ÉRECTION D’ARMÉES-SOCIALES DE CYILIMA I RUGWE A GIHANGA (XIIe-XIVe siècle).

 Cette Section couvre la durée de 9 ou 13 règnes des premiers monarques rwandais. Elle se caractérise par deux faits :

1° On constate, grâce aux prestations qui leur furent imposées, que ces Milices furent créées en fonction du service de la Dynastie, et qu’elles n’étaient donc ni spécialement destinées aux opérations guerrières, ni à satisfaire les besoins économiques de la Cour.

2° Pour la plupart d’entre elles, nos informateurs n’ont pu indiquer les noms des Armées-Bovines correspondantes. L’absence de ces dernières est-elle due à leur annihilation en tant que corporations taxables, à la suite de pestes bovines du passé (H.A.B., 40, 2, p. 8-9), ou bien nous indiquerait-elle que, à cette époque initiale, les Milices pouvaient être créées avec ou sans l’annexe de formations bovines ? Autant de suppositions dont aucune n’aura de réponse pratiquée ce qui, dans le cadre de la présente étude, n’a d’ailleurs aucune importance. Arrivons-en à la nomenclature des Milices et à leurs historiques :

Sous GIKANGA.

  1. Abanyansanga = les Bénéficiaires des « Attractions».
  2. L’Armée-Sociale Abanyansangafut érigée par GIHANGA, le fondateur de la Dynastie. La corporation bovine Insanga: (Comme nous l’avons signalé au début de notre Introduction, c’est la seule Armée-Sociale Pastorats que nous recensons en cette étude et cela pour deux raisons : tout d’abord, certains détails n’avaient pas été donnés dans l’H. A. B ; ensuite, sous KIGE,LI IV RWABUGILI, cette Armée était de fait mobilisée presque régulièrement, du fait que son Chef, NKWAYA, accompagnait régulièrement le monarque an cours des expéditions), se développa à partir du troupeau ou de l’ensemble des troupeaux que détenait personnellement le patriarche hamite ; l’appellation de l’Armée-Sociale, qui ne devint telle très probablement  que dans la suite des temps, par l’évolution socio-politique des institutions similaires, se forme par l’adjonction du préfixe abanya- au nom Insanga, lequel perd sa voyelle initiale : (abanya (i)nsanga = abanyansanga. Ce préfixe abanyasignifie toujours : ceux qui possèdent, les propriétaires de. Nous l’avons traduit par bénéficiaires, parce que les détenteurs d’une corporation bovine sont considérés, dans le contexte traditionnel, comme les gérants ayant bénéficié de ce fief dont ils sont les usufruitiers. Cette conception applicable aux bénéficiaires des époques ultérieures fut d’autant plus vraie qu’à cette époque initiale le cheptel en question était encore littéralement le bien personnel du régnant

3. L’Armée-Sociale Abanyansanga était uniquement tenue à l’élevage, sans l’obligation stricte de prendre part aux expéditions guerrières. Étant donné cependant l’importance de Chef, elle était mobilisée à l’initiative de ce dernier, lorsque, sous les monarques titulaires des conquêtes (c.-à-d. KIGELI et MIBAMBWE), le régnant prenait lui-même part à telle expédition. Le Chef en question était, en effet, moralement obligé d’accompagner son maître. Nous savons, d’une manière certain; que l’avant-dernier dignitaire, appelé NKWAYA, prenait régulièrement part aux expéditions sous KIGELI IV RWABUGILI et que sa Milice bataillait aux côtés des autres guerriers.

4. Concernant la succession des Chefs qui commandèrent les Abanyansanga, il faut avouer que nous ne savons rien avant le règne de CYILIMA II RUJUGIRA, qui se situe autour de 1675- 1708. Le dignitaire contemporain de ce monarque, s’appelait MPEKA. Il donna son nom à sa descendance en devenant l’ancêtre éponyme des Abaheka. Quant aux ascendants de MPEKA. On ne connaît d’une manière certaine que son père NJISHI, du moins sur le plan historique. Les autres sont tombés dans l’oubli, du fait que CYLLIMA II fut le dernier monarque à accomplir la cérémonie du Code ésotérique (ubwiru), à la suite de laquelle il est interdit de vénérer les défunts antérieurs, qui sont supposés dès lors n’avoir plus le pouvoir d’intervenir dans les affaires des vivants. Comme on ne doit plus s’en occuper ni leur consacrer un culte quelconque, on en vient à les oublier sur le plan familial. Ne sont retenus alors que ceux qui ont joué un rôle national, et dont l’une ou l’autre catégorie de Bardes mentionne les noms dans les poèmes guerriers ou autres.

5° Une tradition, qu’on n’a aucune raison de contester, affirme que l’ancêtre de MPEKA, du nom de NKARA, contemporain de GIHANGA et premier Chef des Abanyansanga, appartenait à la famille de KABEJA, Roi du Mubali, région formée actuellement en grande partie par le Parc National de la Kagera. NYIRARUKANGAGA elle-même, mère de GIHANGA, était fille de NYAMIGEZI, fils de ce KABEJA. NKARA était ainsi du clan des Abazigaba, auquel appartient la Famille des Abaheka. Depuis CYILIMA II, les huit successeurs de MPEKA ont exercé effectivement la fonction sans interruption, de pères en fils, dans l’ordre suivant : KURUKUKE, NYAMUIGABIRA, SEBANTU, RWAMO, MUVUBYI, NKWAYA et KABERA. (Dans Généalogies, le R. P. DELMAS, p. 155-156, omet les trois premiers noms et les remplace par KABUGE, MUDENDE ; nous croyons devoir maintenir la présente liste : problème à discuter dans Les Familles Historiques).

  1. Nous avons rappelé (H.A.B., no 4) que KABERA fut destitué du cheptel relevant de la Cour, sous MUTARA III. L’événement n’affectait cependant en rien l’existence de l’Armée-Sociale en tant que telle, même s’il était survenu à une époque où l’institution pouvait avoir encore une signification réelle. Tout au plus eût-on alors assisté à l’exemption de certaines prestations attachées au cheptel saisi.

Notons que le Chef patriarcal des Abaheka, commandant  des Abanyansanga, avait sa résidence officielle à Muganzacyaro près Runda, dans la province du Rukoma. Les Abanyansanga étant officiellement pasteurs et ne prenant part aux expéditions par occasion, on ne cite aucun guerrier de renom parmi ses membres.

