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  1. Une Ère Nouvelle Pour Le Ruanda.

C’est avec le mwami Rwabugiri que finit le monde antique au Ruanda : la visite que lui fit le comte Götzen en 1894 annonce l’avènement immédiat d’un monde moderne. Jusque-là le Ruanda avait vécu isolé et ignoré dans ces montagnes fabuleuses de la Lune, où les romanciers géographes d’Occident mettaient aux prises des pygmées noirs avec des grues venues du nord. C’était la phase que l’on pourrait dire proprement africaine de son histoire par opposition à la phase mondiale, dans laquelle il devient une pièce sur l’échiquier international. Des temps nouveaux se sont levés sur lui dès l’instant où l’Europe, parvenue au seuil de ses frontières, a fait sa découverte et l’a entrainé dans son orbite. Cet heureux événement a été pour lui le principe d’une renaissance et le point de départ d’une nouvelle carrière. Jamais au cours de son immémoriale antiquité pareille lumière n’avait brillé sur lui et pareille’ commotion ne l’avait ébranle L’Occident lui apportait simultanément sa civilisation et le christianisme qui en est l’âme. Le bilan de cette révolution inouïe devait se solder par des gains et des pertes. Indépendance et isolement politiques, souveraineté inconditionnée, Propriété universelle féodale des princes, Inégalité et antagonisme des races, esclavage et traite des noirs, condition humiliée de la femme, tyrannie spirituelle des griots, terreurs superstitieuses, tout cela serait balayé par le souffle de la vie nouvelle. Le pays recevrait en échange un régime de paix, d’ordre et de justice, l’institution de la propriété stable et privée, l’établissement de centres urbains, l’initiation aux arts mécaniques et libéraux, la révélation d’une vérité religieuse qui éveillerait et alimenterait les énergies morales et spirituelles de l’individu et des groupes. Nos transformations occidentales, si tapageuses qu’elles soient, n’égalent pas en intensité et en profondeur le bouleversement dont on est ici témoin. L’initiative qui l’a provoqué eût été moins novatrice il y cent ans. C’est l’Europe du vingtième siècle, riche de ses récentes acquisitions, qui se présente à -l’humanité attardée du Ruanda et l’invite à la participation fraternelle d’un patrimoine de progrès, temporels et spirituels, sans cesse accru au cours de plusieurs millénaires. En aucun temps et en aucun pays le terme d’« ère nouvelle » ne fut plus justifié que_ dans le cas présent. Néanmoins cette révélation fatidique de l’Occident, pour soudaine qu’elle fût, n’a pas été sans un prélude. Les choses d’Europe et d’Amérique au Ruanda ont précédé les personnes, nous l’avons indiqué pour certaines cultures vivrières et pour le tabac, véhiculés depuis le littoral indien soit par des noirs commerçants soit par d’autres blancs plus voisins, les Asiatiques arabes, persans et hindous. Ces derniers ont dû s’arrêter net à ses portes, closes devant eux et qu’ils n’ont pu forcer : les marchandises seules ont passé dans un sens et dans l’autre. Le Ruanda, pour son bonheur, a pu se garder de l’invasion d’une demi-civilisation, trop Voisine dé s’a propre barbarie, et se réserver ainsi pour la vraie. Mais le danger fut grand et il y a échappé de justesse. Il convient donc au préalable, en supputant les forces d’expansion du sémitisme arabe et musulman, de se rendre compte de la menace qu’il a fait peser sur lui.

