La reconnaissance du Protectorat au Rwanda  

Lorsqu’en 1890 le Gouvernement allemand de Dar-es-Salaam prit en main le vaste territoire de l’Afrique Orientale Allemande et le découpa en Régions militaires, ce quadrillage plaça le Rwanda dans une région «Tanganyika-Kivu » ayant pour chef-lieu la localité d’Udjidji.

L’expédition von Goetzen de 1894 mise à part, ces dispositions restèrent pour les populations rwandaises sans nul effet pratique jusqu’en 1897. Au cours de cette année, une Compagnie d’Askaris fut placée en garnison de frontière à Gisenyi, à l’extrémité Nord du lac Kivu, tandis qu’une de ses sections était envoyée en poste détaché à Shangi, à l’extrémité Sud de ce lac. La première opération importante qui incomba à ces troupes fut de mettre hors d’état de nuire une forte bande de soldats congolais mutinés qui avait pénétré dans le Protectorat par le Nord du Rwanda’. En cette occasion, les troupes allemandes durent parcourir le pays en tous sens, et l’entourage du Mwami ne jugea pas opportun de s’y opposer.

 

En 1899, la Région militaire « Tanganyika-Kivu » fut divisée et remplacée par des Régions d’une étendue plus praticable. Une Région « Rwanda-Burundi » fut créée, ayant pour chef-lieu Bujumbura. Le Commandant de cette nouvelle région, le Capitaine Bethe, reçut pour première tâche du Gouvernement de Dar-es-Salaam de faire reconnaître formellement la souveraineté allemande par le Mwami du Rwanda. Il s’en acquitta avec beaucoup de diplomatie et de souplesse, faisant valoir au Mwami l’intérêt que devait présenter pour lui la protection de l’Empire Allemand : non seulement les redevances dues par les populations lui resteraient acquises, mais encore et surtout ses pouvoirs resteraient entiers, et notamment son pouvoir de haute et de basse justice. Bien plus, son autorité serait appuyée, en même temps que protégée contre toute agression de l’intérieur comme de l’extérieur… Le jeune Mwami, la reine-mère, et surtout le frère de cette dernière, Kabare, qui détenait en fait le pouvoir, marquèrent oralement leur accord à cette proposition.

 

Les Allemands avaient ainsi opté au Rwanda (comme au Burundi d’ailleurs) pour un système de gouvernement indirect : du point de vue politique et judiciaire, les institutions locales préexistantes continuèrent à fonctionner selon leurs us et coutumes; et cela, à peu de nuances près, jusqu’en 1916.

Les Allemands se réservèrent seulement les prérogatives attachées à la souveraineté suprême, et notamment le pouvoir militaire et de police.

L’Administration allemande eut, dans la suite, plusieurs occasions de remplir ses engagements de protection vis-à-vis du pouvoir local. En 1901, elle réprima le soulèvement du Gisaka, organisé par Rukara, un descendant des anciens Bami de cette région; elle emprisonna celui-ci à Bujumbura. Quelques années plus tard, en 1912, elle eut à réprimer un soulèvement organisé dans le Nord du pays par Ndungatse qui se disait fils du Mwami Rutalindwa et rescapé du massacre de 18961(Ndungutse reviendra en 1928 à la tête d’une centaine de Bahima. Cette fois il pourra rallier à sa cause, au Rwanda, jusqu’à 2000 hommes; mais après une victoire locale, il sera à nouveau défait, et s’enfuira pour de bon en Uganda).

 

Mais tout en remplissant ses engagements de protection, l’Administration allemande s’attacha à réprimer avec une notable fermeté toute atteinte à sa souveraineté suprême. C’est ainsi quele Mwami fut publiquement astreint, en 1903, à s’acquitter d’une amende de 40 vaches pour avoir bafoué un Chef du Gisaka placé sous la protection allemande (Mpumbika, Chef dans le Gisaka, avait été soupçonné de complicité dans le soulèvement de cette région en 1901. Convoqué par le Mwami à Nyanza, il avait été encouragé à s’y rendre par l’autorité allemande qui lui avait donné une lettre de protection et deux Askaris. A peine arrivé à Nyanza, il avait été saisi et ligoté, et ses 30 porteurs avaient été exécutés sous ses yeux avec la plus grande cruauté).

