1. La surveillance des Bikingi et leurs diverses réglementations.

 

  1.  Lorsqu’a lieu la création d’une nouvelle armée bovine, l’intendant général qui en obtient le fief fait savoir au Roi les zones de pâturages qu’il désire recevoir, à prélever sur celles des armées bovines antérieures ; comp. art. 30 a. Ce prélèvement sera effectué dans des proportions équitables, à cause des considérations de l’art. 275.
  2. Dans l’administration de ses fiefs de pacage, le chef d’armée est représenté par le sous-chef de localité ; art. 249 ,et ,250. Dans la distribution des pâturages, il est représenté par le chef des nyambo et le chef des vaches (art. 213 et 221); qui répartissent les localités entre les pasteurs en chef ; art. 268b.
  3. Au mois lunaire de Gicurasi, tous les bikingi sont fermés aux bovidés de qui que ce soit et les maîtres de ces pâturages eux-mêmes doivent se garder d’y mener pâturer leurs vaches. Pour information : (L’année indigène du Rwanda, suivant le cycle des mois lunaires, commence en septembre, avec le mois de Nzeli (art. 289). Le mois de Gicurasi coïncide en général avec celui de mai. Signalons à ce propos une institution qu’on peut, à bon droit, qualifier de curieuse : la Cour du Rwanda avait éprouvé le besoin d’un mois intercalaire appelé Mata (lait) que les dépositaires du code ésotérique faisaient intervenir après un certain nombre d’années et qu’ils plaçaient immédiatement avant celui de Gicurasi. Ce mois était intercalé à cette époque de l’année, en fonction de la fête nationale des prémices dont l’importance était primordiale dans le domaine du code ésotérique. Comme l’ensemencement du sorgho amaka (c.-à-d. régulateur de l’année), s’effectuait traditionnellement d’après le cycle des mois lunaires, il se faisait qu’après quelques années les dénominations des mois ne correspondaient plus au cours des pluies. En conséquence, les festivités des prémices, célébrées à la nouvelle lune de Kamena, (début de juin) ne coïncidaient plus parfaitement avec la moisson nouvelle de la graminée. On remarquait aussi, parfois, que la récolte était compromise par cette non-Correspondance des pluies. Alors la Cour intercalait le mois de Mata (le treizième) pour que Kamena tombât en temps opportun. Notons que dans certaines régions on maintient l’appellation de Mata à la place de Gicurasi, et qu’en d’autres coins du Rwanda on prétend retenir les treize mois annuellement, n en était autrement à la Cour, lorsque le mystérieux code dynastique abondait sur cette question jadis brêlante, dont la solution conditionnait à leurs yeux l’existence même du Rwanda).

Durant cette époque de fermeture, chaque propriétaire vacher a droit à une bande de pâturages, appelée chemin, entourant le sentier que suivent ses vaches pour entrer et sortir de son kraal.

