{:fr}L’Idée Du Kubandwa, Une Religion à Mystère.

 Outre Imana, outre les ancêtres de famille et de clan, outre les an-ciens rois et, les héros nationaux, le Ruandais révère les Imandwa et particulièrement leur inwami Ryangombe, des bazimu de qua-lité et dignité supérieures, des pa-trons glorifiés dans un monde meilleur ils sont de même nature que les ancêtres, mais au lieu de protéger exclusivement leurs parents par le sang, ils secourent indistinctement tous ceux qui les invoquent, qui se sont fait de leur, clan par affiliation et adoption.

Le terme général par lequel on désigne l’acte  indéfiniment renouvelé d’offrande de soi qui constitue l’hommage essentiel de leur culte, est kubandwa. Ce terme exprime étymologiquement ce qu’il signifie. Il vient du verbe kubanda, « faire pression sur, bousculer, saisir» et en est la forme passive. Kubandwa marque donc l’état d’une per= sonne qui est possédée d’un esprit, surmontée, par lui. C’est l’effet de la consécration. L’Imandwa invoqué s’emploitparce de qui se voue à lui : en fait sa chose et comme son suppôt. Cette même idée est rendue, avec plus de précision encore, parguhangwaho, que traduit exactement le mot « possession » au sens mystique, possession prophétique ou possession diabolique. Il est dérivé du radical guhanga « créer » ; ho est la préposition « sur ». Il suggère l’image d’une puissance supérieure fondant sur une créature infirme et la recréant par l’infusion d’une vie nou-velle. Le kubandwa est précisément cela. C’est une religion qui prétend faire de l’initié un homme nouveau, un imandwa, sur le type, dans l’esprit, dans la dignité et avec les privilèges de l’Imandwa transcendant.

Les lecteurs familiarisés avec l’histoire des religions reconnaîtront clans ce raccourci schématique un succéda-né des religions à mystère, telles que Rome les connut aux alentours de l’ère chrétienne et que seul le mystère chrétien, après des efforts séculaires, parvint à évincer, mystères d’Isis, d’Eleusis, de Mithra. Là aussi il s’agissait d’une assimilation du myste à la divinité protectrice par un sacrement d’initiation.

  Le Salut Assuré Par Les Imandwa Pour La Vie Présente Et Pour La Vie Future.

L’effet du kubandwa c’est de donner à l’adepte une assurance ferme de salut individuel. Le terme de salut ne doit pas s’entendre — il va de soi — au sens spirituel et chrétien du mot : affranchissement de l’esclavage de la chair et du péché, élévation morale jusqu’à la ressemblance avec la perfection infinie. Salut doit s’entendre ici au sens charnel, séculier, terre à terre, si l’on veut, d’un secours positif contre les maux

de la vie présente, embûches des bazirnu grincheux et maléfices ténébreux, en sorte que l’on puisse courir sa carrière d’homme dans la paix à l’abri de contrariétés et d’afflictions excessives. En outre, les Imandwa patrons jouissant dans l’autre monde d’une félicité sans mélange, le kubandwa donne des titres certains à une participation entière à leur heureuse destinée. Inutile d’ajouter que cette félicité s’entend de joies toutes sensibles et n’a rien de commun avec la vision béatifique des élus chrétiens. Nous restons ici sur le plan du paganisme, le paradis rouandien est tout au plus un jardin des Hespérides, les Champs osiriens de Ialou. Le kubandwa est donc, comme les mystères antiques, une religion de salut.

La Glorification Des Imandwa, Fondement De L’Espérance Dans Le Kubandwa.

Cette espérance de salut est fondée sur une manière de révélation. Le kubandwa a des prétentions àêtre une religion positive. Il se réclame d’une tradition historique. Sa croyance porte sur les gestes et la destinée de personnages qui ont vécu et qui sont morts sur la terre du Ruanda, qui survivent et sont glorifiés, non seulement pour leur avantage personnel, mais encore pour celui des terricoles qui les reconnaissent et les avouent.

Le thème général commun à l’assise historique de tous les mystères c’est celui de la passion, de la mort, du retour à la vie, de la glorification d’un Dieu ou d’un héros, – Osiris, Adonis, Attis, Dionysos, — principe et modèle de la destinée des mortels qui se sont affiliés à lui. Ce thème fondamental est traité de cent manières différentes. Voici, réduit à ses lignes maîtresses; le mythe de Ryangombe et des Imandwa, fait dogmatique objet de foi dans le kubandwa.

Un seigneur indigène, nommé Ryangombe, homme de la hutte, chef de clan, dont les sujets, parents, clients, domestiques,bref la familia ou mesnie, constitue le collège dit des Imandwa, est en train de perdre au jeu non seulement sa fortune, mais son rang et jusqu’à son titre de mwami des Imandwa. Son adversaire, un roturier du nom de Mpumutimucunnyi, est sur le point de le supplanter, lorsque surgit un sauveur, qui, lui indiquant les bons coups, le fait gagner, et l’arrache à une ruine pitoyable. Ryangombe reconnaît en lui son propre sang, un fils, Binego, qu’il n’a jamais vu, auquel, en retour, il promet sa succession. Dès lors, il règne en paix, faisant le bonheur des siens, les Imandwa, qui lui vouent un attachement plus fort que la mort.

Son destin était vraiment fatidique. Il meurt d’un accident de chasse. Un buffle, qu’il croit avoir abattu, se redresse soudainement et lui enfonce sa corne dans l’aîne. Les Imandwa; inséparables de leur chef, se tuent sur son corps, se précipitant l’un après l’autre sur les cornes de la bête prostrée, mufle enfoncé dans le sol.

