Durant les premières années de l’Eglise catholique au Rwanda, les missionnaires se sont également occupés dans leurs oeuvres d’assistance sociale, des enfants, des orphelins surtout. Ce n’était pas une activité nouvelle pour eux car partout où ils avaient exercé l’apostolat, ils avaient fondé et entretenu crèches, orphelinats, ouvroirs et asiles. Cela se faisait à l’instar de Lavigerie qui entreprit en 1868, à la suite d’une année de famine qui avait frappé la population arabe, de sauver de la misère et de la mort des petits enfants, orphelins, abandonnés et délaissés qui rôdaient partout sans pain, sans vêtements, sans soins et sans abri:

« En quelques semaines, il (Lavigerie) en recueillit près de deux mille. C’est à leur service qu’il employa sespremiers Pères Blancs; c’est dans les orphelinats d’El Biar, de Ben Aknoun et de Maison-Carrée qu’il les forma à cet esprit d’obéissance et de charité dont il voulait faire la marque distinctive de son institut. Ce fut une préparation féconde ».

Nous avons déjà vu que, d’une manière générale, les Rwandais ignoraient la pratique d’abandonner les enfants car les familles et les voisins considéraient comme un devoir, voire un avantage, de recueillir les orphelins et de les adopter. Néanmoins, tous les enfants n’étaient pas bien traités par leurs parents adoptifs. Il y en avait qui préféraient se donner à quiconque était prêt à leur offrir des meilleures conditions de vie. C’est dans ces circonstances que quelques orphelins se sont présentés chez les Pères Blancs et y sont restés. Les missionnaires leur accordèrent un logement, de la nourriture, des vêtements et des possibilités d’apprendre à mieux travailler.

Ceux qui, parmi eux, manifestaient de spéciales aptitudes pour quelques métiers en firent l’apprentissage sous la direction des missionnaires et de leurs auxiliaires, les Frères coadjuteurs. De quoi ces enfants s’occupaient-ils surtout? Quelques-uns s’appliquaient spécialement à la tuilerie, à la briqueterie, à la menuiserie et à la maçonnerie. Les autres furent orientés vers les travaux agricoles. Ils apprenaient comment entretenir un jardin et ses différentes plantes, celles qu’ils connaissaient déjà au Rwanda et d’autres que les prêtres avaient importées: plusieurs sortes de légumes, tels les carottes, les choux, les salades, etc., plusieurs arbres fruitiers tels les papayers, les avocatiers, les manguiers, les orangers… et des arbres pour le bois de chauffage et de construction. Ces divers travaux préparaient ces jeunes gens à pouvoir un jour gagner leur vie.

Face à cette oeuvre d’assistance sociale, la littérature missionnaire a toujours eu tendance à souligner uniquement les avantages que les orphelins ont tirés de leur asile à la Mission ainsi que de leurs diverses occupations pour montrer l’ampleur de la charité des Pères Blancs envers ces enfants en particulier et le bienfait qu’ils ont rendu à la population en général. Elle refuse, peut-être volontairement, de dévoiler ce que les missionnaires ont gagné de leur présence auprès d’eux et du travail qu’ils ont accompli à la Mission. Même si ce n’est pas facilement calculable, il est possible d’en estimer au moins la portée. Sur le plan du travail, les missionnaires ont gagné à court et à long terme. A court terme d’abord, parce que d’une part ces jeunes gens ont aidé les Pères Blancs à achever vite leurs constructions provisoires, d’autre part ils ont défriché pour eux des terrains de cultures et, grâce à leur force de travail, les Pères Blancs ont vite joui des premières récoltes de leurs jardins, fruits véritables du labeur des orphelins. A long terme ensuite, parce que certains travaux que ces jeunes gens ont faits ont continué à rapporter des avantagés aux prêtres. Ce chapitre sur le rendement des premiers adeptes des missionnaires au Rwanda passionnerait davantage si nous avions eu à notre disposition des données chiffrées sur le nombre d’hommes employés à la Mission, sur ce qu’ils coûtaient aux missionnaires par jour ou par mois et sur la valeur exacte de leur travail.

