Cette affection, naguère très fréquente, est redoutée des indigènes qui en reconnaissent la contagiosité, comme le proverbe suivant le prouve :

Iy’umuturanyi yarwaye ibinyoro, Si ton voisin est atteint de pian,

Uca imbatura.                Cueille le remède !

Cependant, d’après eux, il n’est pas indispensable de tenir le malade à l ’écart en dehors de la période éruptive appelée gusesa ibinyoro.

Chacun sait que le pian débute par une grosse framboise-mère qui est l’indemezo, la productrice, ou induru,le cri d’alarme. L a confusion est ainsi très fréquente de la lésion primaire ou chancre pianique avec les lésions secondaires qui naissent sur les bords mêmes de l’ulcération ou à proximité et qui lui donnent précisément l’aspect d’une grosse framboise pianique. Cependant, cette dernière peut, dit-on, se greffer sur une plaie en quelque autre endroit. Dans le premier cas, les soins sont donnés comme à toutes plaies ; dans le second, on ne s’en occupe guère. Pour protéger la plaie des mouches, on laisse flotter un lambeau d’étoffe par-dessus, c’est le plus souvent un morceau de tissu tiré du liber d’un Ficusretenu par une ficelle. Cette framboise peut être énorme et contenir du pus, mais cela n’empêche pas le pianique d’aller et venir à son aise.

Essayer de faire avorter la maladie ne viendra à l ’idée de personne. Tout au contraire, les gens du Ruanda considèrent le pian comme une affection évoluant chez l’enfant sans grands dangers. Aussi, arrive-t-il que dans certains endroits, le pian soit inoculé à l ’enfant afin de le soustraire, prétend-on, aux lésions graves du pian secondaire tardif et aux accidents tertiaires qui surviennent chez l’adulte.

Après un temps variable, on voit apparaître l ’éruption cutanée, d’abord semblable à de la gale. Pour que les pustules sortent rapidement, et dans l ’espoir qu’elles guériront tout aussi promptement, le malade qui commence

à se sentir fiévreux et incommodé se livre à une petite opération. Prenant un pot dans lequel il a versé de l ’eau, il le dépose sur le feu et y ajoute du sorgho égréné, mais non germé impengeri ; on choisira parmi les espèces rouges, mugabo, murizo, etc. Les graines, sous l’action de l ’ébullition, montent à la surface, violemment retournées et secouées sous l’oeil attentif du pianique dont l’ibinyoro fera de même dans l ’organisme. Il ne tardera pas à être recouvert de pustules.

On peut aussi emmener le patient là où l ’on saigne une vache ; il se contentera de regarder « sortir » le sang : de même, les framboises sortiront avec facilité.

En un temps assez court, les verrues ont poussé ets’emplissent d’un pus nauséabond, c ’est le gusesaibinyoro.

Avant tout traitement, on s’empressera de raser la tête au pianique, sans quoi il serait impossible de procéder à l ’opération du nettoyage des plaies ou gutsira.

Si l ’individu a encore ses parents en vie, il devra conserver un petit toupet = agahuri, sur le sinciput ou au-dessus du front, faute de quoi on pourrait l’accuser de désirer leur mort : en effet, les Ruandais se rasent entièrement la tête à la mort des parents, ce signe de deuil doit donc être évité.

Les ongles sont également coupés et brûlés avec les cheveux dans un éphémère feu d’herbes allumé dans un lieu discret ; les cendres en sont soigneusement recueillies et enfouies dans les broussailles. L ’âtre familial ne doit évidemment pas servir à leur destruction, ce serait le souiller.

En temps ordinaire, les cheveux sont simplement déposés dans les buissons avoisinant l’enclos de l ’habitation, mais ici il faut plus de précautions. Ne sait-on pas que la bergeronnette familière recherche ce duvet pour édifier son nid? On dit que :

Uko igiye kwarika,                 Comme elle va faire son nid,

Niko ibinyoro bimwarikamo   C’est ainsi que le pian nichera en lui !

