Syncrétisme.

Toute une littérature a été publiée à ce sujet ; nous y renvoyons le lecteur pour plus de détails.

Il existe, tant au Ruanda qu’en Urundi et dans la plupart des régions voisines, un mouvement monastique syncrétique, tendant à fondre en un seul culte rendu à un super-esprit, RYANGOMBE au Ruanda et à son synonyme KIRANGA en Urundi, toutes les dévotions accordées précédemment à des divinités locales. A cette fin, celles-ci ont reçu une appellation commune : imandwa au Ruanda, ibishegu en Urundi, bubale en Uganda, abachwezi au Bunyoro-Ankole ; en même temps qu’elles étaient agglomérées en un ramassis hétérogène de dieux naturalistes régionaux, d’ancêtres éponymes de tribus et de peuples, d’étrangers et de nationaux légendaires, de types représentatifs d’espèces humaines et même d’animaux anthropomorphisés.

Néanmoins, certaines divinités agraires comme NYABINGI au Ruanda, INAMUKOZI et NYABASHI en Urundi n’ont pas été jusqu’à présent, complètement subordonnées.

Le syncrétisme religieux n’est pas spécial à la région des Grands Lacs ; il s’est fait remarquer à différentes époques et dans divers pays. On le retrouve même actuellement en Afrique noire bantoue, notamment en Nigéria chez les Yoroubas, où l’ancien culte des mânes des ancêtres et la notion des divinités locales de la terre ont été introduits dans un système polythéiste. Chez les Barega (Congo belge), on trouve une secte de KILANDA. L’existence de divinités les plus diverses a été relevée dans toute l’Afrique bantoue ainsi que le culte des mânes des ancêtres qui y est au centre de toutes les conceptions religieuses. En Afrique orientale, on trouve un culte des héros des clans et un polythéisme dans lequel les divinités supérieures ou mânes des cultivateurs vaincus sont devenus des dieux des morts.

Ont été syncrétisés au Bunyoro (Uganda) sous l’égide de WAMARA, frère puîné de RYANGOMBE : IRUNGU, dieu de la chasse, KALISA, protecteur des troupeaux, RUHANGA qui préside à la naissance des jumeaux, KAGORO, dieu de la foudre, KAYIKARA, dieu du foyer, RUTALE, dieu de la brousse. En Uganda, les dieux aborigènes : MAKASA, esprit des eaux, KIBUKA de la guerre, WENEMA, WIRIMU, MWANGA et KAGORO, dieu de la foudre, ont été réunis sous le génie déifié LUBALE.

Au Ruanda, les esprits subordonnés à RYANGOMBE sont au nombre d’une trentaine et représentent toutes les classes et les professions du pays ; on y retrouve même, vraisemblablement par suite de certaines conceptions relatives à la métempsycose, la vache, le vautour et le lion. Parmi ces esprits divinisés, médiums entre les humains et RYANGOMBE, signalons, importés du nord KAGORO, dieu de la foudre, MUGASA, esprit des eaux, MUZANA, symbolisant les domestiques, NYABIRUNGU et NKONJO, esprits des femmes. Par contre, MASHYIRA serait un esprit du terroir ruandais qui aurait été de son vivant chasseur et médecin-devin.

En Urundi, parmi les esprits syncrétisés sous KIRANGA, signalons notamment SERUTWA, esprit des apiculteurs, SEKATEMA, qui préside aux cultures ainsi qu’INAMUKOZI, SENGOGA, synonyme de KAGORO, esprit de la foudre, NABIRUNGU, esprit des chasseurs, MUKASA, esprit des eaux, ZURA et KIZUZI, esprits des sorciers maléfices, GIHANZO esprit des sauniers.

Comme nous l’avons dit, toutes ces divinités sont considérées comme autant de médiums entre les humains et RYANGOMBE-KIRANGA ; en somme, le culte va à ce dernier. Grâce à l’accomplissement de certains rites d’initiation, hommes et femmes de tous rangs et de toutes classes peuvent devenir prêtres de RYANGOMBE-KIRANGA sous les mêmes dénominations que celles des divinités médiatrices par application du principe de la ressemblance par le nom et l’action, soit imandwa au Ruanda et ibishegu en Urundi.

Au Ruanda comme en Urundi, on établit une distinction nette entre les grands initiés, ordonnés, représentants de l’une ou l’autre divinité, et les petits profès, simples initiés au culte.

En Urundi, la confrérie des bishegu avait à sa tête une femme muhutu de la famille des Bajiji ou des Baranganga qui prenait le nom de « femme de KIRANGA » (MUKAKIRANGA). Elle recevait une terre à Itara (Buragane-Ngozi) dans le domaine propre du roi, mais devait se vouer à la virginité. C’est en cette qualité qu’elle présidait une fois par an, vers décembre, la festivité umuganuro des premières semailles du sorgho au cours de laquelle des sacrifices d’animaux étaient offerts à KIRANGA. La présence de MUKAKIRANGA à cette cérémonie avait, pour les Barundi, la valeur d’une véritable incarnation de l’esprit de KIRANGA.

La présence d’une femme en qualité de prêtresse d’une secte religieuse devrait, nous semble-t-il, en faire rechercher l’origine à l’époque paléo-matriarcale bantoue.

Notons qu’en Urundi les initiés ne pouvaient porter leur lance hors du culte ni tuer personne en cas de guerre.

A la cour du mwami du Ruanda, les initiés imandwa disposaient également d’un grand-maître : umwami w’imandwa, se recrutant dans la famille des Bayumbu, et résidant à la Cour. Sous le règne du mwami MUSINGA, le dernier titulaire fut KABANO KA NYAMUSHANGWARWA, chef des danseurs du roi et, dit-on, Muhutu anobli ; il incarnait RYANGOMBE.

A l’heure actuelle, tant au Ruanda qu’en Urundi, les adeptes du culte de RYANGOMBE-KIRANGA constituent un corps sans tête ; mais leur activité, bien qu’en voie de décroissance devant l’évangélisation, est toujours vivante, se pratiquant parfois en plein jour et à proximité immédiate de centres d’occupation européenne, voire des missions chrétiennes.

