LES PREMIERS ÉTABLISSEMENTS SCOLAIRES CATHOLIQUES DU NYASSA

Nouveau départ de la mission

On se souvient que les Pères Blancs avaient quitté Mponda en juin 1891. Le 19 juillet suivant, la caravane campait à Mambwe. Les pères y firent l’acquisition d’une demeure assez vaste et décidèrent de s’y installer provisoirement. Le supérieur, le père Lechaptois, continua seul le voyage jusqu’à Karema sur le Tanganyika.

Le 25 août, après plus d’un mois de pérégrinations, celui-ci revenait à Mambwe, ramenant avec lui, trois jeunes ménages chrétiens et cinq orphelins pour former le noyau de la nouvelle mission. On décida alors de rester à Mambwe.

Si le pays, où les missionnaires venaient de se fixer, n’était peuplé que très faiblement, sa position géographique, au contraire, semblait intéressante. Elle permettait de joindre facilement aussi bien les pères du Haut-Congo que ceux du Tanganyika. Le poste se trouvait, en plus, à la limite septentrionale du territoire des Bemba. Cette proximité et les occasions nombreuses qu’on avait ainsi d’entamer des relations avec ce peuple dynamique, firent de Mambwe un poste idéal, en vue de redescendre vers le sud.

Ce n’était donc plus vers le lac Nyassa et ses rives à la population dense que les missionnaires catholiques tournaient leurs regards. Ils durent attendre la pax britannica du début du XXe siècle, avant de pouvoir retourner au Malawi. C’est dans les vastes savanes de ce qui allait devenir plus tard la Zambie, que les pères allaient maintenant entamer leur œuvre.

Le premier poste dans ce pays sous domination britannique, ne fut fondé que le 23 juillet 1895: Kayambi. Cette station missionnaire devint le noyau du vicariat, et son premier supérieur, le P. Dupont, en devint le premier vicaire apostolique.

Mgr Joseph Dupont

Né le 23 juillet 1850, à Geste (Maine-et-Loire), dans une famille paysanne de la Vendée angevine, le futur vicaire apostolique du Nyassa fit ses études secondaires au collège diocésain de Beaupréau. Il venait d’atteindre sa vingtième année, quand éclata la guerre franco-allemande. Il fut mobilisé et participa activement à différents combats. La guerre terminée, il s’offrit comme volontaire pour lutter contre l’insurrection de la Commune. En janvier 1872, il reprit le chemin du collège, qu’il quitta deux ans plus tard, ayant obtenu son baccalauréat ès lettres. Il entrait alors au Grand Séminaire d’Angers. Ce ne fut pas un élève brillant, et il garda même toute sa vie une certaine aversion pour le travail intellectuel. Le P. Pineau signale que plus tard, en mission, il ne manquait pas de dire aux jeunes missionnaires : « J’espère que vos études sont terminées, car s’il vous reste encore quelque chose à apprendre, il vaudrait mieux reprendre de suite la direction de l’Europe ».

Après son ordination sacerdotale, le 21 décembre 1878, il entra dans la Société des Pères Blancs. Au lendemain de son noviciat, on le nomma professeur au collège Saint-Louis de Carthage, que Mgr Lavigerie venait d’ouvrir. Deux ans plus tard, en octobre 1882, il passait au scolasticat de la Congrégation pour y enseigner la philosophie. En mars 1885, il était désigné pour l’Afrique centrale, avec mission de fonder une station missionnaire dans le Bas-Congo.

Le 22 avril 1886, la caravane de missionnaires s’installa à Kwamouth. Situé non loin du confluent du Kassaï et du Zaïre, ce poste n’eut qu’une existence éphémère. Le roi Léopold II, ayant manifesté son désir de voir ce territoire réservé exclusivement à des missionnaires belges, Lavigerie rappela les pères à Alger. Dupont et ses confrères abandonnèrent Kwamouth, le 16 mars 1887, et le 18 juin, ils se retrouvaient en Afrique du Nord.

Jusqu’en 1891, le P. Dupont enseigna dans les écoles apostoliques des Pères Blancs de Saint-Eugène et de Saint-Laurent d’Olt. Au mois de mai de cette année, il reçut sa nomination pour le vicariat du Tanganyika.

Le 14 février 1892, le P. Dupont parvenait à Karema, dont il devint tout de suite le supérieur. Il eut ensuite à suppléer Mgr Lechaptois, qui devait rentrer à Maison-Carrée pour se faire sacrer évêque et assister au Chapitre général de la Société des Pères Blancs.