Nous observons là une sorte de magie imitative : le semblable produit le semblable. Par le truchement des cheveux du malade, il s’établit une communion spéciale entre l ’acte qu’accomplit l ’oiseau en faisant son nid pour sa reproduction et la maladie, laquelle, par imitation, récidive et devient incurable. Le germe du pian = amagi y’ibinyoro, restera dispersé dans l’organisme.

Dans ce pays où l’on peut nuire à l ’homme au moyen de ce que l ’homme rejette de lui-même, voire de ce qui lui est personnel, il faut craindre également les maléfices d’un ennemi qui pourrait s’emparer d’une mèche de cheveux ou de leurs cendres, pour « lier » le pian et le sceller si bien que le malade ne trouverait plus moyen de s’en débarrasser. L ’expression parfois entendue :

kubimusomerezamo, le lui faire ingurgiter ou boire, indique assez le moyen employé. L ’esprit indigène est prompt à saisir une ressemblance entre des phénomènes parfois les plus hétérogènes, et à établir une relation de cause à effet entre eux.

Le rasage est le début d’une série de précautions ou sorte de quarantaine que l’on désigne ainsi : bamuhaye akâto, on lui a donné l’akâto.

Le malade a maintenant son lit à part, couche d’herbe à même le sol, souvent non loin de l ’âtre dans la hutte familiale ; les plus fortunés disposent d’une petite hutte dans l ’arrière-cour. Chalumeau à bière, écuelle, vase en

bois, pipe, natte, sont dès lors autant d’objets strictement personnels. Le vêtement consistera en un bout de tissu de Ficus ou une étoffe sans valeur. Si c’est un jeune enfant qu’il s’agit d’isoler ainsi, la tâche devient presque impossible, aussi chez les paysans pauvres qui ont plusieurs enfants, les voit-on l ’un après l ’autre tomber victimes de la contagion.

Les gens du Ruanda ont recours à un procédé de conjuration = ugutsirika, de la maladie du pian. Dans le cas qui nous occupe, il s’agit d’empêcher l’obstruction des orifices naturels par les framboises. Si les commissures des lèvres sont touchées, on ne peut manger, boire et bâiller sans douleurs. S ’il s’agit du pian anal ou umuzimbwe, s’imagine-t-on les souffrances du malheureux ?

Les paupières et le nez peuvent être aussi envahis ; dès lors, lorsqu’on présume que l’éruption est suffisamment prononcée et apparente, on essaye de détourner le mal des endroits déjà cités et qui sont souvent atteints en dernier lieu. On agira comme suit.

Prendre une herbe fine d’Eragrostis = ishinge et prélever un peu de fiente de lézard ou de bergeronnette (fiente fraîche ou non) ; passer et repasser le fétu en contournant les orifices tout en prononçant :

Ngutsiritse ibinwete,      Je t ’évite le pian labial,

Ngutsiritse umuzimbwe… Je t ’évite le pian anal…

Un moyen très en vogue pour conjurer le pian anal est le suivant. Se rendre à la croisée des chemins, au coucher du soleil, muni d’une hache ou d’un bâton armé d’une pointe en fer. Appliquer le fer de l ’outil à l ’endroit voulu, puis le cacher dans les environs ; il serait mauvais de le rapporter à la maison, attendu que rentrer au logis avec l ’instrument serait y ramener la maladie.

Ailleurs on agit autrement. Faire aiguiser une serpe ou umuhoro, par les forgerons, ou mieux encore, leur en acheter une neuve achevée le jour même. La nuit venue, la déposer dans un tumulus de cendres ou ikivuvu, à l ’extérieur de l ’enclos. Le lendemain, de très bonne heure, éviter de converser avec quiconque et se rendre à cet endroit, toucher les orifices malades à l ’aide de la serpe en disant :

Dutsiritse ibinyoro,                 Nous conjurons le pian,

Va ku giti !                             Sors du bois !

