Les Maîtres De La Croyance

Comme on le verra, la complexité des observances est telle, qu’il serait matériellement impossible à un seul individu de posséder dans sa mémoire tout le lévitique des règles à suivre dans chaque cas donné. Les recueils font évidemment défaut, Gutenberg étant né à quelques 8000 km de là, et son invention n’y étant connue que par quelques lettrés sortis de nos écoles.

Cependant dans la vie du Munyarwanda, il est si souvent question de consulter surles coutumes à suivre, sur les actes, les faux-pas à éviter, les sacrifices à accomplir, les dons à distribuer, les remèdes à appliquer, qu’il sera intéressant de connaître par un court aperçu, comment le public s’y prendra pour calmer ses inquiétudes et contenter sa conscience.

Il n’existe pas chez eux de chef suprême des croyances : nul dépositaire général des traditions religieuses, nul modérateur des coutumes et des rites, nulle cérémonie donnant l’investiture religieuse ou l’autorité de déterminer les us et coutumes. Ceux que nous nommerons les maîtres de la croyance font partie d’une institution déjà ancienne, mais n’ont entre eux aucun lien, aucune homogénéité. Ils ne maintiennent pas doctrinalement les anciennes coutumes, mais les prescrivent selon leur bon vouloir et les circonstances, on en invente de nouvelles pour un cas donné. Généralement leurs fonctions se transmettent de génération à génération ; parfois le premier-venu, sans antécédent valable, s’établira d’un jour à l’autre comme Consulteur, et pour peu que les circonstances le favorisent, il se fera son petit profit et un grand renom, sinon il mettra sans retard la distance entre lui et ses crédules victimes, sous peine des pires rancunes et châtiments ; en d’autres circonstances, toute une contrée se ruera sur un étranger, arrivé d’hier, pour connaître de lui opportun remède contre tel mal ou telle calamité. Une parole de consolation, suivie d’effet dans la nature, pourra parfois sortir un inconnu de l’ombre et lui faire une réputation indestructible de puissance extraordinaire,

En 1910 un étranger venant du Lac Nyanza s’établit ainsi sur les confins du Rwanda à Kansi, non loin de la frontière de l’Urundi. C’était un pauvre hère qui n’avait que son ballot de hardes et sa courge évidée qui lui servait de récipient pour sa boisson, Depuis des mois, le ciel était d’airain et tout faisait prévoir une atroce famine, si la pluie tardait à tomber. Le dit Muziba avait de la peine à trouver un patron, qui lui eût permis de s’établir sur son terrain, contre la promesse de travailler pour lui pendant la saison prochaine. La semence déjà jetée en terre avait séché et il ne servirait de rien de remuer encore la terre avant que le sol ne fût humecté. Une parole d’espoir, dite comme il s’en dit dans ces circonstances, a fait le reste. Le soir même, où une maison moins hargneuse le reçoit avec hospitalité, un orage d’une violence inouïe se déchaîne et brise toutes les digues du ciel. Sans y avoir pensé et à son plus entier étonnement, le brave Muziba était traité de « Faiseur de pluie » et chacun de lui apporter, à qui mieux-mieux, des cadeaux de remerciement.

On est convenu, en pays d’Europe, en parlant de sorciers et de sorcières, de vous présenter des vieux et des vieilles, dont l’âge inspire le respect, et la mine, la crainte et le dégoût. En réalité, des jeunes gens de 15 ans, encore des enfants, en ont déjà la réputation solidement établie, et des jeunes femmes de 20 ans manient avec autorité et dextérité l’arsenal des prescriptions et des remèdes. C’est une carrière lucrative, une vie largement assurée avec le minimum de travail à exécuter de ses propres mains. Il faut de l’aplomb, de l’ingéniosité, du cynisme souvent, de la méchanceté à l’occasion, de la veûlerie toujours, et, au pis aller, des jambes rapides, quand survient la catastrophe et la déchéance, Les retours des foules sont terribles : désabusées ou trompées, elles ne soupçonnent pas l’inanité de leur crédulité, mais s’en prennent aux consulteurs qui les conseillent mal. Point n’est besoin de passer de très longues années au milieu de ces primitifs pour voir de ses propres yeux la population exaspérée se jeter avec rage sur ceux qu’elle craignait et respectait hier encore, ou auxquels elle avait fait, souvent contre leur gré, une réputation surfaite de guérisseurs et de voyants. Il nous paraît inutile de citer ici des faits qu’on peut vérifier chaque année à plusieurs reprises.

