{:fr}L’enseignement secondaire ne connut pas une croissance comparable à celle du primaire, de sorte que le décalage entre les deux niveaux n’allait qu’en s’accentuant. Il fut légèrement restructuré à la suite de missions envoyées par l’UNESCO en 1962 et 1963 dans le but d’amorcer au Rwanda la planification de l’éducation. Voici ce qu’on peut lire dans leurs rapports :

“L’enseignement secondaire général est dans ses structures, dans ses programmes et dans son esprit celui de la Fédération Nationale de l’Enseignement Catholique de Belgique. L’enseignement protestant même, quoique d’esprit différent, en applique les structures et les programmes. Quelques directives du Ministère de l’Education Nationale concernant l’enseignement de l’histoire et de la géographie constituent un embryon d’africanisation qui doit être mentionné. L’enseignement se donne entièrement en français, par des professeurs non africains, à quelques rares exceptions près, et la langue nationale n’y fait que quelques rares apparitions, à raison d’une ou deux heures par semaine.

Les meilleurs élèves sont sélectionnés pour l’enseignement secondaire général ou normal, et l’on ne trouve dans les écoles de formation de la main-d’oeuvre que ceux d’entre les moins doués qui peuvent être retenus. En ouvrant la section d’humanités techniques de Kicukiro, on espérait surmonter cette difficulté et attirer de bons éléments, futurs cadres techniques du pays. En fait, l’expérience de l’automne 1962 a révélé que le meilleur élève recruté sur les 1 200 sortant des septièmes préparatoires, était classé au 420erang, le second au 550e rang”

Les experts ont recommandé une limitation de l’enseignement primaire au profit du secondaire, afin de mieux harmoniser quantitativement les deux niveaux. Mais cette proposition était inacceptable pour des raisons politiques.

 Les Conditions d’Accès

L’admission à l’école moyenne s’effectuait précédemment au terme d’une septième préparatoire, classe de sélection et d’orientation, destinée aussi à améliorer la connaissance du français qui devenait à partir de là le véhicule unique de l’enseignement. La suppression de cette classe alla de pair avec l’institution d’une épreuve organisée au plan national à l’issue du sixième primaire, à la fois examen et concours, portant sur les connaissances en français, en calcul, en éducation civique et morale. Ceux qui y réussissaient obtenaient le certificat d’études primaires, et aux autres on donnait une attestation d’études. Ce certificat très sélectif (7,4 % de réussites en 1973-74) était nécessaire pour l’entrée en secondaire, mais n’y donnait pas droit d’office : l’admission définitive, prononcée par un bureau ministériel, dépendait aussi du nombre de places disponibles dans les internats et, dans un souci d’équilibration, de l’appartenance régionale et “ethnique” des enfants. Comme on peut s’en douter, un tel système n’était pas à l’abri, surtout dans sa dernière phase, d’abus de toute sorte.

Il a en effet toujours été très difficile de savoir sur quels critères exacts les bureaux ministériels compétents choisissaient ceux qui poursuivaient leurs études aux différents seuils et les orientait, les uns vers des collèges de luxe, les autres vers les établissements décriés. De notoriété publique des entorses étaient faites aux règles d’admission quand il s’agissait d’élèves socialement bien placés. Il était rare que des enfants de fonctionnaires supérieurs ou moyens se trouvent écartés des études. Même les mécanismes selon lesquels se décidait l’entrée au petit séminaire auraient mérité examen, car il s’agissait là de filières d’enseignement général particulièrement prisées, à un âge où les critères de vocation étaient encore flous. Les chefs d’établissement eux-mêmes se plaignaient de ce que le jeu se trouvât trop souvent faussé par l’arrivée d’élèves qui avaient échappé aux filières normales de recrutement.

Les Innovations

En 1964-1965 fut institué le “cycle d’orientation” (CO) (affublé du nom inesthétique de “tronc commun”) de trois ans au début de l’enseignement secondaire, conformément aux recommandations des missions de l’UNESCO. Il s’agissait d’une imitation d’un modèle en usage dans quelques pays d’Europe, visant à éviter que des élèves trop jeunes soient placés devant des choix définitifs en matière d’orientation scolaire et professionnelle, et à mêler autant que possible des enfants d’origines sociales différentes en leur offrant un enseignement très souple, aux multiples options et possibilités. Malheureusement, le programme retenu était de nature purement générale (sauf au CO technique de Kicukiro), et le souci d’orienter les élèves est toujours demeuré réduit dans un système directif aux possibilités de choix limitées. Le projet de “tronc commun” était critiqué d’une part par les représentants de l’Eglise catholique qui tenaient au maintien, dans les séminaires au moins, d’humanités gréco-latines classiques avec enseignement du latin dès le départ, et d’autre part par les représentants des entreprises privées qui auraient souhaité que la formation professionnelle et technique commençât plus tôt.