 

L’administration générale du Protectorat

 

La première tâche du Gouvernement de Dar-es-Salaam fut de pacifier les énormes territoires dépendant de lui en Afrique orientale.

Pour réaliser cette tâche, il avait, dans une première période, mis en place une Administration militaire, disposant de troupes nombreuses et bien entraînées.

 

Après avoir en 1890 dompté la rébellion arabe fomentée par le Sultan de Zanzibar, cette Administration entreprit de mettre hors d’état de nuire les Arabes et Arabisés trafiquants d’esclaves. Par application de l’Acte Général de Berlin de 1885 et de celui de Bruxelles de 1890, la lutte contre ce fléau fut menée simultanément à l’Est et à l’Ouest de la chaîne des Grands Lacs, par les troupes allemandes d’une part, et par celles de l’État du Congo de l’autre. Les filières du trafic esclavagiste furent une à une détruites, de telle sorte que les Arabes provoquèrent à nouveau, en 1904 et 1905, un important soulèvement dans les régions proches de la côte. Sa répression fut menée si énergiquement et avec une telle détermination que l’on pouvait aux environs de 1907 considérer l’esclavagisme arabe comme à peu près supprimé’.

Durant cette même période, le Gouvernement de Dar-es-Salaam eut aussi à réduire militairement, dans le centre du pays, une insoumission des populations hamites Massaï.

Au Rwanda même, le Gouvernement dut intervenir en 1905 pour ramener à la raison les montagnards du Mulera qui avaient commencé un mouvement de libération nationale.

Bientôt, le Protectorat se trouva pacifié. Les forces de l’ordre purent être progressivement réduites et démobilisées. Et l’Administration militaire fut remplacée par une Administration civile. Celle-ci prit alors de l’extension, s’adaptant peu à peu à sa vaste tâche.

Le budget annuel du Protectorat se gonfla parallèlement, heureusement suivi par le gonflement des recettes fiscales.Ce budget fut, pendant les premières années, alimenté à la fois par des recettes locales et par un subside extraordinaire de l’Empire, subside qui était appelé à disparaître lorsque les rentrées locales s’avèreraient suffisantes. L’essentiel de ces dernières provenait des taxations douanières, d’un impôt proportionnel sur les revenus, et d’un impôt général sur les populations, fixé en 1908 à trois roupies par habitation ou par homme adulte valide. Cet impôt général pouvait, dans les régions où le travail salarié était rare, être réduit jusqu’à une roupie; il pouvait aussi être remplacé par son équivalent en nature (par exemple, une centaine d’œufs, ou une dizaine de poules).

Au Rwanda, l’impôt d’une roupie ou son équivalent en nature fut perçu à partir de 1912. Toutefois, les contribuables n’ayant pas encore été recensés systématiquement, la perception de cet impôt y fut très limitée. Elle ne s’en ajouta pas moins aux redevances politiques et de clientèle, dont les populations rwandaises étaient déjà chargées à outrance.

L’immense territoire du Protectorat fut à cette époque organisé en vingt-deux Districts civils dont les populations furent administrées directement par l’autorité allemande. Seuls firent exception à cette pratique générale le Rwanda et le Burundi, que les Allemands préférèrent gouverner par l’intermédiaire de la hiérarchie locale, c’est-à-dire de la hiérarchie Tutsi.

 

Au Rwanda, l’Administration militaire fut remplacée par une Administration civile en 1908, au lendemain de la visite effectuée dans le pays par le Duc de Mecklembourg-Schwerin (futur Gouverneur du Protectorat allemand du Togo). La Région militaire « Rwanda-Burundi » fut démembrée, et une Résidence civile(Le premier Résident civil fut le Dr R. Kandt, médecin et écrivain, qui s’illustra par un important ouvrage sur le Rwanda : u CaputNili (Source du Nil) », édité à Berlin en 1905.)relevant directement du Gouverneur de Dar-es-Salaam fut constituée au Rwanda. Son siège fut établi à Kigali, centre géographique du pays, et qui devint tout de suite son principal comptoir commercial.