Faut-il d’autre part reconnaître à ceux qui de propos délibéré ont adopté le métier de sorcier, un courage particulier, ou les classer d’emblée parmi les bienfaiteurs de l’humanité en détresse ? Ou se classent-ils plus simplement parmi les voleurs de grands chemins qui s’exposent toujours et comptent toujours ne pas se faire pincer ? Eux-mêmes ont parfaitement conscience de la duperie avec laquelle ils bernent le peuple ignare aux dépens duquel ils vivent. Ce sentiment très précis vient des aveux de convertis, qui dans leur vie précédente s’étaient livrés à ce sport,

Le Mupfumu

Quand dans des cas de maladies on voudra connaître si le mal dont on souffre aura une issue bonne ou mauvaise, on s’adressera avec un cadeau au « mupfumu » ou devin. Ilindiquera de la part de quel muzimu (mâne) est venue l’épreuve, quel défunt parent est irrité, où il faudra lui bâtir la hutte de sacrifice (akararo), quel est son désir, quel sacrifice il réclame, pourquoi les sacrifices précédents sont restés vains.

On ira chez lui, à l’occasion d’un vol commis, pour qu’il indique l’auteur du méfait et au besoin l’endroit où la rapine a été déposée ou cachée,

Le désir toujours renaissant et jamais satisfait, de voir devant soi son avenir et de savoir si tout ce qu’on rêve de bonheur aura son accomplissement, contribue dans nos pays d’Europe à donner à certaines de nos cartomanciennes et autres une réputation mondiale et un bel argent de tout repos, sans qu’on se doute que des succès semblables se rencontrent également en pays sauvages à un degré qui étonnerait grandement, de la part de gens sans culture, les habitués des antichambres de ces dames. De côté et d’autre, il y a simplicité et supercherie, et nos bapfumu savent compliquer les choses les plus simples, et rendre impossibles dessituations, qui sans leur intervention intempestive eussent abouti sans difficulté. Des existences humaines sont sacrifiées ou dans le malheur irrémédiablement, parce qu’il a plu à un de ces devins de jeter dans les coeurs naïfs des craintes vaines, mais impossibles à dominer.

Les bapfumu n’opèrent pas tous de la même manière ni avec lemême instrument. Tantôt on se servira du « mpinga », tantôt du « mbehe », ou encore du « nkoni ». Un mot sur chacun de ces instruments divinatoires.

Le « mpinga » est une longue cuillère sans manche : un bois long de 0.60 m. et large de 10 à 15 cm, creusé légèrement d’un côté et bombé de l’autre et s’effilant doucement vers l’extrémité qui sert à le tenir en main. Dans une courgette creusée, le mupfumu a remisé ses jetons qui vont lui servir tout à l’heure à deviner la réponse des mânes. Ces jetons ne sont autre chose que de petits osselets, des bouts de fer, des galets tout petits, de minces débris d’écorce de courge, qui prennent tous le nom de « nzuzi ».L’opérateur saisit son mpinga par le bout effilé et le dirige tout droit devant soi. De l’autre main il lance dans le creux de la cuillère sa poignée de jetons (nzuzi), qui glissent vers la partie la plus éloignée en formant par leur position relative diverses figures. Il contemple un moment la figure obtenue, fait chavirer sa planchette dans un sens ou un autre pour regrouper, les jetons, d’un coup de main les lance en l’air comme une galette et les rattrape de l’autre main. Et l’expérience recommence jusqu’à ce que la position des jetons le contente. Si la réponse est favorable il dit que les jetons sont blancs (inzuzi zeze), dans le cas contraire ils sont noirs (inzuzi zirabuye).

Le « mbehe »est une écuelle en bois coupée par la moitié. Un caillou plat et lisse ou un bout de bois quelconque complète l’instrument. A la demande du requérant, un peu d’eau est versée dans l’écuelle et le mupfumu, qui dans l’occurrence est toujours une femme, essaie de faire glisser le jeton le long du fond de l’écuelle. Le tout ici dépend de la facilité avec laquelle s’effectue ce glissement. Si l’opération parait trop difficile, on peut toujours « graisser un peu la patte » à l’opérateur, et le verdict aura des chances d’être moins mauvais, pour ce motif péremptoire que les meilleures choses sont aussi les plus chères,

Le « nkoni »est un bâton que consulte le mupfumu en votre nom, et ici encore ce mupfurnu ne pourra être qu’une femme, et l’opération consiste à faire glisser les mains mouillées, le long du bâton de haut en bas. Plus que jamais votre sort reste ainsi entre les mains de cette femme et mieux vaut bien les graisser pour ne pas subir le châtiment de votre avarice.

Le Mucunnyi Ou Muhamagazi

A proprement parler, cet homme mériterait le nom de médecin, n’était-ce la foule d’insanités qu’il prescrit à côté d’ordonnances très sérieuses. Vivant très près de la nature, en contact journalier avec des hasards qui lui décèlent les vertus des plantes, l’indigène, toujours observateur, a acquis avec le temps une belle connaissance des simples, et beaucoup de plantes sont connues de tout le monde pour leurs vertus médicales. On les emploie couramment sans se préoccuperd’aller auparavant consulter un mucunnyi. On connaît leurs effets etgénéralement la manière de les administrer.