 

  1. Abahiza (=?)•

7. L’Armée-Sociale Abahiza dont la signification étymologique nous échappe complètement, tire son appellation de la localité kuBuhiza, dans la province du Rukoma, fief traditionnel de ses Chefs. Elle fut formée à partir des domestiques de GIHANGA, que le Hamite plaça avec solennité sous la direction de sa fille NYIRARUCYABA. Cette princesse a été l’objet de récits légendaire que nous avons recensés déjà plus d’une fois  avec les critiques appropriées. On lui attribue, entre autres, l’éponymie du clan des Abacyaba, à cause du radical cyaba relevé dans son nom. Autant attribuer à MUSINGA l’éponymie du clan des Abasinga, à cause uniquement de l’identité du radical singa, nonobstant le fait indéniable que le clan est antérieur audit monarque  couvre une aire débordant de loin les possibilités de son autorité et de son influence. Comme nous l’avons souligné antérieurement,  il est donc absolument impossible que la princesse soit l’éponyme du vaste clan des Abacyaba ; son nom est plutôt calqué sur celui antérieur du clan.

8. Ceci ne signifie évidemment pas que les descendants de princesse n’auraient pas pu s’appeler Abacyaba. Mais cette dénomination familiale eût été noyée dans celle plus vaste du Clan homonyme. Quant aux Abacyaba qui se disent descendants de NYIRARUCYABA, la question serait justement de savoir à quel point la filiation serait fondée dans la réalité. Nous ne pouvons même pas disposer d’une généalogie complète pour un laps de temps couvrant plusieurs siècles. Existerait-elle même; considérée isolément, elle ne trancherait pas le litige.

9. Notons enfin que les Abahiza ne constituèrent jamais une Milice digne de ce nom, pouvant conférer à son Chef le prestige nécessaire pour compter parmi les notabilités du pays. Ce fut toujours une corporation à effectifs réduits. Cette considération a rendu impossible l’établissement des points de repère dans la mission de ses Chefs, puisque la Milice ne joua aucun rôle dans l’histoire politique et guerrière du pays. On nous a affirmé en revanche que jamais la Cour ne déposséda un seul Chef des bahiza.

l0. Et puis, particularité qui ne manque pas de piquant, les de cette Milice très secondaire jouissaient de privilèges royaux. Ils se succédaient sous les noms dynastiques de Muzimanganya = Celui qui fait disparaître ; Ndarwubatse = J’ai affermi,mon foyer ; Kimezamahembe(contraction de Kimeza-amehembe)=Celui qui fait pousser les cornes ; Segisabo = Le Maître de la baratte (ou le Barateur par excellence). Voici comment, pendant le dernier siècle et demi, s’opéra la succession. Vous remarquerez que le premier dignitaire porte deux noms à peu près identiques : le nom civil met la « baratte » au pluriel (= bisabo), tandis que le dynastique le formule au singulier (gisabo). L’ordre des « règnes » est fictivement indiqué par les chiffres romains dont l’usage ici est destiné uniquement à souligner les noms dynastiques :

SEGISABO (II) SEBISABO

KIMEZAMAHEMBE (II) RWASIBO

NDARWUBATSE (II) MBONIGABA

MUZIMANGANYA 5II) RUBIMBURA

SEGISABO (III) RWANDEKINE

KIMEZAMAREMBE (III) SEMIKIZI

  1. Les quatre premiers exercèrent effectivement leur fonction, le cinquième peut-être aussi ; quant au sixième membre de la lignée, il n’a certainement pas été intronisé : la fonction était déjà périmée à la suite de l’évolution actuelle des institutions. Les prestations de la Milice se ramenaient à quatre:

1)Porter les charges de la Cour lors des déplacements du Roi ;

2) Fournir du bois de chauffage à la Cour ;

3)Puisage et balayage, aux ordres des domestiques de la Cour;

4)Recrutement des poussins, béliers et taurillons destinés aux consultations divinatoires de la Cour.

Ensemble de prestations, en somme, qu’on doit logiquementattendre d’une corporation primitivement placée sous les ordres d’une femme.

  1. Ishyama puis :Abanyakaringa-Ishyama.

12.L’Armée-Sociale Ishyama, dont nous ignorons complétement la signification étymologique, fut érigée par GIHANGA qui l’attacha au Rwoga, premier Tambour-emblème de la nastie. Dans les débuts, le symbole de la Dynastie était un instrument de musique, appelé Nyamiringa, dont la signification étymologique peut être ou l’orné de bracelets en fil de laiton ou legage d’espérance par excellence. Le mot vient de l’ancien verbe kuringa, figé dans les vieux poèmes, duquel la tangue actuelle conserve le dérivé réfléchi applicatif kwiringira = avoir l’espoir en,  se fier à. La première signification supposée du Nyamiringa semble cependant exclue, du fait que les bracelets en fil de laiton ne devaient pas exister au Rwanda à l’époque envisagée.Il reste donc que c’est le gage d’espérance par excellence.

13. Le changement de symbole dynastique fut opéré par GIHANGA, lorsque le nommé RUBUNGA L’ANCIEN lui révéla le Code ésotérique de la Dynastie des Abarenge. Le Code en question correspondait au Tambour et GIHANGA intronisa le Rwoga dont RUBUNGA devint le Gardien en titre. Il fut par le fait même placé à la tête des Ishyama. Il légua sa fonction à son fils SHANGO L’ANCIEN; la même lignée comptera plus tard deux autres personnages de ce nom. Impossible de connaître la succession entre GIHANGA et NSORO I SAMUKONDO, car la généalogie envisagée comporte un hiatus correspondant aux Rois dits de la Ceinture, à propos desquels les traditions restent muettes.