Nature de Ryangombe-Kiranga.

Tant en Urundi qu’au Ruanda, RYANGOMBE-KIRANGA n’est pas Dieu. En Urundi, les indigènes disent à son sujet : KIRANGA ni ikiremwa, IMANA irarema : KIRANGA est une créature, IMANA crée. Au Ruanda, on déclare qu’entre RYANGOMBE et Dieu, il n’y a aucun rapport : Ntaho bihuriye. On ajoute toutefois : Si IMANA, aliko yagizwe n’IMANA : Il n’est pas Dieu, il a reçu (son pouvoir) de Dieu. Si RYANGOMBE-KIRANGA est parfois intitulé dans les incantations qui lui sont adressées : RYANGOMBE-IMANA, il ne faut nullement voir en ceci une identification à Dieu, mais simplement une reconnaissance de sa puissance. RYANGOMBE-KIRANGA n’est même pas un intercesseur auprès de Dieu dans la conception indigène.

En Urundi, l’on considère KIRANGA comme tracassier et menteur ; il inspire la crainte et le respect, tandis que son culte nécessite beaucoup de bière. Néanmoins, il n’est pas le Diable non plus, dont l’indigène n’avait d’ailleurs aucune idée, puisqu’il est le type d’un esprit bienfaisant qui voudrait s’occuper des misères humaines et qui écarterait toute souffrance, toute crainte ainsi que toute stérilité. Les femmes l’intitulent BIHEKO BIZIMA : amulettes vivantes.

RYANGOMBE-KIRANGA apparaît comme une figure amorale.

Ni Dieu ni Diable, RYANGOMBE-KIRANGA n’est, pour l’indigène, qu’un esprit humain spécialement transcendant. Il est intitulé en Urundi umwami w’ibishegu, le roi des divinités locales, des initiés ; de même il apparaît au Ruanda comme un super-esprit et, dans la foi de ses adeptes, un esprit de trépassé, le plus grand de tous, auquel ils confèrent le titre de kizimu, le préfixe « ki- » étant un augmentatif d’excellence.

Le Ruanda comme l’Urundi déclarent chacun avoir été le berceau de RYANGOMBE-KIRANGA. Comme il convient à un si haut personnage, on le prétend bien souvent Mututsi de haute caste, que l’on précise même de clan Umwega. On le veut né à la fois au Bugoyi (Kisenyi), à Nyanza, au Mvejuru (Astrida) pour le Ruanda ; et à Ngozi, pour l’Urundi, etc.

De son vivant, il aurait été un grand chasseur au cœur compatissant, secourable aux malheureux, faisant fi du bavardage des femmes, qui mourut blessé à mort par une mégère métamorphosée en buffle au Ruanda, en antilope en Urundi. Il serait mort sous une érythrine corail. Son âme est censée résider au volcan Muhaburura, au Ruanda ; c’est donc un esprit chthonien.

Dans ce pays, il est représenté portant une queue de lièvre, de mangouste ou de putois sur le front, un long glaive, vêtu d’une peau de mouton Nyirabuhoro (insigne de paix) et d’une fourrure de serval.

Comme nous savons que les Batwa ne rendent, en principe, aucun culte aux mânes des ancêtres, RYANGOMBE-KIRANGA ne puise donc pas son existence parmi les Pygmoïdes. Néanmoins, certains Batwa rendirent hommage à RYANGOMBE au nord-ouest du Ruanda, mais cette vénération ne remonterait pas plus loin chez eux qu’au XIXe siècle (?), sous le règne de RWOGERAMUTARA II.

RYANGOMBE-KIRANGA ne rappelle guère par son Comportement et son vêtement, la civilisation mututsi : il est chasseur et en porte le costume. En conséquence, quoiqu’on ait pu dire, KIRANGA n’est aucunement pasteur.

Le culte des mânes et d’esprits divinisés ne se rencontre, en principe, ni chez les pasteurs d’Éthiopie, ni chez les Massaï, les Souks, les Gallas, ces derniers pratiquant uniquement le culte du dieu céleste WAK.

Et au Ruanda, si le culte de RYANGOMBE rencontrait dédain et scepticisme, c’était précisément au sein des clans batutsi qui sont unanimes à prétendre son origine muhutu. Qu’il y ait des initiés batutsi, certes ; toutefois, il y a lieu de faire remarquer que dans la suite des imandwa, on ne rencontre aucun des grands noms banyiginya et que par ailleurs le code ésotérique de la Cour s’opposait à l’intronisation d’un mwami initié à la secte. Cette dernière règle était également constante en Urundi.

Les devins de la Cour du mwami du Ruanda: Batutsi des clans Basinga, Bazigaba et Bakongori, avaient pour règle de ne pas se faire initier. D’autre part, comment les Batutsi auraient-ils pu glorifier le pygmée MUTWA au Ruanda et SERUTWA en Urundi, type représentatif de la race des parias ?

RYANGOMBE est un esprit agraire, donc muhutu, puisqu’il est censé hanter les pentes du volcan Muhabura où il cultiverait bananiers, sorgho et tabac ; il convient par conséquent d’en rechercher l’origine dans le fonds bantou. Notons que chez les Banyamwezi (Tabora), RYANGOMBE sert tout simplement à désigner les victimes sacrifiées aux mânes des ancêtres.

Il semble que le culte de RYANGOMBE-KIRANGA soit d’importation au Ruanda-Urundi où il pénétra à la suite des migrations humaines. SANDRART a très bien fait ressortir la similitude qui existe entre certains génies du Ruanda et ceux de Bunyoro-Ankole, dits abachwezi ; mais ici encore il s’agit d’un mouvement religieux bantou.