Mais il y a des spécialités, des remèdes secrets, des propriétés patentées, des mixtures amalgamées selon certains rites, qui appartiennent à tel guérisseur et qu’il ne trahira à personne. Dans un cas donné et pour telle maladie particulière, il appliquera son remède avec une sûreté déconcertante et un plein succès. Le diagnostic fait parfois défaut, mais le remède ici n’est pas en faute. Ces spécialités pharmaceutiques restent généralement le secret d’un homme ou d’une famille. Le détenteur d’un de ces secrets se nomme à vrai dire « mucunnyi ».

Il est évident qu’avec son unique remède spécialisé, le mucunnyi trouve son champ d’opération réduit à la maladie ou au mal auquel il pourra l’appliquer avec quelque chance de succès. Il ne peut en faire une panacée universelle, et cependant ses succès lui attirent des clients qui souffrent d’autres maladies, dont il ignore complètement le traitement. Le désir de guérir toutes les maladies pour lesquelles on a recours à lui, et desquelles il ne tient pas à perdre le bénéfice, le porte fatalement à remplacer ses«miti» (remèdes) par les « mpigi » (amulettes).  Le « gucuna impigi » (préparer les amulettes) a tellement prévalu dans la lutte contre les maladies, que le nom de«mucunnyi » est indifféremment donné au propriétaire d’une spécialité de simples et au charlatan d’amulettes. La force de croyance aux amulettes (mpigi) est telle que les gens préfèrent souvent se charger inutilement de fagots d’osselets, de bouts de bois, de fer, de perles, de scarabées, de crottes de rat, etc, que de se servir d’un remède cependant éprouvé chez eux. Même nos remèdes d’Europe ne leur servent souvent que d’amulettes. Au lieu de les absorber ou les appliquer à l’endroit malade, ils les porteront au cou, à la ceinture, à la jambe, en petits sachets de feuilles d’arbres, ou les placeront sous leur tête pendant le sommeil. Bien des fois, dans les soins que nous donnons chaque jour aux blessés et aux malades, nous avons pu constater cette confusion qui existe dans leur esprit entre remède et amulette.

Un remède accordé simplement, sans complications savantes dans son application, quant aux circonstances de lieu, de temps, de manière, de position, de moment du jour ou de la nuit, d’orientation etc., n’aura qu’un succès médiocre auprès de la foule. Tel remède sera pris à genoux, ou devant témoins, tous assis ou debout selon les cas ; tel autre sera absorbé tandis que le patient marchera à reculons ; un autre devra couler le long d’un bois de lance dont l’extrémité inférieure posera sur les lèvres du patient. Le mucunnyi prescrira telle plante, que le malade devra aller brouter comme une chèvre, à la rosée tombante, dans tel champ déterminé ; un autre malade devra faire passer le remède indiqué entre les menottes d’un petit enfant qui n’a pas encore ses premières dents. Comme le succès d’un remède reste toujours aléatoire, l’indigène s’est convaincu très tôt que sa vertu curative ne lui vient pas de son essence, mais reste attachée à certaines observances qui l’accompagnent nécessairement.

On voit dès lors comment le sorcier, parfaitement renseigné au sujet des remèdes qu’il administre et de la mentalité de ses clients, en arrive à compliquer ses ordonnances, en sorte qu’elles deviennent pratiquement inexécutables. Il y aura toujours quelque chose, qui aura été négligée : en cas de guérison, il gagne en considération, réputation et bénéfice ; dans le cas fatal, il aura son échappatoire et y gagnera le bénéfice d’une deuxième consultation. Il ne sera pas coupable de la non-observation de ses ordonnances.

Certains spécialistes ne sortent pas de leur rôle de guérisseurs et ne se permettent pas de traiter un mal dont ils n’ont pas le remède. Ce sont les honnêtes gens de la caste. Certains d’entre eux ont une réputation bien assise et, je dois avouer, bien méritée.

Le rôle du mucunnyi ne se borne pas à donner des remèdes (miti) et des amulettes (impigi) ; il fournira encore des préservatifs à employer pour contrebalancer le mauvais sort, en cas d’inobservance des coutumes du clan (gutanga ibiti). Il est matériellement impossible de donner une liste quelque peu complète des biti (préservatifs) ordonnés dans ces circonstances. Le mucunnyi est passé maître dans les inventions de ce genre et l’on comprend que sottise et passion trouvent leur compte là où l’arbitraire le plus absolu se joue de la peur innée qu’a tout indigène, après une transgression même involontaire d’une coutume ancestrale. Pour prévenir la vengeance des esprits, il acceptera tous les biti qu’un charlatan astucieux lui aura imposés contre forte rétribution.

