1. La législation des pacages et mode de leur répartition.
  1. Tout le territoire du Rwanda est réparti en zones de pâturages assignés respectivement à toutes les armées bovines. Toutes les localités composant les zones de pâturages de telle armée bovine, sont placées sous l’autorité administrative directe du chef d’armée ; art. 201.
  2. A côté des zones fiefs de pacages assignées aux armées bovines, il y a les localités fiefs de la Couronne: dont l’administration directe est assurée par le Roi ; art. 251 et parallèles.
  3. Les localités concédées aux armées bovines sont appelées ibikingi (au sing. igikingi) ou sous-chefferie. Les fiefs de la Couronne sont appelés ibikingi. by’i Bwami (au sing. igikingi cy’i Bwami), ou sous-chefferie de la Cour. Le terme igikingi qui signifie tantôt sous-chefferie (art. 248-253 et parallèles), tantôt concessions de pâturages (art. 254-269 et parallèles), tantôt districts administratifs (art. 332 et sv) a le sens général de superficie paturable, qui en marque la destination initiale en droit rwandais.
  4. C’est au chef d’armée, c’est-à-dire à l’intendant général de l’armée bovine, qu’il appartient de nommer les sous-chefs des localités relevant de son intendance. Il peut y nommer aussi bien les membres de l’armée sociale, pris indifféremment parmi la section des combattants et parmi celle des pasteurs (art. 349) que les nkoma-mashyi (art. 60) s’étant recommandés à lui.
  5. Le sous-chef de la localité est le gardien attitré des pâturages de son commandement territorial. On peut cumuler des bénéfices terriens, non seulement relevant d’une même armée bovine mais encore de plusieurs autres ; art. 48 et parallèles.
  6. Le sous-chef du fief de la Couronne est directement nommé par le Roi et il peut cumuler ce bénéfice avec plusieurs autres appartenant à diverses armées ; art. 43 b: 48 et parallèles. b) Ce fonctionnaire est également gardien officiel des pâturages de son ressort, au même titre que son collègue nommé par le chef d’armée.

252. Le droit de pacage reconnu à telle armée bovine dans telle zone du pays y exclut la présence des nyambo appartenant à quelque autre armée, mais jamais les vaches ordinaires relevant de cette dernière. Pour information :(L’armée sociale est une institution supraterritoriale ; si les vaches détenues par les membres de telle armée ne pouvaient trouver pâture que dans les seules localités relevant de son commandement, du coup les propriétaires vachers seraient privés du droit de s’établir dans les régions de leur choix. Et comme chaque Rwandais a l’ambition de devenir un jour ou l’autre détenteur de quelques têtes de gros bétail, les membres de chaque armée se verraient dans l’obligation de se grouper en leur domaine respeclif et les milices deviendraient forcément territoriales. On ne saurait assez  admirer la logique de ces vieilles coutumes, dont les prescriptions se complètent si harmonieusement qu’elles semblent avoir été établies préalablement par un législateur des plus avisés).

