L’Historique des Milices du Rwanda précolonial.

L’Auteur a groupé toutes les traditions qu’il a pu rassembler sur 88 organisations guerrières de son pays. Comme on le sait déjà, la Milice rwandaise était une institution héréditaire et de ce fait permanente. On devenait membre de telle Armée par le fait de sa naissance. L’Auteur ne s’est pas limité aux seules traditions conservées à l’intérieur de chaque Milice. Il a puisé les renseignements à diverses sources parallèles. Après une introduction dans laquelle il indique ses différentes sources d’informations, ainsi  que la structure et les devoirs d’une Milice clans l’ancienne société rwandaise, l’Auteur recense successivement les 88 Milices, objet de la monographie. Il indique d’abord la dénomination rwandaise (dont il donne la traduction en français), puis le monarque sous lequel l’organisation a été érigée. Il énumère ensuite la liste de ses Chefs, en signalant, s’il y a lieu, les circonstances soit de leur nomination, soit de leur destitution. Il signale, enfin, les événements les plus saillants auxquels la Milice envisagée a été mêlée dans le passé. Après chaque paragraphe, il ajoute le détail des prestations traditionnelles que l’organisation devait payer chaque année à la Cour.

INTRODUCTION

  1. Les sources de cette étude.

Comme on s’en rendra facilement compte, la présente étude a exigé une variété d’informations. Les faits que nous avons essayé d’y résumer et les personnages que nous y mentionnons ne peuvent relever d’aucune monographie particulière. Le lecteur peut dès lors se demander comment ces informations ont été réunies. Ceux qui ont pu lire nos études similaires sur le passé du Rwanda ne se poseront pas la question. Ils se rendront immédiatement compte que cette monographie complète sur un point nouveau celles que nous considérons comme les préambules nécessaires à la rédaction de l’Histoire du Rwanda. Pour que celui-ci ne soit présentée ni sous forme de Poèmes, ni dans un assemblage d’une documentation disparate, ni encombrée de notes fatalement incomplètes, il est nécessaire de déblayer le terrain, en publiant préalablement chaque genre de documentation dans son cadre propre. Au moment de la rédaction de l’histoire elle-même, on pourra se référer à cette documentation et le lecteur comprendra plus aisément les allusions qu’on serait amené à y faire. Ici nous nous limitons uniquement aux Milices jadis tenues au service guerrier.

On comprend dès lors facilement que cette étude est loin  d’être une improvisation. Elle résulte d’une documentation variée et patiemment recueillie à longueur d’années, depuis pratiquement 1941. Toutes ces sources complètent évidemment  les recherches spécifiquement menées en vue de reconstituer la matière de la présente étude. C’est à ces recherches que j’appelle spécifiques, qu’on doit les généalogies des fonctionnaires, supérieurs et subalternes, dont la plupart n’ont pas place dans Les Familles Historiques du Rwanda, cette dernière étude ne considérant que les groupements ayant joué un rôle dans le passé, sur le plan national. Nous avons donc tenu à indiquer, pour ainsi dire, l’adresse de nos personnages et à vérifier la réalité des informations recueillies à longueur d’années.

  1. Armée-sociale.

Nous avons déjà expliqué (Histoire des Armées-Bovines)  que les Milices du Rwanda ancien n’étaient pas destinées uniquement aux combats. Il s’agissait de corporations dont les membres respectifs étaient mobilisables en commun, certes, mais auxquelles incombaient des devoirs et revenaient des droits à défendre en commun sur le plan social et économique. Ces droits et ces devoirs revêtaient une importance de loin plus grande que celle des obligations guerrières. Voilà pourquoi nous avons tenu à les  appeler « Armées-Sociales », pour rendre plus exactement la signification réelle de nos anciennes Milices. La création d’une Armée-Sociale s’effectuait théoriquement comme suit : à l’avènement de chaque monarque, les notables dépendant de la Cour, ainsi que les Chefs du pays, lui amenaient leurs enfants non encore engagés dans les Compagnies préexistantes. Le nouveau monarque groupait ces jeunes gens en une Compagnie, à laquelle il imposait une appellation. Cette appellation de la toute première Compagnie devenait celle de l’Armée entière.