Le «muhamagazi »n’est autre que le sorcier, dont la spécialité consiste à retrouver les choses volées et à découvrir le voleur. Res clamat domino, dit le droit romain, — la chose crie après son propriétaire. L’indigène a donné une voix à cette chose et c’est le muhamagazi, dont le nom signifie :rappelant. Des faits extrêmement curieux seraient à noter sur la virtuosité extravagante de certains de ces sorciers, qui à la suite de leur bâton tendu en avant, semblent entraînés irrésistiblement vers l’objet volé, et découvrent le voleur comme en un tourne-main. Commebien on pense, les plus criantes injustices sont perpétrées aussi de cette façon, contre des innocents qui n’ont pas les moyens de guider le bâton et son suiveur dans une autre direction. Dans certaines provinces du Rwanda on désigne encore sous le nom de muhamagazi le personnage dont il s’agit dans le prochain paragraphe où nous traitons du muhuzi. Son rôle serait donc encore de suivre et de découvrir certains malfaiteurs ou réputés tels, dont nous allons parler.

Le Muhuzi

Parmi tous les jongleurs qui usent et abusent de la crédulité publique et vivent aux dépens des naïfs ou des peureux, nous voici arrivés aux plus dangereux. Le métier des précédents est exercé aux dépens de ceux qui veulent bien se fier à eux et qui ont de plein gré recours à leur office. Ici nous nous trouvons en face de criminels.

Les maladies quelles qu’elles soient, pour l’indigène, ont toujours une cause extérieure : les bazimu (Mânes) peuvent frapper le mortel imprudent ou oublieux ; les fautes et omissions contre les coutumes sont vengées par eux, et le coupable, ou se croyant tel, aura recours au savoir des maîtres déjà cités, qui lui indiqueront les divers moyens de calmer les esprits. Mais en dehors des bazimu cauteleux, il a comme ennemis ceux de sa race : un voisin de mauvais caractère, la rancune d’un ami négligé, le regard d’un étranger de passage, une parole flatteuse de bonne camaraderie dite un soir autour du feu, quand personne ne pensait à mal. Et vous êtes un jour tombé malade : les préservatifs n’ont eu aucune influence, le mal s’est déclaré. Les remèdes, pris consciencieusement avec tout leur accompagnement de temps, de lieu, de circonstances, n’ont aucune action calmante sur votre état général : la maladie ne fait que progresser, en tout cas elle ne guérit pas : c’est l’insuccès notoire de toute thérapeutique. L’indigène n’aura aucun doute sur l’efficacité des remèdes employés il ne rejimbera pas le moins du monde contre le guérisseur qui reste impuissant. Pour lui il y a une dernière raison à son mal : « Baramuloze », — Quelqu’un lui a jeté un sort, ou encore, on l’a empoisonné.

Nous donnons ces deux traductions, parce que toutes deux sont légitimes etque le verbe « kuloga » a aussi bien le sens d’empoisonner que celui de jeter un sort, ce qui d’ailleurs est tout un pour le Munyarwanda pour lui ce pouvoir est le même et le phénomène identique.

Quand donc les précautions imposées par le mupfumu ou le mucuzi n’auront rien empêché, et que le mal ne guérit pas malgré les remèdes administrés, le malade et la famille sont naturellement portés à soupçonner la malveillance d’un ennemi, qui pour une raison ou une autre aura jeté un sort ou administréun poison. Et l’on va consulter le muhuzi, dont le rôle consiste à découvrir le malfaiteur.

Il existe dans tout le Rwanda des simagrées qui dans l’opinion publique provoquent l’ensorcellement, mais jusqu’à quel point ces manoeuvres sont couronnées de succès, nous n’avons pu surprendre un seul cas bien établi. La concomitance de deux actes ne peut justifier une conclusion de cause à effet, sans la preuve indiscutable. Tout le monde, à un moment donné de sa vie, peut ainsi être accusé d’être ensorceleur, et en fait on l’est pour des raisons les plus anodines. On a bu un jour en compagnie d’un passant ; une maladie surprend le commensal peu après, et à ce moment, il se souvient que l’ami a eu tel geste ou dit telle parole ; vous êtes pendable.

« Que tu es mignon, un amour d’enfant ! » a dit une passante au bébé pour faire plaisir à la maman et pour provoquer par un geste cajoleur le sourire de l’enfant. Mais peu après l’enfant est tombé malade, la mort est survenue, et la mère accusera de«bulozi» (ensorcellement) le mot bien-intentionné d’une voisine aimable. Elle payera son imprudence par toutes sortes de misères, parfois par la mort.

Pour avoir, dans mes visites, flatté ainsi des bébés pour apprivoiser les parents, toujours fiers d’entendre dire que leurs enfants sont les plus jolis, mes compagnons indigènes me dirent souvent « Si tu étais un des nôtres, voilà longtemps, qu’on t’aurait appelé « mulozi ».

Pris dans ce sens,« kuloga » ne représente jamais une profession. Ceci, qu’en pays arabe on appelle le mauvais oeil, est en dernier ressort une influence funeste qui sort d’une personne ou d’une chose en dehors de toute responsabilité. C’est un porte-malheur. Malheureusement cette appréciation des choses et des personnes a chez ces peuples des conséquences parfois terribles.

Un passant aura dans un sentier enjambé des brindilles de bois posées en forme de croix il croira ferme que sous peu il mourra. Insistons sur lefait que cette croyance a toujours existé, longtemps avant qu’aucun Européen n’eût pénétré dans le pays, et nous étions bien les premiers. La forme de croix dont il est question pourrait faire croire à une superstition venue d’Europe, ce qui n’est pas.

