1. Districts civils et autorités administratives.
  1. Le Roi est le chef suprême de l’administration civile du Rwanda ; cf. art. 12, 79 et 211. Il exerce cette autorité sur les zones intérieures du pays et la délègue, en ce qui concerne les provinces de la périphérie sujettes aux invasions guerrières, aux chefs d’armée commandant les marches qui leur sont respectivement assignées ; art. 111 et ss.
  1. Les zones intérieures du Rwanda sont divisées en districts civils appelés Ibikingi (cf. art. 248 et 255) ou Ibiti (pisés de délimitation). Les régions frontières non sujettes aux invasions sont considérées comme zones intérieures et donc comprises dans l’organisation civile des districts. Pour information : (Les régions frontières non sujettes aux invasions couvraient pratiquement l’aire nord et nord-ouest, à partir de la province actuelle du Ndorwa ouest, en territoire de Byumba, jusqu’à la forêt actuellement congolaise bordant à l’occident les territoires de Rutshuru et de Masisi au Congo ; ainsi que, dans le sud-est, le Gisika, alors de récente annexion, faisant face aux principautés du Bishubi-Bujinja.)
  1. A la tête de chaque district, le Roi prépose deux fonctionnaires, portant respectivement les titres de préfet du sol (Umunyabutaka), et de préfet des pâturages (Umunyamukenke). Le préfet du sol procède aux redevances vivrières, tandis que le préfet des pâturages est préposé aux redevances bovines du territoire.
  1. Dans le commandement civil, les Bahutu et les Batutsi sont sur le même pied en tout. Le préfet du sol sera en général un Muhutu, et le préfet des pâturages, un Mututsi. Pour information : (‘Ce n’était toutefois pas à ce seul titre que les Bahutu accédaient aux hautes dignités dans le commandement du pays. Je n’ai signalé ici que le cas le plus général, pour lequel il serait inutile de citer des exemples, puisque personne ne peut ignorer l’existence de cette institution d’hier. J’ajoute simplement que nos ancêtres et même jusqu’à nos grands-frères ont vu des Bahutu investis chefs d’armée, donnant leurs ordres aux Batutsi de haut rang, qui leur obéissaient scrupuleusement. Et pour ne citer que des exemples de Babutu purs, non pris parmi les métissés : le fameux Bikotwa, fils de Rubashamuheto , que Kigeli IV promut à cette haute dignité à cause du courage exceptionnel dont il avait fait preuve ; le “chef Niramacumuqui fut nommé à la tête de l’armée  Inzirabwoba, succédant au grand Mututsi Nkundukozera ; le grand favori Runyange, nommé chef de l’armée Abadahigwa(les insurpassables) au Giseka).Le Roi peut réunir les deux fonctions sur un même dignitaire, sans distinction de race.
  1. Un Mutwa, peut être sous-chef de localité (art. 249 et ss.), mais la dignité de préfet soit du sol, soit des pâturages, lui est inaccessible, à moins que sa famille n’ait été anoblie depuis quelques générations. Pour information : (Lagrande famille des Basyete fut anoblie par le grand Cyilima II Rujugira en la personne de leur ancêtre éponyme, appelé Busyete. Son cinquième successeur à la tète de la parentèle, le chef Biganda, était détenteur d’innombrables commandements territoriaux, lorsqu’il en fut destitué dans des circonstances quimériteraient un jour d’être racontées. La fortune de toute la famille en fut profondément ébranlée ; il n’y a plus que de simples sous-chefs, au lieu des nombreux grands chefs Basyete de la génération de nos pères, Ajoutons de suite que les membres de la parentèle ne présentent plus aucun caractère extérieur rappelant leur origine Batwa : ils sont devenus, au cours des générations, de parfaits Batutsi à tous les points de vue. Quant aux Batwa non anoblis, promus sous-chefs, la chose semblerait de prime abord incroyable pour certains lecteurs étrangers, peu familiarisés avec nos institutions du passé. C’est pour cela que je cite ici les noms des Batwa sous-chefs de récente date ; je me sers de trois listes dont la première fut dressée, il y a bien longtemps, sans les détails dont j’aurais désiré disposer présentement ; mais il m’a été impossible d’atteindre les informateurs utilisés à l’époque. La deuxième fut dressée avec toutes les indications désirables, pouvant permettre de vérifier le bien-fondé des renseignements : j’ai indiqué, non seulement les noms des Batwa sous-chefs, mais encore ceux de leurs pères, ainsi que ceux des localités qu’ils commandaient. La troisième liste me fut bénévolement communiquée par M. MAQUET. Elle comprend vingt-six noms, dont quatorze se trouvaient déjà sur les miennes et douze noms nouveaux. Notons que la liste de M. MAQUET ne présente pas d’indication supplémentaire, sauf que les noms sont accompagnés de ceux des informateurs qui les ont dictés, Je transcris en lettres ordinaires les noms de ma liste ; en italique les quatorze noms de la liste de M. MAQUET qu’on retrouve dans la mienne, et enfin en caractère gras les douze noms de la liste de M. maquet : 1. Mahenehene, fils de Nyabayombe à Rushoka près Remera, dans la province du Kabagali ; 2. Rubango, fils de Nyaminani à Butare près Giseke, province Busanza-Nord ; 3. Kabare, fils de Gashambara à Kabyondo près Bihembe, dans le Kabagli-; 4. Cyizihira fils de Cunda, à. Kanyinya, dans la province du Bumbogo ; 5. Busyete fils de Sumirana, à Bwangacumi  près Musamo°, dans la province du Nduga; 6. Ntacyabukura, à Muyaga près Rukondo, dans la province du Busanza-Sud ; 7. lKalibushi, fils de Kalimpinya à Gihogwe, dans le Nduga, ; 8. Bikambura, fils de Rwema, à ‘Ntosho près Rubona, dans le Kabagali ; 9. Nyiramugore, femme à laquelle succéda son fis. 10. Kanyana au Bisukiro de Kamonyi, dans le Rukoma ; 11. Mvuzzarubango et 12. sa femme Nyirakinazi ; 13. Muhunyeli,  fils de Yîbunza à Gikumba près de Rukoma dit de Mabare, au Buganza-Rukalyi ; 14. Sebishwi,  fils de Bazimya à Gatagara, (où se fonde actuellement le collège des Jésuites, près de Nyanza.), dans le Nduga ; 15. Rwasimitima fils de Kabego à Kigina, dans le  Rukoma 16. ‘Ntundabusheke, à Kaganza, dans le Kabegali ; 17. Semutungo à Kigali près Busoro, dans la province du Mayaga ; 18. Ntama à Birambo près Rabare, dans le Kabagali ; 19. Gatuku à Rambyanyana  près Muhoza, dans le Kabagali ; 20. Gisilibobo à Kagina, dans le Rukoma, ; (il resta plusieurs armées sous-chef reconnu par l’administration européenne et fut déposé il y a quelques années seulement) ; 21. Nyagatuntu, 22. Buyenge, et 23. leur soeur Gicundiroo, tous les trois enfants de Mutoni, qui se partageaient le commandement d’un fief héréditaire à Kagina, dans le Rukoma ; 24. Rukaburacumu,  fils de Rwasimitana, qui était à la tête d’un vaste domaine comprenant plusieurs sous-chefferies dans le Buberuka ; 25. Mitsindo, à Kanyinya dans le Bumbogo ; 26. Gashi à Gihogwe, dans le Nduga ; 27. un autre Ntacyabukura, (voir le 6° de la liste) dans la province du Buyenzi 28. Rwangiyehe, à Butare près Giseke, dans le Busanza-Nord ; 29, Kanyamuhango , fils de Bigilimana, à Karambo de Muyaga prés Rukundo, dans le Busanza-Sud ; 30 Rugihira, 31. Mpisuka ; 32. Bageshi ; 33. Nyaminani ; 37. Sembuba, 35. Gashambara ; 36. Kanyamakwe ; 37. Nturo ; 38. Rwabinene; 39. Semunkima et 40. Mutoni. – Voilà une liste des Beiwa incontestablement sous-chefs sous le régime du Rwanda que nous sommes en train d’étudier, Ils avaient sous leurs ordres, aussi bien Batutsi que Bahutu habitants de ces localités; ceux-ci obéissaient chacun, au point de vue administratif, à ce sous-chef paria, lequel savait toutefois que ses sujets étaient supérieurs au point de vue racial et se pliait aux coutumes sociales réglant les relations entre Batutsi et Bahutu d’une part, et Batwa d’autre part. Pareil sous-chef ne pouvait par exemple pas prétendre être admis à la table de ses sujets, ni se désaltérer au même chalumeau qu’eux. Par contre, dans ses déplacements, ses sujets, racialement supérieurs, devaient porter ses bagages, l’accompagner dans ses tournées, etc., tout comme s’il s’agissait d’un fonctionnaire d’une autre race. Voilà la véritable position politique entre les trois races du Rwanda précolonial.)

