{:fr}Après 1962 on disposait de données statistiques relativement précises et dignes de confiance, qui ne mélangeaient plus Rwanda et Burundi, et depuis 1965 elles étaient présentées d’une manière bien élaborée et uniforme dans des annuaires qu’éditait le service chargé de la planification de l’enseignement, selon une grille proposée par l’UNESCO. Une analyse quantitative éclaire nombre d’aspects qu’une étude purement qualitative laisse dans l’ombre.

 Le développement de la scolarisation primaire

Après le bond en avant des années 1961-1964 dû à l’introduction de la double vacation jusqu’en quatrième année (de 251 000 on passait à 359 000 élèves), on assista à un léger recul du fait que cette pratique était ramenée aux trois premières années et qu’on a instauré un contrôle plus rigoureux des âges. En 1966, la montée reprenait, légèrement plus accentuée pour les filles que pour les garçons. En 1970-1971 on parvenait à un pic avec 419 000 élèves. Puis on assista à un nouveau fléchissement du fait que l’âge d’entrée fut relevé à 7 ans accomplis et d’un essai de rationalisation des cursus grâce à une carte scolaire individuelle dont une stricte tenue permettait de limiter les redoublements. Après 1964, c’est en fait surtout la scolarisation des filles qui a progressé, celle des garçons demeurant relativement stable. Le taux de scolarisation est le rapport entre la population scolaire d’un âge donné et la population scolarisable du même âge. Pour être exacte, cette mesure aurait demandé des données démographiques précises, un état civil établi systématiquement et une application rigoureuse de la réglementation en matière d’âges d’admission. Or aucune de ces conditions n’était vraiment réalisée, les règlements pouvant être facilement tournés. Du fait des redoublements, les âges au sein d’une même classe étaient assez disparates. Les statistiques ne fournissaient d’ailleurs guère d’indications quant aux âges. Il y avait aussi des fluctuations dans les taux de scolarisation tels que les fournissaient les annuaires qui étaient dues au fait que l’on n’a pas toujours employé la même méthode de calcul (par exemple : fallait-il considérer la classe d’âge autorisée légalement à fréquenter l’école, c’est-à- dire les enfants ayant entre 7 et 13 ans, ou considérer plus réalistement que du fait des redoublements l’âge moyen de sortie était au moins de 14 ans ?).

Le taux de scolarisation indiqué pour 1964-1965 était de 63,9 %, et celui de 1974-1975 de 40,8 % ! D’année en année la baisse a été régulière et, à partir de 1972, les effectifs étaient en baisse même en valeur absolue. Mais c’est surtout l’augmentation démographique qui a été telle, principalement dans les couches jeunes, que l’école se montrait incapable de la rattraper.

Entre 1966 et 1974, le nombre des écoles est resté stationnaire, et a même légèrement régressé de 2 017 à 1 972. Par contre, le nombre de salles de classe a progressé de 5 244 à 7 747, et le nombre de classes de 7 900 à 11 280, l’écart étant dû à la double vacation. Un important effort de rationalisation fut entrepris : une fermeture d’école pouvait signifier une amélioration de l’infrastructure dans la mesure où l’on tendait à mettre en place des écoles complètes à six classes. Beaucoup d’enfants qui commençaient leur scolarité dans une école à une ou deux classes abandonnaient ensuite uniquement parce que les distances étaient trop grandes pour se rendre dans une école complète ; or en 1972 plus d’un tiers des écoles ne comptait encore qu’une salle ; 25 % des écoles ne comptaient que la première année, 22,7 % les 2 premières années, 19,3 % les 3 premières années, 13,2 % les 4 premières années, 11 % les 5 premières années, 8,8 % seulement étaient complètes avec 6 années. La cartographie des données a beaucoup contribué à une répartition plus équilibrée.

En 1966, il fut décidé qu’une classe ne pouvait compter moins de 30 et plus de 55 élèves, un chiffre ensuite ramené à 42. Le Rwanda est peuplé de manière suffisamment compacte pour n’avoir besoin qu’exceptionnellement de classes à petits effectifs dans des régions à faible densité.

Le rapport maître-élèves s’est amélioré d’année en année. De 1/65 en 1966 il est descendu à 1/49 en 1974.

Si la croissance des effectifs a été modérée et nettement inférieure à la croissance démographique, un effort a donc été accompli pour améliorer qualitativement l’implantation des écoles et parvenir à un meilleur rendement et à une plus grande efficacité. Mais beaucoup de bâtiments étaient vétustes, étroits, sombres, humides et froids, traversés de courants d’air, construits en matériaux peu durables et exigeant donc un entretien attentif. Souvent les enfants étaient assis sur un simple tronc d’arbre et n’avaient pas, dans les petites classes, de tables indispensables à un apprentissage correct de l’écriture : ils écrivaient alors recroquevillés sur une ardoise qu’ils serraient contre leur poitrine. Pourtant, avec les moyens du bord les plus simples, une nette amélioration aurait pu être obtenue si l’on était parvenu à motiver davantage maîtres, parents et communes en leur présentant des modèles concrets et facilement réalisables. L’état des écoles reflétait sans doute la misère de l’enseignement élémentaire, mais aussi une réelle passivité et un manque d’imagination. Dans tout le pays on rencontrait des scieurs de long débitant les troncs d’arbres en planches : ce n’était donc pas celles-ci qui manquaient…

Comme les assistances extérieures ne s’intéressaient plus guère au niveau primaire et que les Eglises ont été amenées à s’en retirer, l’enseignement de base a végété dans une sorte d’immobilisme et de stagnation que révélaient les chiffres. Il montrait ce que le pays était financièrement en mesure de réaliser s’il en était réduit à ses ressources propres. A ce niveau, la pauvreté n’a guère fonctionné comme stimulant.

 Le développement de l’enseignement secondaire

L’évolution de l’enseignement secondaire s’est faite d’une manière continue, sans fluctuations marquantes comme il y en eut pour le primaire, du moins si l’on prend en considération les chiffres globaux. Par contre, si on examine à part chaque ordre d’enseignement, on constate des croissances fort inégales et même des régressions. En 1965-66 on comptait dans le secondaire 8 025 élèves, et en 1974-75 11 227. En 1960 il y avait 24 établissements, et en 1971-72 ils étaient 63. En 1975, un lycée franco-rwandais vit le jour à Kigali.