Cela nous amène à parler d’une forme d’ensorcellement parfois pratiquée, dont nous n’avons jamais vu les effets, et que nous croyons simplement des racontars : c’est l’envoûtement. Celui qui veut détruire une personne, sans être repéré, s’en va dans un lieu discret, loin des regards dénonciateurs, à la bifurcation de deux sentiers. Là il remue légèrement le sol battu, place ses deux bouts de bois en les croisant au- dessus du petit tertre, lance quelques imprécations contre la personne à laquelle il veut du mal ; à un moment donné, paraît-il, la terre se soulève sous les brindilles : c’est l’instant propice pour donner sur les bois le coup de couteau qui atteindra la personne qui doit disparaître. On voit combien il est difficile de vérifier ces faits, qu’on vous raconte avec un aplomb complètement dépourvu d’humour.

Dénoncé comme pris sur le fait, ou inconnu comme dans le cas présent, le mulozi prétendu coupable sera recherché par le muhuzi, qui en dernier ressort disposera de la tête de celui qu’il aura reconnu coupable. Et l’on peut dire que l’injustice, favorisée par le lucre et les rancunes, est ici patente, et que le muhuzi est un sinistre farceur et un criminel.

Si nous prenons le « kuloga » dans le sens d’empoisonner, nous nous – trouvons sur un terrain moins discuté. Le poison existe, des poisons sont connus, il y a des gens qui pour une raison ou une autre, l’emploient au détriment de leurs semblables ou à leur propre bénéfice. Des faits contrôlables et contrôlés corroborent les bruits qui dénoncent cette plaie. Ce qui ne veut nullement justifier l’exagération dans laquelle parfois on est tombé en généralisant. Cette exagération provient précisément du sens double qu’a le mot « kuloga et mulozi ». Nous avons dit plus haut ce qu’il faut penser du premier sens. Rhumatisme, eczéma, enflure, coliques, vomissements, douleurs sourdes, tout cela provient d’une source que personne ne connaît, et pour couvrir son ignorance on dit : « Baramuloze ».

Venons-en aux empoisonnements. Il y a des plantes vénéneuses en nombre imposant, des sucs mortels combinés à effets divers, qui, mélangés à la boisson ou à la nourriture, provoquent des malaises, des maladies, la mort lente ou foudroyante. Dans certaines contrées et provinces du Nduga et du Kisaka, c-à-d, là où l’élément de la caste noble des Batutsi prédomine, on use couramment des expectorations séchées des tuberculeux ou des poumons infectés des morts.

Autant il faut être sceptique quand on parle d’ensorcellement, autant il faut admettre l’existence de faits d’empoisonnement, Sont-ils aussi fréquents que certains voyageurs de passage ont cru pouvoir le prétendre ; ce serait tomber dansune exagération manifeste, provenant du fait que l’indigène a la tendance à expliquer toute maladie subite et toute mort inopinée par le terme ambigu de« Baramuloze ». L’indigène, lui, ne fait pas la discrimination nécessaire, et par suite, placé devant l’énigme de la maladie, il a recours à celui qui se pose en justicier des « balozi » : et c’est le « muhuzi ».

On voit de suite le rôle que peut jouer cet individu au milieu d’une population superstitieuse, et les malheurs qu’il déclenche dans le pays tout entier. Son pouvoir est sans contrôle et son diagnostic toujours suivi d’effet, contre celui qu’il aura dans son esprit choisi pour victime. Du moment que le mal a été constaté et qu’on l’a fait venir; il ne peut pas ne pas trouver un coupable. Une bonne raison pour qu’il soit redouté dans tout le pays.

Appelé par un particulier aisé ou un chef, notre devin, avant d’entrer dans la pleine action de son métier, va reconnaître les lieux où son ministère l’appelle il va tout d’abord rendre visite à toutes les habitations du cercle dans lequel il devra manoeuvrer. Cette visite est pour lui particulièrement fructueuse et lucrative, car chacun voudra par des cadeaux appropriés détourner de sa tête le malheur d’une dénonciation toujours possible. Chacun, sans le savoir, peut- être cause,du malheur qu’on veut conjurer, et se dépouille en sa faveur de tout ce que ses moyens lui permettent, pour sauver sa réputation et peut-être sa vie. On voit aussi jusqu’où, dans certaines circonstances, peuvent pousser le muhuzi et ses compères, la vénalité, la rapacité et la méchanceté. Pendant ce temps préparatoire, tout le pays est dans les transes, car personne ne sait si le cadeau remis aura suffi à faire dévier le sort vers une maison étrangère. L’examen terminé, le muhuzi saura à coup sûr et péremptoirement quel est l’habitant qui aura à subir les rigueurs de ses simagrées car dans une des huttes, repérée par lui, il aura réussi à cacher une chose infecte quelconque, qu’il lui sera plausible de faire passerpour poison, quand il voudra.