La localité commandée par un Mutwa est toujours fief de la Couronne (art. 247 et 251) et exempte de toute prestation vis-à-vis de la Cour ; art. 337 c et parallèles.

  1. Dans le district qu’ils commandent, les deux hauts fonctionnaires jouissent d’une autorité égale, chacun dans son rayon respectif, sans partage territorial.
  1. Les deux fonctionnaires exercent leur autorité sur les habitants du district, sans s’occuper ni d’armée sociale, ni d’armée bovine, dont ils ignorent l’existence en administration civile. Ils exercent leur autorité par l’intermédiaire des sous-chefs de localités ; art. 249 et ss. Au point de vue des deux fonctionnaires, le chef d’armée lui-même est considéré comme simple sous-chef de toute localité dépendant de sa résidence, à l’exception évidemment des territoires mentionnés dans l’art. 332 b, où il n’est pas question de leur intervention administrative; toutefois ces localités résidences des chefs d’armée sont exemptes de toute redevance administrative (cfr art. 295 c, 338 et 345), sauf de celle de l’art. 367.
  1. Les localités fiefs de la Couronne (art. 247) ne sont soumises, au point de vue administratif, qu’aux seules prestations de l’art. 367; quant à celle des art. 354-355 et autres, elles constituent le revenu personnel dit le sous-chef est justement nommé le bénéficiaire ; cf. art. 95 b, 219, 295 c, et 345.
  1. Les chefs-lieux des districts et l’origine des fiefs de la Couronne.
  1. Les districts civils sont dénommés par leur chef-lieu, (Ururembo, au pluriel : indembo), résidence du Roi, désignée pour ce rang administratif. Un même district peut comporter plusieurs résidences royales et le Roi peut transférer le titre de chef-lieu de l’une à l’autre.
  1. Le choix des chefs-lieux relève directement du code ésotérique de la dynastie, qui préside à l’établissement des résidences royales. Une fois construite la résidence du Roi, la localité choisie devient fief de la Couronne et la Cour aura désormais seule le droit d’y nommer les sous-chefs ; art. 251.
  1. Les domaines dépendant directement de la Cour se constituent également de plusieurs autres manières : Ou bien le Roi demande à un chef d’armée de lui faire cadeau de l’une ou l’autre localité de son ressort, en faveur de l’un de ses familiers non encore investi. Ou bien ce sont les lieux où un Roi a rendu le dernier soupir et où par conséquent s’est déroulé le cérémonial du deuil ; localités qui passent d’office à la corporation des fossoyeurs, fonctionnaires présidant aux obsèques royales et dépendant directement de la Cour. Ou bien ce sont des fiefs terriens que, par faveur royale, conserve le chef d’armée destitué ; art. 78.

342 — Les fiefs de la Couronne restent théoriquement tels à perpétuité ; en pratique lorsque les détenteurs sont promus chefs d’armée et sont ensuite dépossédés de tous leurs fiefs tant bovins que terriens, ces derniers passent à leurs successeurs et sont accaparés par l’armée sociale, à la suite de cette investiture automatique, à laquelle le Roi n’a pas procédé suivant les règles reçues. Dès lors la Cour est censée avoir renoncé à ses droits sur la localité.

  1. Le privilège des districts-enclaves.
  1. Il existe un privilège exceptionnel pour certaines localités qui doivent constituer des districts enclaves ; à savoir les royaumes des Biru-rois. Pour information : (Parmi les fonctionnaires dépositaires du code ésotérique de la dynastie (Abiru), il y avait une catégorie à laquelle le même code accordait la dignité de rois, avec un tambour dynastique, dont les titulaires étaient intronisés sous les appellations royales traditionnelles ; leurs territoires étaient dénommés royaumes. Tels étaient, par exemple, les Biru-rois du clan des Bakono, intronisés sous le signe du tambour Nkurunziza(la bonne-nouvelle), sous les noms dynastiques de Butare, ‘Nkima et Cyabakanga, ayant pour royaume le mont Nyamweru, dans la province actuelle du Bumbogo. — Tels étaient également les grands Biru.roisde la famille des Batsobe, titulaires du tambour Rwamo (le retentissement), dont le royaume était la localité appelée Kinyambi, dans l’actuelle province du Rukoma et qui se succédaient an pouvoir sous les appellations dynastiques de Nyaruhungura, Nyunga, Birege et Rubambo).