  1. De plus, toute la localité bénéficie d’une zone de vaine pâture appelée Ürwikomano (barrière des pacages fermés). Urwikomano se compose de la zone appelée uruhangalizo (pâturages avant les abreuvoirs), celle dite Urukukano (pâturages environnant les abreuvoirs) et enfin une bande de pâturages reliant les deux précédentes.
  2. A l’époque de la fermeture des pâturages, la parcelle officielle de la localité (art. 268) est placée sous la surveillance d’un garde-pâturages (umukomyi) dont l’habitation est située aux abords de la zone à surveiller.
  3. Seules les vaches qui viennent de mettre bas, les premiers jours après le vêlement, (cf. art. 313) ainsi que les jeunes veaux, bénéficient du privilège de brouter les pâturages fermés. Pour information : (Un dicton populaire dit : Une haine arrivée au degré du ridicule fait chasser les jeunes veaux de tel lopin de pâturage ! -Un petit souvenir à ce sujet dont le lecteur tirera la conclusion qu’il voudra. Je tais le nom de la personne et de la localité qu’elle habitait, située aux confins des provinces actuelles du Rukiga et du Buberuka, en territoire de Byumba. A cette époque-là, n’existait ni le dit territoire, ni la délimitation actuelle de ces deux provinces. La personne en question avait une vaste propriété de pâturages dans le Gipfundo, subdivision de la sous-chefferie de Nyabisiga, dans la province du Rukiga. Lors de la fermeture des pacages, il arriva que vêla une vache en bordure de son gikingi. Fort de l’autorisation que lui faisait la coutume, le propriétaire de la vache l’introduisit dans les pâturages fermés. Le grand Mututsi, poussé l’on ne sait par quel mouvement de vengeance, se précipita sur la vache mère et la chassa spectaculairement de ses pâturages, en la frappant cruellement ! Impuissant devant cette scène de révoltante méchanceté, le propriétaire de la vache s’écria à plusieurs reprises : Fasse le ciel qu’à la pluie qui mettra fin à cette saison sèche, il soit frappé de la foudre en punition du crime d’avoir frappé ainsi une mère! Inutile d’ajouter que l’opinion locale ne trouvait pas de termes assez forts pour blâmer un crime aussi abominable, surtout de la part d’un membre bien en vue de la noblesse de la région ! — Lorsque les premières pluies de septembre commencèrent à tomber, notre criminel fut effectivement foudroyé avec sa femme, la nuit, dans sa maison. Croyez bien que le fait fut fort commenté ! Votre conclusion est-elle, cher lecteur, la même que celle des habitants de ma région d’origine, qui affirmèrent que le Roi d’en-haut (circonlocution pour désigner la foudre) avait vengé les droits du Roi d’en-bas dont la vache-mère avait été cruellement et iniquement torturée, et cela par une personne qui aurait dû donner l’exemple du respect pour une coutume aussi sacrée ?)
  4. C’est au moment de proclamer la fermeture des pâturages, que le chef d’armée et ses subordonnés s’assemblent pour indiquer à chaque troupeau son lieu du rugishiro de l’art. 274.
  5. Les vachers qui le peuvent sont libres de conduire leurs bovidés vers le rugishiro de leur choix, soit séparément, soit en groupes associés.
  6. A l’époque jugée opportune pour l’ouverture des pâturages, le pasteur en chef (art. 268 b) ou son représentant inspectera les bikingi de son ressort, afin de déterminer, en connaissance de cause, la part à réserver éventuellement aux nyambo (art. 272) ou aux troupeaux de choix.
  7. Les petits propriétaires vachers, pensionnaires de pâturages (art. 259), lors de l’ouverture des bikingi, recevront leur part de frais pacages soit de leur maitre habituel, soit du fonctionnaire pastoral, selon que leur habitation est ou non comprise dans la parcelle officielle ; art. 259 et 268.
  8. A l’ouverture des pacages, le garde-pâturages a droit à un lopin de pacage appelé uruhehe, prélevé sur cette même parcelle officielle. Lorsqu’il n possède pas de vaches, il peut vendre ses droits au propriétaire vacher de son choix. Si cependant les pacages de la zone commise à sa surveillance avaient été violés durant le temps de fermeture, la partie broutée serait comprise dans son lopin.
  9. Une fois brouté, les pâturages officiels frais deviennent umukura (la foulée). La foulée est la propriété des vachers (art. 220) qui peuvent la louer à qui en a besoin et retenir pour eux le prix du loyer. Les vachers ne peuvent évidemment se permettre l’usage de ce droit au détriment de leurs troupeaux respectifs ; ils ne loueront, en conséquence, que l’excédent de la foulée.
  10. Après la récolte du sorgho et des pois, les champs débarrassés de ces plantes suivent la même réglementation que les pâturages, quant à leur fermeture. La parcelle officielle appelée ubugerure (prélevée) ne représente pas une superficie déterminée et invariable, comme il en est des pâturages ordinaires (art. 268 b) ; elle est délimitée à chaque saison, parce que les champs cultivés varient d’année en année.
  11. A partir du mois lunaire de Nzeli expire le droit de la prélevée officielle et l’entièreté du gikingi retombe sous l’autorité exclusive des propriétaires mentionnés dans l’art. 254.
  12. Le pasteur en chef, de sa propre autorité, peut exempter l’un ou l’autre Mututsi de l’obligation de la prélevée officielle, soit à titre gracieux, soit contre payement de droits.
  13. Les propriétaires des bikingi non cultivés, s’ils veulent bénéficier de tendres pâturages après la récolte du sorgho et des pois, peuvent payer des droits pour le kuragiza ou sollicitation de pâturages saisonniers ; art. 267. Ils ont l’avantage de tendres pacages après l’incendie des broussailles (uruhira), chose possible seulement pour les bikingi non cultivés. Le droit de la prélevée officielle n’existe pas pour les pâturages du ruhira, c’est-à-dire repousse des broussailles incendiées.