La cérémonie de la divination commence sur le mbuga, — espace libre plus ou moins grand qui précède l’enceinte de chaque habitation, — où sont réunis ceux qui sont intéressés à suivre les mouvements du sorcier. Armé de sa corne divinatoire, qu’il tient tantôt levée en l’air, tantôt dirigée droit devant lui ; dans le rythme de sa danse, de ses marches et contre-marches, il feindra de se lancer tout à coup dans une direction, pour revenir soudain à son point de départ, comme si une force invincible l’avait arrêté. Dans une course folle, il partira comme une flèche vers une maison visée, pour s’arrêter subitement comme devant un mur. Haletant, suant, soufflant, il se fige, écoute avec attention les indications sortant de la corne qu’il tend à son oreille ; un long moment il simulera le silence de la corne, question de reprendre haleine, pendant que des témoins et ceux qui l’ont fait venir lui lacent des promesses toujours plus alléchantes en cas de réussite ; et quand ces promesses sont parvenues à faire parler sa corne, voix que lui seul entend, il s’élancera d’un bond vers un point donné. Avec force gestes comme dans un cas d’hystérie il désigne un endroit ou une hutte où l’on trouve en fait un paquet innommable d’ordures gluantes et puantes. Le tour est joué et un innocent condamné. Pendant que la hutte flambe et que le propriétaire sauve sa peau par la fuite, s’il en a la possibilité, le muhuzi part, comblé de louanges et de cadeaux pour recommencer ses mêmes méfaits à un autre coin du pays. L’innocent, lui, saignera les biens de sa maison ou tout le sang de son corps.

Personne n’osera jamais suspecter la supercherie du brigand, tant est forte la croyance dans le pouvoir occulte dont il fait montre, et qu’il saurait manœuvrer contre quiconque essayerait de le convaincre de tricherie. Une crainte insurmontable de l’individu est à vrai dire à la base de cette croyance.

Muvubyi : Le Faiseur De Pluie

Le « muvubyi » règle la pluie et le beau temps, Cette profession est exercée dans une large mesure par les batwa, (pygmées de la forêt), qui aux époques critiques viennent vivre dans le pays aux dépens des cultivateurs. Ils ne s’établissent pas définitivement dans leur champ d’action, et ont toujours un pied levé, pour disparaître dans la profondeur de la forêt, quand les nuages ne répondent pas docilement à leur sifflet. Leur instrument de travail, en effet, n’est qu’un misérable sifflet taillé dans un bambou, dont ils ne savent tirer que deux sons, et qu’ils lacent dans le ciel dans la direction du trou d’eau, en les accompagnant de gesticulations et d’imprécations,

Un inconnu venant se fixer au pays au moment de la sécheresse pourra par hasard être requis à son corps défendant de « faire la pluie ». S’il a un toupet, il pourra se faire une fortune ; s’il nie et se refuse personne ne le croira et il n’aura qu’à jouer des jambes ou périr.

Parfois, il y a hérédité de ce pouvoir dans certaines familles, mais seulement dans celles qui ont par leurs terres et possessions un prestige suffisant pour résister à toutes les réactions des espoirs trompés. Ainsi Nzarubara Nyamikenke du Kayenzi, dont la famille semble avoir exercé cette fonction dans les temps les plus reculés de la tradition. Les grandes inondations qui entraînèrent, dans les vallées marécageuses de la rivière Bahimba, les grandes forêts du Kayenzi, eurent lieu sous un muvubyi du même nom. Aujourd’hui encore les Basigi — habitants de la vallée de la Bahimba — déterrent leur bois de chauffage à 3 mètres de profondeur, alors que personne dans le pays ne sait à quelle époque ces arbres ont pu être submergés là. Et le chef de famille des Basigi reste faiseur de pluie de père en fils. Au Kinyaga même, le chef du Bukunzi était de tout temps le muvubyi des rois du Rwanda, légalement reconnu par eux et royalement rétribué. Il s’était taillé son petit royaume bien indépendant, sinon incontesté, et à cette fin, il s’était créé une légende qui le mettait à l’abri de toute entreprise indélicate de la part de son maître et seigneur : on le disait habiter les nuages et avoir le pouvoir de se rendre invisible. Cela s’explique : il avait un maître exigeant, qui payait peut-être bien, mais qui attendait qu’on ne se moquât pas de lui et de ses ordres. Or faire de la pluie et du beau temps au gré d’un monsieur trop versatile est une affaire risquée et mieux vaut s’entourer d’un certain mystère, qui fait tiquer peut-être le commun des mortels, mais vous met à l’abri d’une surprise funeste. Il faut avouer que ses sujets étaient autant de complices, car tous vivaient largement, en temps ordinaires, sur les libéralités royales.