En 1973-1974, les élèves des cycles d’orientation représentaient 49,6 % de l’effectif total. L’enseignement général a perdu très lentement du terrain, en proportion, au profit de l’enseignement technique et normal moyen. Les humanités classiques ont enregistré une baisse continue (de 23 % en 1965-66 à 17 % en 1972-73) ; les humanités modernes se stabilisaient autour de 8 % (alors qu’elles représentaient 3 % en 1965-66) ; l’enseignement normal moyen a connu une montée continue (de 2 % en 1965-66 à 7 % en 1972-73), alors que l’enseignement normal inférieur a été en baisse (11 % en 1965-66 contre 6 % en 1972-73). L’enseignement auxiliaire était destiné à l’extinction, n’ayant plus la même fonction à remplir que dans les années qui suivirent l’indépendance. En 1974-75 on comptait 12 écoles normales inférieures produisant 250 enseignants de niveau D5, et 8 écoles normales moyennes qui en produisaient 150 de niveau D7.

L’enseignement technique et professionnel a été en progression continue et l’accroissement était particulièrement sensible dans le cycle moyen où les effectifs ont presque quintuplé entre 1965-66 et 1972-73.

La petite taille des établissements et la faiblesse de leurs effectifs pesaient lourdement sur l’enseignement secondaire et son prix derevient. Seul le Groupe Scolaire de Butare dépassait les 600 élèves. En 1973-74, 5 établissements oscillaient entre 300 et 400, 10 en avaient de 200 à 300, 32 de 100 à 200, et 14 n’en regroupaient pas 100. Dans les classes supérieures, on l’on trouvait les enseignants les plus qualifiés, les effectifs étaient particulièrement minces.

La pratique généralisée de l’internat alourdissait considérablement la marche des établissements et accroissait les charges que devaient supporter l’Etat et les institutions privées pour pourvoir aux bâtiments, à la nourriture, à l’entretien et au personnel d’encadrement : de ce fait, elle constituait un frein certain à l’expansion des collèges. Elle empêchait également l’instauration de la mixité.

D’autre part, du fait que les implantations scolaires ont en grande partie été laissées à l’initiative privée, il n’y avait pas lieu de s’étonner de la dispersion des efforts et de l’insuffisance de la planification et de la coordination à ce niveau. Sans doute l’existence d’établissements nombreux et petits avait-elle pour effet de personnaliser et de régionaliser avantageusement l’enseignement secondaire : une telle politique se serait justifiée pleinement s’ils avaient admis des élèves externes provenant de la région environnante ; mais, pour des raisons elles aussi valables, on veillait au contraire à mélanger dans chaque internat des élèves de provenances régionales différentes.

Les petits séminaires formaient (avec le collège du Christ-Roi à Nyanza) le pôle “classique” du secondaire : il y en avait 9 en 1973- 74 avec 1 112 élèves.

Ce qui frappait surtout, c’était la disproportion quantitative qui existait entre un primaire et un secondaire qui n’avaient manifestement pas réussi à harmoniser leur rythme de développement. Alors qu’en 1961-62 15 % des sortants de primaire entraient au secondaire, ils n’étaient plus que 5,25 % en 1970-71.

Le développement de l’enseignement supérieur

La croissance des différents établissements d’enseignement supérieur a été lente et continue.L’Université comptait en 1974-75 en tout 619 étudiants (74 en lettres, 151 en sciences, 121 en sciences économiques et sociales, 155 en médecine, 68 en droit et 50 en sciences infirmières). En 1972, elle avait formé 60 bacheliers en lettres, 73 en sciences, 81 en sciences économiques et sociales, 7 en sciences infirmières et 18 docteurs en médecine. La mauvaise articulation entre enseignement secondaire et supérieur se traduisait entre autres par un taux d’échec important au terme de la première année (76 % en sciences en 1974-75). Comme les étudiants étaient boursiers et résidaient sur place, les capacités d’accueil des résidences universitaires constituaient un élément déterminant dans la fixation du nombre de candidats à admettre.

L’Institut Pédagogique National en comptait cette même année 225 (45 en lettres modernes, 19 en sciences humaines, 58 en sciences exactes, 50 en sciences naturelles et 53 en sciences pédagogiques), auxquels il fallait ajouter 31 en Régence technique. Il avait produit cette année-là 65 diplômés (247 depuis son ouverture). En fait les sortants étaient pour moitié seulement affectés à l’enseignement.

En 1972-73, le grand séminaire de Nyakibanda comptait 68 étudiants (25 en philosophie et 43 en théologie), et celui de Nyundo 28 étudiants (9 en philosophie, 14 en théologie et 5 en probation ou aux études à l’étranger). Après la fermeture de Nyundo ils furent une centaine à la rentrée à Nyakibanda en 1975.

La diminution générale que l’on constatait dans toutes les statistiques du secondaire et du supérieur en 1973 provenait de l’éviction de beaucoup d’étudiants tutsi suite aux troubles ethniques.

A ces effectifs il faut bien entendu ajouter ceux des boursiers rwandais qui étudiaient à l’étranger, soit pour y suivre, du moins théoriquement, des études qui n’existaient pas au Rwanda, soit pour prolonger la formation reçue au pays. En 1972 étaient recensés par le bureau des bourses 527 étudiants, dont 266 en Belgique, 104 en URSS, 58 en Allemagne fédérale, 36 en Italie, 32 en France, 21 au Canada, 16 en Suisse, 14 au Zaïre. Parmi les spécialités les plus recherchées on trouve l’agronomie, les sciences de l’éducation, la médecine, l’architecture, le droit et la médecine vétérinaire Plus singulière était la présence à l’étranger de 48 boursiers pour y suivre des études secondaires, principalement en Belgique et en URSS. En procédant au total des étudiants, de ceux résidant au Rwanda et de ceux résidant hors du pays avec des bourses officielles, on arrivait en 1972- 73 à 1 324 unités, les hommes prédominant très largement.

Par la force des choses, le nombre d’étudiants par professeur a toujours été très faible. En 1974, ce rapport oscillait encore à l’Université entre 4 et 6 selon les facultés. Le corps enseignant se trouvait de ce fait insuffisamment utilisé, d’autant plus que l’activité de recherche ne semble pas avoir été particulièrement intense et qu’il n’y avait guère de mémoires ou de thèses à diriger. Ce sous-emploi d’un personnel hautement rémunéré ne pouvait avoir que des incidences fâcheuses sur sa mentalité. Le nombre excessif de professeurs visiteurs dans certaines facultés représentait pour les étudiants un autre handicap car, en Afrique encore plus qu’ailleurs, la continuité dans la présence permet seule un approfondissement de la relation pédagogique.