Pareils fiefs en même temps que la dignité de leurs gouverneurs, dépositaires du code ésotérique de la dynastie, passent de père en fils. Si l’un ou l’autre de ces vassaux rois se rend coupable de grave félonie et que le Roi le destitue ou même le condamne à mort, le fief devra être donné, soit à l’un de ces enfants, soit à un membre quelconque de la famille.

  1. En ces territoires, la haute justice est réservée au Roi (cf. art. 346-347) et ils ne jouissent pas du droit d’asile ; cf. art. 348 et 350 c-si;
  1. Tout fief dont le détenteur est chargé à la Cour d’une fonction traditionnelle, ayant donc un rapport quelconque avec les prescriptions du code ésotérique, est également exempt de toute prestation administrative, en dehors de celle de l’art 367, les revenus du fief étant consacrés à l’entretien du fonctionnaire, tenu à la résidence à peu près permanente à la, Cour ; cf. art. 95 b, 21.9, 295 c, et 338.
  1. De très rares enclaves jouissent du privilège d’extra-territorialité, même vis-à-vis du Roi, en raison de certains souvenirs dynastiques. Pour information : (Telle était, par exemple, la localité de Gasekeésélre, dans la province actuelle du Rukoma, où se conservaient les momies des rois titulaires des noms dynastiques Mutara et Cyilima, suivant les prescriptions du poème appelé La Voie des Abreuvoirs, Telle était également la localité appelée Huro dans la province du Bumbogo, royaume placé sous l’autorité souveraine des titulaires du tambour Kalihejuru, (le petit d’en haut} et qui se succédaient sous les noms dynastiques de Nyamurasa, Musana et Mumbogo, chargés de la culture de l’éleusine et du sorgho destinés au grand cérémonial des prémices ).
  1. Les dignitaires placés à la tête de ces derniers territoires se comportent en souverains aussi longtemps qu’ils resteront à l’intérieur de leurs limites ; ils y jouissent par conséquent du droit de glaive.
  1. Ces mêmes territoires jouissent du droit d’asile et tout individu s’y réfugiant, voire contre la sentence du Roi, n’y pourra être poursuivi de force, si le souverain du lieu juge bon de ne pas l’extrader.
  1. Quiconque viole le territoire enclave mentionné dans l’art. 343 pourra être condamné, si le dignitaire de la localité porte contre lui une plainte fondée, devant le tribunal du Roi. Quant aux territoires de l’art. 346, leur violation entraîne une condamnation à mort encourue, du fait même, par le coupable, et non seulement par lui, mais encore par toute sa parenté. Pour information : (Pareille sévérité se basait sur des considérations d’un ordre supranaturel. Certaines fautes, certains crimes, entrainaient l’état d’impureté générale pour tout le pays, aussi longtemps que l’individu coupable, ou, selon le cas, les parents du coupable avec lui, n’avaient pas été suprimés d’entre les vivants. Les cas envisagés ici étaient du nombre de ces crimes, dans les appréciations politico-religieuses de nos ancêtres).
  1. Les localités cimetières de la dynastie sont exemptes de toutes prestations vis-à-vis de la Cour, mais pas vis-à-vis du chef qui les reçoit et doit les retenir pour son usage propre. Pour information : (Les localités cimetières de la dynastie, officiellement reconnues comme telles, sont : a) Rutare, dans le Buganza-Nord, destiné aux rois titulaires des noms Kigeli, Mutaraet Cyilima. b) Rmera dit des Baforongo, dans le Buriza, où sont déposés les rois ayant porté le nom dynastique de Mibambwe. C. Kayenzi, dans la province du Rukiga, pour les rois titulaires du nom de Yuhi. Dans les mêmes cimetières devaient être enterrées les reines mères qui furent les épouses respectives de ces monarques : chaque reine mère doit reposer avec son époux. D. Butangampundu, dans la province du Buriza, où reposent les monarques ayant succombé à une mort violente, c’est-à-dire, décédés à la suite d’une blessure reçue sur le champ de bataille, comme il en fut de Ruganzu II  Ndoli ou d’un suicide, comme il en arriva aux deux reines- mères NyirakigeliII Ncendeli, mère de Kigeli II Nyamuheshera et Nyirayuhi III Nyamarembo, mère de Yuhi III Mazimpaka) .