Aucun Européen ne l’a jamais aperçu, et malgré les descentes policières entreprises sur la demande du sultan de Rwanda, pour le punir de ses abus de pouvoir etson état de révolte, on n’a pu mettre la main sur lui. Ce n’est qu’en 1919, après l’occupation du pays par les Belges, que sous l’action combinée de la Mission Catholique de Mibirizi et de l’Administration militaire belge, après promesse qu’il ne serait pas livré à Musinga, son chef et sultan, il consentit à sortir de son nuage et à se montrer à face découverte. Quant aux autres faiseurs de pluies, point n’est besoin de tant de précautions. Si la saison des pluies est en retard, que la pluie ne veut pas tomber ou qu’elle tombe par trop, les habitants s’en vont, soit individuellement soit conduits par les chefs de famille, avec les cadeaux d’usage boisson, victuailles, moutons, chèvres et même boeufs, trouver un faiseur de pluies. Pour celui-ci, l’essentiel est de connaître à la direction du vent et des nuages, les éventualités de ses chances, de savoir donner au besoin de bonnes paroles pour tirer les choses en longueur et mériter ou provoquer un renouveau de cadeaux (Isororo). Un autre point sur lequel son attention est particulièrement fixée, c’est de prévoir le moment psychologique où il pourra fausser compagnie à ses quémandeurs importuns en cas d’insuccès. Car pour lui ce sera la mort certaine. Et si la pluie n’est pas tombée avant, elle tombera certainement après. Et la population fêtera son succès par des beuveries et des danses.

Dans les années normales, où tout le monde est content et du soleil et de la pluie, le muvubyi n’est pas pour cela abandonné, mais c’est lui alors qui se présente de sa propre initiative au chef et aux habitants, pour leur rappeler que cette bonne aubaine leur vient de sa condescendance, et qu’ils feraient bien de se souvenir de lui par les contributions à son bien-être, en forme de dons volontaires de gratitude. La quantité prélevée lui servira toujours deprétexte pour leur dire au moment où ils auront encore besoin de lui « Tant pis pour vous, donnant donnant, et payez-moi les arriérés ». En fait c’est un métier qui généralement paie bien.

Le Muhinza, Ou Muhoryi

Le peuple du Rwanda, essentiellement cultivateur, s’est rendu compte que rien ne sert de semer en temps opportun, grâce aux pluies tombées au moment propice, que rien n’est gagné à voir sa récolte se développer normalement, si l’on ne peut prévenir les mille dangers qui menacent les cultures sur pied et les exposent à leur échapper au dernier moment. Il y a les singes, les sangliers, les sauterelles, les pucerons, les chenilles, les oiseaux, dont certains sont autrement voraces que nos moineaux d’Europe. Grâce aux cadeaux qui lui sont apportés pendant toute la période qui précède les récoltes, grâce encore aux impôts qu’il prélève sur les stocks emmagasinés, le « muhinza » promet de se charger de la réussite des travaux agricoles,

Le muhinza, quelque soit sa caste, est toujours chef reconnu héréditaire et inamovible. Le roi du Rwanda n’a aucune autorité directe sur la région où est établi unmuhinza, et les délégués du roi ne résident qu’en simples particuliers sur son territoire. Il ne reçoit d’ordre de personne et tous les habitants de son territoire lui sont strictement tributaires ; à eux de remplir ses greniers en temps voulu ou bien gare aux représailles qui amèneront disette et famine. A son appel, toutes les plaies d’Égypte se jetteront sur la population ingrate, ou sur son ordre épargneront ses protégés au détriment des lieux avoisinants.

Sa position est telle, que le roi lui-même, en face d’un muhinza rebelle, met de la mauvaise volonté à obéir à un gouvernement européen, qui lui intime l’ordre d’unifier son autorité. C’est l’histoire de Nyamakwa du Bushiru qui rendit inutile la démonstration policière de 1913, qui avait pour but d’établir un chef mututsi dans ses terres, et qui dût se retirer sans avoir abouti. Le roi Musinga qui en voulait à Nyamakwa, se refusait à son éloignement par crainte de représailles sur les récoltes et les suites désastreuses de la famine.

Ainsi encore l’histoire du vieux Sheja, le muhinza du Bugarula, qui mourut à la chaine, capturé et enlevé par l’expédition punitive allemande, et que, malgré les ordres du gouvernement, le roi refusa de remplacer par un de ses lieutenants, pour laisser le fils de Sheja reprendre l’autorité et les prérogatives de son père,

Au Kibali, il a été impossible aux chefs de recueillir l’héritage de puissance que léga à son fils le muhinza Mwijuko,tué d’une balle lors de l’expédition de 1913 contre le prétendant Ndungutse, pour lequel il avait pris fait et cause. Dans les trois cas la Mission des Pères Blancs de Rwaza a rendu la paix aux districts, éprouvés, en conquérant à la vraie foi les populations superstitieuses.