Puis, la replaçant dans les cendres, ajouter :

Dore umuntu tuguhaye !            Vois l’homme que nous te donnons !

On a ainsi trompé, une fois de plus, la naïveté de l’esprit malin qui est censé être à l ’origine du mal.

En cette période de la maladie, les douleurs ostéoarticulaires sont vives. Pour empêcher qu’elles deviennent permanentes, autrement dit pour prévenir les amakonyora ou douleurs rhumatoïdes du pian, on recommande de passer le mal à un oiseau au vol rapide, l ’hirondelle commune, intashya par exemple. Faire des incisions aux articulations du coude, de la main, du genou, des chevilles. Prélever un peu de sang sur un brin d’herbe et l ’essuyer dans le bec de l ’oiseau et dire :

Navuye Nâka amakonyora,    J ’ai soigné un tel de son rhumatisme.

N i wowe nyahaye…               C’est à toi que je l’ai donné…

Puis on lui rend la liberté. L a pratique de transmission de la maladie aux êtres vivants est assez courante au Ruanda. Voici un autre rite de passage.

En de nombreux endroits, on désire que l ’éruption sorte bien, que les framboises pianiques abondent ; parfois on la préfère plus discrète, alors, rien de plus simple on fait passer le malade entre les pattes d’une vache aveugle, du coup le pian deviendra peu visible.

Passons maintenant à l ’opération du gutsira, c ’est-à-dire frottement des framboises, pour les aplanir. Celles-ci rendent tous contacts douloureux, donnent un aspect ridicule au malade et surtout empêchent l ’application du produit généralement employé qui est l’imbatura.

L ’aplanissement ne se fait pas sans difficultés, ni sans souffrances pour le patient qui doit être maintenu par des aides vigoureux. L ’affaire se passe dans l ’arrière-cour ; si on opérait dans l ’enclos ou avant-cour, les curieux afflueraient et parmi eux il pourrait se trouver un malintentionné qui aurait beau jeu, car il lui suffirait de planter là une colocase iteke, dont la caractéristique est de reprendre et de reverdir facilement. E t l’on entend ceci:

Uko iteke ryatoshye,     Comme la colocase a reverdi,

Niko ibinyoro bizatoha… Ainsi le pian reverdira…

Le rhizome tubéreux qui a touché les sécrétions pianiques étant repiqué aussitôt maintiendra dans ses rejets le principe à l ’état vivace ; cette relation permanente empêchera la guérison. Cette croyance est fréquemment observée au Ruanda et dans beaucoup de cas.

Le pianique aura d’abord copieusement mangé, car, plus tard, l ’envie lui en fera défaut. Un aide muni d’une grosse poignée de feuilles les trempe dans de l ’eau tiède ou froide et frotte énergiquement les framboises dans un mouvement de va-et-vient. Ce raclage produit un écoulement de pus et de sang très abondant. Les verrues, d’abord sanieuses, présentent un aspect rougeâtre. Ce nettoyage est complété par un lavage à l ’urine fermentée ; toutefois, ce caustique n’est pas apprécié et supporté par tous. L ’intervention aura du reste fait pousser à la victime des cris stridents, appels au secours mélangés d’injures abominables. Cela se passe vers cinq heures de l ’après-midi.

On étale ensuite le pianique au soleil pour le séchage des plaies. Puis on apporte la médication chaude qu’on applique sur chaque pustule en appuyant fortement, comme on le ferait avec un cachet de cire. Enfin, une onction au vieux beurre rance terminera le gutsira. On assure que umunyabinyoro, pianique, jouira d’un sommeil très profond la nuit suivante. Parfois, pour lui éviter les affres susdites, on l ’enivre copieusement au moyen de bière de bananes.

Pour plus de facilité, on emmène quelquefois le pianique près d’une chute d’eau, on l ’y plonge pour déterger plus aisément les pustules ; on agit ensuite comme ci-dessus.

