L’échec de la S.D.N.

Au lendemain de la première guerre mondiale, les Puissances Alliées pensaient avoir trouvé dans la SDN le moyen de garantir définitivement la paix du monde sur la base de principes désormais universellement appliqués : égalité des Nations, règlement pacifique des différends, désarmement, solidarité pour le maintien de la paix et du progrès…

Malheureusement cette paix elle-même contenait déjà les causes déterminantes d’une nouvelle guerre : découpages territoriaux artificiels, minorités mal protégées et irrédentistes, charges de réparation de guerre écrasantes et volonté de revanche du côté des vaincus, dettes de guerre écrasantes du côté des vainqueurs, et par-dessus tout cela une Société des Nations qui était en réalité sans pouvoir et sans autorité.

En 1919, ne faisaient partie de cette organisation mondiale ni les vaincus de la guerre, ni l’Union Soviétique isolée par son régime révolutionnaire, ni même les États-Unis, dont le Président avait été le grand promoteur de la SDN, mais qui s’étaient finalement refusés à en ratifier le pacte, optant une fois encore pour l’isolationnisme. Dans la suite, l’organisation s’élargit progressivement de 32 à 54 membres : l’Allemagne y fut reçue en 1926, et l’U.R.S.S. en 1934…

Entretemps, la crise économique latente s’aggrava de plus en plus; le malaise, les rancœurs, les antagonismes s’accrurent; les affrontements locaux se multiplièrent. Tandis que, pour se rassurer elles-mêmes, les démocraties multipliaient les accords de désarmement, croyant pouvoir, en se privant de leurs propres forces, dissuader les volontés de revanche ou d’impérialisme. En 1928, soixante-trois pays signèrent un pacte, dit « Briand-Kellog », qui condamnait la guerre comme instrument des politiques nationales…

En 1929, le marasme de l’Europe endettée d’une part, et la surproduction incontrôlée des États-Unis d’autre part, provoquèrent soudainement la plus grave crise économique mondiale du siècle. De répercussion en répercussion, tous les pays du monde s’y trouvèrent bientôt plongés, et les troubles sociaux qui en résultèrent conduisirent plusieurs d’entre eux à la dictature militaire d’abord, et aux conquêtes impérialistes ensuite.

En 1931, le Japon, où la caste militaire traditionnelle avait pris le pouvoir, entreprit de se tailler un Empire en territoire chinois. Condamné par la SDN, il y donna sa démission. Et la Chine ne fut secourue par personne…

En 1935, l’Italie, où les fascistes de Mussolini, nostalgiques de l’Empire Romain, avaient pris le pouvoir, entreprit de se tailler un nouvel Empire en territoire éthiopien. Condamnée par la SDN, elle s’en retira à son tour. Et l’Éthiopie ne fut pas secourue…

En 1936, l’Allemagne, où les militaristes nazis de Hitler avaient pris le pouvoir, fit avancer ses troupes jusqu’au Rhin, en violation du Traité de Versailles. Deux ans plus tard, elle occupa l’Autriche puis la Tchécoslovaquie, tandis que l’Italie s’adjugeait l’Albanie. Et aucun des pays envahis ne fut secouru…

Vaincue en 1918, l’Allemagne ne rêvait plus seulement de restaurer son ancienne puissance; à présent, la folie des grandeurs de son Führer la menait tout droit à la domination de l’Europe toute entière. Quant aux autres pays de ce Continent, ils se refusaient à croire leurs propres yeux, accordant au régime hitlérien concession sur concession. L’un des marchandages menés secrètement à cette époque pour tenter d’assouvir les appétits de conquête de l’Allemagne hitlérienne présentait un certain intérêt pour le Rwanda. En 1938, l’Ambassadeur britannique à Berlin aurait proposé à Hitler, pour satisfaire ses besoins en matières premières, des avantages tout particuliers sur le bassin du Congo et sur l’Angola. Proposition que Hitler aurait accueillie en émettant des doutes sur son acceptation par la Belgique et le Portugal et en faisant remarquer qu’il serait beaucoup plus simple de restituer, par exemple, à l’Allemagne l’ancienne Afrique Orientale Allemande… Mais cette restitution n’était pas urgente. Elle pouvait bien attendre quatre ou cinq ans.

