Le contact du Roi avec les vrais Empéens.

Le Dr Baumann et le Comte von Gôtzen au Rwanda.

  1. Une délégation rwandaise au Bujinja et au Karagwe.
  2. Tandis que le Roi se trouvait à Sakara, quelque temps après l’exé-cution du Chef Kabaka, il apprit qu’il y avait des Européens= Abazungu chez Gashushuru, Roi du Bujinja, son intermédiaire commercial. Il y délégua deux hommes de confiance : Rwanyonga fils de Ndayobotse et Semusaro fils de Sebatara (no 473) chargés de cadeaux à donner aux Européens pour les bien disposer. Les messagers devaient demander à Gashushuru de décider les Européens à venir au Rwanda se constituer serviteurs du Roi. Il leur promettait d’immense,s fiefs et n’attendait d’eux qu’un seul ser-vice : lui tisser les pagnes.

 

Les deux messagers revinrent bientôt avec la réponse : ils avaient effectivement trouvé deux Européens chez Gashushuni. L’un portait une barbe démesurément longue, et l’autre une -moustache également démesurée. Leurs yeux inspiraient la peur. Ils avaient répondu que leur arrivée au Rwanda était impossible dans les circonstances présentes ; mais l’un d’entre eux invitait le Roi à le rencontrer dans les « montagnes de feu ». Ces« montagnes de feu » restèrent une énigme pour la Cour. On finit cependant par supposer qu’il s’agirait des volcans. Quelque temps après, le Roi quitta Sakara, remonta par l’Est, traversa les régions du Nord et arriva au lac Rwicanzige (Edouard). Il apprit qu’un Européen avait récemment passé dans les parages et s’était dirigé vers le Nord.

 

  1. Les messagers envoyés chez Gashushuru avaient cependant rapporté d’autres informations, tendant à confirmer ce qu’avait dit naguère le malheureux Chef Kabaka, sur la puissance des Européens. C’était bel et bien des conquérants d’une puissance extraordinaire. Ils avaient transmis au Roi la recommandation de ne plus tuer les hommes, car cela déplaît aux Européens. (Peut-être allusion au double meurtre de Nsoro et de Kabaka). Ils avaient, en plus, la mystérieuse puissance de se transmettre la pensée et de savoir à distance ce qu’un autre méditait en son coeur. Aussi le Roi recommandait-il, durant son trajet vers le lac Rwicanzige, de ne pas parler des Européens la nuit, car ils en seraient informées dès la rencontre attendue.

 

Le Roi décida finalement de tirer les choses au clair. Il envoya un messager, Mwaruguru fils de Murera (no 408) auprès de Rumanyika, Roi du Karagwe ; le monarque de ce pays, nous le savons déjà (no 163), était le conseiller extraordinaire du Roi du Rwanda depuis le règne de Ruganzu II Ndoli. Kigeli IV lui demandait des précisions sur les Européens. Fallait-il les combattre dès qu’ils arriveraient au Rwanda en conquérants? — Rumanyika répondit : « Les Européens sont d’une puissance telle, qu’il serait inutile de s’opposer à eux. Ils sont des conquérants, certes, mais ils ne détrôneront aucun Roi qui les reçoit amicalement ; ils commandent le pays en commun avec lui. Quant à celui qui veut les combattre, ils le vainquent sans difficulté et détruisent sa Dynastie ». Cet échange de message eut lieu en 1892 ou 1893.

 

  • L’Arrivée du Comte von Giitzen à la Cour du Rwanda.

 

  1. Personne au Rwanda n’était à même de savoir que, 11 ans plus tôt en 1884, la Conférence internationale de Berlin avait partagé l’Afrique centrale et en avait attribué différents tronçons à certains pays européens, et que le soit-disant invincible royaume du Rwanda avait été englobé dans l’Afrique Orientale Allemande. Pendant ce temps Kigeli IV promenait ses armées, terrorisant les pays d’alentour, ne pouvant même s’imaginer que ce Bunyabungo qui lui avait coûté si cher allait bientôt voir surgir les représentants du Roi des Beiges, occupés alors à combattre les esclavagistes non loin de là. Quant au Rwanda, iI allait bientôt voir arriver le Comte Aron Gôtzen, Gouverneur Général de l’Afrique Orientale Allemande.