Pareilles localités sont toujours données en fiefs à des Biru(ou dépositaires du code ésotérique), affiliés d’une manière ou d’une autre à la corporation des fossoyeurs ; art. 341. a. Ces localités sont inviolables et par conséquent jouissent du droit d’asile. Celui qui viole les localités cimetières, soit en y engageant bataille, soit en y poursuivant un

fugitif, soit en s’y imposant par violence de toute autre manière, s’expose à la peine mentionnée dans l’art. 349 b .Pour information :(La crainte superstitieuse qu’inspirent ces prescriptions étaient telles, que lors des troubles qui suivirent le coup d’État de Rucunshu, en 1897, ou vit les guerriers du chef Mutwewingabo révolté contre Yuhi V Musinga, se retirer respectueusement devant la localité de BUTANGAMPUNDU, Où les fidèles à la cause du nouveau roi s’étaient retirés de toute la région, avec leurs innombrables troupeaux. Tous les environs furent razziés, mis à feu et à sang, mais ce lieu cimetière resta comme une île de paix- Les révoltés craignaient de devenir une bande de criminels impurs voués à la malédiction immanente et à la fatalité du mauvais sort, liées à la violation de ce lieu).

4. Gestion des «biens royaux dans les chefs-lieux des districts.

351. Les chefs-lieux de districts civils sont ou fiefs de reines ou fiefs réservés. On appelle fief de reine, le chef-lieu de district dont les revenus ont été donnés, en apanage, à une femme du Roi. On appelle fief réservé (ingaligali), les chefs-lieux des districts dont le Roi se sera réservé les revenus. Pour information : (Sous Kigeli IV Rwabugili, les 21 districts en lesquels était divisé le pays soumis à son autorité (sans compter les districts qu’il venait d’organiser à la rive sud occidentale du lac Kivu), comprenaient sept fiefs-réservés stables ; certains autres districts étaient tour à tour fiefs de reines (ou même de princes) et fiefs réservés) . 

362. Les femmes du Roi peuvent cumuler pareils bénéfices, qu’elles peuvent faire gérer par leurs hommes de confiance. Pour information :( C’est ainsi que Kanjogera mère  du Yuhi V Musinga, avait été investie de trois fief’s de ce genre : le district de Kabuye, dont ce chef-lieu est actuellement dans la province du Buriza ; celui de Giseke, chef-lieu situé dans le Busanza.- Nard et celui de Kiyanja, chef-lieu situé dans le Kabagali. Ajoutons qu’elle reçut également le district de Sakara, commandant tout le Gisaka, mais que le grand favori, appelé Mugugu, qui y assurait les fonctions de préfet du sol et des paturâges, s’y opposa et y demeura en maître.

Dans les chefs-lieux fiefs de reines, les deux hauts fonctionnaires de l’art. 333 sont soumis à ces dernières pour tout.

353. Dans les chefs-lieux fiefs réservés, le Roi nomme une dame de la Cour portant le titre de Umuja (servante), qui présidera aux affaires domestiques de la résidence royale.

La servante ainsi nommée n’a aucune autorité sur les deux fonctionnaires ; ce sont eux au contraire qui doivent prendre la responsabilité de la résidence royale, en vérifiant la gestion de la servante.

5. Les redevances perçues des cultivateurs par le préfet du sol.
354. Tout Muhutu doit des corvées manuelles, soit de sa houe, soit de toute autre occupation qu’on lui assignera, à certaines époques de l’année. Le sous-chef livrera à la résidence les cultivateurs qu’on lui imposera, en proportion du nombre des habitants de son ressort et l’excédent de la main d’oeuvre travaillera pour lui ; art. 37 b et parallèles.

Cette prestation est réclamée à chaque foyer individuellement. Pour information : (C’est ici une espèce d’ impôtpersonnel, les autres prestations étant réclamées à la parentèle, par l’intermédiaire du patriarche).

355. A la récolte des haricots et des pois, le préfet du sol taxera chaque sous-chef de localité d’un certain nombre de paniers de ces denrées. Il leur imposera de même un certain nombre de mues (urutete) remplies d’épis de sorgho, à la récolte de la graminée.

