LA JUSTICE

Droit pénal.

  1. Vol de vivres et de petit bétail (Le vol se dit : ubujura ou ubwibyi. Le mot umujura désigne le voleur en général. L’umushimusi est le voleur de bétail et l’igisambo celui qui dérobe des vivres, des instruments, etc)
  2. a) Flagrant délit (mucyuho). Celui qui surprenait le voleur dans son rugo pouvait naguère encore le tuer impunément, mais si la victime du vol ne parvenait pas à donner au voleur le coup mortel à l’improviste et si les antagonistes en venaient aux mains, le voleur devait être traduit devant le chef de colline. Aujourd’hui, celui-ci fait appréhender le coupable présumé par quelques-uns de ses hommes, qui le ligottent et l’enferment en attendant qu’il soit traduit devant son tribunal. Les parents ou le shebuja du voleur peuvent toutefois offrir un présent (inshamugozi: litt:qui coupe la corde) au chef pour qu’il soit délié. Au tribunal, ils proposent au volé de lui verser l’ingurano (de kugura, racheter), indemnité qui n’est pas nécessairement de même nature que l’objet du vol; c’est ainsi, par exemple, que des houes peuvent être remises en cas de vol d’un panier de sorgho. Le volé réclame en plus l’nshacyuho (Littéralement : celle (la vache) qui coupe, délivre (le voleur) pour la brèche (faite dans le rugo)en vertu de la violation de son droit de propriété: elle consiste généralement en une houe.

 Si le voleur est pauvre, il arrive qu’un homme riche indemnise la victime du vol, mais il exige en retour du voleur des prestations en travail.

Jadis, si aucune intervention n’avait lieu en sa faveur, Le voleur devenait, même pour un temps plus ou moins long, l’esclave du volé(umugaragu– le racheté). Il était cependant bien traité par le maître et pouvait même, à sa libération, devenir son client.

  1. b) Vol non flagrant.

Dans ce cas, le volé fait faire une enquête discrète par une personne qui ne peut donner l’éveil. Dès que celle-ci a recueilli des éléments d’information, elle prévient la victime du vol, qui aidéede parents ou d’amis, va reprendre son bien et même davantage, ou bien arrête le voleur ou encore •avertit le chef, qui le fait appréhender. Le volé doit fournir au chef la preuve du délit (igihanga: litt. : la tête). Même si le volé s’est payé lui-même, le voleur doit lui verser l’umunanireprésentant huit fois la valeur du vol. Jusqu’au paiement complet de cette indemnité, le voleur reste enchainé et est même frappé, à moins qu’il ne donne l’inshamugozi. En outre de l’umunani, il est condamné à payer l’inshacyuho.

Le détrousseur de grands chemins (umwambuzi) est condamné à une peine corporelle et à rendre ce qu’il a pris.Le Mututsi qui, par impossible, volerait des vivres ou du petit bétail serait condamné aux peines ordinaires et, châtiment terrible, il serait mis au ban de la société mututsi, car ce vol le dégraderait, le ravalerait au rang des Bahutu.

 L’umugambanyi(indicateur, traitre) ne vole pas lui-même, mais envoie des abajura (voleurs) pour commettre le délit. Quant à l’icyitso, c’est celui qui donne aux voleurs les renseignements qui leur sont indispensables. L’umugambanyi est dépouillé de ses biens, lié et frappé jusqu’à ce qu’il ait payé l’umunani, puis il est chassé de la colline et son rugo est détruit ou donné à un autre homme. Le châtiment de l’icyitso est le même, excepté qu’il n’est pas tenu au paiement de l’umunani.

Celui qui a recélé une chose volée (Le receleur n’est pas désigné par un mot spécial. Recéler se dit : guhishira, cacher en faveur de quelqu’un) est puni comme le voleur. Celui qui a dissimulé un voleur aux recherches mais qui prouve n’avoir pas participé au vol est lié et bâtonné sans plus.

  1. Vol de gros bétail. Le volé qui surprend le voleur (flagrante delicto) n’est plus autorisé aujourd’hui à le tuer. Qu’il s’agisse ou non d’un délit flagrant, le tribunal de province est seul compétent pour connaître de l’affaire. En ce qui concerne les peines, il importe de distinguer plusieurs éventualités.

Celui qui s’est emparé d’une ou plusieurs têtes de bétail doit, restituer ce qu’il a volé. De plus il est contraint de présenter au tribunal huit bêtes (umunani) parmi lesquelles le volé peut choisir une vache y’icyuho, parce que le voleur s’est introduit dans son boma sans son autorisation. Il doit enfin remettre à la victime du vol une vache inguramaboko :litt :qui délivre les bras liés) pour acheter sa liberté.

