{:fr} Les premiers artisans de la résurrection spirituelle et temporelle du vieux Ruanda, ceux qui se font scrupule d’altérer ses us et coutumes au- delà de ce qui est strictement nécessaire au renouveau des coeurs, ceux qui pétrissent son âme sur un modèle de sainteté et d’honneur occidental et chrétien, les missionnaires, ont comme chefs de file les disciples de Lavigerie l’Africain.

Ces Pères, ces Frères Blancs, on les a vus à la tâche en toute rencontre au cours de ce récit. Leur nombre a grossi jusqu’au chiffre de 81 depuis ce trio primitif qui s’établit a Isavi en février 1900. Il est cependant trop faible pour qu’ils ne soient pas écrasés sous le poids d’un fardeau d’un jour à l’autre plus lourd. Pas de répit, point de congé annuel pour ces militants. Leur seul repos c’est le retour en Europe, après dix ans d’absence, pour la durée d’une année, qu’absorbent, après une visite au pays natal, une retraite fermée d’un mois et une tournée de propagande et de quête en faveur de la Mission. Aucun prêtre qui ne soit de leur société ne les assiste au Ruanda, sinon les prêtres noirs qu’ils ont formés et, ordonnés, dont l’effectif arrive à la quarantaine en 1939.

Des Frères enseignants, ceux de la Charité de Gand, sollicités par la Puissance mandataire, dirigent au nombre de quinze l’Ecole d’Astrida. Dans la ville même, à la requête du Vicaire Apostolique, ils ont assumé la direction de l’enseignement primaire des garçons, où ils emploient comme sous-maîtres des jeunes gens noirs. A Zaza, ils prendront la charge de l’Ecole normale des moniteurs catholiques, et, là aussi, celle des classes primaires de garçons.Les Soeurs Blanches, issues du même tronc que les Pères Blancs, arrivées au Ruanda dès 1909, atteignent aujourd’hui le nombre de quarante-six et sont distribuées entre sept communautés aux sièges des stations centrales. Elles s’adonnent à l’instruction des filles, tant que les Bénébikira n’ont pas pris la relève ; puis elles se réservent pour l’apostolat des femmes adultes, pour le soin des infirmes et pour les ateliers de couture et de tapisserie.

Depuis 1932 elles ne sont plus les seules religieuses européennes à besogner au Ruanda. La Belgique flamande leur a envoyé du renfort. Les Dames Bernardines d’Audenaerde ayant offert leur concours, personnel et financier, à Mgr Classe, ont été installées par lui cette année même à la station de Kansi, puis en 1937 à Rwamagana, enfin à Nyanza. Partout, ce sont elles, non le vicariat, qui bâtissent couvent, écoles, dispensaires sur un terrain qui leur appartient en propre. Ces religieuses ont un lointain Passé. Dès le XIIIe siècle les annales flamandes les signalent attachées au service de l’Hôtel-Dieu de leur ville. Aujourd’hui, dociles aux invites missionnaires de Pie XI, elles essaiment au Ruanda, et leur succès dans les milieux noirs est si grand que la renommée en parvient à leur pays d’origine et y suscite des vocations en nombre insolite.

Leurs compatriotes flamandes d’Obrakel, Soeurs de Saint-François d’Assise, se sont mises à leur tour sur les rangs pour servir. Mgr Classe les a installées à Mibirizi le 8 décembre 1936. Cette émigration apostolique de l’Eglise séculière et monastique belge au Ruanda ne peut que se poursuivre et s’amplifier, soulageant l’effort de l’Eglise française, qui fut la première à oeuvrer sur cechantier, et la relayant de plus en plus.Pour les Soeurs, pas plus que pour Pères et Frères, il n’y a vacances, changement d’air, villégiature aux bords des lacs ou dans un sanatorium. Pas de congé en Europe non plus. La terre qu’elles évangélisent gardera leurs cendres jusqu’à la restauration finale. Leur flambeau ne s’éteindra point. Tout au plus passera-t-il aux mains des Soeurs aborigènes qu’elles forment, tandis que leur zèle de pionnières les entraînera plus avant dans des contrées déshéritées.

Les Catholiques Ruandais Et L’Entretien De Leur Eglise.

 Une question se pose, d’une importance vitale, pour l’avenir religieux du pays : quelle est la part que prend le Ruanda, que sont susceptibles de prendre les nationaux, dans les frais d’entretien et de développement de leur Eglise ?

Quelle est leur contribution à l’établissement et à l’équilibre financier du budget du Vicariat ?

Cette question ne comporte pas de réponse précise, vu qu’une grande part de cette contribution est représentée par des services personnels et ne saurait ainsi s’exprimer en monnaie réelle. Il faut donc se contenter ici d’évaluations approximatives. Ces réserves faites, voici quelques éléments de solution à ce problème.