  1. A la mort de RUGANZU I BWIMBA, le pays fut gouverné par un Régent, CYENGE, fils de NYACYESA, de la Famille des Abakwobwa. Le prince héritier, en effet, qui règnera sous les noms de CYILIMA I RUGWE, ne venait que de naître quand mourut RUGANZU I, son père. La moyenne de 30 à 33 ans par génération placerait les deux monarques autour de 1312-1378. Lorsque CYILIMA I fut en âge de prendre en mains les affaires du pays, le Régent lui céda la place. Mais en souvenir de la dignité dont il avait été revêtue, il obtint sans peine la fonction de Gardien du Rwoga, Tambour-emblème de la lignée. Le monarque lia, par décision testamentaire perpétuelle, la fonction à la descendance deCYENGE. Le commandement de l’Armée Ishyamapassa ainsi à la Famille de ce dernier.
  2. Les quatre premiers successeurs de CYENGE sont mentionnés par nos Bardes et ils couvrent parfaitement l’époque des cinq règnes suivants ; à savoir : NYUNGA L’ANCIEN, MUGURUKA, NGWIJE et MUGOBE. Ce dernier est compté parmi les Féaux (Abarya-nkuna), exécuteurs testamentaires de NDAHIRO II CYAMATARE. Lorsque ce monarque fut tué par NTSIBURA, à Rubi dit de Nyundo, dans la région du Bugamba incluse en la province du Cyingogo, les Féaux travaillèrent efficacement à la restauration de la Dynastie en assurant l’intronisation et le triomphe du grand RUGANZU II NDOLI.

16. Mais à l’avènement de ce Roi, le Tambour-emblème de la Dynastie, le Rwoga, n’existait plus: il avait été capturé par NSIBURA, Roi du Bunyabungo. Ruganzu II en intronisa un nouveau, le Karinga = le Gage d’espérance (cfr. le verbe kuringa au début de ce paragraphe). Il décida que l’Armée-Sociale Ishyama, attachée au service du symbole de la lignée, s’appellerait désormais Abanyakaringa-Ishyama (Au nom propre Karinga est préfixéAbanya, exactement comme il a été analysé à propos des Abanyensanga (n°2). Le premier nom devenait effectif, tandis que le deuxième était un souvenir du Rwoga disparu.

17. Puis, si étonnant que cela puisse paraître, la si importante Famille chargée de si importantes fonctions, entre dans l’ombre: un long silence de quatre règnes sans que le plus en vue de ses représentants soit mentionné une seule fois. Il faudra attendre le règne de CYILIMA  II RUJUGIRA (autour de 1675-1708) pour rencontrer le nommé LIHAYA, à propos duquel nous apprenons heureusement les noms de ses deux ascendants, qui avaient soigneusement gardé leur incognito. Il était fils de NGARUYINKA celui-ci fils de NYUNGALE JEUNE. LIHAYA obtint du Roi l’autorisation de former une section spéciale au sein de son Armée-Sociale. La nouvelle section, qu’il appela Abashira-mujinya (dont nous donnerons l’historique plus loin, n° 40 sq.), était dispensée des corvées tournant autour du Tambour-emblème, pour vaquer uniquement au service du Chef et rehausser son prestige par le renforcement de sa situation économique (prestations en main d’oeuvre, impôts saisonniers en vivres, boissons, etc.).

  1. On ne dit pas sous quel règne mourut LIHAYA ; mais son fils NYARINDI est en fonction sous MIBAMBWE III SENTABYO; petit-fils de CYILIMA II. C’est lui que ce monarque charge de former la Milice Abiru, qui doit protéger la frontière du Kinyangacontre les incursions des Bashi. NYARINDI fera confier la Milice à l’un de ses parents, comme nous le verrons en son temps (cfr. no 286). Nyarindi mourut sous le règne de YUHI IV GAHINDIRO. Légua-t-il sa fonction à son fils BAKINAHE ? On ne peut l’affirmer’ ni, dans l’affirmative, savoir comment il en aurait été privé. Aucune trace n’en est restée dans les traditions recueillies.

19. Sous MUTARA II RWOGER.A (mort en 1853), Cependant la fonction est exercée par SEBUCYUCYU, frère de NYARINDI. Vers la fin du règne cependant, SEBUGYUGYU est destitué pour avoir osé braver la Reine Mère dans une affaire relevant du Code-ésotérique. La fonction passa alors au nommé VUGAYABAGABO, filsde BAKINAHE, dont nous venons de parler. Le nouveau Chef sera destitué sous KIGELI IV RWABUGILI, l’année où le Roi célébra la fête des Prémices à Mwima, en 1855 (cfr, N. G., p. 65). La fonction passa alors à NDUNGUTSE, fils de SEBUCYUCYU ? On voit comment les deux branches descendant de NGARHYINKA se succèdent à tour de rôle, à l’imitation, je dirais, des pieds en marche.

20. Cette fois cependant la fonction devait rester définitivement dans la Maison de NDUNGUTSE. Il se suicida vers 1894,  en léguant sa fonction à son fils RWABANDA, qui ne survécut pas longtemps à son père, puisque son propre fils et successeur nommé KIBABA fut tué à Rucunshu, en décembre 1896, en défendant la cause de MIBAMBWE IV RUTARINDWA. La Cour investit alors CYENGE LE JEUNE, autre fils de NDUNGUTSE. Son successeur désigné, appelé GAHILIMA, mourut avant son père, il y a de cela quelques 20 ans environ. Nous sommes alors sous le règne de MUTARA III RUDAHIGWA et, les institutions ayant été profondément modifiées, ladite fonction n’a plus aucune signification. Les prestations incombant à cette Armée-Sociale étaient les suivantes:

1) Placer une sentinelle nuit et jour auprès du Tambour-emblème de la Dynastie ; plusieurs veilleurs la nuit ;

2) Veiller à l’entretien du même Tambour, en le frottant régulièrement avec du sang bovin, afin qu’il ne fût pas charançonné;

3) Transporter le même Tambour, avec une escorte nombreuse pour en inspirer le respect, lorsque le Roi en avait décidé le déplacement.

  1. Abakaraza.

21. L’Armée-Sociale Abakarazafut également formée par GIHANGA comme corporation attachée au Tambour Cyimumugizi (contraction de Cyima-umugizi) = Le Pays est régi par un omnipotent.Ce Tambour est « la compagne » du Karinga, celui-ci symbolisant le Roi et l’élément masculin, tandis que l’autre représente la Reine-Mère et l’élément féminin. La corporation fut placée sous les ordres de RUBUNGA, comme la précédente et la situation dura, sous les successeurs de RUBUNGA, jusqu’au règne de CYILIMA I RUGWE. En conférant au Régent CYENGE le commandement des Ishyama, le monarque laissa les Abakaraza aux successeurs de RUBUNGA, en décidant que la situation resterait telle à perpétuité. Cette décision fut observée par la Cour, d’une manière ininterrompue, jusqu’à nos jours. Il ne nous reste en conséquence qu’à voir de près la généalogie des fonctionnaires successifs, et de chercher les points de repère pouvant fixer les règnes sous lesquels ils auraient vécu.