Si le voleur a abattu ou vendu le bétail, il doit amener l’umunani pour permettre au volé d’y choisir autant de bêtes que celles qui lui ont été prises. De plus, il est obligé de donner une vache y’icyuho et une inguramaboko. Le volé doit fournir au tribunal la preuve du délit (igihanga). Si par exemple le voleur a abattu une bête, il incombe à la victime du vol de montrer les cornes de la bête tuée.

Si le ravisseur ne possède pas d’autres bêtes que celles qu’il a volées, sa famille paie l’ y’icyuho l’inguramaboko. Si elle ne possède pas de bétail ou refuse d’en donner, le chef de colline du voleur ou son shebuja paie pour lui, mais alors le voleur doit se racheter en travaillant pour celui qui est intervenu en sa faveur.

Si personne ne consent à payer pour le voleur, celui-ci est conduit devant le Mwami, qui demande à l’un des notables présents de le racheter, moyennant quoi le voleur s’acquitte de sa dette en travaillant pour ce chef.

Le Mututsi qui vole une tête de bétail est condamné aux peines ordinaires. Du temps du Mwami Rwabugiri, il arrivait même qu’il fût condamné à mort.

Le receleur de bétail volé est puni comme le voleur, aussi peut-il être parfois dépouillé de tout son troupeau.

L’obligation prévue par la coutume non seulement de restituer mais de payer en plus l’icyuho et l’inguramaboko n’a pas seulement pour but la réparation du dommage causé, mais vise de plus à punir sévèrement le délinquant pour lui inspirer une crainte salutaire.

Autrefois, il était fréquent qu’un chef razziât des troupeaux entiers. Il pouvait être condamné par le Mwami à rendre ce qu’il avait pris et à donner en supplément au volé un nombre plus ou moins grand de têtes de bétail. Le voleur était parfois aussi dépossédé de tous ses biens. Malheureusement, si l’auteur du vol était un parent ou un ami du Mwami, il arrivait souvent que le vol restât impuni.

Naguère encore, le voleur d’une vache appartenant aux troupeaux inyambo du Mwami était condamné à être empalé.

De même, un voleur de bétail pris pour la troisième fois perdait non seulement tous ce qu’il possédait, mais de plus était souvent condamné à mort.

 L’incendiaire (rutwitsi), après avoir été roué de coups, doit restituer la valeur de ce qu’il a détruit : Rugo, objets, vivres, etc. Sinon, il est dépossédé de son propre rugo et de tout ce qu’il contient au profit de la victime de l’incendie. Si l’incendie est involontaire, son auteur est condamné uniquement à des dommages-intérêts.

  1. Coups et blessures.

Si les coups qui ont été portés ont entraîné des blessures, l’auteur des faits n’est condamné qu’à une amende (icyiru) dont l’importance varie avec la qualité de la victime. C’est ainsi qu’un simple Muhutu messager ou umugaragu du Mwami peut recevoir tout un troupeau. En général un Muhutu ayant reçu des blessures se voit gratifié de l’indwaza (ltt: qui soigne), indemnité de soins consistant en une ou deux chèvres. Si l’auteur des coups est un Mututsi, il doit prêter une vache au Mobutu pour lui permettre de prendre le lait aussi longtemps que la bête peut en donner; le Muhutu reçoit un taurillon en pleine propriété quand il a rendu la vache.

  1. Meurtre.

Les affaires de meurtre étaient de la compétence exclusive du Mwami au temps où il avait le droit de vie et de mort sur ses sujets.

Si le meurtrier (gatozi) et sa victime appartenaient à la même classe sociale, le Roi ordonnait l’exercice de la vengeance privée (guhora : venger kwihorera : se venger), qui entraînait des conflits interminables entre familles et clans. Le Mwami pouvait toutefois faire retomber sur le meurtrier seul la responsabilité de son acte et les parents de la victime ne pouvaient alors recourir à la « vendetta ».

Si le meurtrier était un Muhutu et la victime un Mututsi, deux morts étaient exigées. D’autre part, si un Multutu avait été tué par un simple Mututsi, le recours à la vengeance directe était impossible, mais le Mwami pouvait abandonner aux parents de la victime un membre de la famille du Mututsi pour le tuer. Toutefois, si un Mututsi de quelque importance tuait un Muhutu, ni lui ni ses biens n’étaient inquiétés. Cette sentence inique n’indignait pas les indigènes, parce qu’elle état conforme au droit du pays et ils s’inclinaient devant elle.