356.Cette redevance dite uguhunika (mise en grenier) est payée en cotisation par tous les

 

 

membres de la parentèle (art. 1 b) car ici le sous-chef de la localité ne s’adresse qu’au chef  patriarcal, cf art. 10, 106 et parallèles. Pour information : (Rappelons ici une dernière fois que les redevances mentionnées à cet article sont territoriales et qu’elles diffèrent de celles indiquées à l’article 37, provenant de l’armée).

Qui se refuse à payer cette redevance se verra enlevé sa propriété foncière et sera de la sorte chassé de la localité ; cf. art. 257.

  1. Dès que toutes les parentèles de la localité auront présenté la quantité fixée de denrées, le sous-chef livrera au préfet du sol le nombre de paniers qu’il lui aura imposés et retiendra l’excédent pour son propre usage ; cf, art. 37b. Le préfet du sol s’appropriera environ le tiers des paniers de son district et remettra le reste à la Reine, ou dans les greniers selon que la résidence est fief de reine ou fief réservé.
  1. Le préfet du sol ne pourra jamais réclamer l’équivalent de ses redevances en prestations mentionnées dans l’art. 98 b à l’armée en tant que telle ; il doit accepter le fruit des champs comme prescrit.
  2. Dans le cas du district fief réservé, le préfet du sol doit avoir ses propres aides pour gérer les greniers et donnera à la servante, ainsi qu’à toute la domesticité de la résidence, tout le nécessaire en fait de vivres.
  1. Le fonctionnaire enverra des émissaires prélever des régimes de bananes, sous-chefferie par sous-chefferie, pour faire du cidre destiné à ravitailler la Cour ; art. 370. Cette prestation de bananes s’appelle amavu.
  1. Les redevances perçues des vachers par le préfet des paturages.
  1. De même que le préfet du sol a autorité sur la houe du district, ainsi le préfet des pâturages préside à la perception des redevances bovines. Il atteint les propriétaires vachers (art. 264 et ss.) par l’intermédiaire également du sous-chef de la localité auquel il impose un nombre de jarres de lait proportionné au nombre des vaches de la colline, à livrer à la résidence royale, à des jours déterminés.
  1. Le sous-chef en organise le service, en y faisant contribuer équitablement les propriétaires des bikingi (art. 255) de son ressort. Les détenteurs des bikingi imposent une partie de la quantité imposée de lait, à leurs pensionnaires de pacages ; art, 264.
  2. Tout propriétaire vacher se refusant à cette prestation perd son lopin de pâturages ; il est ainsi expulsé de la localité et même du district ; art. 265 ; comp. 293 et 297.
  1. Le sous-chef de la localité ne peut prendre le musogongero ou part d’entretien personnel (art. 354-355, cf. art. 37 b) sur le lait livré ; il doit déterminer plutôt un certain nombre d’éleveurs de son commandement dont il fait son prélèvement personnel et dont le lait sera considéré comme son umusogongero. De même le préfet des pâturages déterminera un certain nombre de sous-chefferies dont les redevances en cette matière constitueront son prélèvement ou part d’entretien personnel.
  1. Le lait sera livré soit à la Reine, soit à la Servante de la résidence, comme indiqué dans l’art. 356 concernant les denrées.
  2. Si la résidence royale est fief réservé, le préfet des pâturages devra régulièrement surveiller l’usage du lait et veillera à ce que la servante fasse baratter le lait et mette en réserve une grande quantité de beurre. La servante devra exhiber au fonctionnaire la réserve de beurre réalisée, chaque fois qu’elle en sera priée ; art. 353 b.
  1. Visite du Roi au district.
  1. Lorsque le Roi arrive dans le chef-lieu de district, c’est au préfet des pâturages qu’il incombe de lui faire les honneurs de tous les bovidés, ou presque, du territoire, en les faisant défiler devant lui à longueur de journées ; art. 138. Le défilé des vaches de la localité sera de même organisé par tous les sous-chefs dont les collines auront été honorées de l’hospitalité du Roi.
  1. Le Roi recevra, en cadeau de bienvenue, soit du préfet des pâturages à la résidence royale, soit du sous-chef de la localité, une vache, mère d’un taurillon ; art. 139.
  1. Lorsque le Roi arrive clans un chef-lieu de district fief réservé en compagnie de l’une ou l’autre reine, la servante ne cède pas sa place à cette dernière dans le commandement domestique.
  1. Le préfet du sol juge en première instance toutes les causes ayant trait aux propriétés foncières ; art. 80 a. Si le cultivateur n’est pas content, il recourra à son chef d’armée qui le présentera au tribunal du Roi. De même le préfet des pâturages peut connaître les causes de son ressort ; et si le plaignant n’est pas satisfait, ses supérieurs militaires le présenteront au tribunal du Roi.
  1. Affectation des divers revenus des districts.
  1. Les chefs-lieux des districts doivent envoyer au Roi, en quelque coin du pays qu’il tienne sa Cour, des caravanes de ravitaillement pour les besoins de ses familiers, pour les frais des veillées de hauts faits et autres dépenses. Ces caravanes porteront à la Cour, de la part du préfet du sol une grande quantité de cruches de cidre de bananes, dite prestation amavu(art. 360 b), de la bière de sorgho réalisée avec la prestation de la graminée (art. 355 b); et d’innombrables charges de farine et de vivres ; art. 355 a. Le préfet des pâturages enverra des cruches de beurre destinées aux domestiques cuisiniers et des cruches d’hydromel, provenant de l’échange de beurre contre du miel. Les chefs-lieux fiefs de reines expédient, au nom de ces dernières, ces caravanes à la Cour tandis que les résidences fiefs réservés le font sous le couvert des deux fonctionnaires.
  1. Il n’y a pas un temps fixé pour l’organisation de ces caravanes de ravitaillement ; chaque district doit rivaliser de zèle au service du maître.
  1. Lorsque le Roi est à l’étranger, en expédition