22. Après le hiatus constaté plus haut (n°13), nous avons quatre noms sans point de repère possible, à savoir : MUGULIRA, BATENDA, SHANGO(II), et TEGERANGOMA. Mais les quatre personnages correspondent avec exactitude aux quatre règnes de CYILIMA I RUGINE, KIGELI I MUKOBANYA, MIBAMBWE I MUTABAZI et YUHI II GAHIMA II. Ainsi donc le parallélisme est parfait, bien que nous ne disposions d’aucune indication précisant davantage sous quel monarque respectif vivait tel fonctionnaire déterminé.

23.Nous possédons, par contre, des données concernant les règnes sous lesquels ont servi les deux Chefs suivants : NYABUTEGE, fils de TEGERANGOMA, fut fait prisonnier par NSIBURA lorsque celui-ci défit et tua notre NDAHIRO II CYAMATARE.  Le prisonnier fut condamné à la mutilation des doigts et, guéri de ses plaies, il s’établit dans l’île ljwi où il avait été déporté. Il s’y remaria et y fit souche (On ne l’apprit que sous KIGELI IV, après 1875. L’ile ayant été envahie et reconquise, on constata qu’une catégorie des Abiru insulaires connaissaient des brides du Code ésotérique du Rwanda. On finit par savoir qu’il s’agissait des descendants de Nyabutege. On l’avait ignoré jusque-là). Apprenant dans la suite que la Dynastie Rwandaise avait été restaurée et que le grand RUGANZU II venait d’affermir son autorité, NYABUTEGE réussit à s’évader de l’île et à rejoindre la Cour, tandis que le monarque résidait à Mata près Muhanga, dans la province du Murangara. Il présida à la confection du Ntsinzabasazi (contraction de Ntsinze-abasazi) = j’ai triomphé sur les fous, tambour des audiences (Indamutsa) de RUGANZU II.  NYABUTEGE mourut sous ce règne. Son fils et successeur NYAGASAZA confectionna le Mpagazamahanga-hejuru (contraction de Mpagaze-amahanga…) = je me tiens debout sur les pays étrangers (c.à.d. J’ai fait des pays étrangers l’escabeau de mes pieds), tambour des audiences (Indamutsa) de MUTARA I SEMUGESHI, fils et successeur de RUGANZU II.

24. Ce monarque et son fils KIGELI II NYAMUHESHERA correspondent à quatre générations de fonctionnaires ; à savoir NYAGASAZA déjà nommé, il était peut-être passablement âgé à l’avènement de MUTARA I, — puis CENSHA appelé aussi ZIRAVUGA, NYABIRUNGU et RUDAHO. On ne dit pas qui confectionna le Tambour-des-audiences de KIGELI II. Mais celui de son fils, MIBAMBWE II GISANURA, le Cyeza-buranga = la Beauté-radieuse, fut l’oeuvre de RUCACA, fils et successeur du Chef RUDAHO.

  1. Il est possible que RUCACAvivait à l’avènement de YUHI III MAZIMPAKA, successeur de MIBAMBWE II. Mais le tambour-des-audiences fut taillé par SEMAHAMBA, fils du même RUCACA, ce qui veut dire, si le père était encore en vie, que SEMAHAMBA avait déjà été désigné pour lui succéder. A la mort de YUHI III, son fils aîné RWAKA, intronisé déjà du vivant de son père, sous le nom de KAREMERA I pour gouverner le pays (le Roi était tombé en démence) se maintint au pouvoir. Les traditions affirment qu’il célébra seize fois la fête annuelle des prémices. C’était naturel que SEMAHAMBA embrassât le parti du régnant contesté. Mais finalement KAREMERA I RWAKA, atteint par l’infirmité du pian secondaire, considérée comme une punition contre l’usurpation perpétrée, fut obligé de céder la place à RUJUGIRA, qui fut intronisé sous le nom de CYILIMA II. Son tambour-des-audiences, le Gishyoza = le Pacificateur, fut confectionné par RUBUNGA LE JEUNE, autre fils de RUCACA, la branche de SEMAHAMBA ayant été écartée. Le même RUBUNGA confectionnera le tambour-des-audiences de KIGELII III NDABARASA, le Rubaya = le Vaste-Plateau. Celui de MIBAIABWE III SENTABYO, le Rushya = l’Affermissement, et le Kazabagarura = Il-vous-fera-revenir (chez moi) de YUHI IV GAHINDIRO, respectivement fils et petit-fils de KIGELI III, furent l’oeuvre de SHANGO (III), fils de RUBUNGA. Quant à NKULIYINGOMA, fils et successeur de SHANGO, il vécut Sous YUHI IV GAHINDIRO, auquel il présenta l’actuel morceau de tambour appelé Inyanja.
  2. Nous avons rappelé au début de ce paragraphe, que les Abakarazafurent primitivement créés en l’honneur du Tambour Cyimumugizi. Lorsque KIGELI IV RWABUGILI intronisa le Tambour Kiragutse = Le Pays est devenu très vaste, en 1875, après l’expédition au Butembo (date précisée grâce à la Comète de Coggia), il créa deux sections au sein de l’Armée-Sociale :

a) Abatandura (GITANDURA L’ANCIEN vivait sous RUGANZU I BWIMBA; l’ancêtre éponyme de la Famille fut GITANDURA LE JEUNE qui vivait sous NDAHIRO II CYAMATARE Il. échappa au désastre de Rubi près Nyundo, où fut tué NDAHIRO II, et il sauva le tambour Cyimumugizi dont il était le Gardien ; il mourut avant la restauration de la Dynastie et on découvrit longtemps plus tard le tambour dans une caverne dans le Rutaka, au pied du mont Mahanga dans la province du Marangara), dont le président était le représentant de la Famille de GITANDURA, Gardien traditionnel du Cyimumugizi ;

b) Abaragutsi, spécialement chargés du nouveau Tambour.