La monnaie métallique étant d’introduction relativement récente et ne réglant pas encore uniquement les relations commerciales, les facultés contributives, tant du citoyen que du fidèle, consistent principalement en prestations en nature, produits du sol et travail. Le catholique fournit l’un et l’autre, occasionnellement, bénévolement, sans contrainte extérieure, dans les circonstances suivantes

Lors des constructions élevées en sa faveur par les Missions : succursales, église centrale, écoles, séminaires, couvents, hôpitaux, dispensaires, il consent volontiers à y participer par un office de portage à tête, le seul qui soit à sa mesure. Tous s’y prêtent de bon coeur, contre une rétribution minime. Il s’agit d’apporter sur le chantier, à pied d’oeuvre, des matériaux, bois de charpente, blocs de quartzite, briques et tuiles, qui ont été coupés, extraits ou fabriqués à une distance variant entre 500 mètres et sept kilomètres. Cet appoint effectif peut réduire les frais d’une construction dans une proportion qui varie de dix à vingt pour cent selon les distances couvertes. Les dons en nature consistent en fruits du terroir à l’époque des récoltes. Ils sont destinés exclusivement à l’entretien des séminaires et des couvents indigènes. De grandes corbeilles sont placées à l’intérieur des églises sous le porche : les donateurs y versent haricots, pois, sorgho, à leur gré, quand il leur plaît et sans contrôle. Cette dîme leur coûte peu si la moisson est abondante, si le ciel l’a favorisée.

Outre ces services qui gardent un caractère antique et féodal, l’indigène, dans les limites de ses disponibilités et de sa générosité, participe à des collectes d’argent. Il n’y a pas de quêtes dominicales, pas davantage de taxes pour mariages et sépultures, pas de casuel d’église. Les fidèles apportent leurs oblations pour célébration de messes, déposent leur obole dans les troncs, secourent les indigents par le canal de leur pasteur. Lors d’une construction au bénéfice de tous, les riches se cotisent.

Il n’y a qu’une quête générale et officielle au cours de l’année, celle de l’oeuvre pontificale de la Propagation de la Foi, prescrite par le Saint-Siège. Toute communauté, même très jeune, peut et doit se montrer en cela « catholique ». La collecte est faite par les chrétiens eux-mêmes pendant les messes au dernier dimanche d’octobre. Les sommes centralisées au secrétariat de l’évêché sont expédiées à Rome. Le Ruanda catholique a fourni en 1938, de ce chef  27.000 francs.

Le Denier du Culte a été institué et rendu obligatoire dans toutes les stations par circulaire épiscopale en date du 14 juin 1929. C’est « une dette, y lit-on, que tout catholique doit en justice à son évêque pour subvenir, dans la mesure de ses moyens, à l’entretien du culte et du clergé ». Les fidèles doivent se faire une « mentalité catholique » et se convaincre de « leur devoir de charité envers leur Eglise du Ruanda ». Chaque chrétien remet personnellement son offrande au curé généralement à la sacristie, contre un reçu, le montant de sa cotisation étant porté sur un registre nominal. Le rendement de cet impôt ecclésiastique, moralement obligatoire, augmente d’année en année. De 12.000 francs environ en 1931 il est monté à 85.000 en 1938, ce qui donnerait une moyenne de 35 centimes par tête, enfants compris. Les chefs s’inscrivent, qui pour 20, qui pour 100, qui pour 500 francs, gens du peuple pour des cotisations variant entre 25 centimes et deux francs. Les dons spontanés pour le soulagent du pauvre peuvent être évalués à trente mille francs, les oblations pour messes à une somme à peu près égale.

La population européenne, dont l’effectif s’élève à un demi-millier d’âmes, catholiques pour la plupart, apporte elle aussi sa contribution, qui, dans certaines circonstances, lorsqu’il s’agit de l’équipement spirituel du pays et de son embellissement architectural, se chiffre par des dizaines de milliers de francs.

Les quelque quinze cents hectares de terre de la Mission Catholique, dont la majeure partie, celle, des succursales, est possédée en précaire et ne peut être d’aucun rendement, vu l’exiguïté des parcelles, rapportent en bois,  caféiers, vergers, potagers, cire, bétail de 60 à 70.000 :fiancé, par an. Leur exploitation serait plus rémunératrice si les missionnaires débordés pouvaient consacrer plus de temps à leur gestion.

Enfin, il convient de faire entrer ici en ligne de compte les allocations inscrites au budget du territoire sous mandat sous la rubrique d’Enseignement subventionné et oeuvres de mission. Ces deniers publics proviennent, en effet, exclusivement des moyens propres du pays depuis que le budget se tient en équilibre sans assistance extérieure ( c’est-à-dire depuis 1936). Le vicariat a reçu de ce chef en 1938 la somme de 457.000 pour les écoles subventionnées. En outre, les soixante religieuses européennes arrivent à couvrir à peu près les frais de leur entretien au moyen des allocations du Territoire. On estimera sans doute bien modéré cet appui financier de l’Etat eu égard à un budget de recettes de trente-cinq millions, si l’on considère que l’Eglise catholique embrasse un cinquième de la population totale et quatre-vingt-cinq pour cent des chefs, et qu’elle assume la charge presque entière de l’enseignement.