La répartition des étudiants par disciplines mérite également l’attention. Alors que dans la plupart des universités francophonesd’Afrique se manifestait une nette préférence pour les lettres, le droit, les sciences politiques et économiques, la distribution a été assez équilibrée au Rwanda, sans doute grâce à un système d’orientation plus directif. La médecine jouissait d’une faveur particulière. Même si un effort était fait pour introduire un système homogène d’évaluation, les normes concrètes ont néanmoins divergé selon les habitudes nationales de chaque corps professoral. Les facultés avaient les unes la réputation d’être très sévères, les autres d’être d’une plus grande indulgence, ce qui orientait les demandes. Quand on enseignait dans plusieurs facultés à la fois (ce qui fut mon cas pour la philosophie), on pouvait se rendre compte de la différence de niveau existant entre elles, et ce dès l’entrée à l’Université.

Le personnel enseignant

En période de croissance rapide, la charge de fournir un personnel enseignant suffisant en nombre et en qualité pèse d’une manière particulièrement lourde sur les budgets des Etats, mais aussi sur leurs disponibilités en cadres formés. A la limite il peut arriver que l’enseignement devienne le principal consommateur de sa propre production de diplômés. Mais l’administration et l’économie demandent aussi des gens compétents, et les étudiants préfèrent en général opter pour elles. Il n’était pas rare que des maîtres parmi les meilleurs soient retirés de l’enseignement à leur profit. Il a toujours été difficile de trouver un équilibre entre ces trois secteurs et de rendre l’enseignement vraiment attractif. Comme en beaucoup d’Etats africains, ce sont les enseignants relevant des assistances techniques qui ont comblé les vides, car ils représentaient pour les gouvernements un personnel peu onéreux et plus docile ; mais l’idée que mainteniren place des étrangers dans des domaines où les nationaux étaient en mesure de prendre la relève était néfaste pour les pays aidés eux-mêmes finit par prévaloir.

Le Rwanda a poursuivi des visées précises en matière de formation et a créé des institutions bien diversifiées, à tous les niveaux, pour répondre à des besoins considérables.

Les enseignants qui étaient en fonction dans les écoles primaires durant la période considérée ont été recrutés à des degrés de compétence très divers. En voici les principales catégories :

– CA (capacité d’auxiliaire) : maîtres n’ayant fait que l’école primaire. EMA : maîtres ayant passé par une école d’auxiliaires de 3 années post-primaires.

– ES 1, 2…6 : maîtres ayant fait 1, 2…ou 6 années d’études secondaires, sans avoir pour autant reçu une formation pédagogique.

– D3, D5, D7 : maîtres ayant achevé un cycle de formation pédagogique de 3, 5 ou 7 ans.

– “Régents” : maîtres ayant une formation pédagogique de 2 ans après le secondaire.

En 1962-63, les CA représentaient dans le primaire 72 % du corps enseignant ; ils étaient encore 33 % en 1967-68 et 19 % en 1973-74. En cette dernière année, il y avait 18,3% d’EMA, 35,3 % de D3-D5, et 1 % seulement de D7. En effet, les enseignants les plus qualifiés, c’est-à-dire ceux ayant terminé le cycle secondaire pédagogique, étaient le plus souvent encore absorbés par l’école secondaire où ils enseignaient dans les cycles d’orientation, en attendant d’être relayés par les diplômés de l’IPN, en principe destinés à ces cycles, mais eux-mêmes absorbés par l’enseignement au niveau moyen. Les institutrices techniques de niveau D7 destinées à la direction des sections familiales post-primaires étaient souvent déroutées vers l’enseignement des arts ménagers dans les écoles secondaires de filles. En 1973-74, les femmes représentaient environ un quart de l’effectif des enseignants, la plupart ayant reçu une formation pédagogique ; dans l’arrondissement de Butare elles étaient 40 %.

Les enseignants étaient en général affectés en vertu du principe (courant, mais contestable !) que les moins bien formés conviennent pour l’enseignement des débuts. Le personnel d’encadrement des CERAR était pris volontairement aussi bien parmi les instituteurs que parmi les moniteurs d’agriculture et d’artisanat, les uns et les autres ayant donc des formations très différentes, ce qui devait contribuer à faire éclater les structures scolaires classiques.

Comparée à celle d’autres pays d’Afrique, la qualification des maîtres rwandais était en moyenne assez bonne.

Dans le secondaire (petits séminaires compris), l’augmentation du personnel enseignant a été régulière. De 580 unités en 1967-68, on a passé à 832 en 1972-73. Dans le même temps où le nombre de professeurs s’accroissait de 43,5 %, celui des élèves n’a progressé que de 19,25 %. Autrement dit, alors qu’il y avait 15 élèves par maître en 1967-68, il n’y en avait plus que 13 en 1972-73, un taux qui continuait encore à baisser et qui n’assurait pas une rentabilité suffisante.

En répartissant ce corps enseignant par nationalités en 1972- 73, on trouvait 531 Rwandais (dont 129 femmes), représentant 63 % du total, 181 Belges (dont 73 femmes), soit 21 % du total, 32 Français, 8 Canadiens et 81 autres. Du point de vue de la qualification, ce personnel comprenait 28 docteurs (dont 17 Rwandais), 85 licenciés (dont 14 Rwandais), 175 régents (dont 108 Rwandais), 35 bacheliers ou “candidats” (c’est-à-dire ayant achevé un premier cycle universitaire), 225 instituteurs D 7 et 32 prêtres (dont 17 Rwandais). Parmi le personnel rwandais, les femmes représentaient environ un quart de l’effectif, alors qu’elles formaient un tiers du personnel étranger. Ce dernier est relativement plus nombreux dans les écoles de filles, le nombre des religieuses étant plus élevé que celui des missionnaires hommes. Proportionnellement la part des enseignants étrangers était en diminution constante.