Au cours du règne, à quelques années d’intervalle, d’autres recrues venaient constituer les Compagnies suivantes, répondant chacune à une dénomination spéciale. Ces dernières dénominations disparaissaient cependant avec la génération de ceux qui les portaient. C’est qu’en effet, l’Armée était une institution permanente, passant d’une génération à l’autre, sous le nom de la toute première Compagnie, comme il vient d’être dit. On appartenait ainsi à telle Armée par hérédité tel en était membre ce que son père et éventuellement ses 4, 6 ascendants l’étaient. Ne quittaient la Milice de ses ascendants que le jeune homme présenté au nouveau monarque en vue justement de prendre part à la formation d’une Milice toute nouvelle. (Il existait cependant d’autres cas ou les guerriers étalent autorisés à se séparer de leur Armée ; voir le Code des institutions politiques du Rwanda précolonial, art. 39 et parallèles). A la tête de l’Armée en formation, le Roi nommait un fonctionnaire appelé le Chef du Palais Royal ; ce dernier veillait à la formation guerrière de ses jeunes subalternes. Chaque Compagnie était commandée en second par un Chef de Compagnie. Chacune pouvait compter au moins 150 membres et d’autre bien davantage. A un moment donné, le monarque prélevait des Familles aux Armées antérieures et les attachait à la nouvelle Milice. Ces Familles, de Hutu, Tutsi et Twa, servaient à implanter Milice dans la société. A partir de cette incorporation de Familles, l’Armée obtenait sa personnalité juridique et se voyait imposer des prestations à fournir à la Cour. Les combattants, c’est-à-dire ceux qui avalent été incorporés aux Compagnies et avaient reçu une formation guerrière, ne devaient rien d’autre que le service guerrier. Les prestations autres incombaient à ces Familles qui, elles aussi, n’étaient pas tenues au service guerrier. On trouvera l’exemple le plus parfait de cette courte description au no 354, à propos de la Milice ingangura-rugo.

Il arrivait que le monarque créait indirectement une Armée ou davantage, en approuvant l’initiative de l’un ou l’autre de ses Chefs. C’est ainsi que, au cours d’un même règne, on relève l’érection de plusieurs Armées-Sociales. Il faut noter également que, en accordant à ses fils des fiefs qu’ils se chargeaient d’amplifier, le monarque procédait de la sorte à l’érection de nouvelles milices. Notons enfin qu’il existait des Sous-Milices, désignées dans l’étude sous la dénomination de Sections. Il s’agissait de groupements à effectifs peu importants, certes ; mais ce qui les empêchait d’être considérées comme Armées-Sociales, c’était le fait juridique de la non-reconnaissance d’autonomie par le Roi. Par la volonté royale, ces Sections restaient des annexes de telle ou telle Armée-Sociale. Nous verrons qu’à certain moment le monarque modifiait ce statut et reconnaissait l’autonomie de telle Section qui, dès lors, devenait une Armée indépendante.

C.Les camps des marches.

Traditionnellement, les monarques organisaient les expéditions  à l’étranger ou mobilisaient pour la défense du pays, lorsqu’il était l’objet d’une attaque venant de l’extérieur. C’est à partir de CYILIMA II RUJUGIRA que la Cour adopta le système des camps  permanents établis le long de la frontière. Or chaque Armée Sociale était tenue à l’éducation guerrière par le système des  Compagnies, tout comme à la Cour. Une Année-Sociale chargée  d’un Camp des Marches, groupait ses Compagnies dans la localité du Camp. Il s’agissait d’enclos immenses à l’intérieur desquels les guerriers construisaient leurs habitations. Les Compagnies se relayaient la nuit pour faire la ronde autour du camp, afin que l’ennemi ne l’attaquât à l’improviste. Dans le cas d’une invasion, ces Compagnies engageaient le combat, tandis que le tambour du Camp donnait l’alarme par un morceau spécial destiné uniquement à cet effet. Les habitants de la région prenaient alors les armes et venaient soutenir les Combattants officiels du Camp. Le Chef de la Milice n’était pas tenu à résider dans le Camp, il devait en toute hypothèse  nommer un Directeur des combats,  qui gouvernait le Camp et était responsable des affaires de la frontière.

D.A propos de l’orthographe.

Il est impossible de donner ici un aperçu qui soit réellement utile sur les sons de notre langue. Le Kinyarwanda, langue du. Rwanda, en totalise 94 et il en est des plus compliqués, tels que shy, shy te, nny (qui n’est pas ny=gn du français) et tant d’autres.. Il ne sert à rien de les décrire : il faut les entendre d’un autochtone, car ils n’ont pas d’équivalents tant soit peu rapprochant en langues européennes.

  1. Les monarques mentionnés dans cette étude.

Nous avons mentionné dans cette étude tous les monarques de la Dynastie des Banyiginya, depuis Nsoro I SAMUKONDO. Cette mention comporte deux aspects : il s’agissait principalement de leur intervention respective dans la création ou dans les modifications du commandement des Armées-Sociales. Nous avions ensuite dans l’esprit l’indication approximative de l’époque à laquelle se produisirent les événements examinés. Nous nous rapportions, en ceci, aux dates approximatives par moyenne de générations, telles que nous les avons suggérées dans l’étude intitulée La Notion de Génération… Pour les facilités du lecteur, nous nous permettons de transcrire la liste de ces monarques envisagés.

 

11.NSORO I SAMUKONDO : autour de                     1279-1312.

12.RuGANZU I BWIMBA :                                           1312-1345.