guerrière, ces caravanes doivent se donner rendez-vous et former un seul groupe, sous la direction d’un ou de plusieurs chefs d’armées désignés pour les protéger contre les ennemis, une fois passée la frontière du Rwanda.

  1. Le sort des districts civils selon les noms dynastiques.

374.Sous les rois aux noms dynastiques de Yuhi, Mutaraet Cyilima, les districts situés en des régions du Rwanda, dont l’accès leur est interdit, ne se groupent plus autour d’une résidence royale effective, mais ils continuent à être dénommés par le dernier chef-lieu effectif ; art. 135 c. Pour information :(Le roi titulaire du nom Gyilima ne pouvait traverser la Nyabarongo qu’une fois dans sa vie ; depuis son avènement, il était tenu à résider dans le Nduga, jusqu’au moment où il était prescrit d’accomplir le cérémonial dit voie des arreuvoirs. Il passait alors à l’est de la rivière et devait se fixer dans la province du Bwanacyambwe qu’il ne pouvait plus quitter. — Quant au roi titulaire du nom Yuhi, il devait être intronisé, vivre et mourir dans la boucle de la Nyabarongo, emprisonné dans la Nduga, sans possibilité d’atteindre quelque autre région du Rwanda).

Durant ces règnes, les deux fonctionnaires continueront à envoyer les redevances territoriales vers la Cour, dans la région que le code ésotérique assigne aux monarques en question.