Ryangombe et ses suivants, revenus à la vie comme bazimu, prennent possession d’un domaine qu’Imana leur a réservé sur les pentes du Muhabura, une des montagnes de la chaîne des Birunga. Cet Eldorado tient à la fois des Champs Elysées, séjour des bienheureux, et de l’Olympe, palais des Dieux. Les Imandwa y coulent des jours exempts de misère, agrémentés par le pombe (inzoga ndlr), les danses, la chasse. Ryangombe a le pouvoir d’y accueillir tous les trépassés, il les y convoque, n’exigeant d’eux que la foi en lui, suivie d’une initiation à sa secte.

Un lieu de supplice attend les mortels qui l’ont ignoré ou qui ont dédaigné son invitation. Un de ses voisins dans sa seconde demeure, le mont Nyiragongo, ou le génie qui le personnifie, l’ayant défié, il l’a défait, s’est emparé de son domaine qu’il a transformé en volcan en y jetant des charbons ardents. Il l’a consigné dans ce tartare, et il lui expédie les humains dont il a prononcé la damnation.

Telle est sa puissance, et voici la consigne qu’il a donné aux hommes avant de les quitter, en manière de testament spirituel

L’Institution Du Kubandwa Par Ryangombe Mourant ; Son Caractère Universaliste.

Adossé à une érythrine corail, qui devient son arbre enseigne, ayant rassemble autour de lui tous les Imandwa, hommes et femmes, parents et domestiques, il prononce les paroles mémorables suivantes, qui constituent la charte de fondation du kubandwa, dogme et société :

« Le mututsi — le noble — qu’il m’invoque ! Le muhutu — le roturier — qu’il m’invoque! Le mutwa — l’esclave paria — qu’il m’invoque ! Le garçon qu’il m’invoque ! La fille qu’elle m’invoque ! L’enfant qu’il m’invoque ! Tous qu’ils m’invoquent! ».

Ryangombé apparaît ici non seulement comme l’instituteur et le législateur d’une religion, mais encore comme l’objet même de cette religion, puisqu’il réclame pour lui un culte et que ce culte est exprimé par le terme, de gusenga, usité spécialement pour l’hommage rendu à Imana. Ce n’est cependant là qu’une apparence, car Ryangombe n’est, dans la foi des fidèles, qu’un muzimu, un esprit de trépassé, le plus grand de tous, auquel on confère le titre de Kizimu, le préfixe ki étant un augmentatif d’excellence. Un adage théologique fixe la croyance sur la qualité de sa personne. « Il n’est pas Imana ; il a eu Imana pour lui » — Si Imana, aliko yagize Imana. Il faudrait donc entendre que Ryangombe est une créature exceptionnelle, à qui Imana a donné tout pouvoir sur les vivants et sur les morts.

Ce qui est mis vigoureusement en relief dans les paroles institutionnelles placées sur les livres du prophète, c’est le caractère égalitaire, universaliste, vraiment humain, de la société ou église qu’il fonde. Tous les hommes paraissent y être appelés, sans distinction de race, de condition, de classe, de sexe, d’âge, on pourrait presque ajouter de nationalité, — tous individuellement, parceque tous ont droit à la paix et au bonheur. C’est là un des traits les plus caractéristiques des mystères classiques.

Lacunes Ou Incohérences Du Mythe: Ryangombe Exerce Des Pouvoirs Divins, Quoique De Condition Humaine.

Ce que le mythe omet de nous dire c’est le pourquoi et le comment de l’exaltation de Ryangombe et de ses disciples, et en vertu de quelle autorité il parle et agit de la sorte. Il réclame pour lui des honneurs divins, et décide comme Dieu du destin des hommes, et il n’est pas Imana. Si sa grandeur et sa puissance sont une délégation d’Imana, le mythe reste muet sur les circonstances et les motifs de cette commission inconditionnée. Rien d’aillleurs dans la vie et la mort de Ryangombe ne la justifie, rien chez lui du héros, du serviteur de Dieu et des hommes, du mutabazi. C’est là une lacune et une illogicité.

Les mystères de l’antiquité classique n’ont point heurté à cette incohérence. Les fondateurs, sujets de l’espéran-ce des mystes et objet de leurs hommages, sont des Dieux Immortels. S’ils ressuscitent après une vie mortelle, s’ils entrent dans la gloire, s’ils distribuent à leurs dévots des biens et des maux, c’est la logique même, puisque par dé-finition ils peuvent tout ce qu’ils veulent. Ce faisant, ils usent simplement de droits qu’ils tiennent de leur origine céleste. Il n’en est pas ainsi pour Ryangombe et les Imandwa, simples créatures. Si on leur donne le titre d’« Enfants d’Imana » — Abana b’Imana, et même d’Imana, c’est seulement par antonomase pour leur faire honneur.

Il se pourrait que cette faille n’existât point dans le mythe primitif de Ryangombe, au point où il a pris naissance. Telle tradition qui veut que le prophète n’ait eu ni père ni mère, serait favorable à cette hypothèse. Comme Mugasa, dont nous parlerons bientôt, Ryangombe aurait été un dieu, ramené par les créateurs du mythe à la condition d’un « grand esprit » — kizimu.

Adaptation Du Kubandwa, Etranger D’Origine, Aux Conditions Du Milieu Familial Et National.

