L’expédition de ku-Rusozi. L’Affaire de ku-Mira. Les armes à feu et l’importation d’articles manufacturés.

 1) L’expédition de ku-Rusozi qui captura la Reine mère du Bunyabungo. L’Affaire de ku-Mira.  

  1. Le Bunyabungo était pratiquement soumis, après tant d’échecs et tant d’efforts. Le Roi Rutaganda et sa mère Mugeni-Gahwijima devaient cependant être capturés, ainsi que le tambour dynastique Kalyamaltugu = le mangeur des pays, pour que l’annexion pût être juridiquement déclarée, Or les deux souverains du pays étaient réfugiés au Sud du Bunyabungo, dans la région appelée t Bishugi par les Rwandais (no 198). Etant donné que, depuis Kigeli II Nyamuheshera, cette région était toujours en bons termes avec la Cour du Rwanda, le Roi envoya un messager à Katabirurwa., roitelet de la région, lui demandant de livrer Rutaganda et sa mère. Mais Katabirurwa avait épousé Mugeni Gahwijima, la Reine mère et était devenu le tuteur de Rutaganda, encore enfant. Il n’était donc pas question pour lui d’accéder à cette demande.

 

  1. Une expédition devenait dès lors nécessaire pour essayer de tuer Rutaganda et sa mère. Elle sera appelée l’expédition de ku-Rusozi, du nom de la localité (le Bukavu actuel) d’où elle fut lancée. Mais pour lui préparer les voies, la reconnaissance du Bishugi était nécessaire. Le Roi y envoya deux espions, Rubago fils de Nyamunonoka, et Semusaro fils de Sebatara. Ils s’en allèrent auprès de Katabirurwa, feignant d’être des exilés qui fuyaient les colères de Kigeli IV. Sous un prétexte controuvé, Rubago revint auprès du Roi et guida l’expédition. L’opération était confiée aux armées Inga-ngura-rugo, Abarasa, et Nyaruguru, auxquelles se joignirent un contingent auxiliaire de la région du Kinyaga. Le commandant en chef de l’expédition était Rwangeyo, fils de Nyilindekwe, membre de la Garde royale. Katabirurwa ne s’attendait pas à ce danger ; il fut surpris dans sa résidence qui fut cernée à l’aurore et envahie. Katabirurwa tua d’un coup de lance le nommé Mujugira, de la Milice Nyaruguru. Le compagnon d’armes de ce dernier, appelé Rugoli, fils de Nkomati, de la Compagnie Intwali= les Preux, abattit Katabirurwa d’un coup de lance.

 

  1. Mageni-Gshwijima, Reine mère du Bunyabungo, fut arrêtée par Gakara fils de Nyagashi. Rutaganda qui logeait dans un autre enclos fut sauvé par ses familiers ; ils avaient été alertés par les clameurs de combats. Les Rwandais le croyaient dans la même résidence que sa mère, et ce fut son salut.

 

Mugeni Gahwijima fut amenée à Kigeli IV. La tenant enfin, il lui dit : « Je vous conserverai au rang de sujet ». Elle répondit : « Vous n’en ferez rien ! Vous qui avez exterminé les vôtres, est-ce à moi que vous laisserez la vie sauve ? Du moins n’aurez-vous tué qu’un sachet vide, l’essentiel étant que mon fils Rutaganda vous a échappé » Elle exprima le désir de voir enfin ce fameux Mbwana, fils de Bidaga, qui commandait le Sud de l île Ijwi. On le fit venir et, l’ayant dévisagé, elle dit: « C’est celui-ci qui nous a été fatal par le zèle qu’il a mis à développer et à organiser les flottilles » — Elle  fut exécutée à la tombée de la nuit.

 

  1. Le Roi rentra au Rwanda, laissant sur place les Ingangura-rugo, qui avaient fixé leur camp dans la localité appelée ku-Mira. Il se rendit lui-même dans le Cyingogo où il établit une résidence à Kageyo. La peste bovine avait entre-temps traversé la Rusizi et ravagé le gros bétail au Bunyabungo, y compris les troupeaux du camp dont vivaient les guerriers. Le Chef de la Garde royale, Bisangwa fils de Rugombituli, responsable du District dont Ru-bengera était le chef-lieu, s’absenta du camp pour aller superviser les affaires de son District. Il se produisit une grave mutinerie dans le camp ; les guerriers se dirent : « Le Roi ne peut nous tuer tous à la fois ! Nous rentrons chez nous, advienne que pourra » ! Les vaches du Roi appelées Abaruhuye = les « Octroi-du-repos », laissées à la garde du camp, avaient également souffert de la peste, mais quelques dizaines avaient survécu. Celles-ci furent confiées à la garde du Chef Nyarukernba fils de Tabura, qui avait fait sa soumission. Leurs dispositions prises, les guerriers abandonnèrent le camp et rentrèrent au Rwanda.

 

  1. C’est à Kageyo même que ces événements furent rapportés au Roi. Il convoqua un conseil extraordinaire pour examiner l’affaire, et la conclusion fut telle que l’avaient prévu les mutins : leur grand nombre exclut la peine de mort qui, en pareils cas, aurait sanctionné la faute. Elle fut remplacée par la destitution qui frappa toutes les Familles des mutins. Il s’en trouva même qui furent frappées injustement ; par exemple le Chef Gacinya venait de mourrir de mort naturelle au Bunyabungo. Le Roi avait congédié ses fils Gihana et Gakwavu pour aller accomplir le cérémonial du deuil. Les deux furent cependant destitués. Lorsqu’ils représentèrent au Roi qu’ils avaient été autorisés à partir avant les événements, le monarque fut dans l’embarras : la coutume défendait de révoquer sa déci-sion. Il s’en tira en provoquant l’hilarité de l’entourage : « Cela, dit-il, c’est la faute à votre père ! Pourquoi mourut-il justement à pareille époque » ?