Les deux sections se composaient de fonctionnaires « palatins », à l’intérieur de la même Armée-Sociale.

  1. A NKULIYINGOMAsuccéda son fils RUTIKANGA, qui fut tué à Rucunshu en défendant MIBAMBWE IV RUTARINDWA, La Cour nomma à sa place, non son fils, puisque RUTIRANGA était mort en ennemi du vainqueur, mais RUKIKANA, autre fils de NKULIYINGOMA. Lorsque RUKIKANA mourut, la Cour qui vénérait tout de même l’esprit de RUTIKANGA, en raison de son rôle sous KIGELI IV,et qui jugeait par conséquent qu’il fallaitle gagner et ne pas provoquer ses représailles, décida que MUKOMANGANDO, fils de RUKIKANA garderait les Tambours auprès monarque, et que le droit d’aînesse retournerait à SEZIBERA, fils de RUTIKANGA. SEZIBERA rentra ainsi en possession du Tambour familial appelé Busarure, car cette lignée jouit de privilègesroyaux.
  2. L’Armée-Sociale Abakaraza était d’une ampleur telle que son Chef comptait parmi les personnages les plus en vue dans notre ancienne Société. Elle n’était cependant jamais mobilisée en cas d’expéditions, car elle formait, à côté de la Cour Royale, la Cour des Tambours -emblèmes. Mais le Chef pouvait accompagner le Roi pendant l’une ou l’autre expédition, en laissant un délégué auprès des Tambours.

 

Les prestations spécifiques des Abakaraza étaient les suivantes :

1) Battre les tambours à la Cour, spécialement pour le coucher  et le lever du Roi, ainsi qu’à l’occasion de certaines solennités ;

2) En renouveler régulièrement les peaux et en tailler de nouveaux au fur et à mesure des besoins ;

3) Taillerles baguettes à tambours ;

4) Assurer la sentinelle auprès du Cyimumugizi, et plus tard auprès du Kiragutse.

5) Transporter ces mêmes Tambours (Cyimumugizi et Kiragutse), avec une escorte nombreuse pour les honorer, dans le cas où le monarque en ordonnait le déplacement. Armée-Bovine correspondante : imirishyo (cfr. H.A.B., 2, no 5-7).

  1. Gakondo = Propriété immémoriale.

 

  1. L’Armée-Sociale Gakondo remonte au règne de GIHANGA, qui la confia à son fils RUTSOBE, l’ancêtre éponyme de la Famille des Abatsobe. Le Chef de cette Milice était le deuxième personnage du Rwanda, après le Roi et la Reine-Mère, ces deux derniersétant considérés comme une seule personne régnante. Ledit fonctionnaire jouissait de privilèges royaux, avec son Tambour dynastique Rwamo = le Retentissement, et son territoire royal constitué par la localité de Kinyambi, dans la province du Rukoma. La succession s’opérait sous les noms dynastiques de : Nyaruhungura, Birege, Nyunga, et Rubambo. Nous tenons à citer dès ici ces quatre noms, car certains fonctionnaires n’ont passé à l’histoire que sous ces seules dénominations, non accompagnées du nom civil. Le Gakondo fut créé en vue d’assurer la préparation et la célébration de la grande fête nationale des Prémices Umuganura. On peut considérer que, d’une façon générale, tous les habitants de la province du Bumbogo en sont membres, et que quelques rares représentants de la Milice peuvent être exceptionnellement relevés en dehors de cette province.
  2. Lorsqu’on s’attèle à la tâche de dresser la liste de succession des Chefs, on se heurte tout d’abord à le hiatus généalogique déjà signalé antérieurement (n°13). On ne connaît même pas le successeur immédiat de RUTSOBE. Ce sera bien plus tard, sous NSORO I SAMUKONDO, que sera signalé le nommé RWAMBALI L’ANCIEN qui mourra en Libérateur dans une guerre contre le Ndorwa (cfr. N.G., III, 27, p. 84). Sous les deux règnes suivants, de RUGANZU I BWIMBA et de CYILIMA I RUGWE, nous rencontrons dans les mêmes fonctions le nommé NYARUHUNGURA, personnage important à l’orée de notre histoire. Puis c’est un nouvel hiatus de six longs règnes, soit par moyenne de 30 à 33 ans par génération, de 1378 à 1576 (cfr. N.G„ p. 87).

 

  1. Ici encore il faut enjambes le règne de KIGELI II NYAMUHESHERA, autour de 1576-1609 environ, pour rencontrer, en fonction, sous MIBAMBWE II GISANURA, le nommé NYUNGA, dont nous apprendrons que le père était BIREGE, lequel sera en conséquence assigné au règne précédent, où il ne s’était pas fait remarquer. Ce NYUNGA porte le surnom de SEBITABURE ; nous ne saurons donc jamais son vrai nom civil, pas plus que celui de son père, car Nyunga et Birege sont des dénominations dynastiques.
  2. Après que ce NYUNGA nous est signalé, nous disposons de quatre noms de ses successeurs immédiats, mais sans points de repère possibles, pouvant servir à déterminer sous quels monarques ils vivaient. Il s’agitde RWAMBALI LE JEUNE, SEGUSHIMA, SEKABAMBA, et SEKABOTA. Ils sont cependant parallèles aux règnes de YUHI III MAZIMPAKA, (inter-règne de KAREMERA I RWAKA), de CYILIMA II RUJUGIRA, de KIGELI III NDABARASA et  de MIBAMBWE III SENTABYO. Nous pouvons même conclure SEKABOTA fut le contemporain des deux derniers monarques car son successeur dispose d’un point de repère important.

33.MUGARURA, le successeur de SEKABOTA, vivait certainement sous YUHI IV GAHINDIRO. Il avait deux fils, RUGAMBWA et RUGANGO, qui prirent une fois part à une expédition dirigée contre le Gisaka. Ils eurent l’idée de rentrer des combats avec des trophées prélevés sur les ennemis abattus. Comme ils n’avaient pas réussi à en abattre du camp opposé, ils assassinèrent des Rwandais, et, malheureusement pour eux, le fait fut connu et dénoncé au Roi. Assassiner, c’était déjà grave ; mais se présenter à la Cour avec des trophées prélevés à des Rwandais, c’était infiniment plus compliqué, car c’était aller contre le tabou qui interdit aux Rwandais  de mutiler leurs compatriotes et de compter pareilles victoires en vue des distinctions guerrières (cfr. code, art, 188-195), Le Roi donna à MUGARURA le choix entre l’exécution capitale de ses deux fils et sa destitution, aussi bien de sa fonction que de ses possessions de tout ordre. II préféra garder ses deux fils dans la pauvreté.