Les framboises peuvent tarder à disparaître. Que l ’on se représente les douleurs du malheureux soumis à cette épreuve tous les deux ou trois jours, parfois durant de longues semaines.

Plantes employées pour le traitement : feuilles fraîches d‘umuravumba, ou d’umucucu ou d‘umufumbageshi.Ou encore baies cuites puis écrasées d’inyamaheri mélangées aux feuilles d’imicucu. On peut remplacer les feuilles précédentes par celles d’imbatura, comme suit.

L ‘imbatura est un Crassocephalum qui croît en régions forestières de haute altitude. Les feuilles seules sont employées. Voici comment se fait la récolte.

La première plante sera arrachée entièrement ; l’éradication complète l’empêchera de pousser des rejetons : ainsi le pian ne pourra récidiver, produire des amashibu ou pian secondaire. Le fagot sera emporté en tenant compte d’une singulière prescription. On évitera les sentiers fréquentés, car les rencontres d’humains ou d’animaux peuvent mettre obstacle aux bienfaits curatifs de la plante. Les Ruandais, gens psychologues, croient qu’ils pourraient se trouver en présence de congénères ayant eu de récents rapports charnels illégitimes ou d’animaux ayant folâtré exagérément. Aussi est-il indiqué, lorsqu’on s ’est approché d’un être animé, de jeter après soi une feuille d’imbatura dans laquelle l ’esprit malin passera.

Arrivé au logis, le fagot est mis à l ’ombre, puis les feuilles sont enlevées et pilées avec soin en ajoutant un peu d’eau. Le jus est filtré et bouilli pendant plusieurs heures ; il s’épaissit fortement ; on a la précaution d’écumer. On reconnaît que la crème est à point lorsqu’elle adhère au bâton mélangeur. On prélève sur un bâtonnet un peu de résine ainsi préparée et on l ’applique chaude encore, comme de la cire à cacheter.

Parlons de la levée de l ’isolement. Le pianique dont l ’éruption évolue, peut se promener un peu au dehors, toujours muni d’un petit coussin d’herbes, ou d’une petite natte pour lui permettre de s’asseoir sans souiller le sol. Cette intention n’est pas si altruiste qu’elle paraît l ’être à première vue, car on pourrait croire qu’il agit ainsi pour éviter de contaminer quiconque s’assiérait là après lui. La raison est différente : le pianique croit que sa guérison serait subordonnée à celle d’un autre pianique qui viendrait s’asseoir là après lui. Conception inattendue de la pathologie. Il ne se dessaisira pas de l’ikizinzo ou chasse-mouches, bâton auquel on attache un lambeau d’étoffe ou mieux un morceau de tissu végétal agahuzu.

Lorsqu’on constate que les plaies sont séchées, qu’il ne subsiste plus que des cicatrices indélébiles, on décide de « sortir le malade » des humeurs du pian, kumukura mukuya k’ibinyoro. Le soir, il est premièrement lavé en entier à l’eau tiède. Au matin, on l’enduit de haut en bas de boue argileuse. On recommence plusieurs jours de suite : toilette le soir, boue le matin.

Après quoi, ayant fait peau neuve, il peut reprendre sa place dans la communauté. Les oripeaux sont brûlés, la natte est mise dehors et arrosée durant trois jours, le couteau est passé à la flamme. Les autres objets, s’ils ne sont pas trop usagés, sont enduits de bouse de vache pendant quelques jours, puis lavés à grande eau ; c ’est en quoi consiste la désinfection. Le poteau-soutien de la hutte, ‘sur lequel il s’est appuyé, est également enduit de boue.

Peut-on s’en tenir là ? Non, assure-t-on. Ne reste-t-il pas le germe de la maladie à l ’intérieur ? On prépare une bouillie légère de sorgho et on l’additionne de deux ou trois gouttes de suc d’euphorbe candélabre. Il s’ensuit une diarrhée abondante très affaiblissante ; le régime lacté est conseillé.

