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  1. Stations primaires et secondaire

 Aujourd’hui le christianisme est porté jusqu’aux frontières extrêmes du pays. Trois cent mille baptisés, cent mille catéchumènes et aspirants, sont disséminés sur toits les points d’un territoire grand comme la Belgique. Leur nombre s’accroît à raison de vingt-cinq à trente mille par an. Pour paître cet immense troupeau il n’y a que cent bergers, blancs et noirs. Comment distribuer ce personnel restreint pour qu’il puisse suffire à une telle besogne?

Deux méthodes se présentent ‘à l’esprit Créer cent postes et confier chacun d’eux à un prêtre isolé, à l’instar de nos cures de campagne, ou bien grouper les ministres en de gros centres et organiser un service itinérant dans des chapelles de secours, où ne réside que le catéchiste.

Les protestants adoptent le premier système, les Pères Blancs le second. Ceux-ci par définition sont des prêtres séculiers vivant en communauté. Leur règle veut qu’ils soient au moins trois par résidence, tout au moins deux prêtres et un frère lai. Cette règle, ils l’ont imposée aux prêtres indigènes. Le pays est donc subdivisé en un nombre restreint de grandes circonscriptions ecclésiastiques, dont la superficie se réduit à mesure qu’elles se multiplient. Au centre se présente une façon d’abbaye monastique, du type de celles de Grande-Bretagne et de Germanie dans le haut moyen âge. Une église, assez vaste pour accueillir entre deux et sept mille fidèles, groupe autour d’elle un presbytère, résidence des missionnaires, capable d’héberger des hôtes de passage, des bureaux d’administration paroissiale, des écoles pour mille ou deux mille garçons et filles, un dispensaire, puis, avec le temps, des couvents pour soeurs européennes, pour soeurs noires, pour frères noirs, et, en ce qui concerne le temporel, des communs pour le service domestique, un four à briques, un atelier de menuiserie, une ferme avec étable et porcherie, un potager dans le marais, une bananeraie, un bois d’eucalyptus, bref tout un gros village qui, faiblement peuplé pendant la nuit, grouille d’êtres humains, de tout sexe, de tout âge, de toute condition, pendant le jour.

Et, tout autour de ce centre jusqu’à une distance de vingt à quarante kilomètres, des stations secondaires, elles-mêmes hiérarchisées, où le ministre de l’Evangile ne réside pas en permanence, mais où il fait des séjours échelonnés. Les plus importantes sont de futures stations primaires, les autres, plus humbles, parfois simples chaumières, attendront davantage, leur avancement. Elles comportent en général une maison d’école avec salle de catéchisme ou de classe, le catéchiste et le moniteur logent à portée. Dans des coins plus reculés ce n’est encore parfois qu’un gîte d’étapes de l’Administration, mis à la disposition du missionnaire, avec un hangar de chaume, où l’on dresse un autel mobile sur un échafaud, le peuple assistant à l’office sub Jove

Ces chapelles écoles sont en 1939 au nombre de 1.042. Tout chef chrétien veut avoir la sienne pour administrés et s’emploie à la construire, à y attirer un catéchiste laïque et marié. Tel centre comme Kabgayi en a soixante-dix sous sa dépendance.

A tour de rôle, les prêtres de la mission partent individuellement pour les visiter à raison d’une par journée. Ils emmènent avec eux leur serviteur cuisinier et confient leur coffre chapelle, leurs écritures, leurs ustensiles de ménage, à une équipe de portefaix envoyés en avant en fourriers, comme font les administrateurs civils en tournée d’inspection dans leur territoire respectif. Eux-mêmes ils roulent à motocycle sur la route jusqu’au point où elle s’arrête, ou bien, selon les anciens modes de locomotion. Ils arrivent au milieu de la journée pour ne repartir que le lendemain après la messe publique. Ils ont quitté la mission pour six jours, d’un lundi au samedi. Ils auront visité un égal nombre de succursales dans la semaine.

Leur arrivée est annoncée. Le catéchiste, le président de l’inama, se portent au-devant de lui. Des vivres ont été quêtés chez les chrétiens pour lui et ses gens. Les enfants de l’école, les voisins les plus proches, sont déjà rassemblés. Sa tente est dressée. A peine reposé de la course, il se met à l’ouvrage. Salutations, colloques, confessions des impotents, affaires de famille, c’est un défilé sans fin ; puis il visite les malades qui ne peuvent quitter la hutte, le soir, à la veillée, conférences avec le catéchiste, avec les chefs, règlement sommaire des difficultés courantes. Au lendemain matin, office religieux. Les fidèles accourent par centaines. Messe, sermon, communions en plein air. Puis quelques baptêmes de nouveau-nés, si l’on est loin du centre, des explications de catéchisme à d’honnêtes païens inquiets de divine sagesse examen des registres ou rôles tenus par le catéchiste de la succursale. Enfin, les palabres écoutées, les estomacs restaurés, la tente repliée, la caravane se remet en marche, et, à travers brousse, forêt, marécages, monts et vaux, sous le soleil ou sous la pluie, gagne la succursale voisine, où la même scène reprend, les personnages seuls ayant changé.