Que le culte soit venu du nord, avec les migrations bantoues, c’est certain. Si le fait est que le culte, à l’heure actuelle, est particulièrement pratiqué dans les milieux bahutu à forte densité au cœur du Ruanda-Urundi où résident de nombreux Batutsi, il n’est toutefois pas spécialement signalé chez les Bahima, vrais pasteurs de l’est. Il faut attribuer sa faible pénétration au nord-ouest du Ruanda au fait qu’il s’y heurta à un mouvement manistique sensiblement identique s’adressant à l’esprit de NYABINGI. Les historiens du Ruanda, KAYIJUKA, et SEKARAMA, font venir le culte de l’Urundi ; cette thèse est à rejeter.

Reste à savoir comment il se fait qu’un chasseur a été élevé au titre de grand-maître des mânes.

La divinisation d’un chasseur ne doit pas être considérée comme un fait isolé : ILANGA, chez les BalekaMituku au Congo belge, est l’esprit de la chasse ; une entreprise cynégétique infructueuse y est mise sur le compte des maléfices causés par l’âme d’un mort.

BAUMANN déclare qu’il lui semble, pour le cercle du lac Roukwa, au Tanganyika, que les dieux suprêmes des paysans assujettis se soient cachés parmi les divinités telles que WAMARA-RYANGOMBE, le dieu des mânes, IROUNGOU et Mousisi, les dieux de la terre ; ceux-ci se rattachent tous à la religion chthonienne et à la mythologie comme intermédiaires par lesquels on s’adresse à la divinité et on les vénère sur leurs tombes, dans le bois sacré comme à l’occasion de l’initiation au Ruanda-Urundi, ou au trou du marais par lequel, croit-on, les premiers hommes sont issus de la terre.

Le mythe du chasseur ayant fait un voyage dans le monde inférieur parmi les esprits des morts, est très vivace dans le cercle précité ; il témoigne d’une fusion étroite des notions des chasseurs et des peuples adonnés au culte des mânes ; en effet, les chasseurs qui chassent les porcs-épics et les phacochères, entreraient en contact avec les morts par les trous du sol ; ils constituent des sociétés secrètes enveloppées de mystère.

Ceci nous éclaire quant au motif pour lequel RYANGOMBE porte sur la tête une queue de lièvre, ou celle d’une bête puante, — repoussant les mauvais esprits par son odeur-putois ou mangouste, animaux qui, par leurs terriers, pénètrent dans le domaine hanté par les mânes des ancêtres. Il faut voir dans cette parure, une application de la loi de participation par contact.

Admission au culte de Ryangombe-Kiranga.

A) BUTS ET MOYENS

Au Ruanda-Urundi, dans certaines familles qui ont été placées ancestralement sous l’égide d’un imandwa déterminé, l’on initie d’office les enfants à la secte.

Ordinairement, l’on pose sa candidature avec hésitation, car les frais sont énormes, lorsqu’on se croit victime d’un sortilège, que l’on se sent malade, que l’on n’engendre pas d’enfant et qu’un médecin-devin et mupfumu a décrété que ces préjudices provenaient d’un esprit divinisé déterminé, agissant à la requête des mânes des ancêtres, divinité qu’il convient de mettre de son côté.

En Urundi, se font initier des indigènes qui déclarent avoir été visités par KIRANGA sous l’aspect d’une maladie provoquant des transes et après verdict établi.

Les buts poursuivis par l’initiation sont multiples :

Éloigner du candidat les mauvais esprits ; Faire appel à l’esprit de RYANGOMBE-KIRANGA et le lui concilier ;

L’identifier à RYANGOMBE-KIRANGA ;

L’affilier à la secte afin de pouvoir présenter des sacrifices propitiatoires à l’esprit de RYANGOMBE-KIRANGA.

Les moyens mis en œuvre seront adaptés aux buts recherchés et seront puisés dans l’économie d’une théurgie essentiellement d’ordre magique. Ils comprendront notamment :

Éloignement des mauvais esprits par l’emploi d’excréments, de pointes de lances, d’arbres à pointes et à fleurs rouges (érythrine corail), du feu, de bruits, de danses et de chants. Pour l’éloignement de la possession d’esprits contraignants, on effectuera des actes de libération de toute réserve sociale, notamment sexuelle. Finalement intervient une purification par l’eau en Urundi ;

Appel et conciliation de l’esprit de RYANGOMBEKIRANGA : prières et sacrifices à son intention ;

Pour l’identification à RYANGOMBE : transes épileptiques, transfiguration, prise des parures, du nom de l’esprit, et réception des hommages qui lui sont dus ;

Incorporation à la secte : introduction par un parrain et une marraine initiés, libations et repas de communion sociale, simulacre d’anthropophagie des initiés sur le candidat, copulation rituelle, amalgamation par la communication d’un secret, adoption d’une terminologie linguistique conventionnelle à la secte, pacte de sang suivi d’une communion hiérogamique.

B) INITIATION AU CULTE.

Kwatura (Ru.) — kwatira (UR.).

Le profane, uruzigo en kinyarwanda, nyakute (diarrhée) en kirundi, se rend en consultation chez le devin mupfumu à la suite d’événements désagréables ; la divination, après de laborieuses et coûteuses recherches, indique la nécessité de s’initier au culte des esprits divinisés. En outre, le devin ordonne d’exécuter des sacrifices aux mânes des ancêtres dans le but de les apaiser.

Au Bugoyi (Ruanda), le postulant se pare d’un collier de perles blanches bénéfiques. L’on choisit un parrain pour les hommes, une marraine pour les femmes, désignés par divination et dont l’agrément est décidé au cours d’une autre séance de divination.

La veille de l’initiation, les arbustes de garde imirinzi (umuko et umuvumu, alias umutaba) plantés à l’entrée du kraal et les piliers de la hutte sont purifiés à l’aide d’un lait de kaolin. La cérémonie va se dérouler en entier à la résidence du récipiendaire. Un dernier sacrifice propitiatoire est offert aux mânes des ancêtres. De la bière est apprêtée et tous les instruments du culte sont réunis.

L’initiation s’effectue de nuit ; le postulant est d’abord purifié à l’eau et muni d’une lance à bout ferré et pointu, dont le fer est peint en blanc et noir. Les non-initiés sont impitoyablement exclus des rites : l’on craint en effet l’ensorcellement par le mauvais œil.