2. — Le Commerce Arabe

L’exclusive contre les traitants blancs

Ce ne sont pas les blancs eux-mêmes qui furent admis à trafiquer sur les marchés du Ruanda, mais leurs agents noirs, ceux de l’est : Baswi, Bajinja, Basukuma, et ceux du sud : Barundi et riverains du Taganyika. Eux, ils se tenaient dans des villes de leur création, telles que Tabora et Ujiji, dans des centres du Victoria-Nyanza, où ils entreposaient les marchandises arrivées soit du littoral soit de l’intérieur. Ils colonisaient même le Karagwe et l’Urundi, à Kafuro, a Rumonge par exemple. Les articles de leur importation étaient les produits manufacturés d’Europe, débarqués sur la côte par les marines marchandes de tous les pays, – ceux que prisaient’ les Noirs : étoffes et vêtements, perles de porcelaine et verroteries, fils de laiton et de cuivre, tentes en toile, fusils à piston — makwa — surtout avec poudre et ‘capsules. En retour ils achetaient les pointes d’ivoire, les peaux de félins, les fourrures de loutre, des bovins, et aussi des – esclaves. Ces Arabes étaient ceux de la côte du Zanguebart où ils avaient supplanté les Portugais à la fin, du XVIIe siècle. Ils venaient de Mascate, capitale de l’Oman, au sud du golfe Persique. Ces sémites méridionaux avaient créé dans la mer des Indes, ainsi que jadis leurs congénères, les Phéniciens, dans la Méditerranée, une thalassocratie, qui avait succédé à celle des Portugais et qui préludait à celle des Anglais. Profitant de la mousson, qui souffle alternativement de l’est à l’ouest et de l’ouest à l’est, ils avaient établi un courant d’échange de la côte de l’Hindoustan à celle de l’Afrique, cabotant le long des rivages de l’Arabie et de l’Iran. Leur Tyr et leur Sidon étaient les îles de Sokotora à l’entrée de la mer Ronge et de Zanzibar en face du Zanguebar. Leur Carthage était Bagamoyo de là- ils avaient gagné l’hinterland, fondant Ujiji en 1845, Tabora en 1852, débordant le Victoria-Nyanza et le Tanganyika, pénétrant au Congo jusqu’aux Chutes de Stanley. En 1862 le sultan de Zanzibar, Saki Maggid, s’était rendu indépendant de l’imam de Mascate, et, l’année suivante, il avait créé Dar-es-Salaam. Dès ce moment tous les territoires conquis par les Arabes en Afrique Équatoriale relevèrent de lui. Le Ruanda était enveloppé de toutes parts, mais à distance, par la marée musulmane. Bastion peu accessible, comme l’Abyssinie, il avait été respecté à peu près comme elle. Mais des échanges réguliers s’étaient établis. Ils remontaient à l’époque de la création de Tabora. C’est au temps de Gahindiro, grand-père de Rwabugiri, dit-on, qu’arrivèrent les premières cotonnades européennes. Exportations et importations se faisaient principalement par la frontière de la Kagera. La route commerciale la plus fréquentée était celle qui, partant de Kivumu au nord de Kabgayi, gagne Rukira dans le Kisaka, et se dirige par l’Uswi sur Mwanza au lac Victoria. Rwabugiri avait de ce côté-là pour fidèle courtier un mujinja du nom de Byénénékwa, qu’il avait placé à la tête .d’une chefferie au Kisaka. C’est de cet étranger quasi naturalisé qu’il recevait régulièrement poudre et capsules pour ses fusils. Mais si les marchandises passaient, les négociants blancs restaient en deçà de la frontière sous peine de mort. Hamed Ibrahim, un musulman de Mascate fixé à. Kafuro au Karagwé, juste en face du Ruanda, racontait à Stanley, son hôte, en 1875, que, depuis douze ans qu’il était là, il avait à maintes reprises tentées d’allécher l’ « impératrice » de ce royaume: Quelques-uns de ses esclaves, chargés de présents, étaient bien parvenus jusqu’à la cour de Rwabugiri, encore en tutelle, mais ils auraient été empoisonnés par ordre de la reine mère. Deux seulement se seraient sauvés et auraient fait retour auprès de lui. Et il ajoutait : « Les gens de ce pays ne sont pas des lâches, machailah ! Ils ont pris le Kisaka, le Mubari, et viennent de s’emparer du Mpororo. Les Baganda sont venus se mesurer avec eux, et ils ont été contraints de se retirer. Ah ! les 13erryarwanda sont un grand peuple, mais des hommes cupides, malfaisants, fourbes et traitresse Ils n’ont jamais permis à un Arabe de trafiquer dam leur pays, ce qui prouve que ce sont de mauvaises gens. L’ivoire abonde chez eux. Pendant les huit dernières années, Kharnis-: en Abdallah, Tippo Tip, SaId ben Habib et Moi; nous avons souvent essayé d’entrer là sans jamais y réussir. Les gens de Rumanika lui-même, qui ouvre son – pays à tout le monde, ne peuvent pas y pénétrer au-delà de certaines limites voisines de la frontière. Et cependant Rumanika est de leur propre race, de leur propre sang, il parle la même langue à peu de différence près (1). » Au sud, le sultan d’Ujiji, Mohammed ben Hellen, reste tristement célèbre _dans la contrée, sous – le nom Souahéli de Rumaliza — Le ravageur, — n’eut Pas plus de, succès que les traitants de l’Est. Il chargea un jour un de ses correspondants noirs de l’Urundi, le chef de la colline de Kigoma, d’amener en présent à Rwabugiri deux baudets, bâtés de tissus et de parures. Rwabugiri, qui était alois à Kiribagiro sur les confins de l’Urundi, répondit par l’envoi de fourrures, loutre et colobe, et autres cadeaux, mais Rumaliza ne fut pas autorisé à entrer dans le pays. La porte en restait consignée aux blancs, de quelque paya que vinssent ces « fauves » — ibisimba.