  1. CYILIMA I RUGWE                                                 1345-1378.
  2. KIGELI I MUKOBANYA                                         1378-1411.
  3. MIBAMBWE I MUTABAZI                                    1411-1444.
  4. YUHI I GAHIMA                                                      1444-1477.
  5. NDAHIRO II CYAMATARE                                   1477-1510.
  6. RUGANZU II NDOLI                                               1510-1543.
  7. MUTARA I SEMUGESHI                                        1543-1576.
  8. KIGELI II NYAMUHESHERA                               1576-1609.
  9. MIBAMBWE I GISANURA                                    1609-1642.
  10. YUHI III MAZIMPAKA                                           1642-1675.
  11. CYILIMA II RUJUGIRA                                         1675-1708.
  12. KIGELI III NDABARASA                                       1708-1741.
  13. MIBAMBWE III SENTABYO                                 1741-1746.
  14. YUHI IV GAHINDIRO                                             1746- ?
  15. MUTARA II RWOGERA                                         ?-1853.
  16. KIGELI IV RWABUGILI                                         1853-1895.
  17. YUHI V MUSINGA                                                 1896-1931.
  18. MUTARA III RUDAHIGWA                                  1931-1959.

L’avènement de MIBAMBWE III SENTABYO (et donc la mort de son père) semble avoir été indiqué par une éclipse de soleil dont nous avons discuté l’identité. Ce monarque n’ayant célébré que cinq fois la fête annuelle des Prémices, aux dire des traditions, son successeur aurait été intronisé en 1746, Aucune donnée ne permet de fixer approximativement l’année au cours de laquelle est mort YUHI IV GAHNDIRO, ni en conséquence celle de l’avènement de MUTARA II RWOGERA. L’année où mourut MUTARA II, par contre, est presque certaine : ce fut après juin 1853 (donc après la célébration de la fête des Prémices) et son successeur ne la célébra pas la première année de son règne. KIGELI IV RWABUGILI fut donc intronise soit fin 1853, soit début 1854. En ce qui concerne la célébration de la fête des Prémices sous son règne.  

  1. Usage de dénominations périmées.

Avec les nouvelles Institutions Républicaines, les Provinces ont été supprimées et remplacées par les Communes. De ce fait la localisation de personnages et l’indication des Camps, des lieux où se déroulèrent les événements mentionnés, devenaient une tâche plus qu’ardue. Comme chaque Province a été divisée en plusieurs Communes, dans laquelle de ces dernières fallait-il placer telle localité ? Les fonctionnaires de la République Rwandaise eux-mêmes, – j’en ai entendu plusieurs à ce sujet sont obligés de mentionner les Provinces pour spécifier les lieux de leurs rendez-vous, car les noms des Communes ne sont pas encore universellement connus. C’est l’ignorance des Communes, dans laquelle chacun de nous se trouve actuellement, qui m’a obligé à indiquer les localités par Provinces. Celles-ci sont appelées à devenir « culturellement » des appellations « régionales ». Ainsi avions-nous conservé, sous l’ancien régime, des appellations telles que Bungwe, Kinyaga, Burembo, Ivunja, Bwanamukali, Bwanamwali, Bugamba, etc., qui ne correspondent pas aux divisions administratives officielles, mais qui restent indispensables dans la détermination plus précise des lieux ou des régions climatiques. C’est ainsi que les noms de (Nduga, Buganza, Rukiga, etc., débordent dans le langage courant les anciennes Provinces auxquelles on avait tenté de rétrécir ces dénominations. Le Gisaka, le Mugongo, le Murera, et tant d’autres zones de ce genre, ne disparaîtront jamais de notre langage.

Nous avons d’autre part employé le terme Préfecture. Le lecteur étranger était habitué à la notion de Territoire. Il saura que les deux appellations s’équivalent : dans les nouvelles institutions de la République rwandaise, les anciens Territoires sont devenus Préfectures, simple changement d’appellations, sans modification territoriale. Je dois noter qu’au moment où cette étude fut rédigée, il était loisible d’employer l’une ou l’autre dénomination, mais il a semblé préférable d’adopter déjà celle qui restera en usage dès l’indépendance. 

  1. Renvois et références.

 Toute la monographie a été divisée en alinéas, numérotés de 1 à 377, en vue d’uniformiser et de simplifier les renvois aux passages parallèles à tel passage donné. Nous avons ainsi évité la division en sections et en paragraphes, dont la multiplicité alourdit quelque peu les référence.», tandis que la numérotation uniforme d’un bout à l’autre de l’étude les simplifie.

Nous terminerons cette Introduction en indiquant les sigles par lesquelles seront désignées nos études antérieures, au cours de l’étude :

NG = La Notion de Génération appliquée à la généalogie dynastique et à l’Histoire du Rwanda .

PD = La Poésie Dynastique au Rwanda.

Code = Le Code des Institutions politiques du Rwanda précolonial.

Organis =Les Organisations socio-familiales de l’ancien Rwanda.

H.A.B. =    L’Histoire des Armées-Bovines dans l’ancien Rwanda.