Tels les mystères orientaux à Rome, le kubandwa est un immigré au Ruanda, un étranger naturalisé. Il est en vigueur hors du pays chez tous les peuples limitrophes sous des noms identiques,quelquefois différents. Les Imandwa s’appellent aussi Bachwezi au Bunyoro et Toro, Lubalé en Uganda, Babandwa au Bunyabungo, Bishegu en Urundi —Les personnages ne sont pas toujours les mêmes, bien que les plus considérables, Ryangombe, Binego, Mugasa, Kagoro, Muzana, ainsi qu’on le verra ci-dessous, se retrouvent en ces diverses patries : le système religieux, lui, est partout foncièrement identique. Il s’agit toujours d’une religion à mystère, superposée aux autres, faisant abstraction de la famille, du clan, de la nation, quasi cosmopolite.

Mais partout aussi le kubandwa se nationalise. D’importation étrangère il prend sur place une couleur régionaliste ; son mythe se diversifie dans ses épisodes ; il situe les personnages dans le territoire et fait intervenir pays, rivières, sources, montagnes du lieu et même quelques souvenirs de l’histoire nationale, si bien que des observateurs non prévenus seraient induits à le tenir pour aborigène. Il s’est accommodé au régime de la famille patriarcale. Les Imandwa célestes deviennent pour les clans des frères de sang, des parents, ils ont des égards pour l’ancêtre en chef et ne cherchent pas à le supplanter, la famille compte simplement un ou plusieurs protecteurs de plus. L’arbre de Ryangombe, l’érythrine, aux fleurs rouges sous lequel se célèbrent les initiations, se dresse en, bordure du kraal et à proximité des mararo, sanctuaires des bazimu domestiques. Une veuve fait initier son jeune fils pour continuer une tradition, pensant plaire par là au muzimu de son mari défunt, le plaçant sous l’égide de l’Imandwa que le père avait précisément choisi pour patron. Des relations nouvelles de familles se sont ainsi ajoutés aux précédentes, se greffant sur elle, sans leur nuire et les violenter.

La Cour elle-même a fini par s’accommoder de la présence des intrus. Le kubandwa y est représenté par le collège des impara, dont le chef, dit « mwami w’Imandwa », est à la nomination du prince : c’est même parfois un des fils du monarque régnant. Des membres de la famille royale, les épouses non exceptées, reçoivent l’autorisation de se faire initier. On passe outre à la crainte que les héros étrangers fassent pâlir les étoiles de la dynastie royale, rois, reines, collatéraux abatabazi. Cependant une règle constitutionnelle écarte radicalement du trône tout initié. Celui qui, la méprisant, s’emparerait de force de Kalinga, serait tenu pour illégitime par les traditionalistes rigides. Cette incompatibilité entre la royauté et la profession du kubandwa est un indice que le kubandwa n’appartient pas à la tradition nationale primitive. Il existe, par surcroît, des clans nobles, et des plus considérés, qui s’abstiennent systématiquement de s’y agréger.

En dépit de ces oppositions, le kubandwa, grâce à d’opportunes adaptations, a fait la conquête de la presque unanimité de la population, à cette réserve près que l’initiation est retardée chez un grand nombre pour des raisons d’âge ou de pénurie de ressources. En raison de sa popularité on peut le dire national : Ryangombe passe aux yeux de presque tous pour le génie tutélaire de la patrie.

Aperçu Critique Sur Le Cycle De Légendes Des Imandwa.

Nous réservons pour le chapitre suivant la description du culte, qui l’emporte en éclat sur celui des bazimu de famille et de clan. Ici nous voudrions faire connaître les figures principales de la troupe des Imandwa, préciser leur nature, leurs caractères propres, leur origine, pénétrer le secret de la composition des notices fabuleuses qui leur ont été consacrées. Ces personnages nous sont révélés par une sorte de Légende dorée, par un cycle de romans, du genre de celui des Chevaliers de la Table ronde, aussi et surtout par des drames liturgiques qui les mettent en scène et les font parler chacun dans leur rôle et leur caractère .

Les Imandwa forment un cénacle d’une trentaine de personnages, groupés autour de Ryangombe, présentant l’aspect d’un clan indigène, maîtres et serviteurs, auxquels s’ajoutent des animaux domestiques et des animaux de chasse personnifiés. On voit donc figurer dans l’épopée et dans le drame le père et la mère du héros, ses épouses et ses concubines de rencontre, ses fils Binego et Ruhanga, sa soeur Nyabirungu, son demi-frère Kagoro, sa demi-soeur Nyakiliro, son gendre Mugasa, ses piqueurs et veneurs, les compagnons de ses chasses, Mashira, Mutwa, Muhima, Munyoro, son peaussier Gihazi, son vacher Serwakira, ses devins et magiciens Gacamutwe, Ruhambo, Buhoha rwa Bunengo, ses servantes Muzana et Nkonjo, sa vache Rumana, ses chiens, dont une demi-douzaine sont nommés, le Lion — Intare, un grand rapace — Gisiga, genre vautour. Chacun de ces personnages a son caractère, en général fortement buriné, même les animaux, comme dans Chantecler de Rostand il figure avec son costume et ses gestes propres, débite son rôle sur la scène comme dans un théâtre de la nature. Nous ne présenterons que les plus marquants et les plus significatifs.

Les Imandwa Animaux : La Vache, Le Lion, Le Vautour.

L’identification des animaux est la plus facile et la moins contestable. Elle projette la lumière la plus crue surl’esprit qui a présidé au groupement de ces dénominations pseudo-divines et à l’affabulation du roman. Les rites et les formules qui figurent dans la liturgie de ces Imandwa ne laissent aucun doute qu’il s’agisse, non de personnes humaines affublées de noms de bêtes, mais bien de types d’animaux béatifiés, comme en Egypte, pays classique de la thériolâtrie.