34.Ainsi donc, sous YUHI IV GAHINDIRO, la dignité et les commandements de MUGARURA passèrent à son frère nommé VUNINKA. Le nouveau dignitaire mourut certainement sous le même règne, car son fils et successeur, appelé KARAMIRA, eut un rôle déterminant dans les événements ayant accompagné l’intronisation de MUTARAII RWOGERA, successeur de YURI IV. Dans les milieux des Abiru (détenteurs du Code ésotérique), on se transmet ses nombreuses intrigues tout le règne durant. Il fut finalement pris dans son propre piège, car, sous KIGELI IV, il joua de nouveau un rôle déterminant dans les intrigues qui entraînèrent la mort de la Reine-Mère en 1.861 (cfr. N.G., p. 65).

35. Dès que la culpabilité de KARAMIRA fut établie, KIGELI IV le destitua au cours de la même année, ou au début de l’année suivante. Il l’exila à Hindiro, dans la province du Cyinkogo, où le trouvèrent quelque temps après les émissaires chargés de le mettre à mort. La fonction dont il avait été privée fit retour à la lignée de MUGARURA, en la personne de son petit-fils, RUKANGIRASHYAMBA, fils de KANYAMUHUNGU. Vers la fin du règne il démissionna pour raison d’âge (il tombait en enfance) et la fonction passa à son fils GASHAMURA. Ce dernier ayant été relégué an Burundi, en 1925, par l’Autorité belge, son fils RwAMPUNGU lui succéda. A sa mort, en 1956, son fils KAYUMBA hérita de ses possessions. Malgré les profondes modifications des institutions la réalité du Gakandosubsista, du fait qu’il était lié à un territoire précis. KAYUMBA perdit enfin sa fonction à la suite des événements ayant bouleversé le pays, en novembre 1959. Les prestations de cette Armée-Sociale ont été génétiquement indiquées au début de ce paragraphe : préparer et prendre part à là célébration de la fête des Prémices.

  1. Inyanga-kugoma= les Détesteurs de l’insoumission

36. L’Armée-sociale INYANGA-KUGOMA remonterait également à GIHANGA, qui en aurait fait l’apanage de RUTSOBE, en plus du GAKONDO que nous venons d’étudier. Les successeurs de RUTSOBE s’en léguèrent le commandement jumelé, jusqu’au règne de YUHI II GAHIMA II,troisième monarque après CYILIMA I RUGWE. Ce YUHI II conquit les régions de la dorsale Congo-Nil, depuis le cours de la Mbirurume jusqu’au pied des volcans au Nord. Or la région du Buhanga, où l’ancêtre GIHANGA avait habité et intronisé le Tambour Rwoga, faisait partie des nouvelles conquêtes. Le monarque décida alors de ramener GIHANGA aux sources même de sa Dynastie, en organisant le culte de son esprit dans la vénérable localité reconquise.

  1. Ce fut alors que l’Armée-Sociale Inyanga-kagomafut en principe séparée du Gakondoet attachée spécialement à la résidence permanente érigée au Buhanga. Le commandement en fut donné à un descendant de NYAMUHINDURA L’ANCIEN, fils de RUBUNGA L’ANCIEN. Ce fut ce NYAMUHINDURA qui aurait taillé le Tambour Rwoga. YUHI IIdécida que cette fonction passerait de père en fils, à perpétuité, dans la lignée, mais sous le commandement supérieur du Chef placé à la tête du Gakondo.Impossible évidemment de connaître la généalogie de ces fonctionnaires subalternes du Buhanga. Les deux derniers connus furent NYAMUHINDURA LE JEUNE, qui avait succédé à son père MIRINDI.

38. KIGELI IV RWABUGILI, lorsqu’il fixa temporairement sa résidence au Buhanga, où il intronisa le Tambour Mpatsibihugu (contraction de Mpatse-ibihugu) = Je suis le Maître des pays, sépara définitivement les Inyaga-kugoma du Gakondo.Le Chef de cette dernière Milice se vit enlever son commandement, qui échut à BISANGWA, fils de RUGOMBITULI, promu Chef honoraie du Buhanga. De plus, la section des Inyanga-kugoma qui était groupée dans la province du Cyingogo, et de laquelle on attendait diverses prestations, sera séparée de la Milice et donnée à RUTISHEREKA, fils de SENTAMA, alors Chef des Abangogo (n° 136-139).Lorsqu’il fut destitué de ce dernier commandement, ladite section ne fut pas rendue à son ancienne Armée, mais elle fusionna définitivement avec les Abangogo, sous le commandement des successeurs de RUTISHEREKA.

39.Prestations :

1)Une cruche géante d’hydromel appelée Kebo-k’ugabo(contraction de ka-ebo = kebo = petit panier de vannerie dans lequel on mangeait de la pâte ; et ka umugabo= k’umugabo = de l’homme important) = l’Assiette du grand Personnage (en termes moins littéraux, bien entendu, mais qui donnent le sens exact du nom) ; son dernier responsable connu  était SEKIDANDI, fils de MAGEMBE, habitant dans le Buhanga.

2) Perpétuer le culte de GIHANGA, par l’entretien de la résidence à lui dédiée au Buhanga ;

3)Assurer la garde et l’entretien du tambour Ruhindaqui y était placé, et autour duquel s’organisait ce culte;

4)Élevage d’un troupeau de vaches appelées Ingizi, reprise d’un nom qu’aurait porté l’un des troupeaux de GIHANGA et qui a passé dans la légende comme étant les tout premiers bovidés de la Dynastie. Mais tandis que le troupeau légendaire avait un taureau appelé Rugira, celui créé par YUHI II avait le sien appelé Rugarura-mashyo = le Récupérateur-des-troupeaux.