Le 1er Septembre 1939, l’Allemagne envahit la Pologne, s’attirant les déclarations de guerre immédiates de la France et de la Grande-Bretagne, toutes deux alliées des Polonais. La Belgique, quant à elle, déclara son intention de rester neutre dans le conflit.

Le territoire polonais fut sans tarder partagé entre l’Allemagne et l’U.R.S.S., devenue provisoirement son alliée, tandis que cette dernière entreprenait la conquête de la Finlande puis des États Baltes. En conséquence de quoi, elle fut à son tour exclue de la SDN.

En 1940, la guerre embrasa l’ensemble de l’Europe : le Danemark, puis les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg et la France furent envahis successivement. Et cette même année, fut signé à Berlin le pacte constituant l’Axe Berlin-Rome-Tokyo.

En 1941, les troupes allemandes s’attaquèrent aux steppes russes. Et l’attaque surprise des Japonais sur Pearl-Harbour, enfin, entraîna dans la guerre les États-Unis eux-mêmes, à présent convaincus que les Puissances de l’Axe risquaient de contrôler à la fois l’Europe, l’Afrique, l’Asie et l’Australie.

 Les répercussions de la guerre au Rwanda

Dès l’invasion de la Belgique, le Roi s’y trouva dans l’impossibilité de régner, et le Parlement dans l’impossibilité de se réunir. C’est en conséquence le Gouvernement belge lui-même, émigré en France d’abord, puis en Grande-Bretagne, qui, par interprétation de la Constitution, assuma par voie d’«Arrêtés-Lois » l’ensemble des pouvoirs exécutif et législatif.

La première directive donnée par le Gouvernement belge aux Administrations du Congo et du Rwanda-Burundi fut d’accroître à tout prix l’effort de production.

Dans les trois pays, tout fut donc mis en œuvre pour alimenter les Puissances Alliées en matières premières les plus diverses. Les exportations s’accrurent considérablement de telle sorte que l’administration fut bientôt amenée à instaurer une surtaxe douanière, afin de taxer les bénéfices exceptionnels réalisés en cette occasion. Au Rwanda cette surtaxe frappa notamment les exportations d’étain, d’or et de coton, etc., mais non celles de café.

Dans le pays, cet effort de guerre fut l’occasion d’une importante augmentation des ventes de viande de boucherie aux entreprises minières et commerciales. Plus de 100 000 têtes de gros bétail furent livrées à cette fin, pour moitié sur place et pour moitié au Congo.

En ce qui concerne les opérations militaires, le Rwanda, fort éloigné des zones de conflit, n’eut à y participer ni de près ni de loin. Son statut particulier ne lui permettait d’ailleurs pas de disposer de forces armées à d’autres fins que sa propre police locale et la défense de son territoire.

Par contre, deux corps expéditionnaires furent constitués par l’Administration belge à partir du Congo. Le premier participa en 1940 et 41 à l’offensive des forces alliées contre les troupes italiennes d’Éthiopie : il y gagna, à Saïo, une bataille qui entraîna la reddition des quelque 15 000 soldats italiens combattant au Sud du Nil bleu. Le second de ces corps expéditionnaires fut envoyé en Égypte, pour y être affecté jusqu’en 1944 à la protection des aérodromes et à la garde des prisonniers en remplacement de certaines troupes américaines.

L’éloignement des zones de conflit n’empêcha pas le pays de suivre de près le déroulement des opérations. Les premiers succès remportés par les armées nazies en Europe firent évidemment envisager l’éventualité d’une victoire allemande et d’une reconstitution de l’ancien Protectorat. Un certain flottement se manifesta parmi les vieux cadres, et l’ancien Mwami Musinga notamment, dans sa résidence forcée de Kamembe, retrouva espoir et ambition. Il s’enhardit bientôt à parler ouvertement de son retour au pouvoir; tant et si bien qu’un certain nombre de notables jugèrent prudent de se ménager ses faveurs et commencèrent à lui adresser en cadeau de l’argent, du bétail, des vivres… Le prestige du Mwami déchu renaissait peu à peu. Aussi l’Administration belge décida-t-elle de l’écarter du pays et de l’installer au Congo, à Moba sur le lac Tanganyika, pour s’y faire oublier.