Le droit de grâce n’existait pas. Le Roi avait toutefois la faculté d’arrêter la vengeance (guca inzigo : litt. : couper la vengeance) et d’offrir la composition à la famille du mort, mais seulement si celui-ci était un Muhutu, car les Batutsi n’admettaient que la réparation par le sang. Pour que le Roi consentît à reconnaître à la famille de la victime le bénéfice de la composition, il fallait évidemment que le mort ait été un homme important, qu’il ait été, par exemple, umugaragu du Mwami. En exécution de la sentence, le meurtrier devait donner aux parents de la victime un nombre important de têtes de bétail, trente et même plus parfois.

Si une personne avait perdu la vie au cours d’un incendie allumé par une main malveillante, le coupable (ou quelqu’un des siens) était décapité par un membre de la famille de la victime.

Les abarozi (sorciers), accusés d’avoir causé la mort d’un homme par leurs maléfices, étaient aussi punis de la peine capitale. Si le meurtrier se réfugiait dans le rugo d’un chef, il trouvait là un asile inviolable. C’eût été en effet un manque de respect à l’égard de l’autorité que de tuer un homme chez le chef et les justiciers auraient pu être mis à mort par ce fait. Mais le chef amenait alors le meurtrier devant le Mwami.

  1. Cas spéciaux.

Les affaire d’une exceptionnelle gravité étaient  soumises obligatoirement an Mwami. Le crime de lèse-majesté valait naguere encore la peine capitale à son auteur. Les bourreaux batwa étaient chargés d’exécuter la sentence par étranglement (guhotora), par la lance (gutera icumu), par la bastonnade (gukubita inkoni), par la hache (gukubita intorezo). Le coupable pouvait être aussi précipité dans un gouffre situé dans le Rugessera (près de Nyanza), après avoir été étranglé, ou bien encore il était aveuglé à l’aide d’un fer rouge (Un chef des environs d’Isave, appelé Kayijuka, eut les yeux brûlés pour avoir montré Nyirayuhi, mère du roi Musinga, à un missionnaire. A cette époque, la coutume du pays n’admettait pas, en effet, que les femmes nobles puissent être vues par des étrangers).

Les faiseurs de pluie (abavubyi) convaincus d’imposture étaient noyés dans le lac Mugesera. Les jeunes filles reconnues enceintes subissaient parfois le même sort.

  1. Homicide Involontaire.

A la chasse, il arrive qu’untraqueur ou un chasseur dissimulé dans un fourré épais soit confondu avec un gibier ou un fauve et soit tué par une flèche. Ces accidents sont réglés de la façon suivante :

Si une flèche, après avoir blessé une bête, tue un homme, la responsabilité du tireur n’est nullement engagée.

Si une flèche destinée à une bête manque son but et tue un homme qui avait pourtant signalé sa présence, le tireur maladroit est considéré commeun meurtrier et le droit de vengeance est acquis à la famille de la victime. Toutefois, si le meurtrier peut faire la preuve que le signal n’a pas été fait par la victime, sa responsabilité est dégagée. De même, il peut plaider non coupable devant le tribunal du chef de province ou du Roi en faisant valoir, avec l’assistance de témoins, que par la suite des cris, du grand nombre de signaux émis au même, il ne lui a pas été permis d’entendre le sifflement d’avertissement de la victime ou encore que celle-ci s’est déplacée après avoir lancé le signal convenu.

Si les déclarations du plaideur sont reconnues fondées, le tribunal déclare que la victime a péri par suite de son imprudence ou d’un accident dont le meurtrier ne peut être rendu responsable, et  il met celui-ci définitivement hors de cause.

  1. Imputabilité et responsabilité.

Sauf le cas où le coupable et la victime sont d’un rang social différent, la gravité de la peine infligée correspond à une infraction déterminée et il n’est pas tenu compte de circonstances atténuantes ou aggravantes, sauf quand il s’agit de vol de denrées, auquel cas le juge doit s’assurer si le mobile de l’infraction est la faim ou une intention voleuse.

Les enfants qui commettent un délit sont fouettés. Quant aux délinquants privés de raison, ils sont enfermés et entravés.

La riposte est considérée comme légitime en cas d’attaque injuste. Jadis, si l’agresseur était tué, l’individu en état de légitime défense demandait au Mwami d’intervenir pour arrêter les représailles de la famille de l’auteur de l’attentat. Le Roi interdisait alors l’exercice de la vengeance privée.

  1. Prescription

La prescription de la peine, comme celle de l’action publique, est inconnue dans le droit coutumier du Ruanda.