  1. La Traite Des Noirs, Ruandais Et Étrangers

Ainsi seuls les noirs avaient accès aux marches du Ruanda. Ils y trafiquaient entre autres marchandises de l’ébène noire, amenée de loin par des transitaires ou apportée de près par les -Ruandais eux-mêmes. Il n’y eut point de chasse à l’homme au Ruanda. Le mwami ne l’eût pas toléré. Il ne la pratiquait pas lui-même. Mais de ses guerres aux frontières il ramenait parfois un butin de captifs, femmes et enfants, que les guerriers se partageaient et qu’il leur était loisible d’échanger contre toute autre denrée. Outre les razzias, les disettes étaient aussi des pourvoyeuses de la traite. Contre des vivres, des parents affamés cédaient leurs enfants. Or les famines étaient périodiques au Ruanda. Nombre de ces esclaves restaient dans le pays. L’esclavage était ici ce qu’il était chez les Hébreux au temps des patriarches, familial et domestique. L’esclave s’assimilait au serf muhutu. Cependant son maître pouvait en disposer, comme de ses enfants, comme de ses filles, lorsqu’il les mariait. L’arbitraire patriarcal n’avait guère de limites. Sur les chemins de l’Uswi on voyait passer des files de captifs, originaires pour la plupart des contrées à l’ouest du Kivu et notamment du Bunyabungo, convoyés du Ruanda à Mwanza, de là dirigés sur Bagamoyo et Zanzibar, éloignés d’un millier de kilomètres. Zanzibar, qui au temps de Marco Polo, le voyageur vénitien du XIVe, était déjà un marché renommé d’esclaves, en était au milieu du XIXe siècle le grand entrepôt sur le littoral. Il y en avait d’une façon permanente• une réserve de plusieurs centaines de mille. De là l’exportation les dispersait dans des directions diverses sur toutes les plages. • Le P. Brard, les voyant passer au poste allemand de Byaramulo dans l’Uswi, écrivait aux approches de l’an 1900 : « C’est sans exagération que l’on peut évaluer à plusieurs milliers le nombre des esclaves qui sortent chaque année du Ruanda. » Le P. Classe, en 1906, supérieur de la station de Rwaza, parle, lui aussi, du spectacle qu’il a sous les yeux : « Un cadeau de la famine• c’est l’esclavage. La famine a cessé, lui persiste. A la vue de ces malheureux descendant du Bufumbira, les Baiera du nord, suivis bientôt par d’autres, eurent vite l’idée de reprendre leur infâme commerce d’autrefois., Ils emmenèrent ces infortunés au-delà de la Nyabarongo à Kivumu, où les attendaient les Bajinja. Le bénéfice étant sérieux et les risques peu grands, le commerce se développa. Ces misérables en vinrent à voler des femmes et des jeunes filles dans leur voisinage même. » Ainsi, à cette époque tardive, en dépit des campagnes antiesclavagistes et des prohibitions sévères de l’autorité allemande, la traite se poursuivait plus ou moins clandestinement, tellement l’habitude en était invétérée -et gros le gain escompté. Les Arabes n’étaient pas les seuls esclavagistes, Loin de là. Mais c’étaient eux les maîtres des grands marchés et les commanditaires des expéditions de rafle. La ruine de leur empire africain par les puissances européennes fut la préface et la condition nécessaire de l’abolition totale de cette tare honteuse de l’humanité. Il y avait cependant encore en 1913 cent quatre-vingt-cinq mille esclaves dans la colonie allemande de l’Est Africain, mais la traite publique était abolie.

De la domination de Mascate et de Zanzibar il est resté dans le pays un certain nombre de sémites purs, un plus grand nombre de Noirs mahométans, dits waswahilis, gens du « Sahel » (1), des mulâtres non reconnus par leurs pères, enfin un sabir, formé d’un dialecte bantu du littoral, avec lequel se sont amalgamés des mots arabes, persans, hindous, européens, le « kiswahili » ou souahéli, langue commerciale parlée depuis l’océan Indien jusqu’aux Chutes de Stanley. Au Ruanda, Hindous, Goans, Arabes et souahéli n’ont pénétré qu’à la suite des européens, à dater surtout de ,1908, année de la fondation de Kigali.

  1. La Dévolution Du Ruanda A l’Allemagne Dans Le Partage De L’Afrique

Le Ruanda, soustrait à l’exploitation barbare des Arabes musulmans, était réservé à la tutelle chrétienne de l’Europe civilisée. Il a toujours ignoré que son sort politique fut arrêté entre diplomates à la Conférence internationale de Berlin en 1884-1885.