Du fait de ces résistances, la formule édulcorée finalement retenue ne présentait plus grand intérêt. Le CO ne fut pas institué partout : n’étaient affectées que les humanités modernes débouchant soit sur le supérieur, soit sur des cycles professionnalisés (agricole, vétérinaire, médical, administratif, commercial et pédagogique). Le programme ne différait pas grandement de ce qui existait précédemment. Il s’agissait donc d’une réforme plus formelle que réelle. L’école de Kicukiro a cependant su éviter d’engager ses élèves vers un enseignement sans couleur, et on les y aidait dès le CO à se faire une idée concrète des différentes spécialités offertes, afin de leur donner la possibilité de choisir en fonction de leurs goûts et de leurs aptitudes. Partout ailleurs, le fait d’accroître la part d’enseignement général dans les écoles professionnelles risquait de mettre celles-ci dans la même position que les collèges d’humanités modernes : leurs élèves étaient portés à vouloir poursuivre les études plus tard au niveau supérieur, même dans des disciplines n’ayant aucun rapport avec leur formation antérieure. L’orientation technique se trouvait ainsi handicapée.

Quant aux petits séminaires, ils se décidèrent à abandonner l’enseignement du grec et à se reconvertir en sections latin-sciences, les humanités gréco-latines de type classique n’étant plus pratiquées qu’au collège du Christ-Roi de Nyanza.

Après ces quelques remaniements sans grande incidence, l’enseignement secondaire a connu une longue période d’immobilisme. Quand au cours de mes enquêtes je demandais aux chefs d’établissement sur quels programmes ils s’appuyaient, je les voyais ressortir de leurs tiroirs, après une minute de gêne, la vieille brochure éditée vers 1950 par la Fédération de l’Enseignement Catholique belge. Le matériel pédagogique et les manuels venaient en majorité de Belgique. Une vingtaine de congrégations religieuses étaient actives à ce niveau.

Après la “rénovation” (?) du primaire, Ch. Géromini a élaboré des propositions en vue d’harmoniser les programmes aux différents niveaux et dans les différents types d’enseignement. En 1972, les directives ministérielles se proposaient, concernant les écoles normales, par exemple, de “susciter chez les normaliens une prise de conscience, et de rompre avec le caractère artificiel et clos du monde scolaire et de l’internat, en montrant au futur maître qu’il lui est possible de jouer un rôle déterminant dans l’évolution du pays”. De telles affirmations restaient évidemment simples voeux pieux si l’on ne s’attachait pas à transformer en profondeur le style même des écoles normales.

 De même qu’en 1964 fut instauré un concours national de sélection, organisé et corrigé au niveau central, pour l’entrée au tronc commun, surtout afin d’éviter les distorsions régionales et “ethniques”, de même s’est-on progressivement orienté vers un examen-concours -national à la sortie de l’enseignement secondaire. C’est en 1974 que pour la première fois les sujets clôturant le cycle moyen furent imposés par le ministère. Les professeurs des établissements respectifs continuaient à corriger les épreuves de leurs propres élèves, mais délibéraient ensuite sous la présidence d’un délégué du ministre. Cette mesure, totalement inattendue quand elle fut appliquée, constituait l’amorce d’un système d’examens plus centralisé et uniforme, garantissant mieux, au plan national, la valeur du diplôme. Quand les jeunes gens accédaient à l’enseignement supérieur, il était facile de constater qu’à diplôme égal leur niveau réel différait notablement en fonction de l’établissement d’où ils étaient issus. La première année d’université fut même envisagée explicitement comme une année d’harmonisation et d’homogénéisation des niveaux.

Comme ce n’étaient (en principe) ni les élèves ni leurs familles qui choisissaient l’établissement secondaire ou supérieur dans lequel ils allaient poursuivre les études, et comme tout était décidé par une instance centrale en fonction des résultats obtenus aux examens et des préférences exprimées par les intéressés, les directeurs ne jouaient plus aucun rôle dans le recrutement. Ce système avait pour but de mettre les établissements à l’abri des intrigues et des jeux d’influence, de permettre une meilleure planification, de réaliser dans les internats un brassage complet de la population scolaire, quelles que fussent les origines et les appartenances régionales, sociales, “ethniques” ou religieuses, et de faciliter ainsi l’épanouissement d’un esprit national. Le danger en était d’introduire de nouvelles formes d’arbitraire, de reporter au niveau du bureau central compétent les jeux d’influence et les tentatives de corruption (réservés aux seules familles haut placées), et de donner aux élèves et étudiants un esprit quelque peu fataliste, puisqu’ils avaient l’impression d’être orientés par une machinerie aveugle sur laquelle ils n’avaient qu’une très faible prise.