 

Deux ans plus tard, le 8 février 1910, les frontières entre cette nouvelle Résidence d’une part, et le Congo et l’Uganda d’autre part, furent modifiées à l’occasion d’une Conférence tripartite qui se tint à Bruxelles. Le Rwanda y perdit bien malheureusement l’île Idjwi, le Bwishya et le Gishali au profit du Congo, et le Bufumbira au profit de l’Uganda.

 

Les vingt autres Districts du Protectorat avaient pour centres des Communes, avec des chefs de District, des conseils municipaux, et des budgets municipaux. Ces derniers étaient alimentés par la moitié des impôts perçus localement et par quelques recettes locales secondaires.

 

Outre leur compétence proprement administrative, ces autorités décentralisées reçurent pour tâche d’exercer le pouvoir judiciaire à l’égard des populations de leur ressort, et d’exercer ce pouvoir sur la base des coutumes locales éventuellement corrigées selon les principes de la justice et de la morale universelle. Au Rwanda et au Burundi toutefois, auxquels était appliqué le système de l’administration indirecte, la justice resta entre les mains des autorités locales; aucun texte légal ne vint, au demeurant, réglementer le pouvoir juridictionnel de ces autorités durant toute la période allemande.

 

Quant aux ressortissants allemands et étrangers, des juridictions spéciales furent constituées à leur intention, et confiées à des magistrats de carrière appliquant la législation allemande.

 

D’une façon générale, la décentralisation de l’autorité, appliquée à l’immense territoire du Protectorat, fut considérée dans la suite comme profitable, principalement dans le domaine économique et dans celui des travaux publics régionaux.

 

Le grand problème des communications

 

Le plus important problème qui se posa aux Allemands comme aux Britanniques lorsqu’ils voulurent mettre en valeur les vastes territoires qu’ils occupaient en Afrique de l’Est, fut le problème des transports et des communications.

Le Protectorat allemand, pour sa part, se présentait comme un immense quadrilatère de près d’un million de km², bordé à l’Est par 750 km de côte océanique, et à l’Ouest par une chaîne de quatre Grands Lacs qui lui faisaient véritablement un second littoral : le lac Victoria (qui mesurait environ 260 km d’Est en Ouest), le lac Kivu (environ 100 km du Nord au Sud), le lac Tanganyika (650 km) et une partie du lac Malawi (soit environ 250 km).

 

Sur son littoral océanique, le Protectorat disposait comme principal exutoire du port de Dar-es-Salaam, desservi depuis 1890 principalement par la Deutsche Ostafrika Linie, et accessoirement par des Compagnies maritimes autrichiennes, britanniques, portugaises, françaises et hollandaises. La Compagnie allemande reliait Dar-es-Salaam directement à Brême et Hambourg, ainsi qu’à Zanzibar et Bombay.

 

Quant aux Grands Lacs du « littoral occidental », ils promettaient de devenir un jour les grands collecteurs et les grands distributeurs des régions généralement fort riches qui les entouraient. Et l’intérêt de cette perspective semblait s’accroître encore dans l’hypothèse d’une interconnexion routière ou ferroviaire entre les différents lacs.

 

Mais entre son littoral océanique et son « littoral » occidental, le Protectorat ne disposait d’aucune voie fluviale de pénétration, susceptible de lui permettre un transport facile et bon marché. Seule la voie terrestre était possible.

Il apparut donc très vite aux Allemands que s’ils voulaient faire de leur Protectorat un marché vivant et dynamique, ils devaient aménager par priorité vers les régions lointaines de l’intérieur des voies de transport terrestres économiques. Et pour les considérables tonnages que l’on devait s’attendre à voir passer par de telles voies, la solution toute indiquée était celle du chemin de fer. L’Administration allemande décida donc de créer aussi rapidement que possible une infrastructure ferroviaire de pénétration.

Elle hésita au départ sur les tracés à adopter à partir de la côte.

 

La première voie ferrée qu’elle construisit devait théoriquement relier le port maritime de Tanga à la rive orientale du lac Victoria, parallèlement à la ligne construite par les Britanniques entre Mombasa, Nairobi et Kisumu. Cette voie n’alla pas plus loin que la petite localité de Mambo 1,129 km à l’intérieur des terres (après la guerre de 14-18, les Anglais la prolongeraient jusqu’à Moshi puis Arusha).