Une autre puissance était au pouvoir du muhinza, puissance autrement redoutée et funeste que de dominer les récoltes le « kuvuma ». Lancer des malédictions, suivies d’effet et irrévocables à moins que le muhinza ne se laissât fléchir, par le « kuvumura ». Les gens racontent comment on dessèche à ces malédictions, comment le bétail périt, les mères pleurent leurs enfants morts et deviennent stériles, comment des plaies infectes couvrent la victime de la rancune du muhinza. Et c’est une nouvelle et monstrueuse façon d’extorquer de ses victimes trop crédules les pauvres biens qu’ils tirent du sol à la sueur de leur front. Comme ailleurs, ce sont les femmes qui surtout sont dupes, pauvres clientes craintives de ces jongleurs.

Pourquoi les indigènes croient-ils si fermement à ces « maîtres de la croyance » si tout cela n’est que jonglerie ? C’est la réponse à donner à une question semblable qu’on pourrait poser au sujet des cartomanciennes en pays civilisés, des somnambules et autres individus des deux sexes qui font des milliers de dupes pour gros argent, et vivent à leur dépens. Parmi ces hasards, ces chances, ces clairvoyances, il y a des faits indéniables et avérés, qu’on ne constate pas seulement chez nos sybilles européennes, mais encore chez nos noirs. Il suffit d’un seul fait, savamment arrangé ou appuyé à point nommé par les événements, pour donner le crédit nécessaire auprès de la foule, toujours empressée à se sauver d’un malheur, à le connaître d’avance et à le prévenir. Il nous semble oiseux de donner ici des exemples typiques, que nous avons pu constater de nos yeux chez nos noirs ; nous ferons seulement remarquer que dans nos contrées de l’Intérieur Africain non-civilisé, les dames « de Thèbes » et sieurs «Nostradamus et Papus » sont légions, font les choses aussi sérieusement, et demandent des appointements moins élevés,

Ces quelques préliminaires suffiront, nous semble-t-il, pour éclaircir certaines obscurités, qui se présenteront dans le courant des chapitres qui vont suivre, et faciliteront la compréhension des allusions, qu’on rencontrera dans notre exposé. Ces notes nous permettront de suivre sans interruption la marche, de nos observations, sans surcharger de renvois un texte qui offre par lui-même suffisamment de difficultés.

Il n’a pas été possible de classer distinctement chaque observance cultuelle, en précisant si elle tombe dans la catégorie des superstitions proprement dites ou celle des observances simplement vaines. L’important est de donner un aperçu complet aussi analytique que possible de l’influence d’un principe religieux supérieur sur la vie journalière des habitants de ce petit coin du Rwanda, qui a nom Kinyaga.

 A ceux qui, comme les missionnaires vivant dans le pays même, en contact régulier avec les us et coutumes, trouveront certaines lacunes et regretteront sans doute de ne pas y trouver telle ou telle habitude mentionnée,nous répondrons « Non omnia expediunt »,

D’autre part, dans ces notes multiples, collectionnées au jour le jour, il a fallu trier, ne prendre parfois qu’un seul exemple typique sur toute une collection du même genre. Encore, quelques observances ne sont que transitoires, dépendant éminemment de la volonté d’un seul homme et ne se reproduisant qu’à des intervalles de plusieurs années, ou même de plusieurs générations. Il nous sera arrivé aussi de noter des faits qui se sont produits pendant notre séjour dans le pays et qui auront vieilli aujourd’hui. Ces observances ne sont pas tellement fixes, ni tellement générales qu’elles se conservent indéfiniment. Il y a évolution, comme ailleurs, surtout vu l’absence de tradition écrite et que tout est abandonné à la seule mémoire.

 Enfin chaque famille a ses propres observances, qui ne sont pas suivies par les autres clans, et vouloir suivre chacune chez soi serait poursuivre un travail impossible. Ainsi par exemple, pour le cas de la notification de l’heureux événement dont je parle au début du prochain chapitre, il y a divergence dans la manière dont elle est faite. Un de nos interlocuteurs nous raconte que la jeune femme désirant faire part à son mari que leur union est bénie, saisit l’occasion de rencontrer son mari dans la bananeraie et de l’amener devant un bananier dont le fruit commence à pointer. Elle se contente de lui montrer le tronc, sans mot-dire, et le mari comprend aisément qu’au jour où le régime, qui se forme, sera mûr, il aura un fils. Image toute de poésie. Un autre prétend que cela ne se pratique pas chez eux, et que la femme se montre simplement revêche, ce qui lui en dit assez long.

D’autre part, la foi chrétienne que nous leur avons apportée voici 35 ans, et qu’ils ont embrassée avec une ardeur extraordinaire, a fait disparaître un grand nombre d’observances vaines dont le souvenir même s’est effacé dans l’esprit du plus grand nombre. Nous aurons eu la satisfaction de sauver de l’oubli complet le souvenir des craintes multiples, dans lesquelles ils ont vécu enchaînés sous le tyrannique empire des coutumes ancestrales.

Dans les chapitres qui vont suivre, sont classées aussi bien que possible, nos observations sur la vie religieuse des Banyakinyaga en suivant les principaux événements de leur existence du berceau à la tombe.