Ministère extrêmement fécond et populaire. Les paysans voient chez eux leur pasteur, ils l’approchent, ils s’édifient au spectacle de son zèle ; avec plus d’assiduité désormais on lui rendra visite au centre de la mission, tout au moins aux grands fêtes, fallût-il faire six ou dix heures de marche, découcher, cantonner chez l’habitant à l’ombre du clocher. Ainsi, dans une station centrale, tandis que l’un reste au poste, l’autre est en course, alternativement. Le frère fait la navette, emmenant son équipe d’ouvriers pour réparer les bâtiments ou en construire de nouveaux. Ainsi gagne, en tache d’huile, par ondes concentriques, l’action de la station primaire jusqu’aux marches de la circonscription. Outre ces tournées pastorales, périodiques et ordonnées à l’avance, le missionnaire est amené à sillonner en tous sens presque journellement sa vaste circonscription paroissiale, appelé par un moribond qui réclame l’administration des derniers sacrements, sans compter le secours de quelque médicament sauveur. Les plus longues distances ne le retiennent pas de se transporter sur l’heure au chevet du malade. Son dévouement paternel, qui passe souvent la mesure, fortifie le lien entre la religion et la famille affligée. Pour ces visites obligeantes par tous les temps, de jour et de nuit, la route, et par suite les véhicules motorisés, lui offrent aujourd’hui des facilités autrefois inconnues.

  1. L’Allure Accélérée De L’Expansion Catholique

 Nouvelles stations et grandes églises

 On n’a dit que, depuis les temps de saint François Xavier, l’Eglise catholique n’avait pas enregistré des gains aussi rapides que ceux, tout récents, des Grands Lacs africains. Des chiffres peuvent à peine donner une idée de ces conquêtes, qui doublent une communauté paroissiale en deux ans, la triplent en cinq ans, la quadruplent en dix ans. Le Ruanda, qui recensait 81 mille baptisés en 1932, en compte 164 en 1934, 233 en 1936, 300 en 1939. Peut-on évaluer le nombre des sympathisants ? Tous les natifs qui prennent contact avec le christianisme conçoivent le secret désir de s’y agréger. Si la barrière qui ferme l’entrée de l’Eglise se levait aujourd’hui avec autant de facilité qu’en Germanie sous Charlemagne, en Amérique sous Philippe II d’Espagne, il y a beau temps sans doute que les deux millions de Banyarwanda seraient régénérés par l’eau, leur mwami en tête. Les chefs, qui avaient des loisirs, ont, en dix ans, presque tous passé sous les fourches caudines de l’instruction préalable. Les petits, s’ils avaient été dans leur cas, n’eussent pas été en reste d’empressement. Mais l’Eglise a connu trop de déconvenues avec le régime des baptêmes de masses, débonnairement administrés, imparfaitement soutenus, dans cette même Afrique, aux bouches du Zaïre, l’actuel Congo, par exemple, pour n’être pas plus rigoureuse aujourd’hui qu’autrefois dans les admissions. Elle exige, en général, d’un Noir, en stage d’épreuve environ vingt-sept mois — en plus de la préparation éloignée, sinon même en connaissances positives, autrement plus que d’un blanc en pays chrétien, catholique ou protestant.

La densité du peuplement chrétien est, on le conçoit aisément, en raison directe de la proximité de la station. Dans un rayon d’environ deux heures de marche autour d’une fondation ancienne, telles qu’Isavi, Rwaza, Kabgayi, les gens, que croise le prêtre dans les champs, dans les villages, le saluent, pour les trois quarts, pour les quatre cinquièmes, du nom de Padri, non de Bwana – « Monsieur ». Ils portent au cou médaille ou chapelet, et leurs enfants fréquentent presque tous l’école missionnaire. Le progrès des conversions est ainsi proportionnel à la multiplication des centres. Jusqu’à présent, après quarante années d’apostolat, le nombre des stations atteint péniblement la trentaine. Depuis 1931 la cadence des fondations paroissiales est de trois en deux ans. En sept ans douze nouvelles, démembrées des quinze précédentes, ont acquis une personnalité distincte : Rambura au Bushiru, fermé en 1918, rouvert en 1932 Mubuga au Bgishaza, filleule de Kabgayi, en 1933 Kibeho Bashumba, filleule de Kansi, en 1934; Nyanza au Nduga, à la capitale indigène, filleule de Kabgayi, Tshyanika au Bufundu, filleule d’Isavi, Janja au Bukonya, filleule de Rwaza, Muyunzwe au Kabagari, filleule de Kabgayi, toutes les quatre en 1935, Byumba au Buyaga, filleule de Rulindo, Gitovu au Kibali, filleule de Rwaza, Mugombga au Ndara, filleule de Kansi, Kanyanza au Ndiza, filleule de Kabgayi, en 1937 et 1938. L’année 1939 verra sans doute s’ouvrir les stations en construction d’Ishangi sur le lac Kivu, de Nyarubuye au Kisaka et de Kamonyi au Rukoma. A ce train, à la fin du siècle, le Ruanda posséderait cent stations.