 

La seconde voie ferrée dont les Allemands envisagèrent la construction, devait relier le port de Lindi sur la côte méridionale au lac Malawi. Seul un court tronçon de cette voie fut réalisé, car tous les efforts se concentrèrent bientôt sur un troisième projet, d’une importance vitale pour tout le centre et l’Ouest du Protectorat.

 

Ce troisième projet devait relier Dar-es-Salaam au centre de Tabora, et de là à Kigoma sur la rive orientale du lac Tanganyika, à Mwanza sur la rive Sud du lac Victoria et à Rusumo sur ce que les Allemands considéraient comme le réseau fluvial du Rwanda et du Burundi (Kagera-Nyabarongo-Akanyaru-Ruvubu). Ce vaste projet avait le mérite de relier à Dar-es-Salaam trois importants ensembles naturellement navigables. Il devait se compléter d’une interconnexion ferroviaire directe entre Rusumo et la baie de Rwiga sur la rive Sud-Ouest du lac Victoria; l’étude de cette interconnexion fut réalisée juste à temps pour être soumise au Gouvernement de Dar-es-Salaam en 1913, à la veille de la première Guerre Mondiale.

Les frais d’étude de la grande voie ferrée centrale finalement décidée furent pris en charge à parts égales par le département colonial des Affaires Étrangères de Berlin, par la Société Allemande de l’Afrique Orientale, et par la Deutsche Bank. Cette étude prit plusieurs années, mais en 1904, le Gouvernement impérial fut enfin à même d’accorder à la Société des Chemins de Fer de l’Ostafrika nouvellement constituée une concession de 88 ans pour la construction et l’exploitation de la voie centrale.

Les travaux, rapidement commencés, permirent l’achèvement de la ligne Dar-es-Salaam-Tabora-Kigoma en 1914. L’embranchement de Mwanza, par contre, ne put être réalisé complètement; pas plus que celui de Rusumo. Sur ce dernier tronçon, seuls 60 km de remblais avaient été aménagés en direction du Rwanda lorsque survint la guerre de 14.

A côté de son réseau ferré central, le Protectorat disposait dès 1915 d’une ligne télégraphique terrestre directe entre Dar-es-Salaam, Tabora et Mwanza.

Le vaste réseau de communications entrepris par les Allemands devait permettre à l’ensemble du Protectorat un essor général. Il devait d’abord assurer l’accès facile et rapide des régions les plus éloignées; ce qui, du point de vue de l’administration, de l’ordre, et de la sécurité, était d’une grande importance. Mais il devait en outre et surtout permettre à des millions d’hommes d’entrer dans un stade de production d’économie moderne, directement branchés sur le commerce mondial… et de payer aussi bientôt des millions de roupies d’impôt, tout en augmentant considérablement par l’exportation de leurs productions les recettes douanières du Protectorat.

 

Au Rwanda même, l’accomplissement d’un programme intensif de travaux publics resta durant toute la période allemande subordonné à l’achèvement préalable des voies de communication maitresses du Protectorat. Dans l’entre-temps toutefois, l’Administration allemande s’efforça d’aménager à travers le pays un premier réseau de voies cyclables accessibles aux attelages de cette époque; cela tout en améliorant et en multipliant les pistes de portage.

 

De ce point de vue, l’interruption des grands projets allemands de voies ferrées par la guerre de 14-18 fut certainement pour le Rwanda un grand dommage. La parfaite intégration économique à l’Est que ces projets lui auraient assurée ne put être menée à bien. Ni Rusumo, ni Kigali, futurs ports fluviaux, ne virent cette vocation se confirmer après la guerre. Au contraire, la principale conséquence de celle-ci pour le Rwanda et le Burundi fut, ainsi qu’on le verra au cours des chapitres suivants, qu’ils se virent bientôt coupés de toutes relations directes avec le reste de l’Afrique orientale.

 

Les programmes économiques

 L’essentiel des programmes économiques réalisés sous le Protectorat allemand le furent à l’initiative des compagnies privées d’abord, et des autorités administratives décentralisées ensuite.