Dans le drame liturgique, le ministre officiant qui joue le rôle de Rumana, la Vache type, en vue de l’honorer et d’attirer sa grâce, entre dans sa personne et la mime. Il se met à quatre pattes, beugle comme elle, s’avance jusqu’au baquet — muvure — contenant de la bière, boit à longs traits, tandis qu’un comparse promène sur ses flancs un chasse-mouche. On chante : « Eh! Rumana ! es-tu repue, es-tu satisfaite ? » L’ode qui lui est consacrée contient le couplet suivant d’une couleur locale si prononcée :

Sur les monts de Ngendo est le séjour de Rumana. Aux sources de Kimana est le séjour de Rumana. Sur l’argile blanche — ingwa— de Ngamba est le séjour de Rumana. Rumana a bu, Rumana est montée de l’abreuvoir. Rumana s’est désaltérée, enfants d’Imana.

L’admission de Rumana, telle l’égyptienne Hâthor, dans le cercle des Imandwa ne saurait surprendre chez un peuple d’éleveurs, où les bovins représentent la grande richesse.

Le lion et le rapace se rapportent à la chasse. Le dévot à Intare, roi des fauves, « marche sur les pieds et les mains, parcourt le kraal dans tous les sens en rugissant, s’attaque de préférence aux enfants qu’il soulève et projette en l’air comme les lions font parfois de leur proie, mord les chiens, qui par leurs aboiements montrent queles dents ne restent pas seulement à fleur de peau ». Le dévot à Gisiga pousse « des cris de vautour ».

Les Imandwa Types De Classes Sociales, Le Noble, Le Roturier , L’Ilote.

Les Imandwa sont bien des espèces animales. Les suivants sont des types d’hommes, des personnifications de castes, des trois castes de la contrée.

Muhima représente les Bahima, nom primitif des Batutsi, par conséquent la noblesse c’est aussi le nom du héros éponyme de la tribu hamite qui a émigré du Nkolé au Ruanda. Munyoro est le nom du cultivateur du Bunyoro, pays confinant au Ruanda au delà de l’équateur : il personnifie le noir muhutu du commun, le roturier. Mutwa est l’ancêtre supposé des Batwa, c’est-à-dire des négrilles ou pygmoïdes, que l’on rencontre à l’état de familles éparses dans toute la région des Grands Lacs.

Que ces trois Imandwa ne soient pas des êtres concrets, mais bien des types représentatifs des trois races, les motets suivants relatifs à Mutwa le prouvent surabondamment. Ils peignent le personnage sous ses traits traditionnels de gitane bellâtre et servile, goinfre et chapardeur, gouailleur et cynique. Un des acteurs le campe en trois mots :

« Aboyeur efflanqué, chien de couleur, il maraude dès l’aurore. Chez sa mère c’est lui qui balaie. Les incongruités sont dans son style. »

Lui-même prend la parole. Son langage est celui du nain bouffon chez les grands. Il veut pour lui toute la bière, posée au centre du cercle dans la société,il cherche par de grosses plaisanteries à en dégoûter les autres. « Alons, maman ! Vive le mousseux et la mangeaille! J’aime bien le noble : chez lui on peut vivre en pique-assiette… Arrêtez ! Cette bière est détestable. Le fond du pot est doux, tout juste comme du poison. Vous sentirez l’aigreur dès la première lampée. Rien d’étonnant : un rat s’y est laissé choir. Rassurez-vous, il y a cuit. Sans quoi la liqueur serait plutôt amère.

C’est bien le persiflage, l’ironie truculente d’un fou de palais. Le Mutwa bateleur est pris là sur le vif. Etrange façon de se concilier la faveur d’un patron que de le singer jusque dans ses paillardises !

Les Imandwa Concrets De Provenance Etrangère : Kagoro, Mugasa, Muzana, Nkonjo, Nyabirungu.

Les précédents Imandwa sont des espèces animales et des classes sociales. Les suivants sont des personnages concrets, étrangers naturalisés, qui portent, quelques-uns du moins, dans leur nom l’indice de leur provenance, et qui dans leurs pays d’origine sont pour la plupart honorés comme des dieux.

Kagoro au Bunyoro et dans l’Uganda est un dieu Tonnerre, il répond au ruandais Nkuba, le « Roi du ciel ». Il est le plus populaire des Lubalé : son nom est sur toutes les lèvres. Au Ruanda il fait son entrée dans la famille de Ryangombe en devenant le frère utérin du chef. Ses hymnes le représentent comme un vrai « foudre » de guerre.

Mugasa vient, lui aussi, en droite ligne de l’Uganda. Son nom est celui de l’habitant de Bugasa, îlot de l’archipel de Sésé dans la partie nord du lac Victoria Nyanza. C’est un dieu Neptune ou Eole, honoré d’une hutte basilique à Bugasa. Les Bahaya, lorsqu’ils voient approcher un ouragan issu du lac, disent que c’est le « bras de Mugasa » — mukono gwa Mugasa. Il est, lui aussi, un Lubalé. Au Ruanda, il est devenu « passeur » sur la Rusizi, la rivière au cours rapide par laquelle le Kivu se déverse dans le Tanganyika. Il a donc conservé ses accointances avec l’eau. Révéré par les Bashi au Bunyabungo, il y a pris des façons en harmonie avec celles que le populaire prête aux rustres de ce pays. Ryangombe lui a donné une de ses filles en mariage pour le rémunérer de ses services à la guerre. Mais, empestant l’huile de ricin, il écoeure sa jeune femme, qui, dès la première nuit des noces, s’évade du domicile conjugal et se jette de désespoir dans le Kivu. D’après une autre version le suicide aurait été provoqué par les brutalités du batelier. Son monologue fait de lui un poisson, un déluge, un fléau de Dieu. Le Mwogo dont il est question, source de la Nyabarongo, est avec la Rukarara le Nil à ses plus lointaines origines. Mugasa plastronne héroïquement par la bouche de son adulateur, devenu son sosie.