  1. A l’avènement des rois aux noms dynastiques des conquêtes (art. 135 b), Kigeli et Mibambwe, qui peuvent circuler dans le pays en tous sens, les districts peuvent relever effectivement leurs anciens chefs-lieux ou être réorganisés sur d’autres bases, suivant la volonté du Roi. Certains districts cependant, par suite de testaments dynastiques antérieurs ou pour d’autres considérations relevant du code ésotérique de la dynastie, conservent leurs chefslieux traditionnellement inchangés. Pour information : (C’est le cas surtout du district de Kigali, puis de celui de Gasabo, chefs-lieux situés dans la province du Bwanacyambwe, et enfin celui de Kamonyi,localité honorée actuellement d’un poste de mission dans la province du Rukoma, en territoire de Nyanza).
  1. Promulgatiqn et abrogation des lois et décrets.
  1. En vertu de son attribut de Nyamugira-ubutangwa (Celui qui fait tout ce qui lui plaît et aux décisions duquel tout le monde doit se rallier), le Roi peut modifier et abroger n’importe quel article de ce code, et à plus forte raison en décréter la non-application dans certains cas particuliers.
  1. Il appartient au Roi seul de décréter l’introduction de nouvelles coutumes. L’introduction d’une nouvelle coutume et l’abrogation d’une coutume antérieure doivent être promulguées, avec solennité, au battement spécial du tambour appelé Ruca-bagome (exterminateur-des insoumis), entouré des chefs présents à la Cour, sur la place du peuple (ku karubanda); l’obligation incombe aux chefs de porter la décision à la connaissance de leurs subordonnés respectifs.
  1. L’acte par lequel le Roi introduit une nouvelle loi se dit guca iteka : c.à d. user de l’autorité suprême. On appelle itegeko (loi) l’obligation permanente résultant de cet acte initial et solennel du Roi. L’acte par lequel le Roi abroge une coutume antérieure se dit également guca-iteka, parce que la suppression d’une loi est elle-même promulgation d’une autre remplaçant l’an-cienne.
  1. L’acte par lequel le Roi rend un décret, soit permanent, soit temporaire, se dit également guca itéka. On doit entendre ici par décret permanent les décisions prises par tel ou tel Roi, concernant telle famille ou tel lieu, et recommandées par lui aux Rois ses descendants comme devant être observées à perpétuité. On doit entendre par décret temporaire toute décision du Souverain concernant des cas ou des situations transitoires de leur nature, comme l’interdiction de traverser une ligne déterminée de démarcation en cas de peste, comme le bannissement de personnes ou la peine de résidence forcée en telle localité ; etc. Pour information : (Interdire la circulation en cas de peste, se dit kurema inkoto(imposer une barrière au trafic). Pareille mesure était prise particulièrement tout autour de la région où résidait le Roi en cas de peste et lorsqu’était lancé l’ordre d’arrêter certains personnages qu’on ne voulait laisser échapper à aucun prix. On appelait mu nkoto (à la barrière), l’endroit où campaient les fonctionnaires de la Cour, chargés de veiller à l’exécution de cette mesure. Les habitants des localités bordant la ligne de démarcation étaient autorisés à dévaliser, à maltraiter et à refouler toute personne tentant de franchir la ligne interdite. De nos jours encore bien des localités portent le nom de mu Nkoto, (telle la partie de la ville d’Astrida. allant du bureau de territoire au couvent des Sceurs), rappelant que dans le passé y campèrent les fonctionnaires dont nous parlons.

L’acte par lequel le Roi révoque un décret temporaire, se dit gutanga ihamure ; c’est-à-dire donner la liberté de reprendre la course.

  1. Quiconque s’arroge le pouvoir de modifier une coutume en vigueur ou de rendre un décret temporaire à son profit, en imposant son application à ses sujets et aux autres habi
tants de sa région ou aux voyageurs qui viendraient à la traverser, est appelé umunyarugomo (abuseur de sa puissance), crime punissable de la peine capitale. Pour information : (Étaient appelés abuseurs de leur puissance seuls les Chefs qui se rendaient coupables de ce crime. Quant aux particuliers qui s’arrogeaient un pouvoir quelconque, on les désignait sous l’appellation de umugome, comme à l’alinéa suivant. La même peine s’appliquait à eux, ainsi qu’au criminel appelé Umwambuzi (dévaliseur) qui pillait les voyageurs étrangers passant par sa région).  

Celui qui, dans les mêmes circonstances, s’arroge le pouvoir de modifier une coutume ou de n’en plus tenir compte et prétend agir publiquement d’après son opinion personnelle, défiant ainsi les représentants de l’autorité, est dit umugome(insoumis ou révolté), crime également punissable de la peine capitale ; art. 72 et 84 a-b.  

381. Poser un acte contraire à la décision du Roi, (art. 378-379), se dit guca mw’ itèkci ry’ùmwami : passer à travers la décision suprême du Roi.

Celui qui se rend coupable du crime mentionné au premier alinéa du présent article s’expose, avec toute sa parenté, à la proscription générale de l’art. 349 b (5s).

Pour information : (L’histoire nous offre de très nombreux exemples de familles entières vouées à l’extermination, à la suite d’une désobéissance de l’un de leurs membres qui avait osé agir contre un décret du Roi. Ainsi sous Mutara II  fut impitoyablement exterminée la famille des Banyakarama pour avoir vengé la mort d’un parent, alors que le Roi avait selenneilementt publié la non application (art. 376) de la loi de vendetta . Il en fut de même, et pour un crime identique, de la famille des Babogo, sous Kigeli IV  Rwabugili ; encore que les coupables n’eussent pas encore versé le sang du meurtrier de leur parent ils avaient déclaré publiquement qu’ils ne tiendraient pas compte de la décision du Roi.