Au Ruanda, le parrain médium revêt les insignes de grand-prêtre de RYANGOMBE ; une ceinture mukane autour des reins, il tient en main un glaive inkota, revêt une peau de mouton, une peau de serval, se coiffe d’une queue de lièvre, de mangouste ou de putois, et porte au pied droit l’ornement umuharakuko, couvercle de panier en forme de tronc de cône. Un assistant apporte le siège intebe du prêtre de Ryangombe, tandis qu’un autre tient d’une main le goupillon icyuhagiro composé d’herbes et de branches d’ikiziranyenzi, ikibonobono, umutabataba, umwishywa, umuko, umutanga, ishyoza, umukunde, nkulimwonga, umubagabaga, umuhengeri et d’ imicyura ; et de l’autre main des fruits d’une cucurbitacée umutanga très amère. En Urundi, un grand initié igishegu incarnant KIRANGA, pousse des « hou, hou)) (kuvumera) ; il est muni d’une lance à bout pointu ferré et d’un bâtonnet de feuilles d’imanda. Chacun s’agenouille et prie devant l’incarnation de KIRANGA.

En vertu de la loi de similitude, le parrain médium est maintenant réellement RYANGOMBE pour les assistants ; on ne l’appelle plus que par ce nom. Il prend place sur le siège tandis que le postulant s’assied par terre, à ses pieds. Afin de charmer les mauvais esprits, l’on agite sans cesse des courges emplies de graines de canna et des grelots.

On honore d’abord la divinité protectrice de l’ancêtre familial et l’on boit. Le postulant revêt un charme consistant en une herbe fétide d’umwishywa et en graisse bénéfique urugimbu, charmes que par la suite le prêtre de RYANGOMBE purifie au lait de kaolin et dont il touche le récipiendaire à la figure, au dos et à la poitrine. RYANGOMBE lui donne à boire de la bière versée dans une courge d’umutanga auquel on mélange parfois de l’urine ; ce breuvage ubgaburu, constitue un puissant exorcisme interne. Parfois RYANGOMBE en crache à la figure du postulant en disant : nguhaye ubuhoro : « Je t’ai donné la paix », après quoi le postulant se cache la figure derrière le goupillon.

RYANGOMBE serre le corps du postulant entre ses genoux. La cérémonie s’effectue maintenant sous les arbustes umuko et umuvumu plantés à l’entrée du kraal et entre lesquels on a allumé un grand feu exorciseur.

Une cérémonie mimétique d’anthropophagie se déroule, réalisée par les acolytes de RYANGOMBE sur le corps du néophyte afin de mieux l’absorber dans la secte.

Le récipiendaire est interrogé sur ses connaissances au sujet des esprits divinisés ; le consécrateur l’initie à chacun d’eux tout en les mimant, les priant et en les louant ; c’est le véritable kubandwa.

On livre le « secret » au récipiendaire : il consiste dans le chef de RYANGOMBE et des initiés à extraire le battant d’un grelot, à enlever à l’aide des dents un fragment de la pierre à aiguiser, à faire descendre des étoiles du ciel en lançant en l’air des braises incandescentes, toutes performances que le postulant se déclare incapable d’accomplir. La plus stricte interdiction est faite par le consécrateur au récipiendaire de dévoiler ces secrets (ibanga).

Il s’agit maintenant d’éloigner les mauvais esprits du corps du récipiendaire ; à cette fin, couché nu sur le sol, dans un coin de la bananeraie, il est recouvert d’excréments par les assistants. En même temps, on chasse de lui tout esprit de contrainte sociale et on essaie de l’affranchir de certains tabous coutumiers ; on lui fait faire le vœu d’avoir un commerce incestueux avec son père ou sa mère. On l’insulte de Mutwa. Pendant ce temps, l’assistance boit, chante et danse.

Vers le matin, le candidat doit accomplir les quatre rites suivants :

— Un pacte de sang avec son consécrateur ;

— Prendre avec ce dernier, une position couchée hiérogamique dans une natte commune durant quelques instants, d’où l’expression ararongowe na RYANGOMBE il a été épousé par RYANGOMBE ;

A ce moment, les assistants exécutent une copulation rituelle ;

— Revêtir les ornements du consécrateur et s’asseoir sur son siège, il devient donc à ce moment précis RYANGOMBE-KIRANGA et les assistants passent devant lui en l’honorant et en le priant ;

— Participer à un repas et à une libation de communion avec les autres initiés.

La cérémonie se termine lorsque les pots de bière sont vides. L’initié s’appelle maintenant uruzingo, le noué, au Ruanda, et nyakare, en Urundi, ou petit igishegu. Les assistants exécutent sept fois le tour du bosquet sacré et éteignent le feu à l’aide de leurs pieds. La mère de l’initié lui purifie le dos, la tête et la poitrine à l’aide d’un goupillon, en disant : « Oue ceci te préserve des maux, des mânes, des femmes et des hommes (mauvais) ». En quittant l’enclos, celui qui incarna RYANGOMBE jette quelques gouttes de bière sur le foyer de la hutte, en faveur des mânes de l’ancêtre familial et prononce ces paroles rituelles : « Ris, maître de la maison, j’ai initié (ton descendant) au culte de RYANGOMBEKIRANGA ».

C) REPAS DE COMMUNION – Ukugabulirwa.

Cette nouvelle cérémonie, nocturne également, a lieu quatre ou cinq jours après l’initiation, à. la résidence de l’initié. Prennent part à ce repas : le parrain initiateur, les imandwa et l’initié. Il s’agit de resserrer les liens unissant les confrères autour d’une libation et d’un repas de communion où le prêtre de RYANGOMBE porte la nourriture à la bouche de l’initié tandis que celui-ci agit de même à son égard. Courges à graines de canna et grelots ne cessent d’être agités ; chacun invoque et honore sa divinité particulière et l’on procède à une révision des notions apprises par le novice lors de son initiation.

D) ORDINATION.