Restent les pénibles douleurs névralgiques amavunane. On les traite par des applications de chaleur, que le malade subit dans la position verticale, assise ou demi-couchée.

On prépare un urwina, trou qui sert habituellement à la maturation des bananes par la chaleur. (On sait que les régimes sont toujours cueillis avant maturité complète afin d’éviter les déprédations par les oiseaux). Le trou est chauffé en y brûlant des branchages secs, puis on le tapisse de feuilles verte? de bananier et le patient y est plongé, la tête restant en dehors, mais parfois aussi entièrement recouvert des mêmes feuilles ou d’une natte ; il tient en mains un bâton qu’il agite lorsqu’il se sent défaillir. Il séjourne environ une heure dans cette position, fort incommodé par une abondante sudation. A la sortie, il se trouve entièrement lavé. Trouverait-on bain turc mieux ordonné ?

Décrivons le procédé hydrothérapique urubindi. On prépare une sorte de cuvette à bords hauts et épais, d’argile durcie, c’est 1’urubumbiro ; un ruisseau proche facilitera le remplissage. De grosses pierres ou des quartiers de termitières de couleur foncée ibisindu seront fortement chauffés tout à côté et y seront précipités pour tiédir l ’eau. Le patient s’assied dans la cuvette

et se tient immobile, car de nouveaux apports de blocs surchauffés vont sensiblement élever le niveau de la température de l ’eau. Celui qui se tiendrait tranquille dans ce bain très chaud courrait moins de risques d’être brûlé, mais il en est, paraît-il, qui en sortent passablement échaudés. Le malade est parfois ensuite passé à l ’eau froide. L ’urubumbiro peut être remplacé par une grande auge umuvure, ce qui présente l ’avantage de pouvoir se faire à domicile.

Outre cette balnéation, on connaît très bien les sources d’eau chaude amashyuza ; les bienfaits qu’elles procurent sont également appréciés. On les trouve en région volcanique, près du lac K ivu ; nous en avons aussi rencontré plusieurs en Urundi, en territoire de Bururi.

Pian secondaire.

Des papillomes apparaissent surtout aux endroits où la transpiration est plus abondante, sans excepter les paumes des mains et les plantes des pieds. On peut les traiter au moyen de feuilles écrasées et chauffées d’imbatura; elles sont appliquées et maintenues par une feuille de bananier servant de bandage compressif. On revient parfois au traitement initial ; d’autres fois, on cuit les feuilles dans la cendre, on appuie fortement sur les plaies et le jus les imprègne.

Les verrues plantaires et palmaires requièrent un traitement particulier :

1) Chauffer à blanc un couteau, de préférence celui qui sert de rasoir ; d’un seul coup adroit et preste, trancher la partie supérieure de la verrue.

2) Une autre lame chauffée fortement est tenue perpendiculairement à la plaie, y laisser tomber du beurre qui, aussitôt liquéfié, y pénètre.

3) Apporter une résine poisseuse ishangi tirée de l ’arbre umushangi ; en chauffer un morceau qui grésille et tombe sur la verrue.

Répéter après quelques jours. On ne connaît meilleur détersif que Yisakare, cette urine humaine conservée pour plusieurs usages ; aussi l ’emploie-t-on pour enlever l’ishangi qui a durci. La verrue ne tarde pas à sécher complètement. En cas de douleurs vives, on conseille des pansements au pied de bananier pourri ubuzindu.Chauffer, renouveler quotidiennement.

Malgré tout, on peut assister à un échec. Que faire pour débarrasser le pianique de ces excroissances gênantes et douloureuses ? Eh bien, on a recours aux cautérisations. Une hache rougie au feu est appliquée jusqu’à

leur destruction et cela sans pitié ; les indigènes redoutent, et non à tort, ce procédé. Quand une verrue plantaire ou palmaire veut sortir, disent-ils, on en est averti par des démangeaisons ; à ce moment-là on peut essayer les pointes de feu pour tenter d’empêcher sa venue. Un morceau de bois bien arrondi et bien taillé est chauffé dans les braises pour servir de thermocautère. Chaque

fois la pointe est appliquée avec force et assez longtemps ; cela se dit kubadikaho ou gutsinagizaho.