Les professeurs rwandais qualifiés pour le secondaire provenaient principalement de l’IPN qui avait pour mission de former par année 40 à 50 “agrégés”, et de l’UNR d’où à l’époque ils sortaient avec un baccalauréat de type nord-américain obtenu en 3 ans (en attendant la généralisation des cycles de licence), donc à un niveau analogue à celui du diplôme de l’IPN, sans cependant avoir reçu de formation pédagogique. Leur rôle était de remplacer petit à petit le personnel de l’assistance technique et les enseignants rwandais insuffisamment qualifiés.

Dans l’enseignement supérieur, le corps professoral se caractérisait par une moyenne d’âge relativement basse et une qualification qui était loin de toujours atteindre les normes habituelles, sauf au grand séminaire. Comme à l’UNR les différentes facultés n’avaient pas encore, en 1975, de cycles d’études vraiment complets, sauf en médecine, il ne leur était pas possible d’avoir, une politique suivie d’assistants et de doctorants rwandais. Le taux des professeurs nationaux aurait pu être bien supérieur à ce qu’il était en réalité. Mais beaucoup hésitaient à revenir au pays après des études à l’étranger ou après avoir été éliminés du fait des troubles “ethniques”. Il est vrai aussi que les rémunérations demeuraient relativement basses par suite d’une politique des salaires dont il fallait par ailleurs admirer la sagesse dans un pays aux ressources aussi limitées et qui ne souhaitait pas, pour des raisons d’équilibre social, instaurer des écarts trop manifestes. De plus, le statut des professeurs d’Université ne les intégrait pas véritablement dans la fonction publique.

 Les disparités structurelles

L’analyse quantitative est indispensable pour mettre en lumière certaines disparités de structure dont souffre l’enseignement d’un pays : différences selon les régions, les ethnies, le sexe ; écarts d’âge ; non ajustement des différents degrés d’enseignement ; disparités entre le nombre d’admis et le nombre de sortants ; etc. L’examen des taux de scolarisation amène à s’interroger sur l’opposition, au sein de la jeunesse, entre scolarisés et non scolarisés. Mais je me limiterai aux disparités purement internes, inhérentes au système lui-même.

 Disparités régionales

Les Rwandais se sont montrés extrêmement sensibles aux différences régionales, certaines parties du pays apparaissant sur le plan de l’enseignement comme plus favorisées que d’autres pour des raisons d’ordre politique, historique, économique, “ethnique”, etc. De telles différences existent dans tous les pays du monde, même les plus développés, car d’une région à l’autre les besoins et les possibilités ne sont pas les mêmes, et surtout l’école n’est pas perçue de manière identique par les populations. On connaît en Afrique des régions où elle a été demandée par les habitants avec insistance de très longue date, et d’autres où elle était refusée farouchement au point qu’il fallait l’imposer par la force. Scolariser une région à population dense et groupée est plus facile et coûte moins cher que de scolariser une région à population dispersée et sporadique. Suivre la demande constitue un facteur incontestable de réussite et d’efficacité, mais favorise les populations les plus dynamiques et les plus enclines à une évolution rapide, de sorte que l’on peut aboutir, de leur part, à une véritable colonisation intérieure dans la mesure où les gens d’une région en viennent à accaparer la majorité des postes dans la fonction publique ou le commerce : ce fit par exemple le cas des Ibo au Nigéria qui ont été à l’origine de la guerre du Biafra.

Au Rwanda, les chiffres de l’enseignement primaire en 1971- 72 révélaient une densité assez régulière des écoles à travers le pays, où l’on comptait un établissement pour 1 900 habitants. Le taux de scolarisation par préfecture donnait une moyenne de 48,8 %, avec un écart-type de 5,3. Les préfectures les plus favorisées étaient celles de Gitarama (56 %), de Butare (54,1 %) et de Kigali (54 %) ; les moins favorisées étaient celles de Ruhengeti (41,7 % seulement), de Gigonkoro (42,1 %), de Cyangugu (43,7 %) et de Gisenyi (44,4 %), les autres bénéficiant d’une scolarisation moyenne.

La situation privilégiée dont jouissaient les trois préfectures centrales s’explique de bien des manières : Gitarama est proche de Kabgayi qui, en tant que siège de l’archevêché, a été pendant des décennies le coeur de la chrétienté rwandaise ; Gitarama a été aussi durant la Première République la “capitale morale” du pays et la ville du président ; Butare, l’Astrida des Belges, destinée à un moment donné à devenir le chef-lieu administratif de tout le Ruanda-Urundi, à proximité de Nyanza, résidence de la cour royale, a toujours fait figure de “capitale intellectuelle” ; Kigali, bien entendu, a dû son importance à son rôle politique et administratif grandissant. La préfecture de Ruhengeri, par contre, englobe une région montagneuse, habitée par des populations réputées autrefois plus réfractaires parce qu’elles ont gardé les structures sociales et mentales caractéristiques des petits royaumes d’avant la colonisation tutsie et qu’elles ont su efficacement résister à celle-ci. La répartition des écoles a donc été plus dense au centre et plus clairsemée à 1a périphérie du pays, les régions de l’Est étant cependant un peu mieux pourvues que celles de l’Ouest.

Pour l’enseignement secondaire, on peut dire que selon les chiffres de 1972-73, en gros, les données en nombres d’élèves issus de telle préfecture (mais peut-être scolarisés ailleurs) suivaient la même tendance qu’au primaire, sauf pour les circonscriptions de Gikongoro et de Gitarama qui apparaissaient comme les plus favorisées.

On peut comparer également, pour chaque préfecture, le nombre des élèves qui en étaient originaires et le nombre d’élèves qui y étaient scolarisés. Il se trouve que les structures d’accueil pour le secondaire dans les préfectures de Ruhengeri et de Gikongoro étaient particulièrement réduites par rapport à la demande, alors que Butare, avec ses 14 établissements, apparaissait comme la préfecture d’accueil par excellence.

Pour comprendre certains écarts, il fallait aussi tenir compte des découpages ecclésiastiques qui, pour un enseignement secondaire fortement lié aux Eglises, étaient plus significatifs que les découpages administratifs. Or l’implantation des collèges était manifestement plus dense autour des sièges épiscopaux, nettement plus réduits en nombre qu’à présent. Gisenyi était préfecture d’accueil grâce au rayonnement de la “forteresse” de Nyundo sur les préfectures de Kibuye et de Cyangugu ; Gikongoro devait être apparié avec Butare, Gitarama avec Kigali, etc. La généralisation de l’internat permettait une compensation assez aisée de ces disparités, et c’est là qu’il fallait probablement voir une de ses principales fonctions.