Des tractations que présida le prince de Bismarck sortit l’Etat Indépendant du Congo, qui se trouvait être limitrophe des nouvelles possessions de l’Allemagne en Afrique Orientale. Le Reich venait, en effet, de se prononcer pour une politique d’outre-mer, la Weltpolitik. Il avait étendu son patronage sur les biens de la maison Luderitz au nord du fleuve Orange et homologué les conquêtes que réalisait, sans coup férir, le Dr Karl Peters dans l’hinterland du littoral de Zanguebar, celui-ci ayant acquis en six semaines un territoire de 140.000 kilomètres carrés par une série de contrats conclus avec les chefs indigènes, heureux de troquer leur souveraineté contre une pacotille de verroterie et un lot de dolmans démodés (1). Le Ruanda, qui se trouvait au point de jonction de ces deux nouveaux empires, faillit sortir morcelé et démembré du choc de leurs compétitions territoriales. Lorsque le roi des Belges, Léopold II, souverain du Congo Indépendant, présenta aux puissances un acte de neutralisation de son état, le premier juillet 1885, il joignit à l’instrument diplomatique une carte à petite échelle de l’Afrique Equatoriale, où il avait tracé au crayon les limites approximatives de ses possessions (2). Dans l’exemplaire remis à l’Allemagne le coup de crayon passait à l’ouest du lac Kivu, connu en ce temps sous le nom de lac Osor dans l’exemplaire gardé par devers lui le trait passait à l’est, partageant en deux le Ruanda dans celui enfin qu’il avait remis à la France, la ligne suivait l’axe médian du lac et le lit de la Rusizi, frontière historique du Ruanda. Cette divergence clans les tracés fut cause de malentendus et de litiges sur lesquels nous reviendrons. Ajoutons, pour rendre le fait intelligible, que la contrée était alors à peu près terra ignota. Le Ruanda échappa au péril d’un démembrement, sinon d’une mutilation partielle, comme il sera montré dans la suite, et fut annexé diplomatiquement à la colonie allemande, qui, en 1890, prenait officiellement le titre de Protectorat de l’Afrique Orientale Allemande. Das deutsch-ostakikanische Schutzgebiet.

  1. Les Voyages D’Exploration Autour Du Ruanda, 1858-1892.

ES premiers renseignements géographiques –  sur le Ruanda-Urundi, ses rivières, ses lacs, ses montagnes, ses habitants, relayant à deux mille ans d’intervalle les vagues données des Égyptiens et des Grecs sur les Monts de la Lune, furent le fruit de voyages aux sources du Nil, organisés par la Société de Géographie de Londres dès 1856. Les héros de ces découvertes, Burton, Speke, Grant, officiers de l’armée des Indes, parvinrent jusqu’au Victoria-Nyanza et au Tanganyika. Speke notamment fut, en 1861, l’hôte de Rumanika, prince hamite du Karagwé, installé sur la rive droite de la Kagera, juste en face du Ruanda. Rumanika n’avait pas été ‘ autorisé’ à pénétrer bien avant dans le pays limitrophe, mais il hébergeait à sa cour de jeunes Banyarwanda, qui le renseignaient sur leur patrie. Speke profita chi savoir’ de son hôte. De loin d’ailleurs il apercevait la zone des volcans éteints. Il écrit à leur sujet : « Quantaux montagnes coniques du Mfoumbiro, j’en évalue la hauteur à _ dix mille pieds, et on assure que les Montagnes de la Lune n’ont pas de pics plus élevés. Il existe à leur base des mines de sel et des mines de cuivrer avoisinées par des eaux thermales. » L’officier anglais est trop modeste dans ses évaluations d’altitudes. Quoi qu’il en soit, dès l’apparition de son récit de voyage, le Ruanda fit son entrée dans la géographie classique de l’Afrique. Ce n’est qu’une quinzaine d’années plus tard, en 1875, que Stanley, à son second voyage en Afrique Equatoriale, séjourna à son tour chez Rumanika. Il s’informa longuement auprès de lui de la Kagéra, du Ruvubude le Nyabarongo, de la Kanyaru, de la Rusizi, du lac Kivu,- du Kisaka, du Kinyaga, autant de noms qu’il a consignés dans son livre : A travers le confinent mystérieux, et dans la carte sommaire qui accompagne le texte. Il consacre tout un chapitre à ce qu’il appelle s une séance de la Société de géographie du Karagwé s. Il vit aussi les cônes du Bufumbira et il en dessina une esquisse. Tout ce qu’il apprit sur le Ruanda piqua sa curiosité au point qu’il grillait d’envie d’y pénétrer. De fait, il navigua dans le lac d’Ihema, atterrit dans son île, mais lorsqu’il voulut aborder à la côte du Mubari, il fut accueilli par une volée de flèches. Force lui fut de rebrousser chemin. L’impression que donnait son livre, paru dans sa traduction française en 1879, c’est que le pays ne pouvait être approché qu’avec circonspection. Tout n’était donc pas mystère au Ruanda-Urundi quand les Allemands firent connaître qu’ils s’en étaient réservé la possession. Restait à l’occuper effectivement. Lorsqu’en 1890, Emin Pacha, le médecin silésien Edouard Schnitzer, accepta la mission de relier par un voyage transafricain l’océan Indien à l’océan Atlantique, après avoir créé Bukoba sur la rive occidentale du Victoria-Nyanza, il poursuivit sa route le long de ce premier parallèle de latitude sud qui servait désormais de frontière provisoire entre colonie anglaise et colonie allemande : il contourna le Ruanda au nord des Birunga, mais n’y pénétra point (1). Pareillement Stuhlmann, qui l’avait accompagné jusqu’aux Stanley Falls, où il avait trouvé la mort, lorsqu’il reprit, en 1891, l’exploration méthodique de la frontière nouvelle, c’est tout au plus s’il traversa le Mpororo ruandais, au confluent de la Kakitumba et de la Kagéra. 13aumann, en 1892, remonta le Ruvubu depuis sa jonction avec la Kagéra, croyant tenir la vraie source du Nil, et s’enfonça aisément jusqu’au cœur de l’Urundi (2), donnant par là à penser que l’entrée au Ruanda ne se heurterait pas à des difficultés insurmontables. En suite de quoi, un lieutenant aux dragons de la Garde, comte Goetzen, se prépara à la traversée du Ruanda de bout en bout, projet qu’il réalisa dès 1894.