  1. Le sous-chef de la localité doit présider à la répartition équitable des pacages de son commandement entre les propriétaires vachers y ayant fixé domicile, sans faire attention au fait que ces bovidés appartiendraient à des armées bovines étrangères à la sienne. Toute vache appartient au Roi et c’est le seul titre requis.
  2. Tout Mututsi a droit à une parcelle de pâturages. On appelle Mututsi en droit pastoral, quiconque possède plusieurs têtes de gros bétail, même s’il n’est pas de race hamite
  3. On appelle igikingi (au plur. ibikingi), la concession étendue de pâturages détenue par les grands éleveurs de bovidés et ingobyi, la parcelle reconnue aux petits éleveurs. Le gikingi (l’une des subdivisions de la sous-chefferie) peut contenir des dizaines de foyers (art. 259 a et 261) tandis que le ngobyi ne dépasse pas l’étendue de la propriété foncière du petit éleveur qui l’habite. Pour information : (Lorsqu’on veut saisir la définition de ce mot ingobyi, on se trouve fatalement devant une contradiction, mais qui n’est qu’apparente. Les uns vous diront : « c’est une propriété très vaste » ; tandis que les autres affirment : « c’est une propriété insuffisante « Ceci s’explique par le fait que pareille propriété est en général très ancienne et que le foyer qui la détient en a hérité, souvent d’ une lignée déjà longue d’ancêtres qui l’ont arrosée de leur sueur et qui y ont successivement terminé leurs jours. On comprendra dans ce cas que la propriété initialement vaste, se soit finalement morcelée entre plusieurs cousins ; ce morcellement l’a rendue fatalement insuffisante pour chacun des occupants pris individuellement. La parcelle de chacun d’eux s’appelle ingobyi et cette appellation a sa raison d’être dans la coutume ; lorsque disparais l’un des occupants, sa propriété revient à ses parents voisins qui en disposent de concert. Cette considération étant sommairement indiquée, hâtons-nous d’ajouter que ce droit attaché à la propriété ingobyi n’est pas pastoral, c’est plutôt l’aspect du droit terrien des cultivateurs, aspect suivant lequel ne peut être déclarée ingobyi la propriété foncière de qui veut. Il y a donc une nuance évidente entre ingobyi en droit pastoral et ingobyi en droit foncier.)
  4. Le sous-chef de la localité a seul le droit d’accorder la propriété de pacage. Le Mututsi doit payer une vache au sous-chef de la localité pour recevoir son gikingi.
  5. Le gikingi une fois concédé ne peut plus être arbitrairement enlevé à son propriétaire qui le laisse en héritage à ses enfants. Voir art. 265 et 293. Lorsque les vaches du Mututsi diminuent en nombre, son gikingi peut être morcelé en faveur des autres éleveurs.
  6. Le Mututsi peut obtenir le gikingi de deux manières: par occupation ou par extension. Par occupation, lorsqu’il vient solliciter l’autorisation de se fixer dans la localité et d’y obtenir une vaste propriété inculte et non habitée.

Par extension si, habitant la même localité, il devient progressivement grand propriétaire de vaches et sollicite qu’en conséquence son ngobyi soit agrandi et devienne igikingi.

  1. Le Mututsi qui obtient la propriété de pacages par occupation se dit umuzinga-kirago (solliciteur portant bagages). Les hommes qu’il installe dans sa propriété dépendent de lui et le sous-chef de la localité ne les commande pas directement. Si parmi ces hommes installés dans le gikingi se trouvent de petits propriétaires vachers, ils deviennent pensionnaires en pacages du Mututsi en question, qui doit leur fournir les pâturages suffisants pour leurs bêtes. Lorsque l’un de ces pensionnaires aura un nombre plus élevé de bovins, le Mututsi maître du gikingi pourra ne plus le considérer comme petit propriétaire et l’obligera à aller chercher pâturage ailleurs.

260 – La propriété ingobyi (art. 255 a) ne peut être comprise dans aucune espèce d’autres bikingi, mais elle doit y constituer une enclave indépendante.

261 – Le gikiegi obtenu par extension peut englober des propriétés foncières de cultivateurs ne possédant pas de vaches. Toutefois le nouveau Mututsi n’aura aucun droit sur les hommes installés dans son gikingi ; art. 259 a.

  1. Le droit de pâturage sur les terres cultivées, dans n’importe quelle espèce de bikingi, se limite aux pacages en herbe tendre après la moisson. Aucun vacher, même propriétaire du gikingi d’occupation, ne peut ordonner la mise en jachère d’une parcelle cultivée.
  2. Le propriétaire du gikingi obtenu par occupation a le droit de limiter la houe de ses hommes pour réserver une partie de son choix comme lopin de pâture, car la superficie du domaine est à lui. Le maître du gikingi obtenu par extension n’a aucun droit, en cette matière, sur les hommes qu’il n’a pas installés.
  3. Les hommes installés dans le gikingi d’occupation doivent des corvées à leurs maîtres, ainsi que les prestations pastorales de l’art. 295 b. Ceux habitant dans le gikingi d’extension ne doivent aucune corvée ; mais si l’un d’entre eux devient, dans la suite, propriétaire vacher il devra au suzerain des pâturages les prestations pastorales de l’art. 295 b.
  4. On refusera le droit de pâture à quiconque n’aura pas presté les redevances pastorales de l’art. 295 et ss. ; pareil refus équivaut à obliger l’indiscipliné à quitter la localité (art. 265 b) ou le gikingi où il était pensionnaire de pacages.