Du fait d’une urbanisation encore réduite, la disparité ville-campagne, si grave ailleurs, n’était pas encore très accentuée au Rwanda. Cependant Kigali était en voie de devenir un centre scolaire important, en concurrence avec Butare. Le retard généralisé de Ruhengeri autorisait à parler d’une disparité Nord-Sud. A mesure que l’on descendait l’axe central du pays, on passait du dénuement à un relatif pléthore, alors que c’est sur ce même axe que se concentraient les plus fortes densités de population.

On a pu dire que d’une région à l’autre les comportements scolaires n’étaient pas les mêmes, en fonction des mentalités régnantes et du style d’évolution de la population. A Butare et à Cyangugu la population de moins de 15 ans était moins importante qu’ailleurs. A Gitarama, les moins de 15 ans tenaient encore une place centrale, alors que le pourcentage des moins de 5 ans était moyen, ce qui semblait indiquer qu’un tournant en faveur d’une baisse de la natalité avait été amorcé. Par contre, dans les préfectures de la crête Congo-Nil, Gikongoro, Kibuye et Gisenyi, la natalité était repartie en flèche. Les vitalités démographiques étaient les plus affirmées sur les terres les plus hautes et les plus forestières. C’est à Ruhengeri que la pression était la plus forte. A Kigali et Kibungo, la proportion des moins de 15 ans était relativement basse, mais à la capitale il fallait bien entendu compter également avec un afflux de migrants. L’importance prise par les différentes catégories d’âge avait une incidence directe sur la scolarisation et le visage que revêtait l’école.

 Disparités “ethniques”

A l’époque coloniale coexistaient des écoles pour enfants blancs et des écoles pour enfants noirs, devenues par la suite écoles à programme métropolitain et écoles à programme africain. Par la suite, des enfants rwandais issus de familles fortunées se sont mis à fréquenter des écoles pour étrangers implantées dans les grands centres à l’initiative d’associations de parents et sous le contrôle des autorités consulaires (à Butare, par exemple, on trouvait dans les années 70 une école “internationale” et une école consulaire française).

Mais c’est évidemment au couple Hutu-Tutsi qu’on pense quand au Rwanda on parle de disparités “ethniques”, la scolarisation des Twa demeurant marginale. Selon l’annuaire de 1970-71, les Tutsi étaient à Cyangugu 33,8 % dans les écoles secondaires (et 10,5 % dans la population), alors qu’à Ruhengeri ils étaient 2,7 % dans les écoles et environ autant dans la population. Le problème se présentait donc de manière très différenciée d’une région à l’autre. Comme le régime raisonnait en termes de proportions, voire de quotas, il lui était facile d’affirmer, au vu des statistiques, que le groupe tutsi gardait dans le secondaire une importance dépassant le pourcentage qui lui était théoriquement assigné.

Disparités selon le sexe

Il est encore exceptionnel en Afrique que la scolarisation des filles soit à égalité avec celle des garçons, et 1e retard s’accentue en général à mesure que s’élève le niveau de l’enseignement. La présence des filles à la maison est ressentie comme plus utile, et elles ont aussi tendance à se marier plus jeunes, ce qui explique qu’elles quittent l’école plus facilement.

En 1961-62, il y avait dans l’enseignement primaire 76 000 filles, et en 1972-73 elles étaient 179 225. La profession a été en proportion plus rapide et plus régulière que celle des garçons, malgré quelques stagnations momentanées. Le pourcentage des filles était de 42,3 % en 1966-67, et de 44,9 % en 1972-73. Pour 100 garçons, il yavait 56 filles en 1962-63, 69 en 1965-66, 77 en 1969-70 et 81 en 1972-73. II faut noter que globalement les garçons ne représentaient que 48,4 % de la population scolarisable.

Là encore, des données variaient sensiblement d’une région à l’autre. Les filles étaient proportionnellement les plus nombreuses à Gitarama et les moins nombreuses à Ruhengeri.

Dans le secondaire, la courbe du nombre de filles montait avec une grande régularité, sans à-coups. En 1972-73, on trouvait globalement 65,5 % de garçons et 34,5 % de filles (respectivement 55,8 % et 44,2 % dans les CO; 82,8 % et 17,2 % dans les humanités modernes ; 92,2 % et 7,8 % dans les humanités classiques ; 63,4 % et 36,6 % dans l’enseignement normal ; 57,3 % et 42,7 % dans l’enseignement technique, professionnel et artisanal).

Pour la même année, on trouvait pour 100 garçons originaires de la préfecture de Cyangugu 63 filles, de Butare et de Gitarama 62 filles, de Kibuye 58 filles, de Gisenyi 55 filles, de Kigali 50 filles, de Gikongoro 43 filles, de Ruhengeri 41 filles, de Byumba et de Kibungo 40 filles. Ces chiffres n’étaient qu’en rapport lointain avec ceux du primaire et semblent avoir surtout reflété la diversité des structures d’accueil et des mentalités.

Toujours en 1972-73, on trouvait à l’IPN 16 étudiantes pour 209 étudiants, et à l’UNR 64 étudiantes pour 462 étudiants. Elles étaient cependant en majorité à l’Ecole Supérieure de Sciences Infirmières (29 contre 12). L’élément féminin ne représentait donc qu’un dixième environ dans l’enseignement supérieur.

 Disparités entre primaire et secondaire

Les rythmes de croissance entre primaire et secondaire ont été différents, et il est toujours difficile de parvenir à un équilibre satisfaisant. Le Rwanda a hérité de la colonisation belge un primaire quantitativement bien développé face à un secondaire à peine ébauché. Grâce à la double vacation, le primaire a connu une croissance rapide à peu de frais, tandis que le secondaire était inhibé par son très coûteux système généralisé d’internat. Enfin l’Etat n’avait qu’une faible prise sur le développement du secondaire qui restait très dépendant d’initiatives privées.

En 1962-63, le Rwanda comptait 1,6 élèves dans le secondaire pour 100 dans le primaire, le rapport le plus bas d’Afrique (3,8 au Burundi, 8,8 au Sénégal, 12,4 au Nigeria, 20,2 à l’Ile Maurice, 39,7 au Ghana, selon Le ThantiKhoi ; il est vrai que peu de pays avaient un primaire aussi développé).