  1. L’Expédition Du Comte Goetzen

Gôetzen était un grand jeune homme, sportif, résolu, colonial dans l’âme, qui s’était signalé en 1891 par une ascension au Kilimandjaro (6.010 14 m.), abandonné en totalité par l’Angleterre à l’Allemagne l’année précédente. Sa mission consistait à renouveler l’exploit d’Emin, essayant de réussir où son prédécesseur avait échoué, mais cette fois en traversant le Ruanda, y faisant flotter le pavillon du Reich, sans pour autant l’y planter à demeure. En apparence l’expédition serait uniquement d’ordre scientifique et touristique. Mais on s’abstiendrait de tout geste qui pût être interprété par les souverains indigènes comme une reconnaissance officielle de leur indépendance absolue. Bien au contraire, on entrerait chez eux comme chez soi, sans crier gare, sans se faire annoncer, sans solliciter un permis d’aucune sorte. On éviterait de provoquer le plus léger incident, mais on repousserait carrément une agression éventuelle, sans lui donner l’importance d’un casus belli. Le comportement du jeune officier suggère qu’il avait reçu de telles instructions.  ‘ Il eut pour compagnons le lieutenant von Prittwitz- et le Dr Kersting. Il s’appuyait sur une compagnie d’askaris entraînés. Sa colonne comptait 620 têtes. Parti de Fange– ni sur le littoral de Zanguebar, il se dirigea vers la rive sud du lac Victoria, de là, empruntant la, route des caravanes° qui reliait Mwanza au Kivu, il pénétra dans le Ruanda_ par le Kisaka, franchissant la Kagera en aval du confluent du Ruvubu, le 2 mai 1894. Il marcha droit sur Rukira et’ parvint à Rwamagana dans le Buganza. Là il fit la -rencontre de Sharangabo, fils de Rwabugiri, apanage dans .., cette province, et lui demanda de le guider ‘jusque chez son père.

Rwabugiri était en ce moment à Kageyo, piton du Kingogo sur la dorsale Congo-Nil, à 2.300 m. d’altitude, à l’autre extrémité du Ruanda. Sharangabo dut le prévenir par exprès, lui demandant de régler sa conduite. Une nouvelle si insolite ne put qu’émouvoir vivement l’ibwami. Jamais, de mémoire d’homme, un blanc n’avait pénétré au cœur du pays. Les circonstances téméraires dans les- _ quelles se présentait une telle visite la rendaient plus suspecte. Des conseillers ne manquèrent pas qui voyaient en elle une agression à repousser par la force. Mais la troupe était armée et le mwami n’ignorait pas ce qu’était un fusil, notamment un fusil à tir rapide. Il prit le parti de recevoir les étrangers. On aviserait sur la conduite à tenir après leur départ. Il fut d’ailleurs loisible aux bahennyi, les maudisseurs officiels, de se porter au-devant des intrus et de les traiter en ennemis par des révérences à rebours, aussi grotesques qu’inopérantes. La colonne, guidée par Sharangabo, franchit la Nyabarongo au paysage de Kigali, et fut reçue avec la pompe accoutumée vers la fin du mois de mai. Après les salutations d’usage et les échanges de présents, Rwabugiri en vint à la question brûlante : — Qu’êtes-vous venu faire au Ruanda ? Pourquoi ne m’avez-vous pas pressenti avant d’y entrer ?- L’officier répondit qu’il venait contempler le paysage, observer les phénomènes volcaniques, et glissa sur le reste. La réception eut tous les dehors de la courtoisie internationale et d’une absence totale d’arrière-pensée. Néanmoins l’officier ne laissa pas que de faire manœuvrer à l’allemande sa compagnie sous les yeux du mwami émerveillé et de lui faire exécuter des salves de mousqueterie. Des deux côtés chacun cachait son leu. On se sépara dans les meilleurs termes. Le corps, expéditionnaire se dirigea vers les volcans. Au Bugoyi il dut repousser l’assaut d’une troupe de batutsi, conduite par Bisangwa, le chef de la province. Les devins avaient appris aux guerriers une recette pour faire -dévier les balles des mausers. Il suffisait pour cela de jeter en l’air des capsules d’une solanée arbustive, le mutobotobo, et de faire aboyer des chiens. Résultat : quatre morts et six blessés. Le lendemain, Bisangwa penaud vint au-devant du lieutenant à Gisenyi, se disculpa et rejeta la faute sur un prétendu parti de batwa pillards. Götzen n’insista pas. L’attaque avait été, dit-on, ordonnée par Rwabugiri. Les explorateurs firent sans plus l’ascension du Nyiragongo, passèrent ensuite dans l’îlot de Bugarura, étudiant sommairement la partie septentrionale du lac Kivu, la perle des lacs africains, à peine connu jusque-là, ils gagnèrent le fleuve Congo, et, plus heureux qu’Emin, le 28 novembre 1894, parvinrent à Matadi, d’où ils s’embarquèrent pour l’Allemagne. Le but de l’expédition était atteint. Le continent avait été traversé sous l’équateur d’un océan à l’autre. Le Ruanda, la terre et les hommes, son souverain, avaient été reconnus, le contact établi. Le comte publia dès l’année suivante le récit de son voyage sous le titre : « A travers l’Afrique d’est en ouest » — Dure Afrika von Osten nach Westen, dans lequel il ne dissimulait pas son admiration pour l’élégance du type anthropologique des batutsi. Rwabugiri se douta-t-il que la visite de l’officier allemand, à la tête d’une troupe équipée et armée à la moderne, sonnait le glas de son indépendance et de son gouvernement personnel ? Ce n’est pas impossible. Pouvait-il ignorer le sort réservé par les Anglais et les Allemands à ses collègues de l’Uganda, du Kiziba, de l’Uswi et d’ailleurs ? Il s’était cru invincible jusque-là : la mésaventure de Bisangwa était de nature à le détromper. Il n’avait guère de fusils à distribuer à ses hommes, moins encore de munitions, en cas d’un retour des blancs. L’évidence de son infériorité militaire ne pouvait lui échapper.