En même temps que de nouvelles paroisses se fondent, les anciennes églises se reconstruisent en plus grand et en plus beau. On a mentionné les réédifications d’Isavi, de Nyundo, de Rwaza, basiliques à collatéraux, celles de Zaza, de Kabgayi, de Kansi, nefs uniques, que les futaies, plantées dès le début par les missionnaires, ont permis de couvrir avec de grandes fermes à entrait retroussé.

Parmi les monuments religieux dernièrement construits, dont l’architecte est toujours l’actuel pontife du Ruanda, ceux d’Astrida et de Kigali font date.

On se rappelle que le gouvernement du Territoire sous mandat, après avoir rêvé d’une translation de la capitale à Astrida, déçut les espoirs. Cependant la ville en formation, filleule de la reine des Belges, restait le chef-lieu d’une circonscription le siège de l’Ecole spéciale, d’un laboratoire médical, du grand séminaire de Nyakibanda élevé dans ses parages. Depuis 1936 elle s’enorgueillit de sa tour clocher, flanquant la plus spacieuse et la plus élégante église du Ruanda. Le tragique accident de voiture, qui, à Küsnacht en Suisse, le 29 août 1935, coûta la vie à la jeune reine et mit en deuil la Belgique, fut une occasion de donner à l’église en construction le caractère d’un mémorial. Au-dessus de la plaque rouge de limonite qui fait mention de la pose de la première pierre ANNO SANCTO 1934, se voit en médaillon le profil de la souveraine avec l’inscription suivante, gravée dans le bronze, sommée de la couronne royale :

A LA DOUCE MEMOIRE

DE S. M. ASTRID

REINE DES BELGES

MERE AIMEE DE TOUT SON PEUPLE,

DE BELGIQUE ET D’AFRIQUE

MCMXXXVI.

L’église, dédiée à Notre-Dame-de-la-Sagesse- comme la chapelle universitaire de Louvain, couverte d’une charpente apparente, est, pour ainsi dire, composée de trois nefs : la principale, de 66 mètres sur 15, est réservée aux fidèles du commun, les deux autres, constituant les bras d’un transept, reçoivent d’un côté les écoliers, de l’autre les écolières, avec au premier rang les européens. Le plan général dessine une croix latine en forme de T, le choeur sanctuaire occupant la croisée du transept sous une tour-lanterne. Des libéralités belges ont décoré l’autel et son tabernacle de belles plaques de cuivre doré, et doté la tour d’une cloche pesant une demi-tonne, fondue à Louvain, dont l’inscription, après avoir fait mention entre autres noms de celui du mwami Mutara Ruhadigwa, déclare que par elle la très regrettée reine — Astrida regina desideratissima « convoquera les fidèles du Christ à la prière».

Astrida ayant manqué sa vocation, c’est Kigali qui reste la villa-maîtresse du Ruanda. Depuis 1937 elle a son temple. Les européens de la Résidence et des mines voisines de Rutongo ont mis leur point d’honneur à ce qu’elle fût digne de la capitale. C’est un vaisseau unique à quinze travées, aménagé pour contenir 3.500 noirs assis, éclairé par de longues fenêtres rectangulaires surmontées chacune d’un oculus, ouvrant sur le choeur par un arc en chaîne, dont la douille est décorée d’une mosaïque de briqués alternativement noires, rouges et blanches, le fond du sanctuaire à mur droit est orné d’une large croix maçonnée que flanquent deux pilastres couronnés d’abagues ; un déambulatoire dessert chapelles du chevet, nef des européens et sacristie. La façade porte à son trumeau entre deux contreforts une croix massive en relief dont la tête dépasse le pignon et dont le pied repose sur la voussure du portail d’entrée.

Ces deux églises sont les plus spacieuses et les plus belles. D’autres furent bâties ou rebâties sous le principat du Rudahigwa : grandes comme Mibirizi en 1933, Zaza en 1934, Rwamagana en 1935, Mugombwa en 1938, Rulindo en 1939 à la cadence d’une par an; de dimensions moindres, comme l’élégante chapelle du petit séminaire à Kabgayi sur les plans de l’architecte belge, M. Vermeulen, comme celle de Kisenyi, succursale de Nyundo, et celle de Ruhengeri, ex-voto d’un administrateur généreux. Autant de chantiers du Vicaire Apostolique, dont il est lui-même habituellement le maître d’oeuvre, l’inventeur et le commanditaire. Et voici qu’en 1939 sa cathédrale de Kabgayi s’enrichit de trois grandes compositions picturales, dues au jeune talent d’une de sesparentes, Melle Simon, qui signe ses oeuvres du pseudonyme d’Alde.

C’est un rayon de lumière artistique, ajouté à ceux de la liturgie, que l’Eglise, qui aime à prier devant de la beauté, fait briller ainsi aux yeux des attardés du Ruanda. L’Occident ne leur apparaît plus seulement sous les traits de la technique industrielle, routes, ponts, automobiles, avions, mais encore dans l’éclat de la splendeur esthétique, qui élève l’âme sans allumer de convoitises.

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