Au départ, la proportion des sortants du primaire qui entraient dans le secondaire était élevée (56 % en 1961-62) ; les années terminales du primaire étaient peu étoffées et considérées comme préparatoires au secondaire, ce qui signifie que la sélection était déjà réalisée pour la plus grosse part. Mais très rapidement les effectifs du primaire ont monté, alors que les capacités d’accueil du secondaire n’augmentaient que lentement, de sorte que le pourcentage de ceux qui pouvaient poursuivre des études baissait de manière inquiétante d’année en année (en 1974-75 le taux était de 6,5 %, toujours un des plus bas d’Afrique).

Quant à la structure interne de l’enseignement moyen, c’est-à-dire à la proportion entre cycles de 3, 5, 6 et 7 ans, elle semblait assez équilibrée. Son évolution est allée dans le sens d’une amélioration globale du niveau de formation. On a cependant pu déplorer que l’accent ait été mis de manière unilatérale sur un enseignement de type général au détriment de la formation professionnelle.

 Disparités selon l’âge

Le ThanhKhoi écrit à propos de l’âge des écoliers :

“On peut distinguer deux attitudes… Pour les éducateurs de tradition britannique il n’ a pas de justification pédagogique pour que l’élève redouble ; l’éducation doit être adaptée à l’âge et aux intérêts de l’enfant (et on donne facilement des informations sur l’âge des élèves). En revanche, les éducateurs de tradition française font facilement redoubler une classe (et les informations sur l’âge sont rares). On se félicité en pays anglophone lorsque l’âge d’entrée à l’école diminue… L’abaissement de l’âge est (pour eux) un objectif. Le vieillissement est davantage le fait des pays francophones”.

En ce sens, le Rwanda se situait très nettement dans la tradition française, car les redoublements y étaient fréquents. Cependant diverses tentatives ont été faites pour maintenir l’âge d’entrée et de sortie dans des limites précises, mais l’effet souhaité n’était pas toujours obtenu dans un pays où la notion d’âge et les indications d’âge étaient encore élastiques. C’est donc une prudence justifiée qui incitait les annuaires à se montrer discrets sur la question. Concrètement, on pouvait trouver des enfants relativement âgés tout au long du cycle primaire, et pas seulement en terminale. D’autre part, les parents des milieux instruits faisaient tout pour mettre leurs enfants à l’école le plus tôt possible, donc avant 7 ans.

Dans le secondaire, où l’âge réglementaire allait de 13 à 19 ans, on remarquait relativement peu d’écarts, la sélection à l’entrée étant draconienne. Quand on mettait en relation âge et sexe, on remarquait que parmi les élèves ayant 13 ans et moins, les filles prédominaient ;mais, dès l’échelon suivant, les garçons l’emportaient ; à 18 ou 19 ans, les filles représentaient à peine encore un quart de l’effectif, ce qui indiquait sans doute une certaine préférence pour les cycles terminaux de 3 ou 5 ans.

 Redoublements, éliminations, abandons

Le phénomène “redoublement” prend en Afrique bien souvent des proportions considérables, fendant l’enseignement peu efficace. Pendant longtemps on en cherchait les causes du côté de l’inadaptation des enfants africains à l’enseignement dispensé : absence de formation préscolaire, discontinuité entre éducation coutumière et apprentissages scolaires, enseignement en langue européenne, absence de régimes spéciaux pour les enfants qui en auraient eu besoin, etc. Mais, comme le fait remarquer Le ThanhKhoi, “les mêmes inadaptations conduisant à des situations extrêmement variées selon les pays, on est en droit de s’interroger sur l’importance réelle de la variable sociale et de chercher d’autres explications” (p. 199).

Le but de l’école est idéalement de conduire tous les enfants à la réussite : les redoublements, éliminations et abandons relèvent alors de ce que l’on pourrait appeler la “pathologie scolaire”. Quand la proportion des échecs et des déperditions dépasse un certain seuil, la faute ne peut plus être attribuée aux élèves, mais au système lui-même qui n’a pas su s’adapter à la demande et aux conditions particulières de telle population.

De la première à la quatrième primaire, l’élève devait avoir atteint au moins la moitié des points pour passer dans la classe supérieure. En cinquième et sixième années s’ajoutaient des considérations supplémentaires : les redoublements n’étaient possibles que si des places étaient vacantes, et les élèves plus jeunes avaient en principe priorité sur les plus âgés qui étaient déjà, en règle générale, des redoublants. L’institution d’une carte scolaire individuelle avait pour but de pouvoir suivre avec précision la scolarité des élèves et d’empêcher les redoublements à répétition.

On a vu les taux de redoublement et de déperdition diminuer progressivement, indice d’un meilleur rendement. Les taux de passage d’une classe à l’autre oscillaient, bon an, mal an, entre 53 et 58 %, ce qui était évidemment très faible. Le taux de persévérance, c’est-à-dire la somme du taux de passage et du taux de redoublement, variait entre 81 et 85 %, de sorte que les pyramides scolaires s’amenuisaient assez vite vers le haut. Les chiffres de 1972-73 révélaient une proportion plus élevée de redoublants chez les filles que chez les garçons de la première à la cinquième, alors qu’en sixième les données s’inversaient. En fin d’études, les garçons étaient en moyenne pour un tiers des redoublants de l’année. D’après les calculs effectués par Th. Hanf pour 1971-72, on constatait qu’une proportion plus faible de filles que de garçons passait d’une classe à l’autre dans les trois dernières années, ce qui laissait supposer un taux d’abandon plus important. L’annuaire de 1972-73 faisait remarquer qu’en moyenne, sur 100 élèves entrés en première année, 11 seulement arrivaient en sixième sans avoir jamais redoublé.

Même en matière de redoublements semblaient se dessiner des comportements régionaux. L’annuaire de 1972-73 faisait remarquer que les arrondissements de Gisenyi, Butare, Byumba et Kigali se situaient en dessous du taux moyen de 23,9 %, alors que les autres le dépassaient largement pour plafonner autour de 28 %. Le taux le plus élevé fut relevé à Gikongoro pour les années terminales de garçons : 39,5 %.