  1. La Cour De Rwabugiri.

C’est vers cette époque, un peu plus tôt, un peu plus tard, que Rwabugiri, passionné d’expéditions militaires, constamment exposé à y perdre la vie, résolut de régler sa succession. Cet acte, un des plus importants de son principat, qui eut pour théâtre sa résidence de Ngeri au Bungwe, eut de telles incidences sur la suite des événements que nous devons nous y arrêter. Il tire toute sa gravité de l’état de tension politique qui régnait à sa cour. Un aperçu de cette situation, ouvrant un jour sur les mœurs politiques du temps, permettra de saisir la raison et le caractère du drame de palais qui va se jouer. Le « Tambour » au Ruanda, comme la Sublime-Porte en Turquie, était, avons-nous dit, un despote quasi divin, comportant la pleine disposition de tout et de tous. Il était donc par là-même un objet d’ardentes convoitises de la part de ceux qui pouvaient prétendre à sa possession. Kalinga appartenait par droit historique aux Banyiginya : c’était là un axiome politique, un inconcussum quid. Mais il y avait pour les hautes et puissantes familles qui gravitaient vers lui, un moyen détourné de jouir de lui, au moins temporairement et par intervalles. C’était que le mwami fût mineur : en ce cas sa mère et ses oncles, constitués en camarilla, exerçaient la, régence il leur était loisible d’assouvir leurs rancunes de famille et de se partager arbitrairement les plus grasses prébendes. L’attente des clans était donc suspendue aux dispositions testamentaires que prendrait l’autocrate. Choisirait-il un mineur ou un homme fait, et quelle serait la reine mère ? Telle était la question primant les autres.

Pour se concilier la faveur du souverain, il n’était pas d’intrigue qui ne se nouât, surtout lorsque son principat semblait pencher à son déclin. Toutes les épouses royales aspiraient au rôle de Bethsabée, celles surtout qui étaient mères d’un Salomon en bas âge. Des complots se tramaient dans l’ombre pour hâter l’échéance. Rwabugiri, autre Denys, avait œil et oreille ouverts sur eux. Il n’était de rigueurs auxquelles if ne recourût pour les empêcher d’éclore. La terreur était en telle rencontre un instrument obligé de règne. L’alternative était impérieuse : s’il cessait d’être redouté, ses jours étaient comptés, ceux aussi des membres les plus chéris de sa propre maison. Un homme de sa trempe n’hésitait pas sur le parti à prendre. « me haïssent, aurait-il dit avec le Romain de la tourbe de courtisans flagorneurs et perfides qui faisaient son siège que du moins ils me craignent! » Au premier soupçon de brigues, leurs auteurs présumés, quel que fût leur rang, étaient envoyés au supplice.