« Je suis celui qui dors, tapi près de la rive, entre deux eaux. Je suis celui qui creuse, les ravins profonds, celui qui attelle ensemble les collines comme des boeufs, je suis le taureau des passeurs. Par moi le Mwogo enfle et déborde. De la Nyabarongo, faible ruisseau, je fais un torrent. J’étends ses eaux sur la plaine riveraine comme le laboureur sa moisson sur son aire au soleil ardent. Au Kisaka, dans l’Urundi, au Bunyabungo, je razzie tout, je ravage tout, je fais table rase de tout ». Le miles gloriosus de la comédie latine est enfoncé.

Muzana nous repose de ces fanfaronnades. Son nom signifie « esclave » dans la région du lac Albert, et correspond au kinyarwanda muja. Elle compte au nombre des Bachwézi ou Bunyoro et joue dans la troupe le rôle de domestique. On l’invoque dans le pays sous le nom allongé de Nyabuzana. Elle est figurée dans les demeures par une motte de terre posée sur un bourrelet de spart, surmontée d’un panier avec badine, le tout protégé par une couverture. Elle est la personnification de la servante humble et fidèle. Elle garde ce caractère parmi les Imandwa du Ruanda. La rubrique prescrit, pour celui qui tient son rôle, de se munir d’une baratte remplie de crème, de faire du beurre en la secouant et de boire le petit lait, en chantant : « Puissé-je, maman, avoir lait, miel et calebasse ! Qu’on me donne de quoi me faire du beurre ! » A quoi le choeur répond : « qu’on lui apporte des herbes et du lait écumeux ! C’est elle qui sème les ignames. »

Ruhanga est le vocable de l’Etre suprême chez les Banyoro et les Banyankolé. Le nom signifie « Créateur » par là il est un prédicat d’Imana. Ruhanga figure comme Bishégu dans l’Urundi, comme Lubalé dans l’Uganda sous la forme allongée Nyamuhanga : au Ruanda il est devenu un des fils de Ryangombe.

On suggère l’identification de la Nkonjo du Ruanda avec la Nyabakonjo du Toro, de Nyabirungu avec Rungu des Bahaya. Ce dernier Imandwa change de sexe suivant les légendes. En tant que femme au Ruanda elle est fille de Ryangombe et épouse infortunée de Mugasa. L’ode qui la loue, encore jeune fille, a une saveur d’idylle et de pastorale. On s’accompagne du son d’un grelot en chantant :

« Nyabirungu est une petite voix sur les monts de Ngendo, telle la voix d’une fiancée qui chemine, réservée et discrète. Nyabirungu c’est le grelot de Senkobwa. Quand elle badine au fond du ravin, l’éclat de son rire monte jusqu’au faîte de la colline ».

Un Imandwa Rouandien De Roche, Mashira

Avec Mashira nous sommes en pays de connaissance. C’est le fameux archonte-enchanteur, le muhinza du Nduga, un muhutu pur sang. Il est fils du Tonnerre — Nkuba — et petit-fils de Sabugabo.

Il porte comme insigne une lance de fer tout d’une pièce — igihosho, attribut de griot et symbole de force. Il abdique quelque peu ses fonctions de magicien en faveur de Kibongo, de Rubamba et d’autres augures officiels de la troupe, il se souvient surtout de sa dignité de chef guerrier d’un état canton. « Mashira de Sabugabo, dit son éloge, c’est un homme qui tue de la droite tandis que de la gauche il ôte au vaincu ses dépouilles. C’est un fils de preux ». Quelque déformée que soit ici sa légende originelle, on ne peut hésiter sur son identité. Il est le seul parmi les Imandwa dont on puisse affirmer « avec certitude qu’il est natif du Ruanda, qu’il appartient à l’histoire préhamite ou à ce que l’on’ tient pour tel.

  Ryangombe, Mwami Des Imandwa, Image Du Doux Imana.

Pas plus que les précédents Ryangombe n’appartient exclusivement au Ruanda. « Roi des Imandwa » dans ce pays, il l’est dans l’Urundi des Bishégu sa situation est identique, sauf qu’ici il a fusionné avec Kiranga. On peut croire que celui-ci est l’aborigène et Ryangombe l’immigré. C’est un cas de syncrétisme. Au Bunyabungo chez les Bashi il garde la première place et Binego son fils a la seconde. Au Buhaya entre la Kagera et le lac Victoria ainsi que dans l’Uganda, il n’occupe que le second rang, le premier étant dévolu à Wamara, « roi des Lubalé », dont il n’est que le lieutenant, tout comme Kiranga, ici distinct de lui. Nous suivons Ryangombe jusque dans l’Unyamwézi entre le lac Victoria et Tabora son nom y est donné, ainsi que celui d’Imana, aux victimes que l’on offre aux mânes.

Quel est le point de l’Afrique des Grands Lacs où son culte a pris naissance et d’où il s’est répandu en tache d’huile dans toute la contrée aux alentours ? Personne jusqu’à présent ne s’est appliqué à le rechercher. Il va de chaque pays le réclame pour sien. L’Urundi, par, exemple, le fait naître à Ngozi, dans une province qui confine au Ruanda.