  1. Abashira-mujinya = Les Décolèrants.
  2. L’Armée-Sociale Abashira-mujinya, comme il a été vu haut (n°17), fut formée seulement sous CYILIMA II RUJUGIRA ; et encore était-ce en tant que simple section au sein des Ishyama. Nous en traitons ici pour deux raisons :
  3. a) fut justement une section des Ishyama, lesquelles appartiennent à cette première Partie;
  4. b) Quoique les Abashira-mujinya fussent rendus autonomes bien plus tard encore, ils se trouvent dans la structure dynastique des Islayamaet corporations similaires des temps initiaux.

Comme nous aurons l’occasion de le voir au cours de cette étude, il arrivera que telle Milice se voit assigner telle fonction ayant trait aux Tambours-emblèmes de la Dynastie. Mais il est toujours clair que cette fonction est secondaire et que la structure de ladite Milice n’est pas spécifiquement dynastique.

41. Comme nous l’avons vu, les Abashira-mujinyalorsqu’ils furent créés par NYARUYINKA, étaient chargés, auprès du Chef, des prestations « profanes ». Ils remplaçaient ainsi les fonctionnaires « palatins », tandis que ceux-ci remplaçaient réciproquement les Abashira-mujinyaauprès du Roi et des Tambours. Les choses en allèrent ainsi jusqu’au règne de KIGELI IV RWABUGILI.

42. Lorsque ce monarque organisa l’expédition du Butembo, à laquelle du reste il prit part, il avait en tête un projet important. Il savait par les traditions du Code ésotérique, que le Tambour-emblème de la Dynastie antique des Abarenge s’appelait Mpatsibihuguet qu’il avait été taillé dans une localité situé quelque part dans la forêt en direction Nord-Ouest du lac Kivu. Il fallait retrouver cette localité. Une fois la localité identifiée, le Roi s’y fit tailler le Tambour qui reçut le nom de Mpatsibihugu. Il entendait s’emparer ainsi magiquement de l’Empire des Abarenge, qui débordait largement le territoire du Rwanda.

43. Le nouveau Tambour fut intronisé avec le rang de Tambour-emblème de la Dynastie, et la cérémonie, nous venons de le voir, se déroula auBuhanga, sur la place même où l’ancêtre GIHANGA avait intronisé le Rwogaet inauguré l’ère de la dynastie à Tambour. Il fallait en plus donner une Armée-Sociale à ce nouveau Mpatsibihugu. Allait-on en ériger une nouvelle ? Vous n’y pensez pas ! On se trouvait chez soi, à la maison même de GIHANGA, qui avait supplanté les Abarenge, en s’emparant de leur Code ésotérique. Il fallait donc rester fidèle au symbolisme et confier ce Tambour à une Milice créée par GIHANGA lui-même : voilà pourquoi le Roi rendit complètement autonomes les Abashira-mujinya, branche de l’antique Armée-Sociale Ishyama.

44. La nouvelle Milice autonome fut confiée à NYANDERA, fils de NYARWAYA, fils celui-ci de MBYAYINGABO (n°73), C’était un Détenteur du Code ésotérique, mais qui en avait obtenu la faveur à titre personnel. Devenant maintenant Gardien du Mpatsibihugu, la faveur qui lui avait été faite devenait titulaire et passerait de père en fils dans sa lignée. II mourut en léguant sa dignité à son fils RWANAZA. Ce dernier, sous YHI V MUSINGA, en 1905, dut passer la frontière et se réfugia au Burundi pour échapper à la mort. C’était à l’époque où son cousin KAYIJUKA fut condamné à avoir les yeux crevés.

45. Pour lui succéder, la Cour désigna le nommé MBONYIMBUGA, fils de KINGALI, de la Famille des Abatandura. Il était membre de l’Armée-Sociale Abakarazaet se trouvait être le Président des Gardiens des Tambours Cyimumugizi et Kiragutse. Il devenait ainsi d’une part Chef autonome des Abashira-mujinya et Gardien en titre du nouveau Tambour, tout en restant, sur un autre plan, le Gardien subalterne du Cyimumugizi et du Kiragutse, en raison desquels il ne cesserait jamais d’être un sujet de l’Armée-Sociale Abakaraza. Il légua ces fonctions cumulées à son fils BIHUBI. Ce dernier vécut assez longtemps pour assister à l’effritement de ses pouvoirs et à l’anéantissement total de son autorité par les modifications profondes de nos institutions, qui le destituèrent sans sentence judiciaire, uniquement par le jeu de l’évolution. Il était en vie en 1959, mais, depuis les troubles de novembre de la même année, je n’ai plus eu de ses nouvelles. Les prestations des Abashira-mujinya sont clairement indiquées dans le paragraphe.

  1. Abariza

46. L’Armée-Sociale Abariza remonterait au règne de CYILIMA I RUGWE. Ce monarque désirait obtenir la main de NYANGUGE, fille de SAGASHYA, Roi du Bugufi, du Clan des Abakono. Mais elle avait été déjà fiancée à NSORO I BIHEMBE, Roi du Bugesera, et CYILIMA I fut éconduit. Voulant tout de même arriver a ses fins, il se mit en relation avec le nommé NKIMA, parent de la princesse ; le notable habitait à, Nyamweru, dans la province actuelle du Bumbogo et était alors sujet de Nsono I BIHEMBE. NKIMA accepta d’aider à la réalisation du plan imaginé par CYILIMA I. Celui-ci fréquenta la Cour de NsoRo I BIHEMBE et parvint à se faire admettre parmi les organisateurs de la fête du mariage, à titre de parent, car NSORO I était aussi un descendant de GIHANGA. Au cours de la nuit où NYANGUGE arrivait à la Cour de NSORO I, CYILIMA I, avec la complicité de NKIMA, fut introduit auprès de la princesse, lui imposa la momordique nuptiale et consomma le mariage, ce qui en faisait son époux légitime. De la sorte, NSORO I ne la prendrait qu’à titre de second mari, qui n’était pas légitime aux yeux de la Coutume. Dans la suite, toujours avec la complicité de NKIMA, la princesse abandonna la Cour de NSORO I et vint se réfugier chez CYILIMA. Elle devint la mère de MUKOBANYA, qui succèdera à CYILIMA I sous le nom dynastique de KIGELI I.

