deux représentants attitrés de l’Unar. Ceux-ci procédaient à l’interrogatoire de la victime en la torturant (Cdg RU, 20/5/60

  1. Le 22 novembre 1959 à Rutare une bande s’en prend au magasin du prévenu, réputé Aprosoma. Des amis viennent à son secours et celui-ci, furieux des détériorations subies par son magasin, poursuit l’un des assaillants qu’il blesse mortellement d’un coup de serpette (Cdg Ruanda, 9/5/61).

TERRITOIRE DE KIBUNGU

  1. Le prévenu reconnaît avoir, dans la première quinzaine du mois de novembre 1959, à Kibungu, demandé au détachement de gendarmerie de la Force Publique de ne pas intervenir si des troubles survenaient, que les banyarwanda avaient la même couleur de peau que les soldats, que les Russes allaient venir, que les Belges seraient chassés et que les soldats qui les auraient aidés seraient tués (Cdg RU, 29/4/60).
  2. Le 16 novembre 1959 à la sous-chefferie Kagashi, dans une région à domination tutsi, un groupe d’indigènes pris de boisson, dans l’état d’excitation révolutionnaire, s’en prend à une patrouille de la Force Publique. Il s’agit d’outrages par paroles et gestes à l’égard des forces de l’autorité (Cdg RU, 7/1/60, Président LAMY).
  3. A Nyarabuye, chefferie Buganza-Sud, en novembre 1959, les trois prévenus se rendirent dans un reboisement où la population montait la garde pour se protéger contre les incendiaires dont on craignait l’arrivée. Ils s’adressèrent aux gens en leur demandant s’ils aimaient leur Mwami. Ils leur dirent aussi que les Aprosoma attaquaient et incendiaient les maisons des Tutsi. Ils ajoutèrent enfin qu’il fallait tuer le sous-chef local, rebelle Aprosoma, que tous ceux qui étaient des hommes devaient franchir la ligne tracée sur le sol par l’un d’eux et les suivre dans leur oeuvre de mort. La population réunie passa cette ligne, sauf une dizaine de personnes. L’un des prévenus s’adressa alors à ceux-ci en leur demandant si eux aussi étaient Aprosoma. Ils expliquèrent qu’ils aimaient leur sous-chef et qu’il n’était pas question d’aller l’attaquer sans ordre du chef. Toute la population, en dehors des trois prévenus, refranchit la ligne et refusa d’aller à l’attaque (Cdg RU, 20/5/60).