Au Ruanda les versions les plus diverses, les plus contradictoires, circulent sur son origine, ses antécédents, ses relations avec le groupe des Imandwa, sa fin. Pour certains il n’est pas né : il serait donc un être divin, intemporel, descendu du ciel en terre, pour d’autres, il est de père et mère inconnus, certains le font venir de l’étranger, du Karagwe ; au Kinyaga on le tient pour originaire du Ndorwa. Les Bagoyi affirment qu’il est à eux autant par sa naissance que par la mort. Certaines légendes font de lui un roi du Muhabura,le volcan éteint des Birunga, où il sera transporté après sa mort et régnera jusqu’à la consommation des siècles. Le centre et le midi du Ruanda le tirent à eux, ils le font naître de Babinga, fils de Nyundo, mwami de l’état canton de Nyakale, en résidence  à Kabingo.

Sa mère, Kalimulore, alias Nyabirezi, se métamorphosait à volonté en lionne dévorant les vaches. Il serait mort à Nyabikende de Kavumu dans le Bwanamukali, non loin de la station de Kansi.

Mêmes divergences, allant jusqu’à l’incohérence, au sujet de sa situation et de son rôle parmi les Imandwa. Il est officiellement leur fondateur, et nul d’entre eux cependant ne lui survit pour perpétuer l’institution : Binego qu’il désigne pour lui succéder se tue sur son corps ainsi que ses compagnons.

Même diversité dans la façon de raconter sa mort et d’en présenter les causes. La substance de l’événement est commune à toutes les relations : le mwami des Imandwa est mort victime d’un accident de chasse ; il a été embroché par un buffle, il expire au pied d’une érythrine corail – umuko – qui devient son arbuste, celui sous lequel se célébreront plus tard ses initiations. Les variantes portent sur les motifs et les circonstances de la catastrophe. Les uns racontent qu’il partit à la chasse pour donner satisfaction à sa dernière femme, fille de l’illustre roi du Ruanda Ruganzu Ndori, Nyanzige, qui lui avait demandé une peau de buffle pour en faire un moïse portatif – ingobyi – à son nouveau-né. Ses grands fils rendent responsables de l’accident leur marâtre; ils la mettent à mort pour le venger : ce qui n’empêche pas Nyanzigé d’être élevée au rang de libératrice – umutabazi – et de prendre place parmi les Imandwa. D’autres disent que le roi des Imandwa est sorti avec ses chiens simplement pour satisfaire son goût des grandes battues, et cela en dépit des sinistres pressentiments de la reine mère dont il est le fils unique et qu’il leurre d’un alibi. Au cours de la chasse il rencontre une femme portant un enfant sur la hanche, qui le requiert de lui fournir une peau de buffle pour l’ingobyi de son nourrisson, de soulever de ses mains cette progéniture et de lui donner un nom, ce qui revient à lui en faire endosser la paternité. La femme, qui est une adolescente séduite, déshonorée et délaissée par lui, se métamorphose alors en buffle, extermine tous les chiens lancés sur elle, fait mine de succomber aux coups que lui porte le chasseur et venge son offense de la façon qui a été dite. Revenue à la forme humaine elle est abattue par Binégo ainsi que son enfant. Vulgaire aventure dans l’une et dans l’autre version, qui ne confère assurément à cette mort ni un caractère d’immolation à une cause supérieure ni une valeur type pour la destinée humaine. Le scénario ne s’élève à la vraie grandeur que lors des paroles constitutionnelles prononcées au pied de l’arbre immortel par le prophète expirant et lors de l’hécatombe collective et volontaire consécutive à son décès.

Dans la galerie des héros Imandwa, par contraste avec les brutes sanguinaires que sont Kagoro, Mugasa et Binego, Ryangombe fait figure d’un roi débonnaire, type Enée, modérant la fougue inconsidérée de ses parèdres et n’usant de sa puissance que pour faire des heureux. Il est la plus vivante image du Mana du Ruanda, dont on lui donne par extension le nom béni.

Dans la liturgie on le représente portant sur le front comme une aigrette la queue de lièvre des griots, armé d’une longue rapière à deux tranchants, vêtu de la peau d’un mouton, son emblème, et de la fourrure d’un serval ou chat-tigre rappelant sa passion pour la grande chasse, portant sur le cou-de-pied droit un ornement en sparterie. Ce sont des insignes de devin, de monarque, de veneur. Figure aux traits flasques en dépit de sa dignité suprême. Ses hymnes sont ternes, l’imagination -des poètes ne trouvant rien dans sa carrière qui prête matière à louanges emphatiques.

Binego De Kajumba, Matamore Sauveur De Son Père.

Il n’en est pas de même pour son fils de prédilection Binego, qu’il eut de Kajumba, la femme dont il aurait gagné le coeur au début de sa carrière par le présent d’une fourrure de serval. C’est un enfant terrible. Elevé dans la maison de son oncle maternel, inconnu de son père, qui s’est évadé de la hutte nuptiale aussitôt après l’avoir engendré, impatient de toute discipline et ne supportant pas le moindre reproche, il égorge pour son plaisir les bêtes de son oncle et tuteur, tue pour venger une insinuation atteignant l’honneur de son père. Il part, emmenant sa mère, à la recherche de l’auteur de ses jours, répondant à un appel impérieux du sang et pressentant vaguement le malheur qui plane sur sa maison. En route il massacre sans pitié toutes gens qui lui résistent et jusqu’à un enfant à la mamelle. Il découvre Ryangombe, effondré devant une table à jeu, poursuivi par la déveine, acculé à une ruine totale. Il le sauve et avec lui le titre de mwami des Imandwa. Son père le reconnaît, lui assure sa succession, lui donne la première place auprès de lui dans le clan.