Malgré tous les exorcismes verbaux, les clivages sociaux se retrouvaient à l’école et la sélection par l’argent fonctionnait inévitablement dans une société où la course vers la richesse devenait de plus en plus exacerbée. Les élèves issus de familles pauvres avaient beaucoup de peine à faire face ne fût-ce qu’aux frais d’habillement, d’équipement ou de transport. Comme partout dans le monde, ils pouvaient en être découragés et abandonner la partie, mais ils pouvaient également y trouver une motivation et une énergie supplémentaires.

La Rénovation Pédagogique

Le ressort de la rénovation du secondaire devait être le Bureau Pédagogique, fondé en 1971 au sein du Centre d’Etudes et de Recherches du ministère, avec une aide financière belge et le support technique de l’Université de Gand. C’est à lui qu’était attribuée la tâche de réexaminer les méthodes et les programmes. Fut mise en place une équipe très étoffée de 18 assistants techniques belges et de 4 collaborateurs rwandais. Après des tentatives timides d’africanisation de l’enseignement de l’histoire et de la géographie, les mathématiques modernes ont fait leur apparition dans les premières années des CO et la pédagogie du français fut soumise à révision.

On proposa aux établissements la méthode Le français sans frontières fondée sur les travaux de R. Bastin au Burundi et de M. André à Kigali, avec la collaboration de spécialistes de l’Université de Mons. Il ne pouvait s’agir d’un cours audiovisuel classique où l’on aurait fait porter l’effort de l’élève sur l’audition et la reproduction, de sorte que les structures verbales soient saisies et mémorisées globalement sans qu’une analyse prématurée et l’apparition d’un code écrit n’entravent l’acquisition. La situation était plus complexe puisque, dans le cas d’élèves du secondaire, il s’agissait en réalité de faux débutants, peu habitués à écouter un texte et peu entraînés à la conversation, mais ayant une assez bonne pratique de la lecture, de la langue écrite et notamment de l’orthographe. Ils avaient derrière eux au moins deux années de français pendant lesquelles ils avaient surtout appris des règles grammaticales. Il s’agissait donc d’utiliser au mieux cet acquis et de veiller à rendre opérationnelles leurs connaissances théoriques. On diffusa à titre expérimental un Projet d’instructions méthodologiques pour l’enseignement du français au cycle supérieur.

Malheureusement, la rénovation de l’enseignement du français dans le secondaire fut entreprise avant qu’une tentative similaire n’ait été effectuée au niveau primaire, où l’on en était encore à des méthodes anciennes, essentiellement grammaticales et s’appuyant sur des textes trop difficiles. On en arrivait à cette contradiction que le français enseigné au CO semblait plus facile que celui enseigné dans les dernières années du primaire, ce que les maîtres avaient tendance à interpréter comme l’indice d’une baisse de niveau.

Un manque d’harmonisation de ce genre, préjudiciable à une programmation d’ensemble, résultait parfois de l’action non concordante d’assistances techniques rivales, voire de luttes d’influence. La création, du Bureau Pédagogique pour le secondaire, confiée à la coopération belge a donné lieu à des discussions animées. Pour équilibrer les choses, on a confié à la coopération française une institution similaire pour le primaire. Celle-ci était fortement axée sur l’hypothèse de la mise en place d’une radio scolaire, à l’exemple de ce que pratiquait à l’époque avec succès au Sénégal le Centre de Linguistique Appliquée de Dakar (CLAD).

L’introduction dans le secondaire, sous l’impulsion du Bureau Pédagogique, de la méthode d’inspiration “structuro-globale audio-visuelle” (SGAV) de français en CO a également donné lieu à une vigoureuse polémique en 1976 autour de la notion de “pédagogie moderne” (cf. Dialogue, 54 et 57). Ces méthodes nouvelles que l’on retrouvait en différents pays d’Afrique prenaient en compte les apports de la linguistique descriptive et contrastive. Elles étaient fondées sur les principes suivants :

“- Préséance de l’oral sur l’écrit, le second étant une transposition du premier après que les élèves ont été débloqués et habitués à percevoir, reconnaître et reproduire exactement les éléments oraux de la langue étrangère avec laquelle ils sont mis en contact.

-Progression pédagogique telle que les éléments fondamentaux du langage sont acquis en premier.