Dès le départ, et de plus en plus activement, le Gouvernement central de Dar-es-Salaam appuya ces initiatives et les orienta autant que possible. Il avait commencé, en 1902, par reprendre sous son contrôle les instruments de base de la politique économique, et notamment l’instrument monétaire, qui était resté jusqu’à ce moment entre les mains de la Société Allemande de l’Afrique Orientale. Un Ordre Impérial1 décida en 1903 la création de nouveaux billets, et en concéda l’émission à un consortium de banques. Cette monnaie, la roupie, se subdivisait en 100hellers [amahela, ndlr], et s’alignait sur le Deutsche Mark.

Le Gouvernement de Dar-es-Salaam développa aussi très vite ses Services généraux, économiques et techniques. Il les compléta bientôt en fondant à Amani, à une soixantaine de kilomètres du port de Tanga, un Institut de Biologie Agricole, dont les études et les champs d’essai et de multiplication devaient permettre l’amélioration des programmes agricoles.

Les activités économiques dans les régions de l’intérieur du Protectorat, restant pour l’essentiel conditionnées par la construction préalable de voies de communication, débutèrent comme il se devait dans les zones fertiles les plus proches de la côte. Elles ne s’étendirent que progressivement aux régions les plus lointaines.

Dans le domaine agricole, les Allemands concentrèrent leurs efforts sur la production du coton, du sisal, du café et du caoutchouc.

Le coton intéressait particulièrement le Gouvernement impérial, qui était désireux de voir l’industrie allemande disposer d’une production de coton indépendante, dégagée des prix monopolistiques pratiqués par les planteurs de coton américains; ceux-ci venaient encore de doubler puis de tripler leurs prix à l’exportation. En vue de réaliser cet objectif, le Comité pour le développement colonial de Berlin fit, en 1906, distribuer en grande partie gratuitement aux petits agriculteurs quatre tonnes de semences du meilleur coton égyptien.

Les plantations de sisal connurent aussi un grand développement, particulièrement à proximité de la côte. La récolte et le traitement de cette production demandant de nombreux ouvriers 1, les compagnies allemandes s’intéressèrent très vite au réservoir de main-d’œuvre que représentaient le Rwanda et le Burundi, et encouragèrent fortement la construction rapide du chemin de fer dans cette direction.

Quant aux plantations de café, elles furent poussées tout d’abord dans les régions les plus propices. Ce fut le cas du District de Bukoba, voisinant la côte occidentale du lac Victoria. De petites quantités de caféiers furent également plantées au Rwanda.

 

Les Allemands entreprirent d’autre part de nombreux boisements d’eucalyptus dans leurs divers postes administratifs ainsi que le long des routes et des principales pistes.

Ils encouragèrent aussi l’exportation du bétail et des peaux séchées.

La politique de développement économique et les programmes de production agricole au Rwanda même n’eurent pas le temps de se préciser beaucoup pendant les quelque huit ans qu’y dura l’administration proprement civile de l’Empire allemand. Lorsqu’il s’installa à Kigali en 1908, le Résident Kandt s’était fixé un programme pacifique, humanitaire, et tout au moins dépourvu de précipitation, commençant par « une période de 10 ans d’étudeset d’assimilation ». Cette méthode lui valut d’ailleurs de nombreux tiraillements avec les militaires, partisans de méthodes plus énergiques.

 

Les activités religieuses et sociales chrétiennes

 

Lors de sa première arrivée au Rwanda en 1900, le Vicaire Apostolique de Mwanza, Mgr Hirth, avait espéré attirer au Christianisme avant tout autre le milieu des Chefs Tutsi. Celui-ci devait entraîner ensuite facilement sur la même voie la masse des populations.

Or l’accueil reçu à Nyanza s’il avait été courtois, n’en avait pas moins déçu les espoirs du Vicaire Apostolique. Le Mwami ne l’avait finalement autorisé à implanter une première Paroisse que sur la colline alors dite mal famée de Save, à 50 km au Sud de Nyanza. Et dans cette dernière localité, seule avait été tolérée une école non religieuse, où pourraient être enseignés aux fils des Chefs Tutsi le Kiswahili, la lecture, l’écriture et l’arithmétique.