 Ce même flottement se manifesta aussi, curieusement, dans le domaine religieux. Un certain nombre de vieux notables passèrent en effet au Protestantisme, escomptant on ne sait quel avantage d’une telle précaution.

 La victoire des Puissances Alliées et la naissance de l’O.N.U.

Les Nations qui n’avaient pas été atteintes par les premières agressions-éclairs se trouvèrent immédiatement alliées, d’abord pour affronter ensemble le danger, ensuite pour libérer les pays occupés, et enfin pour abattre les dictatures de l’Axe.

Ces Nations mobilisèrent toutes leurs énergies et leurs ressources pour renforcer leur potentiel de guerre, reconvertissant leurs industries pour produire des équipements militaires, des approvisionnements, des armes et des munitions. Ensuite, progressivement, elles passèrent à l’attaque. Ce furent, en 1942, les batailles de Midway, puis de Guadalcanal, dans le Pacifique; ensuite le débarquement en Afrique du Nord. Ce fut, en 1943, Stalingrad, puis la grande offensive russe; ensuite, les débarquements de Sicile et d’Italie. Ce fut le 6 juin 1944, le débarquement de Normandie; puis, le 5 août celui du midi de la France. Autant de batailles, autant de victoires.

Bientôt l’Italie fasciste se trouva submergée. L’Allemagne nazie, littéralement écrasée par les offensives alliées à l’Ouest et à l’Est, capitula le 8 mai 1945. Et le Japon enfin, repoussé d’île en île, puis matraqué par l’explosion des bombes atomiques d’Hiroshima et de Nagazaki, mit bas les armes à son tour, le 2 septembre 1945.

Les malheurs nés de la guerre avaient été immenses : 35 à 40 millions d’êtres humains tués, des millions d’autres blessés et mutilés, une somme de souffrances et de destructions morales que l’on ne pourra jamais chiffrer… Les dépenses de guerre, par contre, ont pu être évaluées : quelque 1100 milliards de dollars; de même que les dommages et destructions matérielles : plus de 2100 milliards de dollars…

L’excès des souffrances et des crimes, et la portée mondiale de cette guerre, furent une si terrible et si claire leçon pour l’humanité entière, que celle-ci arriva enfin à dépasser les nationalismes étroits et à acquérir un véritable sens international.

Et c’est ainsi que put naître, en 1945, une organisation internationale réellement digne de ce nom, rassemblant la presque totalité des Nations, désormais unies pour assurer la paix, la sécurité et le développement harmonieux de l’Humanité.

La Charte instituant l’Organisation des Nations Unies, signée à San Francisco le 26 juin 1945, entra en vigueur le 24 octobre de la même année.

Elle mettait en place une série d’organes nettement plus efficaces que ceux de la Société des Nations. Une Assemblée Générale d’abord, groupant tous les États membres à égalité de voix. Puis un Conseil de Sécurité, qui reçut la responsabilité directe et principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales. Composé de 11 membres à l’origine (15 depuis 1965), dont 5 permanents seuls à disposer du droit de veto, ce Conseil était organisé de façon à pouvoir fonctionner à tout moment. Ses membres devaient être en permanence représentés au quartier-général des Nations Unies à New York.

Parmi les autres organes internes de l’ONU, figuraient essentiellement un Conseil Économique et Social, un Conseil de Tutelle, et une Cour de Justice Internationale.

Le Conseil de Tutelle succédait à la Commission permanente des Mandats de la SDN. Il restait une simple émanation de l’Assemblée Générale qui pouvait à tout moment se substituer à lui. En fait, son rôle était d’aider l’Assemblée à assurer l’application du régime de Tutelle défini dans la Charte. Le Conseil réunissait, d’une part les États investis d’une administration de tutelle, et d’autre part un nombre égal d’États non investis d’une telle charge; les cinq membres permanents du Conseil de Sécurité devaient en faire partie d’office.

A côté de ces organes internes de l’ONU auxquels viendraient s’ajouter avec le temps des organes subsidiaires (UNICEF, PNUD, UNIDO, CNUCED, Haut-Commissariat aux Réfugiés, etc.), furent créées des institutions spécialisées : certaines entièrement nouvelles; d’autres reprenant les activités des institutions similaires de la SDN.