Cette cérémonie par laquelle l’initié va devenir prêtre de RYANGOMBE s’intitule gusubira ku ntebe au Ruanda, littéralement : retourner sur la chaise, allusion au fait que le médium, lors du culte, demeure constamment assis sur un siège, et que l’initié lui succédera sur celle-ci. Au préalable, le candidat se rend en consultation chez un devin.

Cette promotion est rare, car elle coûte cher en cadeaux.

La cérémonie, contrairement à celle de l’initiation, se déroule en plein jour.

Le grand-prêtre de RYANGOMBE 011 de KIRANGA, se rend avec ses acolytes BINEGO, MUKASA, etc., et les instruments cultuels, au domicile du récipiendaire. Des sacrifices propitiatoires sont accomplis en faveur de l’ancêtre familial. Les acolytes sont vêtus de feuilles de bananier découpées en languettes. Le profès offre une houe à son consécrateur.

On place une cruche de bière à l’intention de l’ordinant devant la hutte du novice ; les initiés y boivent en une libation de communion.

Au Ruanda, les assistants se rendent ensuite en procession jusqu’à un bosquet sacré d’imirinzi où un grand feu purificateur est allumé ; les profanes, après avoir offert selon l’usage les cadeaux de bière et d’aliments, doivent maintenant se retirer.

Les différents esprits divinisés : RYANGOMBE, RUHANGA, BINEGO, MUKASA, KAGORO, NYABIRUNGU, MASHYIRA, MUZANA, MUTWA, NKONJO, RUMUNA, KIBONGO, MUKOKORA, etc., sont honorés (kubandwa) en invoquant leur esprit, leurs faits et gestes, et en sollicitant leur protection au cours de chants ibisingizo. A la fin de ces incantations, le consécrateur dépose de la terre et des cendres du feu purificateur dans deux couvercles de panier juxtaposés et remet le tout au récipiendaire, en disant : « De même que ces couvercles étant juxtaposés, la terre n’en peut sortir ; de même les sorciers seront impuissants à te nuire. Va, garde cette terre et qu’elle te protège ». L’initié reçoit la poussière sacrée et la dépose sous son oreiller afin qu’elle écarte les mauvais sorts et les esprits malins de sa demeure.

Les imandwa jettent dans le feu des morceaux d’écorce de l’érythrine protectrice ; ils incorporent leur personnalité à cet arbre en crachant dessus et le prient ensuite de les protéger. Les assistants, après avoir éteint le feu rituel, effectuent sept fois le tour du bosquet sacré et retournent à l’habitation du récipiendaire. Celuici se couche nu dans une natte en une communion hiérogamique avec son consécrateur qui lui donne un nouveau nom. A partir de ce moment solennel, l’initié uruzingo est devenu lui-même médium imandwa. Il présente des cadeaux à l’ordinant ; on chante, on boit, on danse, on pousse des cris de joie impundu.

Après la consécration suit une collecte ugushega : les imandwa vont quêter bière et nourriture dans les milieux environnants.

En Urundi, après la libation de bière, un cortège composé des individus qui participèrent à l’initiation, se forme et se dirige vers une rivière. Les profanes et les simples initiés se retirent ; on déshabille le récipiendaire ; on l’asperge d’eau lustrale ; on l’oint, puis on le pousse à l’eau. Le cortège rentre à l’enclos où se trouve l’gitabu ou bosquet sacré : umugombe, umuvumu et umuko, arbustes plantés l’un près de l’autre et purifiés au kaolin. Au centre de ces arbres, un feu a été allumé. Le grand-prêtre de KIRANGA donne un nom igishegu au nouvel initié. La cérémonie se termine au milieu de cris de joie, de chants, de danses et d’une beuverie ; par après, les bishegu vont quêter dans le voisinage ; personne n’oserait refuser de leur offrir des présents.

Culte à Ryangombe-Kiranga.

Le culte est public, mais privé dans la partie religieuse proprement dite ; il est ouvert aux seuls initiés et offert aux prêtres, médiums de RYANGOMBE-KIRANGA. li consiste parfois en une simple offrande au boqueteau sacré d’imirinzi constituant l’entrée du kraal, tout en invoquant l’esprit de RYANGOMBE-KIRANGA. Il n’existe ni temples, ni calendrier liturgique, et le clergé est recruté sur place parmi les initiés qui furent ordonnés. Le culte se compose de prières et de sacrifices de bière, de gros et de petit bétail. L’indigène recourt à l’initiation, puis au culte pour les motifs suivants :

— Pour obéir à une prescription familiale ou à celle d’un médecin-devin ;

— Pour guérir d’une maladie dont il se croit ensorcelé par l’action de mânes ou d’esprits divinisés ;

— Pour se prémunir contre une maladie déclarée plus ou moins imminente par le médecin-devin ;

— Pour s’assurer des biens matériels nombreux, qu’il s’agisse du produit de la terre, des troupeaux ou de la chasse ;

— Pour obtenir des chances de succès auprès des propriétaires de gros bétail dont il désire devenir le client ;

— Précédemment, pour obtenir du mwami et des chefs, des commandements politiques ;

— Pour obtenir le triomphe contre les ennemis et les jeteurs de mauvais sorts ;

— Pour gagner de la fécondité et obtenir un heureux accouchement ;

— Pour remplir une promesse que les ancêtres n’ont pas eu le temps d’accomplir eux-mêmes ;

— Pour jouir de la considération publique accordée aux initiés ;

— Pour observer une tradition de famille ;

— Lorsque la foudre a frappé un parent, une tête de bétail, la hutte ou la bananeraie ; lors d’un mariage, de la mort d’un initié et lors de naissances gémellaires ou après un incendie de case.

On peut voir au musée d’ethnographie de Kabgayi (Ruanda), une scène de culte où une vieille femme offre un sacrifice de bière à RYANGOMBE à qui elle adresse une prière par l’intercession de son médium KABANO. La bière est déposée dans une cruche intango dans laquelle boivent, requérante et prêtre, en une libation de communion. Le culte se pratique toujours à la résidence du requérant, soit sous l’érythrine corail plantée à l’entrée du kraal, soit à l’intérieur de la hutte.