Sur le plan des relations avec la population rwandaise, les missionnaires ont largement profité de leurs premiers adhérents pour apprendre à mieux connaître le Rwanda, ses habitants, leurs coutumes et surtout la langue: le Kinyarwanda. Sur le plan de l’apostolat, les orphelins et les malades pauvres qui se sont mis du côté de la Mission ont constitué la base d’espoir des Pères Blancs pour l’avenir de l’Eglise catholique du Rwanda, ils ont été l’exemple de la bienfaisance des prêtres et ils ont attiré, par leur comportement, leurs congénères et la confiance de plus en plus croissante du peuple. Certes, tout cela ne peut pas être évalué en chiffres, mais faut-il au moins le souligner afin d’avoir une idée sur ce que les uns ont donné et reçu et sur ce que les autres ont reçu et donné. Cela briserait désormais cette façon unilatérale d’aborder l’étude sur l’oeuvre des Missions catholiques au Rwanda. Louis de Lacger, Alexandre Arnoux et plusieurs autres qui ont parlé de l’action des missionnaires dans ce pays ont fait oeuvre d’apologistes. Dans certains endroits de leurs écrits, le Rwandais est pour ces auteurs, une personne qui reçoit seulement sans savoir donner à son tour :Pourtant, les faits  prouvent que, surtout dans les premières années de l’Eglise catholique, les Pères ont eu besoin de Rwandais et ont beaucoup bénéficié de leur aide ou collaboration pour l’accomplissement de leur mission d’évangéliser et que les Rwandais ont eu besoin des missionnaires seulement “a posteriori”. En effet, les prêtres, voulant convertir le Rwanda au Christianisme, se sont heurtés à une opposition. Pour la vaincre, ils ont usé des moyens qu’ils avaient à leur disposition : médicaments, vêtements, bref, ils ont employé les objets qu’ils avaient emportés de l’Occident.

Ils ont capté en premier lieu ceux qui étaient le plus dans la nécessité, les pauvres. Sauvés plus ou moins de leur misère, ceux-ci ont agi sur leur milieu d’origine: quelques hommes du peuple, frappés par la bonne situation des malheureux d’hier, sont allés progressivement se faire embaucher à la Mission pour acquérir eux aussi ce qui faisait déjà l’honneur de leurs compatriotes Nous verrons plus loin quel a été le rôle de l’individu dans la conversion du peuple rwandais au catholicisme. Pour le moment, nous pouvons dire avec Alexandre Arnoux que certains Postes de Mission “auraient vraisemblablement piétiné sur place encore de longues années, si les indigènes éprouvés n’avaient pas eu l’occasion d’apprécier l’inépuisable Charité des apôtres et de découvrir là un argument en faveur de la doctrine prêchée par eux. Nous voulons souligner particulièrement que sans la présence des pauvres au Rwanda et sans les objets matériels alléchants de l’Europe, les missionnaires auraient essuyé un échec ou ils auraient été retardés pendant longtemps dans leur mission. Ceci n’est pas un cas isolé en Afrique où les Pères Blancs ont exercé leur apostolat. Au Sahara, pour ne donner que ce seul exemple, ce furent des pauvres ou des malades guéris par les missionnaires qui leur servirent de guides sûrs et qui les introduisirent dans leurs milieux respectifs:

“Presque dans toutes les tribus du sud, il furent accueillis comme des amis et des bienfaiteurs. Touaregs, Chambaas, Mzabites, peu à peu familiarisés, venaient leur faire de longs discours, les mettaient au courant des traditions, us et coutumes du pays. Cet “apprivoisement (le mot et la chose devaient être repris systématiquement plus tard au Maroc) ne tarda pas de porter des fruits; et les nomades venusau marché n’hésitaient pas à se mettre à la disposition des missionnaires (qui les avaient soignés) pour les conduire, s’ils le désiraient, non seulement dans leurs propres tribus, mais dans les régions les plus reculées, les plus inabordables du désert saharien. »