D’entrée de jeu au début de son gouvernement personnel, vers 1875, il fit crever les yeux à ses demi frères consanguins, Nyamwesa et Nyamahe, éliminant par ce procédé sommaire des compétiteurs- éventuels. Puis, vengeur de sang, il détruisit presque totalement la branche Abagéréka des Béga, accusée d’avoir abrégé les jours de son père Lwogera en saupoudrant son breuvage d’un extrait de poumons de tuberculeux. Ayant surpris une de ses femmes, Nyambibi, à manœuvrer quelque charme — inzaratsi, en vue de reconquérir sa faveur perdue, ce qui était de conséquence pour sa progéniture, il la, livra au bourreau, ainsi que le sorcier Sangano, son fournisseur: Deux autres de ses femmes, deux sœurs du clan Abakimo, Nyiramaloba, qu’il s’était fait céder par Kabaré, et Nyiraburunga, mère de Rutalindwa, de Balyinyonza et de Karara, subirent le même sort, ainsi que leurs frères, pour crime d’état sans doute, la première ayant jaboté -indécemment sur le chapitre de la reine Murolunkwere, sa belle-mère. A Nyamasheke au Kinyaga, il eut vent quelque jour d’un complot de trois de ses parents Banyiginya, qui avaient projeté de l’occire pendant son sommeil, Il fit coucher à sa place, dans sa hutte, l’un des complices, qui s’était fait délateur, et ayant acquis par une expérimentation in anima vin la preuve concluante du bien-fondé de la dénonce, il infligea de sa main aux survivants, Nkoronko et Giharamagara, la peine du talion. Ces exemples pourraient être multipliés (1), Le tyran ne fit pas tomber moins de quarante hautes têtes pendant les quelque vingt années de son gouvernement. Ces exécutions furent souvent des actes de cruauté pure, souvent aussi des actes de légitime défense et des mesures extrêmes, suggérées par l’intérêt du trône.

  1. Les Trois Bega Favoris

Kanjogera, Kabare, Ruhinankiko

De toutes les familles où le mwami prenait femme et qui avaient par là des chances d’arriver au pouvoir, la plus puissante, la plus intrigante, celle aussi qui possédait le plus d’hommes capables, était la lignée des Béga. Elle s’était habituée à l’idée d’occuper le second rang dans l’état, parce que le plus souvent le mwami régnant était issu d’une de ses filles. Mais le fait ne s’était pas produit sous Rwabugiri, fils d’une Mukono. A tout prix il fallait reconquérir la place. Le maître avait prélevé dans la branche aînée l’intelligente et belle, autant qu’ambitieuse, Kanjogera, à laquelle il avait donné un fils, nommé Musinga, né vers 1883. Favorite à son heure, elle avait évincé la malheureuse Nyambibi et causé plus ou moins directement son supplice. Elle avait entre autres frères, non moins ambitieux et avides qu’elle, mais de tempéraments opposés : Ruhinankiko, l’aîné, bouillant, fat, fantasque, irréfléchi et Kabale, froid, maître de lui, calculateur avisé et sceptique : tous d’une taille superbe, et au moral également féroces, astucieux et cyniques. Ce trio, auquel se joindra dans la suite leur neveu Rwidegembya, fils de leur frère Chyigenza, va jouer un rôle de premier plan sous, les prochains règnes. Rwabugiri s’était attaché cette élite, qui lui était d’ailleurs apparentée par les femmes. Il en avait agi familièrement avec elle, avec Kabale surtout, s’adjugeant sa jeune femme qu’il trouvait à son goût, la Mukono Nyiramaloba, celle qu’il mit à mort un jour avec tous les siens, il lui donna plus tard en compensation une de ses filles, Kamarashavu, sœur puînée de Rutalindwa. Peu après toutefois, des jaloux ayant fait parler quelques prophètes complaisants, d’après lesquels Kabale engendrerait un roi, Rwabugiri, ne pouvant faire moins, rendit son gendre eunuque, lui infligeant la honte suprême. Kabale ne dit mot, n’oublia pas. Les prophètes et leurs inspirateurs passèrent de mauvais quarts d’heure quand il eut pris la barre. Au demeurant, sa mutilation, fût-elle effective, n’empêcha point sa demeure de s’enrichir de beaux enfants,de son type, fils de sa femme Gashoma, Nyantabana et Rwabutogo, ce dernier vivant encore à cette heure. Ces trois Béga pouvaient passer pour les personnages les plus influents du régime à son déclin. On voit, par le peu qu’on en ‘dit, dans quelle atmosphère de brigues, de médisances, de trahisons, deguet-apens, d’espionnage et de délations, de basses superstitions et finalement de boue sanglante, sans pari& der vices infâmes qui s’étalent au grand jour, baigne cette jour de Bas-Empire, grouillant d’aristocrates corrompus et de vils affranchis parvenus. Le despote y est cordialement, exécré, de ceux-là même dont il fait la fortune. Le lieutenant d’Imana n’est aimé que des humbles, de ces miliciens bahutu qu’il ‘entraîne au combat et qu’il solde en leur abandonnant mie part du butin. Et peut-être les petits applaudissent-ils en secret aux hécatombes des grands féodaux, si lourds à leurs épaules d’administrés.

  1. L’Acte De Ngeri

Le Règlement de la Succession.

Finalement Rwabugiri, manœuvrant ‘contre les convoitises des clans rivaux : Abanyiginya, Abega, Abakono, Abatsobe, Abagesera, Abasinga, rend aux Béga leur situation d’autrefois, tout en modérant leur appétit et en sauvegardant l’indépendance de Kalinga. Il fait choix pour son successeur de Rutalindwa, un beau jeune homme de vingt-quatre ans environ, marié, père de trois enfants, orphelin de mère et puisque la constitution du royaume exige qu’il y ait une reine mère, il désigne pour cette fonction la mwega Kanjogera, mère de Musinga. Ainsi, quand l’héritier aura pris la conduite des affaires, aurait-il des conseillers tout indiqués dans la personne de Kabale et de son frère.