266 – On peut solliciter et obtenir le droit de propriété de pacage dans les localités qu’on n’habite pas, lorsque le premier gikingi s’avère insuffisant pour les vaches de l’un ou l’autre grand éleveur.

267 – On peut solliciter et obtenir le droit temporaire de pacage ; cela n’est plus igikingi, mais kuragiza (faire paître).

  1. A côté des bikingi que se partagent les Batutsi habitant telle localité, il existe une portion formant la part officielle réservée au sous-chef du lieu, et une autre portion réservée aux troupeaux publics ; art. 200 b. La part des pâturages de la localité revenant au sous-chef s’appelle inyarurembo ou propriété privée du sous-chef (cf. le sens de ce mot, art. 203 a), tandis que la part officielle est dénommée ikiraro ou pied-à-terre. Cette part officielle, ainsi d’ailleurs que la parcelle du sous-chef, peut renfermer des pensionnaires en pacages des art. 259 b, 264 b, et 270 b.
  2. Le préfet des pâturages (art. 333) prélèvera des parcelles de pacages, un peu partout dans le district (art. 332) en faveur des vaches octroyées au chef-lieu dont il est le gérant ; art. 88 et 182.
  3. L’excédent des pâturages de la localité s’appelle ibisigara-ngobyi (hors concessions pastorales) et le sous-chef en dispose pour investir les nouveaux arrivants (art. 259 a), les solliciteurs étrangers à la sous-chefferie (art. 266) et les vachers en quête de pacages temporaires; art. 267. Le sous-chef ne pourra jamais s’opposer à ce que les cultivateurs se fixent dans les lieux non habités, constituant la portion de ses pâturages à lui, ou du pasteur en chef.
  4. Toute armée bovine doit avoir un lieu déterminé où sera fixée l’habitation mère de ses nyambo ; cette localité sera la résidence patriarcale de toute l’armée bovine. Pour information : (Ainsi, dans la province de Buganza, au sud du lac Muhazi, les localités de Murambi, de Kabaree, de Nawe et de Nyarubuye près de Nkomangwa, respectivement résidences patriarcales des armées bovines umuhozi (le vengeur), Ingeyo (blanc de colobe), Niboye (silence au rivaux) et Izogeye (les renommées).
  5. Lorsque l’année bovine fait pacager ses nyambo dans telle région, les meilleurs pâturages leur seront réservés et les moins gras aux troupeaux publics de race commune ; art. 203 c-d. Les pâturages en question sont ceux indiqués par l’art, 268 b.
  6. Si les pâturages officiels (art. 268 a) sont situés dans un rayon inaccessible aux troupeaux publics de l’armée, on n’en tient plus compte dans le partage des bikingide la localité.
  7. Certaines zones des pâturages, situées surtout à l’orée des forêts et dans les régions froides, sont utiles pendant la saison sèche et les vaches les atteignent après plusieurs jours de marche. Ces zones sont appelées urugishiro (art. 281), ou pâturages d’été.
  8. Jamais l’armée sociale ne perd le droit de pacage sur les zones concédées à son armée bovine, lors même que cette dernière, par suite d’incurie (art. 210) ou de peste (art. 276), aurait renoncé à l’élevage des nyambo. Le motif en est que, grâce à la possession de ces zones de pacage, l’armée sociale prend part à l’administration du pays ; voir les art. 246 b, 249 et parallèles.
  9. Si, par décision du Roi, par exemple, pour regrouper les nyamboaprès une peste, les vaches à longues cornes de telle armée bovine en sont séparées et doivent fusionner avec celles d’une autre, l’habitation mère des premières (art. 271) passe seule sous le contrôle de l’intendant général en faveur duquel aura été effectuée la fusion, tandis que les zones de pacage restent sous l’ancien commandement, pour le motif indiqué dans l’art. 275.