On peut se procurer des bavures de fer chez les forgerons, les piler avec de l’urine de chèvre, en mettre sur la verrue. Le jus épaissi au soleil ou au feu des plantes umukiryi et umunyuwintama est aussi employé.

Pian tertiaire.

 Ingaruka : mot dérivé du verbe kugaruka, revenir.Pian osseux, mutilant (ubyanyuma) ; crevasses, rhumatismes,font souvent suite aux précédents, même après de longues années.

 Umuhoro : serpe. Les jambes sont arquées en forme de lame de sabre, mais si cette déviation ne gêne pas le malade dans sa marche, elle est souvent douloureuse.Il est indiqué de se rendre chez un forgeron muni d’une serpe et d’une hache qui ne servent plus. Ces instruments aiguisés et chauffés à blanc sont appliqués alternativement,par le tranchant tout le long de la face antérieure des membres et de bas en haut. L ’opération est faite rapidement : elle est très pénible et provoque immanquablement des brûlures sur lesquelles on met immédiatement de la bouse de vache. Il n’est pas possible de la répéter plus d’une ou deux fois.

 Imyate : crevasses plantaires, parfois palmaires. On essaie d’y remédier ainsi : se mettre à la recherche d’un crâne humain, ne pas le déplacer. Avec un fétu de Sporobolus — umutsina, toucher toutes les crevasses en tous sens, puis promener le fétu sur toutes les dentelures des sutures crâniennes, en disant:

Uyu muntu uryamye ahangaha,       Cet homme étendu là,

N i we utwaye imyate yanjye!          C’est lui qui emporte mes crevasses !

Autre procédé. Écraser des feuilles de la plante umushishîro,les envelopper dans une feuille fraîche de bananier,mettre dans les cendres chaudes puis appliquer sur les crevasses.

 Imiswa : les termites. Kératose pianique. Forme de pian qui prend l ’aspect de minuscules galeries de termitière.Plus fréquents aux pieds. Traiter comme suit :

1) Écraser un crapaud vivant ou un petit rongeur urumende (Lemniscomys striatus), bien vivant, lui aussi;le pied souffrant piétine avec force.

2) Frotter les endroits atteints avec une reine de termite vivante, sans l ’abîmer ; la reporter en bon état là où on l’a prise, car on ne tue pas un umwâmi, ce nom évoquant la personnalité du prince régnant Umwâmi.

3) Fiente d’oryctérope inyaga écrasée avec le pied.On sait que l ’oryctérope est un grand mangeur de termites.

4) Poumon desséché d’hyène, écraser finement et saupoudrer.Crevasses et kératose sont souvent lavées le soir avec du purin de chèvre ou de vache = ibisogororo, puis on les enduit de beurre. A ce purin épais, on peut ajouter du jus de feuilles de Coleus aromaticus.

Autre nettoyage détergent. Se promener sur une litière de veau. E t voici encore la composition d’un emplâtre efficace (?) : fumier humide de chèvre et de mouton avec adjonction de beurre.

 Amakonyora : douleurs rhumatoïdes et raideurs dans les articulations. Remède préconisé : cuire des feuilles vertes d’ortie igisura et en boire le jus.

 Kaniga : forme laryngée du pian ; douloureux. Traitement: écraser des feuilles de Dracaena papahu igihondohondo; en boire le jus avec un peu d’eau. On peut aussi essayer le jus des plantes suivantes : umushishiro,rurira, umurwamporo, allongé d’eau. Jus de feuilles d’umuravumba, filtrer, l ’ajouter à l ’eau qui va servir à faire une bouillie de sorgho laquelle sera consommée le matin.

