Le rôle de notre Assemblée Nationale  

873. Nous donnons ci-après le texte de l’Allocution prononcée par S.E. Monsieur Thaddée Bagaragaza, Président de l’Assemblée Nationale, à l’occasion de la Fête de notre Parlement, le 25 septembre 1972. Bien entendu, ce document est antérieur à tous ceux que nous venons de lire. Nous avons cru utile d’en communiquer le texte intégral en Français (car il a été prononcé dans les deux langues officielles). L’excellent exposé ouvrira les yeux à ceux qui en auraient besoin, concernant le rôle du Parlement au sein des Institutions Démocratiques.

« Excellence Monsieur le Président de la République ; Excellence Monsieur le Président de la Cour Suprême, Excellence Monsieur le Secrétaire Exécutif National ; Excellences Messieurs les Ministres ;

Excellences Messieurs les Ambassadeurs ;

Honorables Députés et Chers Collègues ;

Excellences, Mesdames Messieurs ;

C’est la 1ère fois que nous nous réunissons aujourd’hui pour célébrer la Fête de l’Assemblée Nationale de la République Rwandaise.

Aussi est-il un honneur et un plaisir pour moi, en tant que Président en exercice de cette Institution, de Vous remercier tous d’être venus rehausser de votre présence amicale les festivités qui vont marquer cette journée.

Personne d’entre vous n’ignore que cette date a une autre signification historique : c’est l’anniversaire du 25 septembre 1961, date à laquelle le peuple rwandais a, par referendum, remplacé le régime féodo-colonialiste par un régime démocratique républicain.

Et comme c’était la première fois dans l’histoire du Rwanda que les Représentants de la Nation étaient élus librement au suffrage universel direct — ce qui est l’une des principes caractéristiques du régime démocratique — cette date a été retenue comme « Fête de l’Assemblée Nationale ».

Etant donné que nous sommes encore dans la première année, d’une deuxième décennie de la Démocratie au Rwanda, vous me permettrez, aujourd’hui, à l’occasion de cette fête de l’Institution Législative, de vous rappeler le rôle de l’Assemblée Nationale. En effet, ces derniers temps un peu partout dans le monde, même dans le pays de vieille démocratie, on se demande si le Parlement est vraiment nécessaire. C’est pourquoi il m’a semblé utile de vous définir en quelques mots les responsabilités du Député et des électeurs.

Un Pays Démocratique, est un Pays où la souveraineté appartient au peuple, qui l’exerce par ses Représentants élus librement pour le bien-être de la totalité de la population.

Ainsi dans un régime démocratique, tout citoyen, ayant l’âge requis est appelé à exercer la souveraineté, c’est-à-dire le pouvoir suprême de la Nation. Il est cependant comprdensibie que tous les citoyens adultes d’un pays, même d’un pays tout petit et très peu peuplé, ne peuvent pas tous en même temps, par eux-mêmes directement exercer ce pouvoir suprême.

Aussi dans tous les pays à régime vraiment démocratique existe-t-il des lois qui déterminent le nombre des Représentants du peuple ainsi que les conditions et les modalités de l’organisation de la consultation populaire pour désigner ces Représentants appelés pour assurer, durant une période donnée, l’exercice de la souveraineté du peuple.

Ces Représentants de la Nation ont une mission bien précise. D’après notre Constitution, l’Assemblée Nationale a un double rôle : légiférer et contrôler l’application de la loi.

1°) Le premier rôle du Représentant du peuple, l’Assemblée Nationale, est de doter le pays des lois c’est-à-dire tout un ensemble de prescriptions qui règlent la vie des citoyens tout en organisant le progrès économique, social, culturel et spirituel d’une nation et ce pour le bien-être de la totalité de la population. Toutefois le parlementaire n’est pas le seul à concevoir la loi ; l’initiative des lois appartient concurremment aux députés, au Président de la République et auGouvernement. Il est cependant aisé de comprendre que la majorité des projets de loi provient le plus souvent du Gouvernement; c’est lui qui doit veiller sur la sécurité des biens et des personnes et assurer le développement harmonieux de la nation. C’est donc lui qui est le premier à sentir le besoin d’un instrument légal lui permettant de mieux accomplir sa mission. D’autre part c’est le Gouvernement qui dispose de techniciens pour préparer ces projets de loi. Mais le Gouvernement doit se garder de mettre directement en application ces projets sans l’approbation préalable des Représentants du peuple qui ont été chargé de concevoir la politique du pays et d’exprimer cette politique dans des lois que le Gouvernement est chargé d’exécuter, de faire respecter.

2°) C’est ici qu’apparaît le second rôle principal assigné au Parlement Rwandais. En effet, une loi peut être votée en bonne et due forme et être promulguée sans pour autant être appliquée ; elle peut aussi être appliquée, mais d’une façon non conforme ni à sa lettre ni à son esprit. Dans toute entreprise bien organisée, tout mandat d’exécution entraîne normalement l’existence d’un autre mandataire chargé de contrôler si le mandat a été exécuté conformément aux ordres donnés. Aussi la loi fondamentale charge-t-elle le Législateur de cette fonction de contrôler la bonne application de la loi.