A) RÉSOLUTION DU RECOURS AU CULTE – Uguhiga.

Une consultation des sorts est préalablement pratiquée chez le devin umupfumu, à moins que l’intéressé n’ait accompli en lui-même le voeu d’exécuter un culte à RYANGOMBE tandis qu’il se trouvait en présence d’un mal imminent. Par la suite, il convoque le prêtre de RYANGOMBE chez lui et, tout en lui offrant une libation de bière, il expose le but de sa prière : si telle conjoncture désirée se produit, il offrira un sacrifice déterminé RYANGOMBE. Le culte est donc ici conditionnel.

B) EXERCICE DU CULTE – Uguhigura.

L’heureux événement escompté s’étant réalisé, il s’agit maintenant de passer à l’exécution du vœu. La cérémonie s’achèvera en un jour si la promesse ne portait que sur de la bière, en trois jours si elle comprenait bière et taurillon.

1er  jour — Sacrifice de bière.

— Les piliers de la hutte et la palissade du kraal sont purifiés au kaolin ;

— Un devin umupfumu pratique une séance de divination sur des poussins ; à l’aide des entrailles et des yeux de l’animal, s’il se révèle bénéfique, il confectionne un talisman qui doit être porté par l’auteur du voeu ; en outre, celui-ci, afin de se préserver des esprits malins, se ceint la tête d’un roseau fendu en deux et d’une guirlande d’herbe fétide umwishywa ; — Un sacrifice propitiatoire est offert aux mânes de l’ancêtre familial afin de se concilier celui-ci ;

— Les plus grandes précautions sont prises afin d’éloigner de la cruche de bière les mauvais esprits qui hantent le sol. Une assise est réalisée à cette intention en creusant un petit trou devant la hutte. Ce trou est tapissé d’herbe umwishywa, de joncs pointus et de papyrus ; on y dépose la pierre à moudre ingasire, obstacle énergique contre les mauvais esprits ; le devin bénit le tout en y répandant, au milieu de paroles rituelles, du lait de kaolin et des semences à haut pouvoir de fécondité : courge, éleusine, isogi. La cruche elle-même est cernée d’herbe umwishywa, puis aspergée d’eau lustrale avant d’être déposée ;

— Tandis que les profanes s’écartent, le prêtre de RYANGOMBE, assis sur son siège rituel, et l’auteur de l’offrande, agenouillé devant lui, boivent la bière à l’aide de deux chalumeaux, en une libation de communion. On invoque les esprits divinisés — kubandwa — et RYANGOMBE est l’objet de prières spéciales, entre autres : « Donne-moi encore d’être riche, donne-moi d’enfanter, donne-moi de vaincre mes ennemis, etc. » ;

— Les profanes sont ensuite admis à boire ce qui reste de bière, au milieu de cris de joie, de chants et de danses.

2ème  jour — Sacrifice d’un bovin.

— Avant de choisir la bête, on effectue une séance de divination ;

— Accompagné de ses acolytes BINEGO, MUKASA, etc., le prêtre de RYANGOMBE prend place sur son siège près de la hutte votive de l’ancêtre familial et on lui présente la bête ;

— Le prêtre exorcise le bovin en le touchant neuf fois au lait de kaolin entre les cornes, puis il le touche à nouveau neuf fois légèrement du fer de la hache d’abattage intorezo ;

— Le médium de BINEGO l’abat d’un coup au cervelet ;

— Les acolytes dépècent la bête à l’aide du glaive de RYANGOMBE ;

— La tête, le foie, la panse et la vésicule biliaire sont mis à part pour le rituel du lendemain ;

— Le reste de la bête est partagé entre RYANGOMBE, ses acolytes, le devin, les assistants et éventuellement les acheteurs ;

— RYANGOMBE et BINEGO se confectionnent des ligatures de vie en viande qu’ils se passent aux bras et aux doigts ;

— De la viande, exorcisée par le fer du glaive du prêtre de RYANGOMBE, est mise à cuire ;

— BINEGO et RYANGOMBE ainsi que l’auteur de l’offrande, exécutent neuf fois une allée et venue sur la peau du bovidé ;

— RYANGOMBE et BINEGO mangent de la viande, cachés à l’intérieur de la hutte dont l’entrée est obturée à l’aide de nattes afin de placer les mangeurs à l’abri du mauvais œil ;

— Les assistants mangent en commun dans le kraal ;

— A la fin du repas, on présente les troupeaux à RYANGOMBE et on lui offre un mouton en cadeau ;

— On invoque — kubandwa — l’esprit divinisé SERWAKIRA, vache de RYANGOMBE, représenté par un berger ordinaire qui offre du lait à RYANGOMBE ;

— RYANGOMBE réintègre la hutte afin de boire ce lait ;

— Il projette sur les parois du kraal l’herbe mi-digérée (amayezi) recueillie dans la panse de l’animal en disant : « Que tous les mânes abazimu soient refrénés et qu’ils ne se hasardent jamais à violer cette enceinte ». Après cet exorcisme, il quitte les lieux en purifiant les assistants au lait de kaolin et en prononçant ces paroles rituelles : « Voici la bonne eau ; la paix de celle qui a la  paix, qui a été engendrée par la terre ».

3ème  jour — Clôture des sacrifices.

— Lors d’une nouvelle libation, RYANGOMBE procède à l’incinération des os et des restes d’herbe mi-digérée de la bête sacrifiée ;

— La vésicule biliaire étant définitivement écartée, tête, foie et panse sont hachés et mélangés pour être cuits par BINEGO ; – RYANGOMBE mange une partie de cette préparation dans la hutte, tandis que le reste est abandonné aux assistants ;

— A l’intérieur du kraal, RYANGOMBE enterre les cornes dans un trou préalablement exorcisé par l’eau lustrale, le dépôt des branches d’un goupillon purificateur et par une couche de bouse d’un taureau imana. Les cornes émergent d’une vingtaine de centimètres et reçoivent de l’eau lustrale à neuf reprises ;

— Le cérémonie se clôture par des chants rituels spéciaux en remercîment à RYANGOMBE et à ses imandwa. Certains assistants profitent de cet instant pour présenter de nouvelles prières et promesses à RYANGOMBE : « Si j’obtiens d’être riche, d’engendrer une multitude d’enfants, etc., je m’engage à t’offrir à nouveau tel ou tel sacrifice ».