 

Plus heureux fut Rukaburambuga, fils de Kanyankore, grand chan-tre de la Cour ; il était parti avant les événements, ayant sollicité et obtenu du Roi son congé. Il fut cependant englobé dans la destution, mais ses biens furent donnés à Balikage, fils du Chef Bisangwa. Celui-ci, qui était responsable du camp mutiné, obligea son fils à ne rien toucher de ce riche fief et on n’en parla plus.

L’importation d’articles manufacturés. Les armes à feu.

 

  1. Nous avons déjà signalé que certains produits, soit d’Europe, soit d’Asie, avaient fait leur première apparition au Rwanda sous le règne de Yuhi III Mazimhaka (no 222-223). Aucune donnée ne permet de savoir si au cours des générations suivantes ces articles continuaient à arriver en tant que cadeaux des Rois du Bujinja, ou si un service de troc était organisé. C’est sous ICigeli IV Rwa-bugili que nous pouvons y voir parfaitement clair, du fait que le Gisalca, zone limitrophe du Bujinja, était désormais province du Rwanda.

 

A côté du Trésorier traditionnel de la Cour = Abanyabyuma, Kigeli IV créa une nouvelle section qu’il appela Urwunguko = le Surplus. Le fonctionnaire préposé à ce service était chargé uniquement de ces articles importés, tandis que le Trésorier traditionnel veillait à l’emmagasinage des produits indigènes. C’est le Chef de la province du Gihunya, au Gisaka, qui était d’office l’intermédiaire entre le Roi et le Bujinja pour ce commerce monopolisé (no 461). Kigeli IV envoyait du morfil, seul article exporté à cet effet. Le chef du Gihunya le livrait aux hommes du Roi Gashushuru, qui par mêmes porteurs, expédiait la contre-valeur, en étoffes de coton, surtout Kigeli IV  lui-même s’en-réservait la vente à l’intérieur du pays. Il se constitua des troupeaux de vaches acquis par cette voie et il en apanagea sa résidence de Kageyo. Une très belle génisse coûtait  un pagne de 5 coudées.

 

  1. a à garde-robe du Roi était bien montée ; il changeait ses vêtements plusieurs fois par jour, et il mettait parfois une gandoura. E avait une tente que dressait le nommé Misyano, venu du Busumbwe (actuellement en Tanzanie) pour cette unique fonction. Le Roi avait un large parasol =umutaka dans la langue actuelle, mais qui s’appelait à l’époque ijuru = le firmament. Dans les veillées des hauts faits, il buvait dans la bouteille= icupa dans la langue actuelle, mais à cette époque urusaro =grosse perle. Comme ces bouteilles étaient importées vides, les domestiques les lavaient soigneusement, et le Chef Rutebuka, fils de Katabirora, avait le privilège de goûter le premier au contenu de la bouteille pour se rendre compte qu’elle était bien nettoyée. Les héros qui s’étaient particulièrement distingués sur le champ de bataille avaient le priviège de consommer de l’hydromel en bouteilles devant le Roi.

 

  1. Grâce à ces opérations du troc, le Roi avait acquis une soixantaine de fusils arabes = makoba. Il en Méprisait l’usage mir le champ de bataille et ne les avait réservés que pour la chasse. Les guerriers qui en avaient été pourvus s’appelaient lbyinigili = les Cous-renforcés, et ils étaient sous les ordres de Runyange, Chef Muhutu de la province du Mirenge.

Mais à l’époque où le Bunyabungo se soumettait à lui, le Roi était vexé ‘de voir le Chef Kiraba le mettre définitivement en échec grâce à son refuge du Kanywilili. Il entendait parler d’une autre arme à feu bien plus puissante appelé umuzinga = le canon. On lui apprit qu’il suffit de pointer l’arme, qu’un  guerrier se hissât  dessus et déclenchât des tonnerres et des incendies. « C’est l’arme qu’il vous faudrait contre le Kanywilili », lui dit-on. Les informations à ce sujet provenaient de gens du Bishugi ; ils lui apprirent en même temps qu’une troupe d’Européens, qui en étaient pourvus, se trouvait dans la plaine de la Rusizi et se dirigeait vers le Nord.

 

  1. Il fut heureux de recevoir un messager de cette troupe, dont le Chef que les Rwandais surnommeront Kigufi= le Trapu, sollicitait libre passage vers le Nord. Ils avaient sans doute appris que le Roi guerroyait là devant eux et disposait de nombreuses armées. Ils auront cru qu’il était armé et redoutaient de l’affronter. Le Roi partit en personne à leur rencontre et les reçut dans la région du Bugarama, à la frontière Sud du Kinyaga. Ce n’était pas des Européens, mais des soldats noirs en guerre contre les Européens. Il sollicita de Kigufi le canon tant vanté, mails il n’en avait pas. Le Roi leur fournit des vivres et leur donna des porteurs. Ils remontèrent par la rive orientale du lac et continuèrent au-delà de la région des volcans. Pour qu’il se pliât avec tant de condescendance, il a fallu peut-être qu’ils fissent une démonstration avec leurs  armes, car leur fusils n’étaient pas des makoba. On devait s’en rendre compte sous peu, puisque le même Kigufi devait repasser par le Rwanda en semant la terreur sur son passage. A l’occasion de sa rencontre avec le Roi, il lui avait fait cadeau d’un âne = indogobe. Le pauvre baudet devait être rnangé plus tard par des hyènes à Sakara, dans le Gisaka.