 

Par ailleurs, un mot d’ordre de méfiance avait été donné à l’ensemble des milieux politiques Tutsi, le Mwami et son entourage ne tenant sans doute pas à livrer ceux-ci à une influence extérieure et incontrôlée. La méfiance au niveau des autorités politiques locales fut dans la réalité souvent atténuée par leur fréquentation directe des Pères Blancs et des premiers Chrétiens. Mais malgré tout, pour ces autorités qui vivaient perpétuellement dans l’intrigue et la méfiance, même l’influence acquise par un catéchiste dans l’exercice de sa tâche apostolique pouvait porter ombrage; il n’en résultait généralement rien de bon.

Conséquence de l’ostracisme pratiqué par les autorités à l’égard du Christianisme, c’est parmi la masse des populations que celui-ci trouva ses premiers adeptes.

Très rapidement en effet, ces populations avaient été conquises par l’élévation du message chrétien. Par son Dieu transcendant, Dieu d’amour et de pitié, qui s’identifiait avec Imana, le Dieu traditionnel; mais dont était mise en lumière l’œuvre de Rédemption. Ce message prenait pour le Rwanda de cette époque un attrait d’autant plus grand qu’il affirmait l’égalité et la fraternité des hommes, et leur proposait un extraordinaire modèle : l’imitation de Jésus-Christ, le Juste, le Crucifié, le Fils Sacrifié, incarnation de la vertu essentielle de charité en même temps que de la plus grande noblesse morale.

L’expansion du Christianisme au Rwanda à partir de 1900 fut à la fois vigoureuse et constante. Chaque année se fondèrent de nouvelles Paroisses qui chacune, selon la règle des Pères Blancs, comptait trois prêtres et se trouvait ainsi à même de desservir un grand nombre de chapelles succursales éloignées parfois de 20 à 40 kilomètres.

En 1900, quelques mois après Save, naquirent encore la Paroisse de Zaza au Gisaka ; en 1901, la Paroisse de Nyundo au Bugoyi; et en 1903 les Paroisses de Rwaza au Mulera et de Mibilizi au Kinyaga.

Jusqu’en cette année 1903, les fondations chrétiennes s’étaient effectuées sur des terres concédées par le Mwami à titre onéreux, selon la coutume foncière de l’époque. Cette pratique s’était révélée peu opportune à plusieurs points de vue : d’abord, elle ne conférait pas aux missions un droit de libre propriété; ensuite, elle les insérait dans le réseau des liens de clientèle foncière. Afin de remédier à ces inconvénients, le Vicaire Apostolique obtint cette année-là, du Gouvernement du Protectorat, la transformation de ses tenures de droit coutumier en propriétés privées selon le droit allemand. Simultanément, il put recommander aux cinq Paroisses chrétiennes du Rwanda de renoncer officiellement à tous pouvoirs (notamment juridictionnels) sur les quelques occupants de leurs concessions.

 

Dans les années suivantes, de nouvelles Paroisses se fondèrent régulièrement : celle de Kabgayi, en plein cœur du pays, en 1905; celles de Rulindo et de Murunda en 1909; celle de Kansi en 1912; et en 1913 celles de Kigali et de Rambura. Cette dernière Paroisse, située dans le Bushiru, fut fondée à la demande du Résident allemand, qui espérait arriver par ce biais à pacifier cette région turbulente.

 

En 1909, les Sœurs Blanches avaient fait leur apparition auprès des principales Paroisses, y exerçant une action remarquable comme institutrices et comme infirmières.

L’expansion du Christianisme parmi les populations rwandaises fut, à cette époque, qualifiée de tout à fait extraordinaire. « Au Rwanda, l’Esprit souille en tempête », disait un chroniqueur. Et pourtant l’Église du Rwanda ne s’était pas constituée selon des méthodes de facilité. Au contraire, les conditions pour accéder au baptême y avaient été, dès le départ, très dures : tout catéchumène devait s’astreindre à une période de probation de quatre ans, et devait posséder ou acquérir une connaissance au moins élémentaire de la lecture du Kinyarwanda. Toutefois, les premiers baptêmes eurent lieu à Save et à Zaza dès l’année 1903. Les jeunes garçons baptisés furent envoyés dès cette même année au Séminaire de Rubya près du lac Victoria. Ils y suivirent un cycle d’étude qui, dès cette époque, était de 6 années d’humanités et 7 années de philosophie et de théologie.