Prendre des racines et des feuilles d’umwanzuranya (Dicoma anomala), les piler ensemble, en extraire le jus,filtrer et allonger d’eau ; à boire le matin.

Feuilles d’umunkamba ou mieux encore les racines ;piler. Le jus filtré est bu dans de la bière de sorgho d’une seule variété ; en boire chaque matin.

Prélever l’intérieur de deux baies d’imicucu, faire macérer dans un peu d’eau, filtrer, chauffer en ajoutant un peu de vieux beurre (gros comme un oeuf de pigeon) ;ne pas bouillir ; avaler tiède. Répéter de temps à autre pour nettoyer la gorge.

Remarque. A cette nomenclature déjà longue des degrés du pian, on pourrait ajouter les amacumu, les lances, lésions ulcérées, à nombreux pertuis ; ainsi que les inkabya, sorte de tumeurs siégeant à la face externe du poignet surtout, ou au genou. Les indigènes attribuent ces dernières au pian, mais il convient de dire qu’il s’agit le plus souvent de kystes synoviaux.

Amulettes antipianiques.

Contre les lésions dites amacumu, prendre une lance icumu qui a servi pour une action notoire, c’est-à-dire participation à une bataille, à la défense contre un vol,etc. ; prélever un éclat de la hampe, le porter au cou ou sur un autre endroit du corps.

Voici comment confectionner une amulette réputée de grande valeur servant pour tous les cas de pian tertiaire.

Se procurer le délivre umuziha d’une chienne qui met bas pour la première fois (ce délivre a eu le temps de se dessécher dans le secret de la hutte) ; y ajouter : pièce identique provenant d’une brebis ; de plus, une plante entière de umurya w’abasaza (périphrase signifiant « tendon de vieux »). La plante est ainsi nommée à cause de sa solidité. Ajouter un morceau de corne de vache aveugle à robe noire ; un petit orteil d’un cadavre de Pygmée ; l ’attribut sexuel prélevé sur le même cadavre, le même organe prélevé sur une hyène. Mettre le tout dans un morceau de vêtement de vieille femme, l ’entasser dans une corne, fermer avec de la bouse de taurillon bénéfique. Porter cette amulette à l ’endroit atteint par la maladie ou au cou, suspendu à une ficelle d’aponévrose séchée. Cette préparation attaque la racine du mal par de multiples moyens : l ’écoeurement, l ’obscurcissement, le vieillissement, le tout tempéré par la nature douce de la brebis avec le bénéfice de la bouse de taurillon.

Amulette spéciales contre le pian tertiaire ingaruka. Plantes épiphytes ingurukizi (kuguruka signifie voleren parlant des oiseaux) ; ou rupestres umurengarutare (kurenga : dépasser, franchir ; rutare : rocher). On devine aisément le raisonnement.

Un autre préservatif est un éclat d’un bois umuhezayo (de guheza : faire disparaître). Il s’agit d’une perche qui a servi au transport d’un mort. L’explication est simple : le disparu a influencé le bois, il a participé à sa nature, le pian ne réapparaîtra certainement plus,ayant eu contact avec lui. Pour plus de facilité, on peutrepiquer le bois qui repousse en conservant le même principe ; rien de plus commode lorsqu’on en désire un fragment.

On recommande aussi de porter au cou un bézoard umuruku : le contact de cette concrétion avec le corps humain établi entre les deux une relation permanente qui mettra obstacle à l ’apparition du pian de la gorge akanigo.

Précautions ultérieures à prendre par les pianiques.

Il leur est défendu de rôtir les mêmes patates douces sur deux feux différents. Si par exemple la pluie survenait,alors que la cuisson est entamée sur un feu placé à l ’extérieur, on ne peut la compléter au foyer familial.

Si dans le pot qui va servir à préparer la pâte de sorgho, la quantité d’eau mise à bouillir paraît excessive à la ménagère, elle en prélève une partie qui sera, par exemple, versée dans un récipient où on se lave les mains : un ex-pianique ne peut employer cette eau, tout au moins pour cet usage, car il en résulterait une dépigmentation des téguments ou urubara.