Il reparaît et à l’avant-scène dans la catastrophe finale. Après avoir mis en pièces la meurtrière et l’enfant qu’elle porte sur les reins, son propre frère, il donne le signal du départ collectif pour l’autre monde, se jetant le premier sur la cerne acérée du féroce ruminant.

A l’Eldorado du Muhabura, il fait fonction de concierge et de policier : c’est un Cerbère, chargé par le mwami du tri entre élus et damnés.

Dans la liturgie il figure, la tête enguirlandée de momordique, tenant d’une main sa sagaie, de l’autre une gourde de spiritueux qu’il hume sans arrêt au chalumeau. Il fait le suisse au cours des cérémonies du kubandwa, écartant les profanes et les curieux, menaçant d’un mauvais parti les reluctants.

Son dialogue avec les Imandwa, rappelant les choeurs de la tragédie grecque, est un modèle du genre. Il y apparaît arrogant et bravache, bretteur, fanfaron de cruautés, impatient de tout obstacle. C’est un morceau de bravoure, de bonne frappe littéraire. Qu’on en juge par la traduction suivante :

Binego.

Ababa ! Ababa ! Me voici, moi, l’égorgeur des sans-cornes, dont les vautours se repaissent.

Les Imandwa.

Il a tué le manant de la glèbe, dont les mottes ne trouveront plus qui les casse. Il a occis l’homme aux bananiers, dont les plants n’auront plus qui les cultive. Il a déconfit Rukara de Bukamba les gens disaient en le voyant : Il est venu le fils de Kajurnba ! Chez son oncle, passant au travers de la bananeraie, il la change soudain en troncs stériles. Il foule son champ de sorgho, et les tiges à l’instant se vident de leurs grains. Il assassine son oncle, et la mère de sa victime le reçoit quand même, lui, le meurtrier.

Binego.

Je suis l’abcès, l’ulcère purulent. Je suis la fosse dans le pâquis, où la vache trébuche et se rompt les jarrets. Je suis l’étable et je barre l’entrée aux génisses. Je suis la cystite. Je passe au travers des troupeaux de mon oncle : aussitôt les vaches que l’on trait perdent leur lait, celles qui sont pleines avortent. Je lave mes mains dans le sang. Je suis l’éclair de Nyirajanja. Personne ne me commande et je n’ai cure de quiconque. Je ne marche derrière aucun suzerain et aucun vassal ne me suit. Ma viande est coriace, on ne l’avale pas comme du lait. Je suis l’urine du Tonnerre, celle qui jaillit du tronc des bananiers. Je suis l’aile rasante du charognard, qui happe sa proie et la consomme, tel un feu dans les papyrus desséchés.

Imandwa.

Il lave les yeux du forgeron avec les étincelles brûlantes de l’enclume. Il fouille avec le fer de sa lance les chairs des guerriers de son oncle, tombés dans le Bugufi.

Binego.

Je suis un homme. Je m’appelle Binego, fils de Kajumba. Cet Hercule truculent, ce sabreur infatué et sans scrupules, est cependant un fils excellent : il prend soin de sa mère et il vole au secours de son père qu’il devine malheureux. Et puis, il sait mourir : il fait bon marché de sa vie comme de celle des autres.

Binego a suivi Ryangombe au Bunyabungo, dans l’Urundi, où il est devenu fils de Kiranga et son écuyer porte-lance, ailleurs encore, partageant avec lui une même vogue qu’au Ruanda. Si rien de péremptoire n’oblige à dénier au père et au fils la qualité de Ruandais natifs, rien ne prouve non plus qu’ils soient proprement de création indigène.

Caractère Romanesque Et Insignifiante Morale De La Geste Des Imandwa.

S’il est une impression qui se dégage des analyses précédentes c’est bien que la geste des Imandwa n’est pas justiciable de l’histoire, mais du roman.

C’est une composition artificielle, dont les éléments sont hétérogènes et en grande partie exotiques. Les personnages mis en scène sont des dieux naturalistes, des ancêtres éponymes de tribus et de peuples, des étrangers et des nationaux légendaires, des types représentatifs d’espèces d’hommes, et même des animaux humanisés. Leurs aventures sont farcies de métamorphoses et de merveilleux comme celles des héros de la fable. Les auteurs anonymes de ces compositions liturgiques témoignent, on a pu en juger, de surprenantes qualités épiques et drama-tiques.

Cette littérature, demeurée à l’état de tradition orale, se charge de variantes selon les milieux. Dans les pays voisins elle présente des formes et des développements nouveaux. Les personnages ne sont pas tous les mêmes. Le thème fondamental et l’esprit ne varient pas. La mort des héros ne revêt nulle part un caractère de dévouement àune cause supérieure, de sacrifice et de rédemption pour la communauté, et leur glorification n’est pas la récompen-se de leurs travaux ni le fruit de leurs épreuves. Partout le mythe des Imandwa et de leurs congénères pâtit d’une même déficience morale, d’une même absence d’idéal. Dans l’Uganda, par exemple, la fin du roi des Lubalé, Wamara, est des plus baroques, encore qu’elle le paraisse moins dans ce pays qu’à nos yeux d’européens. Wamara s’esttoqué d’une de ses vaches blanches, — Gitare. Des malveillants, pour le vexer, la poussent dans le lac Victoria Nyanza, où elle se noie. De désespoir, quand il apprend la catastrophe, il s’y précipite à son tour, entraînant à sa suite, comme des moutons de Panurge, tous les membres de son clan. Dans l’Urundi, Kiranga est tué à la chasse, non par un sanglier comme Adonis, ou par un buffle comme Ryangombe, mais par un cerf.