-Organisation des exercices selon des modèles “structuraux” combinant la répétition et la réflexion, et garantissant une acquisition stable

– Incorporation d’exercices destinés à éviter les fautes dont les recherches menées depuis une quinzaine d’années ont attesté la récurrence au Rwanda.

– Utilisation de procédés phonétiques facilitant l’acquisition de sons nouveaux grâce au choix du contexte” .

Des “fiches de corrections lexicales” ont été élaborées pour éclairer les maîtres sur l’origine de telle faute et le mode de correction le plus approprié. Des enregistrements sonores fournissaient des modèles corrects, toujours identiques à eux-mêmes, et les illustrations afférentes pouvaient être pour les élèves des éléments de motivation, des indices aidant au décodage des messages et des prétextes pour s’exprimer.

On a reproché au Bureau Pédagogique de cumuler des fonctions qui normalement auraient dû être disjointes : l’élaboration des programmes, la production de documents pédagogiques et leur expérimentation, la distribution du matériel pédagogique, l’organisation des examens, l’inspection des établissements, la formation permanente, le contrôle global du système. On pouvait critiquer le fait que les cours étaient évalués par ceux-là mêmes qui les ont élaborés. Ce dispositif entraînait l’emprise monopolisatrice d’un seul organisme, relativement clos sur lui-même, sur tout l’enseignement secondaire, une emprise d’autant plus sujette à caution que l’équipe était essentiellement composée d’étrangers, de plus originaires d’un même pays. Les enseignants nationaux, n’ayant guère voix au chapitre dans l’élaboration des pédagogies nouvelles, étaient confirmés dans leur passivité. Ils l’étaient aussi par la mise entre leurs mains de cours tout prêts à l’emploi. Une stratégie d’urgence risquait ainsi de bloquer le développement actif d’une pédagogie innovante ancrée dans la réalité nationale.

C’est le rapport d’évaluation Pujolle-Deledicq, proposé en 1975 par la Coopération française, qui a formulé ces critiques vis-à-vis du Bureau Pédagogique (belge…) en reprenant celles des chefs d’établissement. Il relevait en plus les points suivants :

– la multiplicité des petits collèges appelait la formation d’enseignants polyvalents capables de s’adapter aux situations locales ;

– Le corps enseignant connaissait des conditions de vie et de travail trop difficiles, peu attirantes et peu motivantes ;

– la pratique généralisée de l’internat aurait nécessité la présence d’animateurs et d’éducateurs formés ;

– les établissements n’arrivaient pas à fonctionner avec les sommes allouées par l’Etat et avaient vitalement besoin d’aides étrangères (jusqu’aux 2/3 des budgets !) ;

– l’hétérogénéité du niveau de français à l’entrée dans le secondaire posait partout problème ;

– il était urgent d’instituer un corps autonome d’inspecteurs avec à la fois vocation d’autorité et de recours.

Le rapport notait aussi que dans les méthodes d’enseignement en usage prévalaient “la discipline et l’esprit scolastique” :

“Le visiteur… est frappé par le sérieux de la discipline et le souci constant exprimé par les responsables de pouvoir “contrôler” les élèves… En assistant à quelques cours on mesure très vite le caractère scolastique de l’enseignement proposé : le maître parle, professe, dicte ; l’élève écoute, reçoit, répète et reproduit. Le visiteur peut s’étonner du maintien d’une pédagogie très directive… Il pourrait être tenté de proposer d’autres modèles didactiques. Nous pensons qu’en l’état actuel, ces méthodes pédagogiques sont inévitables et nécessaires. En effet, si la formation des enseignants ne les a pas préparés à d’autres attitudes, si eux-mêmes sont invités à répéter un savoir qu’ils n’ont pas eu à reconstruire, s’ils n’ont pas été préparés psychologiquement au face à face avec des élèves indociles sans les protections du système de discipline traditionnel, enfin si la pénurie des moyens pédagogiques concentre sur la seule parole du maître toute l’activité de l’élève, alors il est prématuré et risqué de vouloir innover et transformer la relation pédagogique. La transformation du système éducatif rwandais dans son esprit ne peut résulter que lentement de la mise en oeuvre d’une préparation nouvelle des enseignants” .

Des dons importants en livres et en matériel didactique provenaient de Belgique, de France et du Québec. Le Catholic Relief Service aidait les internats sur le plan alimentaire. Quelques manuels proprement rwandais ont néanmoins pu être publiés ; parmi eux le livre de géographie et l’atlas du Rwanda mis au point par une équipe de géographes français de l’Université Nationale méritent une mention particulière.

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