Ceux qui ont traité de l’événement ont jusqu’ici cru que le Comte avait été le premier Européen à fouler le sol du Rwanda (cfr Pagès, op. cit. p. 180 ; de Lacger, op. cit. p. 351 ssv). La vérité est qu’il fut simplement le premier reçu à la Cour. Il avait eu un devancier dans la personne du Dr Oscar Baumann ; celui-ci avait séjourné du 11 au 15 sept. 1892 dans le Sud du pays. Dans son livre Durch Massailand zur Nilquelle (Berlin 1894, p. 83-86), il raconte ses impressions sur le pays et la bataille qu’il livra à Nyaruteja, sur la route de retour au Burundi d’où il était venu.

 

  1. Le Comte von Gôtzen traversa la Kagera, à la hauteur du Rusu-mo, le 4 mai 1894. Il était accompagné de 3 autres Européens, avec une caravane de 362 personnes dont 23 femmes et 22 garçons, sous la protection de 127 soldats. Le guide en second de la caravane, appelé Mailala était celui-là même qui avait accompagné le Dr Oscar Baumann deux ans auparavant. Von Gôtzen avait lu le livre de Baurnann qu’il cite à plusieurs reprises. Le prince Sharangabo, fils de Kigeli IV, qui habitait à Rwamagana dans le Buganza, fut rapidement informé de l’événement et il dépêcha un messager à son père, pour lui annoncer l’arrivée des Européens. Le Roi se trouvait à Nyamasheke sur la rive du lac Kivu. Il partit aussitôt pour Kageyo, dans le Cyingogo, localité que les oracles divinatoires avaient désignée pour recevoir le premier Européen qui se présenterait au Rwanda.

 

  1. La caravane avait atteint Rwamagana le 12 mai et von Gôtzen obligea le prince Sharangabo à lui servir de guide jusqu’à la Cour. Le prince dut obtempérer, signe que les conseils de Rumanyika avaient été suivis. On ne s’imaginerait pas autrement, dans le Rwanda d’alors, un étranger qui eut déterminé, et encore autoritativement, un fils du Roi à lui servir de guide. On ne se figurerait pas non plus le Roi se déplaçant d’urgence pour aller recevoir cet étranger dans une localité désignée par oracles divinatoires, au lieu de le laisser venir tout simplement là où la Cour se trouverait. Tout ce comportement inhabituel était donc concerté d’avance, et on ne serait pas loin de la vérité en supposant que le prince Sharangabo résidait habituellement à l’Est du pays pour y attendre l’arrivée des Européens qui, on le savait, viendraient de ce côté de la frontière. On voit du reste Sharangabo diriger la caravane vers Kageyo sans aucune hésitation, de même qu’au reçu de son messager le Roi s’y rendit aussitôt.

 

  1. Le Comte Allemand fut reçu à Kageyo le 29 mai et il y séjourna jusqu’au 2 juin. Cette réception nous est connue, du côté Rwandais, par un récit riche en incidents comiques que confirme en partie von Gôtzen lui-même dans Son livre Durch Afilka von Ost nach West (Berlin 2ème édit. 1899, p. 177-187). Ayant reçu, en qualité de guide, le nommé Burahanda (fils de Ruhurambuga), alors sous-chef au Bugoyi, il quitta la Cour pour la région des volcans et il fut le premier Européen à apercevoir le lac Kivu le 7 juin 1894. Dans la nuit du 16 dans une localité qui semble être Rugerero, au-dessus de Gisènyi, le camp fut attaqué par une bande de pillards et furent repousses, laissant plusieurs morts sur le terrain. Le lendemain le Dr von Prittwitz se rendit à la résidence du Chef Bisangwa pour le sonder et voir s’il était impliqué dans l’affaire. Ses dénégations et explications furent d’autant plus satisfaisantes, qu’on avait trouvé le cadavre d’une femme parmi les assaillants abattus la nuit. Le Chef Bisangwa refusa aux Allemands les barques qu’ils lui demandaient, parce que la flottille devait immédiatement rejoindre le Roi au Sud du lac, où il préparait un débarquement au Bunyabungo (Bushi). Après la réception des Allemands, en effet, le Roi avait immédiatement rejoint sa résidence de Nyamasheke pour y célébrer la fête des Prémices.