Conjectures Sur Le Lieu D’Origine Du Kubandwa Et Le Milieu Social Qui L’a Vu Naître.

C’est donc dans toute la région des Grands Lacs, pour nous borner à ce champ restreint de nos observations, qu’apparaît cette religion à mystère, dont le kubandwa ruandais peut servir de type.

C’est partout le même système religieux, les personnages sont en partie les mêmes, ils sont groupés de même façon autour d’un mwami patriarche, Ryangombe, ,Kiranga, Wamala ; ils sont de même espèce, répondent à la même conception et jouent un rôle analogue. Partout ils prennent une couleur indigène et nationale. Les divergences portent sur l’accessoire. D’où il faut conclure que les questions d’origine doivent recevoir pour tous une réponse unique et commune.

Où, dans quel pays, dans quel milieu social, à quelle époque, le kubandwa et ses institutions soeurs ont-ils vu le jour ? Dans l’état actuel de nos connaissances, ce problème n’est pas susceptible d’une solution positive. On en est réduit à des probabilités.

En ce qui concerne le kubandwa ruandais, il y a des raisons de croire qu’il est immigré des régions du Nord et de l’Est : c’est, en effet, de ces pays, aujourd’hui groupés dans le Protectorat anglais de l’Uganda, que Muhima, Munyoro, Mugasa et certains aures Imandwa sont originaires : ce qui ne veut pas dire qu’il y ait pris naissance ; il faudra sans doute aller beaucoup plus loin pour trouver, son berceau.

A quelle race attribuer son invention, sa diffusion sur une aire si étendue ? Les Imandwa du Ruanda ne portent ni dans leurs usages et leur mode d’existence, ni dans leurs appellations propres l’indice qu’ils appartiennent à une race plutôt qu’à une autre. Toutes les trois, nous l’avons vu, sont représentées parmi eux. Leur chef, qui est aussi leur type, est à la fois un chasseur armé d’une javeline et d’un glaive, forçant la bête, chat-tigre ou buffle, en grand équipage avec meute de chiens courants et piqueurs ; un agriculteur cultivant, outre le tabac qu’il fume, les bananes et le sorgho dont il tire en abondance Son cidre et sa bière; le pasteur d’un important bétail, qu’il fait paître par son berger Serwakira, affectant au cours de la liturgie pour rendre sa présence sensible le meuglement de la vache — le muvumero.

Mais Ryangombe est un personnage de convention etle caractère que les liturgis tes lui ont donné ne peut rien décider sur le milieu d’où il est sorti. A considérer les choses dans leur réalité concrète on a peine à imaginer que les nobles hamites, si imbus de préjugés de caste, se soient dépensés à la propagation d’une institution religieuse fondée sur l’égalité des destinées humaines dans le temps et au siècle futur. Très attachés, de surcroît, aux traditions nationales, on devrait s’attendre à rencontrer dans la cohorte des Imandwa, si sa composition était de leur cru, les grands noms de la dynastie munyiginya, notamment les batabazi, déjà en possession de légendes merveilleuses. Nous avons constaté leur absence : la geste des Imandwa se déroule en marge des annales glorieuses de la patrie. Nous avons aussi remarqué que si le culte de Ryangombé rencontre au Ruanda du dédain et du scepticisme, c’est précisément au sein de clans batutsi.

On aurait plus d’arguments à alléguer en faveur d’une origine bantu. Ryangombe dans certaines légendes est donné, en effet, comme un prince aborigène, un muhinza du type de Mashira, son parèdre. Mais les bahutu ont pourles ilotes pygmoïdes autant d’aversion, il faut même dire d’instinctive répulsion, sinon plus, que les batutsi. Comment donc auraient-ils pu donner place, parmi leurs patrons glorifiés à Mutwa, type représentatif de la race honnie et détestée ? Comment auraient-ils acclimaté l’appellation de batwa que se donnent entre eux comme sobriquet liturgique les fidèles de Ryangombe à l’exclusion de tout autre ?

On serait donc induit par voie d’élimination à attribuer aux premiers pygmées la paternité de cette religion étrange, sa diffusion étendue dans l’Afrique noire, son introduction au Ruanda, bien avant les invasions bantoue et hamite. Ce ne serait pas si contraire qu’on pourrait le croire aux données générales de l’ethnologie religieuse, qui incline à reculer jusqu’à des antiquités inaccessibles, préhistoriques, l’origine de ces cultes indigènes, si apparentés de forme aux mystères de l’antiquité classique. Mais il faudrait alors reconnaître, tant dans la composition des équipes que dans l’affabulation de l’épopée et dans la peinture des caractères, des remaniements substantiels postérieurs, des additions et développements se-lon les exigences nationales et la fantaisie de liturgistes mystagogues, bahutu et batutsi, ce à quoi d’ailleurs la malléabilité organique de la mythologie ne saurait faire-difficulté. Les histoires et les rites des Imandwa et de leurs congénères présentent, en fait, un singulier amalgame de façons brutales et d’obscénités grossières, dignes de popu-lations arriérées, voire dégradées, et de conceptions hautes que la civilisation occidentale n’aurait pas à désavouer, ainsi qu’il apparaîtra au chapitre suivant.

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