Un ancien pianique qui désirerait consommer de la viande cuite refroidie ne pourrait en découper un morceau pour la réchauffer en le passant à la flamme du foyer ; le pian le « reprendrait » comme la viande a été « reprise ». Mais il peut, toutefois, réchauffer le pot tout entier Pian héréditaire.

 Ibinyoro by’ivukanano.

Les Ruandais sont persuadés que le pian, au même titre que la syphilis des parents et des ascendants, a des retentissements sur leur progéniture.Nous savons cependant qu’il n’en n’est rien d’après les données consignées dans tous les traités ; et, au cours de notre longue carrière coloniale, nous n’avons non plus jamais rencontré de nouveau-né présentant à la naissance des signes de pian.

On croit que la femme peut efficacement lutter contre les funestes effets du pian, en absorbant, pendant la grossesse, des remèdes préventifs dits inkuri. Ceux-ci sont composés d’une quantité extraordinaire de simples. Sans cette précaution, le nouveau-né présenterait les symptômes du pian laryngé, contracté in utero. Ainsi explique-t-on la « voix cassée » d’un enfant ayant avalé des mucosités. Ces magistères se boivent pendant cinq ou six mois, quotidiennement le matin et à jeun (deux gorgées suffisent), à partir du quatrième mois, car il faut attendre que l ’oeuf urusoro des premiers temps soit mûr.

Préparation. Les plantes sont récoltées par un enfant isugi, c’est-à-dire n’ayant jamais contracté la maladie et dont les parents sont encore en vie. Les feuilles sont pilées, pressées, tordues. Le produit solide est mélangé à une tasse de boue argileuse ; le tout est bien pétri, puis façonné en forme de boule avec un col pour pouvoir la saisir avec plus de facilité. La boule est mise à sécher sur une claie au-dessus de l ’âtre ou au soleil. On utilisera de préférence la boue qui tapisse l’abreuvoir du bétail. Pour préparer la potion préventive, on emploiera une écuelle provenant d’une courge de l’espèce ururwane,n’ayant ni fente, ni rebord, étant pour cela même isugi. Par-dessus cette écuelle qui contient un rien d’eau on frotte doucement contre le galet, qui sert de pierre à moudre, le remède façonné en boule que la chaleur a desséchée. Un peu de poudre suffit.

Après avoir mêlé la poudre à l ’eau, la femme boit, puis dépose précieusement le récipient dans un endroit sûr, car il ne servira qu’à cet usage. Se cacher pour boire.

Après sa naissance, le nouveau-né sera lavé une fois avec la potion ; quelques gouttes lui seront également versées dans la bouche. On continuera de lui en faire absorber chaque matin avant la tétée, pendant un mois.

Quant au mari, s’il a contracté le pian, il croit de son devoir de prendre la petite dose quotidienne, tandis que la grossesse évolue.

Si, malgré ces précautions, le nourrisson gagne la maladie de la gorge akanigo, ou s’il vient à mourir, le remède est jeté, et on s’adressera dorénavant à un autre spécialiste de l’inkuri.

En Urundi, pays voisin du Ruanda, le préservatif est mélangé à de la bière et se boit par les deux conjoints indistinctement.

Ci-après les noms des plantes employées :

Recette 1):

igicunshu ; itôma; umwishwa ; ikibogeri; icyumwa; umugombe ; umunkamba (racines) ; nkurimwonga ; umutanga; umusugi; umususa; inyabarasanya ; akayogera ; umushishiro ; umuzigangore ; umukuzanyana (racines) ; igihondohondo ; ningwijana.

Recette 2):

umuravumba (feuilles) ; itôma ; umunyamapfundo ; umushishiro ; umukurazo ; umumenamabuye.

 

{:}{:rw}

{:}{:en}

{:}