47. En récompense du service rendu, CYILIMA I concéda à NKIMA la dignité royale, avec comme territoire dynastique le mont Nyamweru, qu’entre temps NSORO I avait donné à CYILIMA I en même temps que le massif du mont Kigali. NkIMA obtint le Tambour-emblème de sa Dynastie, le Nkuru-nziza= la Bonne-Nouvelle, que se transmettra sa descendance, à perpétuité, sous les noms dynastiques de Nkima, de Cyabakangaet de Butare. Le Roi érigea, pour décor, la corporation Abariza et l’attacha à perpétuité à la Maison de NKIMA.

48. Elle dut se composer primitivement des serviteurs de NKIMA ainsi que des habitants de son domaine. Mais elle se développa dans la suite et devint une Milice importante. Elle ne donna cependant pas son nom à la province actuelle du Buriza, car cette dernière existait déjà sous cette dénomination, à l’état

 

de principauté. C’est donc le contraire qui arriva : la Milice fut appelée Abariza=Habitants du Buriza(sens étymologique inconnue), du fait que Nyamweru était située dans la région ainsi dénommée, et qu’y étaient exclusivement répandue les sujets de NKIMA.

49. Je disais que les Abariza formèrent dans la suite une Milice importante. On peut déjà le supposer dès le règne de MIBAMBWE I MUTABAZI, petit-fils de CYILIMA I, en plein dans l’ère des invasions de CWA, fils de NYABWONGO, Roi du BUNYORO. A Remeradit des Abaforongo, au Buriza, capitale préférée de MIBAMBWE Ion trouve un quartier appelé kuK’Abariza = la colline Abariza. On peut supposer que là se situait leur campement militaire, signe que leur Chef disposait de Compagnies guerrières et qu’il était déjà un grand personnage avec qui il fallait compter.

50. Quelque deux siècles et demi plus tard, sous CYILIMA II RUJUGIRA, nos Bardes ne laissent subsister aucun doute à ce sujet. La Milice compte parmi les plus importantes du Royaume, dans la lutte engagée contre leGisaka. On cite spécialement leur héros RWANGIRAHE, qui se distingua particulièrement à la bataille de Gasabo. Les Armées du Rwanda étaient commandées par le prince NDABARASA, et celle du Gisaka par le prince YOBOKA, plus connu dans l’Histoire sous sa devise guerrière de Kirenga. Ce dernier fut fait prisonnier la victoire du Rwanda était complète, mais les Abarizay perdaient leur Chef CYABAKANGA, tombé sur le champ de bataille. Ses deux lances géantes ont été conservées jusqu’à nos jours et l’une d’entre elles figure au Musée de Kabgayi.

51. Il est cependant quasi impossible d’établir la liste des dignitaires, et de fixer en conséquence les monarques sous lesquels ils vivaient. La difficulté vient du fait que cette lignée a pris l’habitude désastreuse de conserver uniquement les noms dynastiques et d’abandonner complètement les noms civils dès l’entrée en fonction. Il se fait de la sorte que nous connaissons les noms civils de ceux des trois dernières générations, tandis que leurs ascendants évoluent dans l’irréel, sous leurs impersonnels Cyabakanga, Nkima et Butare, sans plus.

  1. Ainsi apprenons-nous qu’un Nkima était parmi les Féaux Abarya-nkuna) qui intronisèrent RUGANZU II NDOLI et restaurèrent la Dynastie. Nous passons à pieds joints par-dessus quatre règnes, pour en arriver au Cyabakanga qui fut tué sur le champ de bataille sous CYILIMA II RUJUGIRA. Son successeur NKIMA est nommé dans un éloge guerrier de KIGELI III NDABARASA, fils de CYILIMA II. Sous YUHI IV GAHINDIRO, BUTARE, arrière-petit fils de ce NKIMA, fait décréter par le Roi la suppression du principe de la séparation des biens dans le mariage. Dans l’étude inédite intitulée Les Familles Historiques du Rwanda nous démontrons qu’il s’agissait de NKIMA III, sous RUGANZU II, de CYABAKANGA IV Sous CYILIMA II, de BUTARE IV SousKIGELI III et de BUTARE V sous YUHI IV GAHIINDIRO. Ce petit détail, sans importance d’ailleurs, n’entrant pas dans le cadre de la présente étude, nous nous limitons à cette simple Mention.
  2. A partir du règne de YUHI IV GAHINDIRO, nous entrons dans la période des traditions plus récentes. NKIMA (VI)RUHILIMA sert sous MUTARA II RWOGERA et son fils KIGELI IV RWABUGILI. Ce fonctionnaire était si fameux par ses connaissances du Droit Coutumier, que le Roi se refusait à examiner en appel les procès tranchés par RUBILIMA. Il constituait, à l’Est de la Nyabarongo, une espèce de Cour Suprême, vers laquelle affluaient volontairement les plaideurs que les tribunaux coutumiers n’arrivaient pas à départager.
  3. Il mourut sous RIGELIIV, en léguant ses fonctions à son fils CYABAKANGA (VI) MURARA, lequel mourut sous le même règne. Son successeur BUTARE (VI) MWARUGURU embrassera la Cause de MIBAMBWE IV RUTARINDWA; il sera d’abord destitué, puis un peu plus tard condamné à mort. La Cour désigna pour lui succéder, le nommé RUBASHA (NKIMA VII), autre fils de RUHILIMA. Ce dernier mourra aux environs de 1921, en léguant sa dignité à son fils BITEGE (CYABAKANGA VII) encore en vie.

Prestations : L’Armée-Sociale Abariza, en tant que telle, ne devait aucune prestation à la Cour. Elle était entièrement aux ordres de son Chef. Année-Bovine correspondante : Ibirayi(cfr. H.A.B., n°8-II).

  1. Ababarabili.

 

  1. Nous aurions dû commencer par la présente Milice Ababarabili, avant de nous occuper de la précédente. C’était la garde personnelle de CYILIMA I, mais dont nous ignorons complètement la signification étymologique. Nous la mentionnons simplement ici, pour signaler qu’elle n’a laissé aucune trace ultérieuredans nos traditions. Peut-être disparut-elle à la suite des malheureux événements du règne de NDADIRO II CYAMATARE que nous allons voir plus loin ? Ou bien disparut-elle par la fusion avec une Milice plus importante, supposition dont nous n’avons aucun exemple précis, et qui n’est pas en soi impossible ? On ne le saura jamais au juste.