Il existe des buissons sacrés dans lesquels on dépose des ex-voto en demandant à RYANGOMBE protection contre les mauvais sorts. Le buisson le plus en vogue est celui de Kinazi (Nyanza) ; nous l’avons visité en 1953. Son origine serait la suivante : sous le règne de RWABUGIRI, le Ruanda fut l’objet, vers 1892, d’une violente épizootie de peste bovine qui décima presque tout le bétail. L’émotion fut considérable. Le grand-prêtre de la Cour pour le culte de RYANGOMBE parvint finalement à s’emparer magiquement du mauvais esprit qui pesait sur le pays et à aller le noyer, en procession, dans la Nyabarongo près de Kinazi. Il avait ainsi réussi à maîtriser l’épizootie qui accablait le pays ; or on sait toute l’estime que portent les Banyarwanda à leur gros bétail. Sur le chemin du retour, le grand-prêtre de RYANGOMBE fit enterrer à Kinazi son balai exorciseur. Par la suite, on planta à cet endroit des sansevières paradémoniaques ibikakarubamba en un buisson sacré. Depuis lors, on y accourt de toutes les parties du pays pour y déposer des ex-voto constitués de petits vases en terre cuite intango (de gutanga : offrir) et imperezo (de guhereza : présenter) contenant des vivres et des boissons ; on y dépose également des couronnes de fécondité urugore, des bracelets, des anneaux de jambe, de petits arcs ; etc. En effectuant leurs dépôts, les indigènes demandent à la divinité RYANGOMBE santé, prospérité, guérison, richesse, bonheur, fidélité, fécondité, etc.

L’initié au culte des esprits divinisés ne peut boire de lait d’une vache qui avorta : il s’exposerait à contracter une maladie. Il ne peut boire le lait amasitu provenant d’une vache qui vient d’être saillie. Il serait atteint d’amahumane s’il buvait de la bière dans laquelle tomba une pipe. Il lui est de même interdit de boire de la bière de sorgho dont les grains furent au contact d’une pipe, ou de boire de l’eau ayant été mise au contact d’un grelot. Il ne peut employer une pipe réparée à l’aide de fil de cuivre ni manger de la nourriture qui fut touchée par une pipe. Il ne peut consommer de bananes ayant mûri sur leur régime, mais doit attendre qu’elles soient parvenues à maturité en séjournant sur l’étagère urusenge à l’intérieur de la hutte. Il doit employer un vocabulaire spécial lors du culte (‘).

Un initié au culte ne peut couper les arbres gardiens magiques imirinzi se trouvant à l’entrée de l’enclos : érythrine umuko et ficus umuvumu portant le nom liturgique d’umutaba : « qu’il (le malheur) ne soit pas », afin d’éviter que les esprits divinisés se vengent sur lui.

L’homme dont la sœur est mariée est tenu de prendre certaines précautions d’ordre magique afin qu’elle n’éprouve pas de malheurs. Si frère et sœur ont été initiés au culte et que la sœur a quitté son mari, le frère ne pourra plus avoir de relations sexuelles avec sa femme tant que sa sœur ne sera pas de retour chez son conjoint. Il en sera de même lorsque la sœur perd un enfant, traverse une période de menstrues, ou qu’elle accouche. Si la sœur mange en compagnie de son frère, celuici se gardera bien d’avoir ensuite des rapports sexuels, même avec sa femme, afin de ne pas provoquer la stérilité de sa sœur.

Culte à l’esprit d’Inamukozi (Urundi).

Son nom signifie la travailleuse ; il vient du verbe gukora: travailler; elle s’appelle également INAMUHINGWA (celle qui préside aux labours) ou INAMURIMYI (celle qui veille aux cultures).

C’est essentiellement un esprit muhutu agraire. C’est l’un de ceux que le culte de RYANGOMBE-KIRANGA semble avoir trouvés déjà implantés en Urundi, comme celui de NYABINGI au Ruanda. Il est connu au Buha (Tanganyika Territory) sous le nom de NYABASHI. Le culte de KIRANGA en a fait un igishegu. La conception d’une divinité agraire féminine doit, nous semble-t-il, remonter à l’époque paléo matriarcale bantoue, au temps où les femmes pratiquaient la polyandrie et faisaient travailler leurs hommes aux travaux de défrichement et de labour.

La femme qui sert de médium entre les agriculteurs et INAMUKOZI, prend le nom de cette dernière, et son habillement supposé. Étant donné qu’il y a identité de nom et de parure, la femme médium s’imagine vivre en état de transfiguration.

Lorsque le moment des labours est venu, on lui prépare de grandes cruches de bière, les agriculteurs s’alignent munis de leurs houes, et se mettent à labourer en cadence, sous le regard d’INAmuxozi qui n’est appelée, pour l’instant, que de ce nom. INAMUKOZI a la tête ceinte d’un bandeau de fibres ; elle tient à la main un bouquet de branches d’imanda, elle harangue les laboureurs, elle saute, crie, danse, passant et repassant sans cesse devant et derrière les travailleurs. INAMUKOZI est en transes ; elle chasse, injurie les vaches qui se présentent ; elle veut les frapper et les tuer.

Cette dernière attitude à elle seule, pourrait suffire à nous convaincre que le culte de KIRANGA dont INAMUKOZI est l’un des grands ibishegu, n’a pas été introduit en Urundi par les pasteurs.

Rentrée chez elle le soir, elle quitte la personnalité d’INAMUKOZI ; on peut désormais l’appeler par son nom ; chacun lui dit bonjour « bwakeye », comme si on ne l’avait pas encore vue de la journée. Plus tard, une fois la récolte accomplie, si elle a été abondante, on préparera de la bière qui sera bue en compagnie des bishegu, en l’honneur de KIRANGA.