 

En 1912, le Vicariat de Mwanza, devenu trop vaste, fut scindé en deux. Le Rwanda, qui en était la partie la plus populeuse (2 000 000 d’habitants) et la plus florissante, fut regroupé avec le Burundi (1 800 000 habitants) et avec le Buha (200 000 habitants) eux-mêmes détachés du Vicariat de l’Unyanyembe, pour former ensemble un nouveau Vicariat, dit « du Kivu », ayant son siège à Nyundo près de Gisenyi. Le titulaire de cette nouvelle entité fut Mgr Hirth, précédemment Vicaire Apostolique de Mwanza. Un grand et un petit séminaire furent créés à Kansi, pour être dans la suite, en 1913, transférés à Kabgayi.

A cette époque, l’ostracisme des milieux politiques à l’égard du Christianisme s’était déjà sensiblement atténué. Un nombre croissant de jeunes Tutsi avaient adopté la religion chrétienne. Et lorsque bientôt les perspectives d’influence offertes aux élèves des Séminaires furent apparues clairement, ce mouvement d’adhésion fut accentué peu à peu par calcul politique. C’est ainsi que Kabare, frère de la reine-mère et quasi-Régent, avait voulu montrer que l’interdit jeté jusque-là sur le Christianisme ne devrait plus être appliqué sans discernement. Un beau jour de 1907, des Chrétiens rwandais s’étant présentés à sa demeure, il les avait faits asseoir parmi ses hôtes et avait invité tout le monde à boire la bière au même chalumeau. Il avait commenté son geste en ces termes : « Ces Chrétiens sont-ils oui ou non des Rwandais? Sont-ils des mutins ou des révoltés? Pourquoi les bafouer? Le Mwami a-t-il interdit de s’instruire? »

Ce geste d’un personnage central du régime Tutsi restait toutefois d’une portée limitée. En réalité, l’adhésion des milieux politiques à la religion chrétienne ne se déclencha massivement qu’une vingtaine d’années plus tard.

Entretemps, au cours de l’année 1907 également, les premiers pasteurs de l’Eglise Évangélique allemande avaient fait leur apparition au Rwanda. Le Mwami Musinga leur avait accordé les collines de Zinga (au Gisaka) puis de Kilinda (au Nyantango). Dans la suite, ils s’étaient établis également à Rubengera (au Bwishaza), à Kiteme sur Pile Idjwi (au lac Kivu), et à Reniera (au Rukoma).

A la veille de la première Guerre Mondiale, l’on pouvait porter à l’actif des naissions chrétiennes non seulement leur apport religieux, philosophique et culturel, mais aussi un apport social et économique réellement important pour l’époque. Chaque Paroisse disposait, en effet, à côté de ses locaux consacrés à l’instruction religieuse, d’une ou deux écoles pour l’enseignement des enfants. Une dizaine de ces écoles fonctionnaient déjà en 1905. En 1910, il y en avait trente-trois, comptant 1 250 élèves, et en 1915 une quarantaine, comptant 2.000 élèves, dont un quart de filles. Dans le même temps, la Résidence allemande avait créé, pour sa part, à Kigali une école officielle neutre destinée aux fils de Chefs.

 

Une autre œuvre sociale des missions fut leur activité médicale : elles furent les premières à apporter dans le pays les soins et les remèdes d’une médecine scientifique, aidées en cela par l’Administration allemande dont les Services de Santé militaires entreprirent occasionnellement l’une ou l’autre campagne de vaccination.

Dans le domaine économique, les missions chrétiennes jouèrent accessoirement un rôle non négligeable: elles introduisirent par exemple l’élevage du porc domestique, la culture du caféier, des pommes de terre, des choux, des arachides, de divers arbres fruitiers, des ananas… et plantèrent un grand nombre d’eucalyptus, de cyprès et de gréviléas, en prévisions des besoins pour la charpente et la menuiserie. Elles formèrent aussi un certain nombre d’artisans : maçons, briquetiers, charpentiers, menuisiers, cordonniers, typographes, relieurs, etc…