Que les redoublements soient plus fréquents dans les premières et les dernières classes d’un cycle est une donnée classique : les unes sont plus chargées, confiées à des maîtres souvent moins qualifiés, et elles se proposent d’opérer un premier tri ; les autres veulent redonner une chance à des élèves qui ont échoué à des concours conduisant au cycle suivant, d’autant plus qu’au sortir de l’école beaucoup d’élèves sont trop jeunes pour remplir un rôle économique. Le Rwanda a hérité de la Belgique, même pour les petits, d’un système de contrôles et d’examens très pesant et quelque peu obsessionnel, que les maîtres estimaient indispensable comme stimulant pédagogique. L’idée d’une école “poreuse” qui aurait admis le passage automatique d’une classe à l’autre pour assurer une atmosphère de travail plus détendue et un meilleur rendement était violemment rejetée par le corps enseignant chaque fois qu’elle faisait une timide apparition.

Dans l’enseignement secondaire, les taux de redoublement étaient faibles et semblaient diminuer d’année en année. En 1971-72, on comptait globalement 4,8 % de doubleurs, et en 1972-73 seulement 3,3 % (2,4 % pour les garçons et 5 % pour les filles), la première année étant la plus touchée. Th. Hanf indiquait pour 1970-71 un taux de déperdition de 13,2 %, touchant surtout les quatre premières années, alors qu’en 1972-73 on ne faisait plus état que d’un taux de 6 %. Cela pouvait être l’indice, soit d’un meilleur rendement, soit de la crainte que les professeurs éprouvaient devant les réactions des élèves… Il faut se souvenir qu’à la fin de la Première République quelques établissements ont complètement échappé au contrôle des éducateurs et qu’au moment des troubles de 1973 des enseignants ont péri. La reprise en mains fut lente et difficile, même dans certains séminaires, et les esprits en restèrent marqués.

Coût et financement de l’enseignement

Les annuaires donnaient des indications sur la place qu’occupait le budget de l’éducation dans le budget global de l’Etat, et les chiffres oscillaient entre 25 et 30 %. Ils ne pouvaient cependant être pris qu’avec beaucoup de réserves, d’une part à cause de leur mode de calcul (l’année scolaire ne correspondant pas avec l’année civile, le budget de renseignement était en fait comparé aux prévisions budgétaires de l’année suivante, dont on ne pouvait vérifier la valeur puisque les dépenses réelles n’étaient pas publiées), d’autre part parce qu’il ne tenait pas compte des dépenses de l’enseignement privé, très importantes dans le secteur secondaire et technique, ni des investissements nouveaux dont se chargeaient d’ordinaire les assistances étrangères, ni de la rémunération des assistants techniques. On ne disposait donc que de données très fragmentaires sur le budget réel.

A partir d’une enquête auprès des sources non-gouvernementales de financement, les auteurs du rapport Hanf en arrivaient à la conclusion suivante : “Si l’on fait l’addition de toutes les dépenses relatives à l’enseignement, on s’aperçoit que la somme obtenue correspond à peu près au budget national” (p. 21). Si cette estimation était exacte, elle revêtait bien entendu une importance capitale et sa signification était tragique. C’était surtout l’aide extérieure qui était difficile à évaluer du fait de la multiplicité des sources, de la non publication de nombreux chiffres, des différences de dates entre engagements et versements effectifs, etc. : toutes les contributions n’ayant pu être recensées, il est même probable que l’estimation était assez largement en dessous de la réalité…

Si l’on entrait quelque peu dans le détail, on obtenait pour 1972 les données suivantes : l’enseignement primaire était financé pour l’essentiel par le Rwanda ; quant au secondaire, il relevait pour 10,5 % du Rwanda, pour 5,7 % de sources privées, et pour 82,7 % de sources gouvernementales étrangères. Pour le supérieur, les pourcentages étaient très voisins de ceux du secondaire.

L’administration scolaire était financée à 80 % par le pays. En considérant le système dans son ensemble, il apparaît qu’un tiers seulement de 1a charge financière était supporté par l’Etat. En chiffres absolus, le secondaire coûtait le double du primaire, le supérieur se tenant entre les deux.

D’après les chiffres cités par Le ThanhKhoi, dans les années 1962-65 le Rwanda n’aurait dépensé au total que 10 % de son produit intérieur brut, dont pour l’enseignement en 1964 2,6 % du PIB global, 6,4 % du PIB monétaire et 25,3 % du budget total, alors que des pays voisins comme le Kénya, l’Ouganda ou le Congo dépensaient plus de 20 % du PIB. Mais en fait le Rwanda supportait une charge plus lourde qu’eux à cause de la monétarisation moins avancée de son économie et d’une structure démographique où l’élément jeune et non actif était très important (pp. 239-241).

C’est évidemment l’analyse des coûts unitaires, par élève ou par étudiant, qui représente un des instruments les plus efficaces entre les mains des planificateurs, aussi bien pour apprécier la productivité des formules pédagogiques existantes que pour prévoir les dépenses futures, compte tenu des alternatives possibles. Ces coûts peuvent être élevés pour des causes très diverses, ou bien parce que l’enseignement est de très haute qualité, ou bien parce qu’il n’est pas adapté aux condition économiques et sociales, ou bien parce que les fonds sont mal gérés.

L’évaluation de ces coûts unitaires faite par Th. Hanf faisait apparaître pour l’année 1971-72 que :

– à l’école primaire un élève revenait à l’Etat à 1 099 francs rwandais,

– au secondaire il revenait à l’Etat à 8 605 Frw, alors que le coût réel était de 60 420 Frw,

-dans une école professionnelle il revenait à l’Etat à 14 876 Frw, alors que le coût réel était de 104 504 Frw,

-dans un foyer social le coût unitaire était d’environ 500, dans un centre d’alphabétisation de 890, dans un centre nutritionnel de 213 et dans un catéchuménat de 100 Frw.

Ces données permettaient d’apprécier le délaissement financier dans lequel croupissait l’école de base du fait de la “nationalisation” et du désintérêt des assistances techniques gouvernementales. 97 % des dépenses concernaient le personnel, et 3 % seulement le matériel didactique qui faisait partout cruellement défaut au point de paralyser littéralement l’apprentissage des mécanismes de base. Pour y remédier, on a proposé de lier dans le deuxième plan quinquennal les dépenses en matériel à celles en personnel, de manière à ce que les premières représentent toujours au moins 10 % des secondes.