Il y a dans le royaume des hommes considérés, gardiens des traditions, ferrés sur les us et coutumes, hauts prélats qui président à l’intronisation d’un nouveau mwami, les Biru, du clan Abatsobé. Rwabugiri confie à trois d’.entre eux l’exécution de son testament. Ils seront• les garants de la légitimité de son fils. Peut-être redoute-t-il, à sa mort, une explosion des haines jusque-là dissimulées, des rancœurs recuites, dont pourrait pâtir son successeur. Cependant de tels arrangements ne souriaient guère aux Béga. A n’en pas douter, Rutalindwa voudra gouverner par lui-même, comme fit son père. L’espoir de tenir à eux seuls les rênes du pouvoir échappe aux trois favoris. Mais le trio, heureusement pour lui, a un pied dans la place. Kanjogera est reine mère et Musinga, son fils, est mineur. Il y a là matière à échafauder toute une politique. On ne peut guère douter que ce soit dès ce moment dessiné dans le cerveau du Machiavel ruandais le plan diabolique de détrôner Rutalindwa au profit de Musinga. Or cela ne peut se réaliser que par l’extermination du prince et de sa descendance, mesure extrême qu’on ne pourra justifier qu’en flétrissant sa mémoire. Il ne manquera certainement pas à la Cour de juriste complaisant et surtout de prophète menteur pour donner au crime les couleurs • d’une juste réparation. Le peuple mystifié souscrira au coup de force, et le tour sera joué. Il ne faut pour réussir que de la diplomatie, de la patience, de l’audace, et, en outre, de la discrétion. Rien de cela ne fera défaut aux princes conspirateurs. Un secret profond couvrira leurs desseins ténébreux. Rwabugiri mourra, semble-t-il, sans les avoir pénétrés.

  1. La Mort De Rwabugiri Au Tournant De 1896.

Cette grave affaire de sa succession réglée, Kigeri vers la fin de 1895 rentra en campagne, se dirigeant, pour la huitième fois, dit-on, vers le Bunyabungo, qu’il rêvait d’annexer à ses états et qui, en dépit de la rusticité de ses habitants, les Bashi, lui opposait une résistance opiniâtre. Il emmenait avec lui l’escorte brillante de ses grands -bagaragu : le prince héritier, .Kabale, astucieux Ulysse, l’un de ses fils, Karara, qu’il ,avait revêtu de la grande aumônerie militaire, de la connétablie spirituelle, parant son front d’un diadème quasi royal, l’ikamba, barbouillant son visage du blanc rituel de l’ingwa, chargeant son col de talismans vainqueurs, inzaratsi, le sacrant ainsi umugaba, « Homme » par antonomase; La méhalla royale, contournant au sud le Kivu, franchit la Rusizi et pénétra en territoire ennemi: Mais à- la bourgade de Kiranga, le César ruandais tomba foudroyé: Son mal fut jugé incurable. D’où provenait-il ? On raconta, sans doute plus tard, que Kabale; impatient et fourbe, l’avait empoisonné, et l’on ajoutait que le moribond, ayant • percé à jour sa traîtrise, avait convoqué à son chevet son, héritier pour ses instructions dernières. Il _lui disait dans l’obscurité de la cabane de frapper à mort l’auteur de son trépas. Or, il y avait méprise : c’était Kabale qui recevait la confidence. Rutalindwa n’arriva qu’après.

Quoi qu’il en soit de cette rumeur, authentique ou, controuvée, Kigeri ne voulut pas expirer ailleurs que sur sa terre du Ruanda. On le glissa donc dans une pirogue, qui mit le cap sur la presqu’île de Nyamasheke. On n’Y déposa qu’un cadavre. Le héros était mort pendant la traversée. Il n’avait pas encore atteint la cinquantaine, Sa dépouille fut transférée avec la pompe accoutumée au cimetière royal de Rutare au Buyaga, où il fut réuni à ses pères. Qu’était-il résulté de ses innombrables expéditions. – guerrières aux marches de son empire ? Bien des dégâts et pilleries assurément : comme gain positif, la seule île d’Idjwi au Kivu. Encore cette annexion fut-elle éphémère -: les européens disjoignirent l’île du Ruanda dans leurs accords de 1910.

Le prince, homme de son milieu et de son: époque, dur à lui-même, implacable aux factieux, gardien de l’ordre dans son Etat qu’il sillonnait perpétuellement en tous – sens, ne souffrant aucune ingérence de l’étranger, non xénophobe toutefois, terrible mais facétieux et clément à ses heures, idolâtré par les petits, jouit de son vivant et après sa mort d’une renommée unique. Les bardes nationaux l’égalèrent à l’illustre et• légendaire Ruganzu Ndori, le Mars du Ruanda. Il fut le dernier mwami indépendant, son successeur immédiat n’ayant fait que passer sur le trône et Musinga ayant dû subir la loi des européens.

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