Culte à l’esprit de Nyabingi (Ruanda).

Ici encore, c’est l’esprit d’une femme, NYABINGI alias GITAMI, qui en est l’objet. NYABINGI serait, dit-on, le muzimu de GITAMI, mère de GAHAYA-RUTINDANGEZI KA MURARI, l’ancêtre des Bashambo, ancien roi du Ndorwa. On croit que le culte serait venu du Mpororo ; il est surtout florissant dans le nord-ouest du Ruanda. Néanmoins, on le retrouve jusqu’au Bunyabungo (Kivu) où NYABINGI a pris rang parmi les imandwa de RYANGOMBE. NYABINGI est un génie de l’agriculture, de la fécondité et de la santé. Elle porte encore le nom de NYIRAMUBYEYI, NYIRABAHEKA (accoucheuse).

Les prêtres de NYABINGI, appelés parfois BIHEKO, acceptaient des enfants, le plus souvent malingres et affligés de maux paraissant incurables, et que leurs parents consacraient aux mânes de la divinité. Les jeunes filles étaient particulièrement recherchées eu égard au bénéfice probable à en retirer lors de leur mariage. Tandis que les garçons travaillaient, certaines jeunes filles étaient souvent initiées et devenaient prêtresses de la secte.

Mais le plus souvent le culte est accompli chez eux, par des hommes ababyukurutsa biheko. Durant les consultations, ils servent de médiums entre les patients et NYABINGI ; à cette occasion, ils occupent la partie arrière de la hutte dont ils ébranlent le pilier central en signe de présence de l’esprit invoqué, puis poussent des « houhou » caverneux dans une calebasse et répondent au consultant d’une voix de ventriloque.

En 1939-1940, nous avons été amenés à condamner du chef d’escroquerie plusieurs médiums de NYABINGI, tous Bahutu, en Territoire de Kisenyi ; ils étaient consultés ordinairement et grassement payés, afin de guérir des cas d’hystérie chez des jeunes filles.

Le totémisme.

Totem est un vocable provenant du mot totem que les Peaux-Rouges employaient et qui fut introduit dans le langage ethnographique par l’Anglais J. LONG en 1791. Il ne possède pas de traduction, au Ruanda-Urundi, bien que le phénomène totémique y soit connu. Pour le désigner, on use d’une périphrase : ikirangabwoko (ce qui désigne le clan).

Ainsi que l’a fait remarquer FRAZER, le totémisme, en lui-même, n’est à aucun degré une religion. Les totems ne reçoivent pas de culte ; ce ne sont, en aucun sens, des dieux ; on ne les apaise point par des prières et des sacrifices. Parler d’un culte des totems, comme le font certains auteurs, c’est ne rien comprendre aux faits.

Nous adopterons comme définition du totémisme celle qui a été donnée par Mgr LE ROY : institution consistant essentiellement en un pacte magique, représentant et formant une parenté d’ordre mystique et supranaturelle, par lequel, sous la forme visible d’un animal et exceptionnellement d’un corps végétal, minéral ou astral, un esprit invisible est associé à un individu, à une famille, à un clan, à une tribu, à une société secrète, en vue d’une réciprocité de services.

En 1900, REINACH établit un code du totémisme animal en douze points, dont plusieurs se retrouvent au Ruanda-Urundi.

  1. a) Certains animaux ne doivent être ni mangés ni tués ; les hommes élèvent de ces espèces animales et les entourent de soins ;
  2. b) Un animal mort accidentellement est un objet de deuil et est enterré avec les mêmes honneurs qu’un membre de la tribu ;
  3. c) La prohibition alimentaire ne porte quelquefois que sur une certaine partie du corps de l’animal ;
  4. d) Lorsqu’on se trouve dans la nécessité de tuer un animal habituellement épargné, on s’excuse auprès de lui et on cherche à atténuer par toutes sortes d’artifices et d’expédients la violation du tabou, c’est-à-dire le meurtre ;
  5. e) Lorsque l’animal est sacrifié rituellement, il est solennellement pleuré ;
  6. f) Dans certaines occasions solennelles, dans des cérémonies religieuses, on revêt la peau de certains animaux. Chez les peuples vivant encore sous le régime du totémisme, on se sert à cet effet de la peau du totem ;
  7. g) Des tribus et des individus se donnent des noms d’animaux totems ;
  8. h) Beaucoup de tribus se servent d’images d’animaux en guise d’armoiries dont elles ornent leurs armes ; des hommes dessinent sur leur corps des images d’animaux et les fixent par le tatouage ;
  9. i) Lorsque le totem est un animal dangereux et redouté, il est admis qu’il épargne les membres du clan portant son nom (on croit qu’il ne peut manger ses semblables) ;
  10. j) L’animal totem défend et protège les membres du clan ;
  11. k) L’animal totem annonce l’avenir à ses fidèles et leur sert de guide. Et FREUD ajoute que l’apparition d’un animal totem à proximité d’une maison était souvent considérée comme l’annonce d’une mort : le totem venait y chercher son parent ;

1) Les membres d’une tribu totémiste croient souvent qu’ils sont rattachés à l’animal totem par les liens d’une origine commune.

Notons que dans cette énumération ne figure pas l’interdiction de mariage entre des personnes relevant d’un même totem ; ainsi, au Ruanda, les membres de la phratrie des Banyiginya (totem : la grue huppée) peuvent se marier entre eux, à condition qu’ils appartiennent à des clans distincts, à moins qu’il s’agisse de cousins croisés.

En fait, on ne trouve au Ruanda-Urundi que des phénomènes constituant un simple résidu du système totémique ; néanmoins, chaque phratrie et parfois les grands clans possèdent un totem différent les distinguant des autres phratries et clans. Citons les totems des principaux groupements ; il est à remarquer qu’un même totem sert à la fois d’enseigne à des clans batutsi, bahutu et batwa, pourvu qu’ils soient de même nom.