Entre le financement du primaire et celui du secondaire, l’écart était manifestement anormal et grave de conséquences : pour former environ 10 000 collégiens en 1972 on dépensait plus du double de ce qu’il fallait pour scolariser environ 400 000 enfants au niveau élémentaire. Les causes ? L’incidence trop lourde du dogme de l’internat généralisé, le sous-emploi souvent grave des locaux, des installations collectives et même des professeurs dans beaucoup d’établissements de taille trop réduite et dispersés. Il était anormal que des salles de classe ne servent que six heures par jour, que des équipements sportifs et culturels coûteux ne soient utilisés qu’occasionnellement. Il était navrant aussi de voir combien de fois l’aide étrangère, privée ou officielle, se déversait de manière irrationnelle en favorisant des investissements de pur prestige et des réalisations de façade.

Quant à l’enseignement supérieur qui, toujours selon les mêmes estimations, absorbait en 1972 un tiers de plus que le primaire et l’équivalent des deux tiers des sommes assignées au secondaire, et ce pour former quelques centaines d’étudiants, son coût apparaissait comme une sorte d’aberration quand on replaçait les choses dans l’ensemble du système. De tels coûts pouvaient à la rigueur s’admettre dans la phase de démarrage, mais les institutions rwandaises avaient dépassé ce stade, et l’on savait que du fait de la stagnation du secondaire le nombre des étudiants n’allait pas augmenter substantiellement dans les années à venir. Certes, l’enseignement supérieur rwandais, vu de l’extérieur, apparaissait comme plutôt modeste, voire très modeste dans ses installations et son mode de fonctionnement en comparaison des universités d’Europe ou d’Amérique. Mais cette comparaison ne fournissait pas un critère d’appréciation valable. Une institution de formation n’est efficace que dans la mesure où elle reste conforme aux normes et aux possibilités du pays où elle se trouve, et, si par la magie d’une injection étrangère, elle entre en discordance avec celles-ci, elle se met à jouer le même rôle qu’un cancer dans un organisme vivant. En appliquant dans un Etat connue le Rwanda, au niveau secondaire et supérieur, des normes européennes ou américaines, ne risquait-on pas de former des personnes à qui il sera difficile de s’adapter aux conditions réelles de vie et de travail que le pays était en mesure de leur offrir ?

Certes, vus du côté du Rwanda, ces chiffres paraissaient démesurés dans la mesure où ils comprenaient la rémunération des experts étrangers qui n’était pas à la charge du pays : un jour des cadres rwandais prendraient la relève, et les décalages étaient alors appelés à s’amenuiser d’eux-mêmes. Pour une appréciation saine des choses, le planificateur devait donc considérer davantage le “coût de remplacement” que le “coût pour le pays aidant”. Il n’en restait pas moins que dans le secondaire et le supérieur on a trop souvent pris l’habitude de fonctionner selon des normes que le pays ne pouvait jamais faire siennes à moins de consentir à une dégradation considérable, ce qui, en d’autres termes, rendait l’assistance étrangère indispensable à perpétuité.

 Ecoles privées non reconnues

Comme de nombreux jeunes se trouvaient exclus du réseau des écoles reconnues et subsidiées, et ce pour diverses raisons (échec aux examens, manque de place, quotas “ethniques”), on assista à l’apparition d’un réseau parallèle d’écoles privées fondées à l’initiative de groupes religieux ou d’associations de parents. Du premier type relevaient le Groupe scolaire de Gitwe (1968), l’Institut John Wesley de Kibogora (1974) ou l’Institut de Formation Apostolique de Kimihurura. Mais ce furent surtout celles issues d’initiatives parentales qui allaient se multiplier rapidement, comme on le verra à propos de l’évolution sous la Deuxième République.

 

Conclusion

Ce panorama chiffré, pour incertain qu’il fût, permettait de saisir la valeur et les faiblesses de l’oeuvre scolaire réalisée durant la première étape du Rwanda indépendant. C’est avec persévérance et méthode que le pays s’est appliqué à renforcer l’emprise de l’Etat, à étendre l’enseignement et à en améliorer la qualité en fonction de ses moyens, persuadé, sans doute à tort, que l’élévation du niveau d’instruction générale constituait un préalable absolu au développement. La Première République y a consacré certaines années jusqu’à 30 % du budget de l’Etat.

Malheureusement elle n’a jamais remis en cause en profondeur le système hérité du colonisateur belge, de sorte qu’au niveau moyen et supérieur surtout il y eut un décalage entre la formation dispensée et la réalité nationale.

Pour une évaluation pertinente de l’oeuvre entreprise autant du point de vue psychopédagogique que socio-économique, les données restaient pauvres et les instruments mis en oeuvre insuffisamment fins et incisifs. De nombreuses expériences ont été tentées dans le cadre scolaire et extrascolaire, des classes-pilotes ont été instituées, des moyens pédagogiques nouveaux ont été utilisés, mais tout cela est resté largement inexploité et les responsables ne disposaient souvent pour orienter leur jugement que de simples impressions. En matière de psychologie on se mouvait sur une terre quasiment vierge. Les travaux relativement abondants d’anthropologie physique, d’ethnologie, de linguistique, d’histoire et d’étude du milieu sous tous ses aspects dont on dispose pour le Rwanda au niveau de la recherche fondamentale n’ont guère été monnayés en vue de leur utilisation pédagogique. La prise en considération de l’éducation traditionnelle n’a pas progressé. Un énorme travail d’exploitation des données déjà disponibles et d’investigation nouvelle restait donc à accomplir.

Pourtant les questions ne manquaient pas, et Ch. Géronimi, un expert de l’UNESCO qui a longtemps travaillé au Rwanda, les résumait bien quand il écrivait :

“On peut certes établir un bilan des reçus aux examens, calculer le pourcentage des échecs et des réussites, mais qui peut évaluer l’efficacité réelle de l’éducation ?… A-t-on réussi à développer les aptitudes d’un enfant, son intelligence, son raisonnement, ses facultésd’imagination créatrice, son sens des responsabilités individuelles et sociales, puisque l’éducation se propose d’atteindre tous ces objectifs ?… D’autre part, le système scolaire a-t-il réussi à favoriser l’insertion de l’individu dans la société ? le pouvoir de contribuer au développement économique ? Ou bien contient-il en lui une force d’inertie qui freine l’évolution des structures sociales ? Ou au contraire possède-t-il une virtualité de transformation ? Toutes ces questions se posent au Rwanda depuis quelques années déjà : elles ont rapidement mis fin au temps de l’enthousiasme et provoqué ce que j’appelle le retour au temps des interrogations” (“L’enseignement au Rwanda : son passé, son avenir”).

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