Des délégations financières indigènes, consultées à ce propos, élèveraient assurément cette quotité dans des proportions notables.

Ces recettes additionnées sont loin d’intervenir même pour la moitié dans le budget des dépenses de  l’Eglise ruandaise. Le vicariat est, en effet, à lui seul, grevé d’une charge annuelle estimée à 2.200.000 francs. Si l’on songe qu’il doit pourvoir à l’entretien de 81 Pères et Frères Blancs, de 40 prêtres noirs, de 130 Frères et Soeurs indigènes, de 215 séminaristes, 140 petits et 75 grands, de 1.500catéchistes et moniteurs, de 30 hôpitaux, polycliniques et dispensaires qu’il fonde une ou deux stations et bâtit une grande église tous les ans ; qu’il poursuit la construction de séminaires, noviciats, école normale, succursales, hôpital qu’il doit couvrir les frais du rapatriement des missionnaires et de leur retour au Ruanda, on est confondu à l’idée qu’une somme si modique puisse suffire à tant de besoins.

L’aide extérieure intervient pour l’acquittement de ces charges : dans la proportion d’environ 395.000 francs, montant des allocations des oeuvres pontificales de la Propagation de la Foi, de la Sainte-Enfance et de Saint-Pierre-Apôtre et aussi de Saint-Pierre-Claver.

Cette aide fournie par les Oeuvres catholiques, ajoutée aux produits du Denier du Culte, procure au Vicariat une rentrée globale d’un demi-million, égale à celle des allocations officielles. Reste à trouver annuellement le solde d’un million, sinon plus, lequel doit être « mendié » par le Vicaire apostolique, ses collaborateurs, les amis de la Mission, auprès des âmes charitables d’Europe. On devine quels soucis d’argent pèsent sur le Chef Ecclésiastique du Ruanda et quelles doivent être ses angoisses lorsque l’année s’annonce déficitaire. Les missionnaires en sont réduits à la nécessité d’efforts financiers personnels. Evêque, prêtres, frères Blancs, communautés de soeurs, chacun règle l’emploi des revenus dont il dispose par patrimoine, par offrandes, par dons sollicités, et, les dépenses nécessaires, personnelles ou collectives, acquittées, fait avec le surplus le bien qu’il peut.

Ces ressources diverses, leur somme monterait-elle à trois millions de francs par an, suffiraient tout au plus au fonctionnement d’une église définitivement assise dans ses aîtres et ayant atteint les limites normales de son expansion. Pour une église en marche, qui n’a encore couvert que la dixième partie de sa course, elles paraîtraient dérisoires, n’était le pouvoir décuplé de libération de la monnaie d’Europe dans un pays où une main d’oeuvre surabondante se tient pour satisfaite avec une rémunération de un à cinq francs pour une journée de travail selon la qualité de ce travail.

Il n’y a pas, en effet, de classe ouvrière au Ruanda, de travailleurs vivant uniquement de leur salaire quotidien, pas même de prolétariat agricole. Il n’y a que de petits propriétaires, vivant des fruits de leur lopin de terre, que femmes et enfants suffiraient presque à exploiter. Eux-mêmes, s’ils louent leurs bras, ce n’est que pour trouver de quoi payer leurs impositions, s’acheter des vêtements exotiques, s’accorder quelques fantaisies, lanternes de nuit, bicyclettes, savon de toilette, construire une maisonnette et la meubler. Ils travaillent épisodiquement et se remplacent dans les offices qui exigent de la continuité. Cela explique la modicité de leurs exigences. Grâce à elles, le territoire peut être mis rapidement en valeur, tant au civil qu’au religieux : cela sans appauvrissement pour le paysan, mais, bien au contraire, en élargissant son bien-être un gain fortuit, supplémentaire; s’ajoute par là au suffisant qu’il possédait, cependant que l’usufruit de son bien-fonds lui est garanti à perpétuité par une substitution progressive de la propriété privée à l’ancien précaire féodal.

On voit par ce bref aperçu combien l’Eglise du Ruanda est encore éloignée d’une situation qui lui permette de suffire à ses propres nécessités. Subventions de l’Etat, Denier du Culte, prestations volontaires en travail et en vivres, dons indigènes de toute nature, on voudrait être assuré que tout cela réuni couvre ne fût-ce que le tiers de ses dépenses annuelles. Combien de temps se passera-t-il avant que son effort financier rende inutile l’aide de ses soeurs aînées de la Chrétienté ?

 

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