Par ailleurs, l’action du Président et du Gouvernement ne se limite pas uniquement à l’exécution des lois : le maintien de l’ordre, le développement national aussi bien économique et social que spirituel et culturel, les relations avec l’extérieur relèvent de l’Exécutif. Aussi le Parlement est-il chargé, au nom du souverain, le peuple, de contrôler, de vérifier si tous les actes du Gouvernement et du Président de la République vont dans le sens de la démocratie et pour l’intérêt bien compris du peuple.

Toutefois, ce contrôle ne peut se faire n’importe comment, au gré du contrôleur : c’est pourquoi la Constitution, après avoir établi l’obligation; du Chef de l’Exécutif de « fournir à l’Assemblée Nationale toutes les explications qui sont demandées sur les actes du Gouvernement » détermine les moyens d’informations et de contrôle dont dispose l’Assemblée Nationale ; mais ce rôle ne sera pleinement effectif que lorsque une loi interviendra pour fixer « les conditions et la procédure d’application de ces moyens d’informations et de contrôle sur l’action du Gouvernement ». J’espère que cette loi sortira sous peu pour permettre aux Représentants de la Nation d’exercer légalement, sans fourvoiement tapageur et sans complexe d’ingérence, une des plus importantes fonctions que la Nation leur a confiées.

Pour bien remplir ce double rôle de législateur et de contrôleur, le Parlementaire doit d’une part se familiariser avec la loi et se mettre au courant des directives que l’Administration adresse à la population en vue d’aider celle-ci à les mieux comprendre et collaborer pleinement à leur exécution ; et d’autre part se mettre à l’écoute de la population, comprendre ses aspirations, ses souhaits, ses difficultés en vue de les traduire, en son nom, à l’Administration ou à l’Assemblée Nationale.

Comme le soulignait dernièrement un Président d’un pays démocratique devant la Conférence de l’Union Interparlementaire : « la vocation fondamentale des Parlements consiste à faire entendre la voix des peuples au sein des institutions étatiques et dans les relations internationales ». Cette voix doit se faire entendre en tant que la voix du souverain, du détenteur du po voir suprême.

Aussi tout électeur devrait-il être capable de donner un avis motivé sur les différentes questions débattues dans les assises, aussi bien nationales qu’internationales, de façon à pouvoir s’y faire représenter dignement. Si l’électeur manque des qualités nécessaires pour s’acquitter convenablement de son rôle de souverain, il risque de prendre à l’aveuglette des décisions dont les conséquences lointaines lui échappent : il risque de confier à des incapables ou des peureux l’exercice de sa souveraineté.

La tâche d’un représentant du peuple est énorme et primordiale dans la vie d’un pays démocratique ; les Représentants du peuple devraient être choisis parmi les citoyens les plus compétents, ayant les dispositions morales convenables sans lesquelles leur gestion sera néfaste au bien commun.

Les électeurs devraient se former et s’informer continuellement en vue de se mettre à même de pouvoir découvrir parmi eux les personnalités les plus aptes à exercer le mandat de représentant du peuple. Aussi l’un des devoirs primordiaux des dirigeants du pays en général, des partis et des autres éducateurs des citoyens en particulier, est d’initier ceux-ci, spécialement les futurs électeurs à la vie démocratique, parce qu’elle a ses exigences et mêmes ses dangers.

La démocratie requiert des détenteurs de l’autorité de ne jamais perdre de vue que cette autorité leur vient du peuple, le seul souverain ; les représentants de ce peuple doivent être consultés chaque fois qu’une importante décision pouvant modifier la marche habituelle de la nation doit être prise.

Les citoyens, de leur côté, ont le devoir de s’intéresser aux affaires de l’Etat de façon à pouvoir au besoin tirer la sonnette d’alarme s’ils voient que le pays est conduit dans des chemins qui risquent de les éloigner de leurs profondes aspirations.

C’est du reste l’une des raisons pour lesquelles nous avons l’habitude, à des occasions comme celle-ci, de parler publiquement des affaires touchant l’organisation de la Nation. Nous sommes convaincus qu’en comprenant mieux les objectifs poursuivis par les autorités nationales, le peuple apprécie davantage ses leaders, et s’associe plus efficacement à leur action.

Quant à moi, je m’estimerais très satisfait de ces quelques mots, si chacun de vous en retirait une conviction que le rôle joué par le Représentant du peuple est primordial pour la promotion et la survie de la démocratie.

Vous me permettrez de terminer mes propos, en vous exhortant à vous joindre à moi pour remercier nos Députés d’avoir accepté le mandat de parlementaire, le mandat de représentant de, la Nation : notre reconnaissance doit se manifester principalement en observant scrupuleusement les lois qu’ils votent et en leur facilitant la tâche dans l’exercice de leurs fonctions.

Vive le Président du M.D.R. PARMEHUTU, promoteur de la démocratie au Rwanda ;

Vive le peuple rwandais que représente l’Assemblée Nationale ; Bonheur à vous tous !

Le Président de l’Assemblée Nationale Th. BAGARAGAZA.