Au mois de mai 1895, le vicaire apostolique, qui venait de rentrer au Tanganyika, emmena le père Dupont avec lui à Mambwe, l’unique poste de la mission du Nyassa. Ensemble, ils préparèrent la fondation d’une nouvelle station. C’est Dupont qui devait la réaliser. Ce qu’il fit, le 12 juillet de la même année, en s’installant à Kayambi. C’est dans ce même poste que deux ans plus tard, le 15 août 1897, Mgr Lechaptois donna à Mgr Dupont la consécration épiscopale. Dès le 18 janvier, en effet, la Propagande lui avait donné le titre d’administrateur apostolique, et le 16 février, Rome l’avait nommé vicaire apostolique, élevant par le fait la mission du Nyassa au rang de vicariat.

 

Mgr Dupont fut un homme certainement très bon et très zélé. Il s’était tellement attaché au peuple parmi lequel il vivait, qu’il ne parlait plus que de « ses Babemba ». Linden compare cette « union » au lien qui reliait Livingstone aux Kolo. Les descriptions que le vicaire apostolique brosse du peuple bomba, sont d’une emphase surprenante. En voici quelques exemples :

« les Bemba ont une intelligence extraordinaire, ils abordent avec aisance les questions difficiles ; ils sont superbes (…) ; ils sont faits pour être la joie du missionnaire. Leur beauté et leur force physique, leur démarche digne et fière, mais sans affectation, leur conversation sensée et toujours polie conquièrent tous ceux qui les approchent. Pillards de métier, ils sont restés d’une énergie indomptable, et ils se sentent toujours les seuls maitres du pays. Ils doivent sans doute aux violences et à l’autorité despotique des rois de s’être conservés si beaux ».

Il faut ajouter ici que Mgr Dupont écrivait et parlait facilement au superlatif, et que ses jugements doivent toujours être réduits à leurs proportions exactes.

Cet attachement excessif aux Bomba amena même Mgr Dupont à se croire à un certain moment, leur véritable souverain et à se comporter comme tel. Un des principaux chefs bemba, Mwamba, avait, avant de mourir, demandé au vicaire apostolique de veiller sur ses femmes et ses enfants après sa mort. Il était fréquent, en effet, que la mort d’un chef provoquât des troubles graves dans la famille du défunt. La présence des missionnaires contribua à maintenir la paix dans la résidence du chef, et ceci provoqua chez les Bomba une grande estime pour les missionnaires. Mgr Dupont fut tellement satisfait de son action, et vivait dans un tel climat d’exaltation qu’il crut à la lettre les gens qui l’appelaient leur véritable chef. Il se représentait être devenu « roi des Bemba ». Ce fut l’origine de la légende tenace de l’ « évêque roi des brigands », légende, dont la presse missionnaire de l’époque sut exploiter à fond le côté sensationnel.

Les autorités de la British South Africa Company furent moins enchantées de la tournure de ces événements. Ils n’apprécièrent guère le comportement équivoque de Mgr Dupont. « It produced palpitations in the hearts of the administration » écrit Jan Linden.

N’allait-on pas vers la création d’un état catholique et français dans ce territoire britannique? Maison-Carrée fut alertée et décida d’envoyer sur les lieux le père Guillemé comme visiteur extraordinaire. Celui-ci arriva à Kayambi, le 29 juillet 1899, exactement un mois après l’investiture du successeur réel de Mwamba, en présence du gouverneur britannique, Sir Codrington.  Après enquête, le P. Guillemé pouvait écrire à ses supérieurs :

« une chose qui va vous étonner, c’est que Mwamba n’a point donné son pays, ni fait Mgr Dupont son héritier comme il le croit ; il lui a bien dit de veiller sur ses femmes et ses enfants après sa mort mais c’est tout, de là à être successeur, il y a loin. Si comme Mgr le croit, Mwamba l’avait désigné comme successeur, ce fait devrait être noté dans son diaire écrit au jour le jour, or, cela ne se lit nulle part. Ce n’est que quelques temps après la mort du chef que voyant les gens l’appeler leur chef, les femmes leur mari, qu’il a cru avoir droit à la succession. De là les ennuis que vous connaissez avec les Anglais. D’après tous les missionnaires, si la mission était restée dans son rôle, ces misères n’auraient pas eu lieu ».

Cette assez longue digression éclaire le comportement et la façon d’agir de Mgr Dupont. Très bien intentionné sans doute, il se révéla cependant assez peu capable d’administrer son vicariat. Après l’affaire Mwamba, Mgr Livinhac rappela le vicaire apostolique à Maison-Carrée, « pour y refaire sa santé », qui, de fait, était en mauvais état. Le P. Guillemé fut nommé administrateur apostolique du vicariat. Intelligent et énergique, celui-ci profita de l’absence prolongée de Mgr Dupont pour réorganiser le vicariat, et ouvrir des nouvelles stations missionnaires dans le pays des Ngoni au Malawi.

Mgr Dupont revint dans le vicariat en 1904, mais ses nombreuses maladresses amenèrent Mgr Livinhac en 1910 à le prier de donner sa démission. L’année suivante, le P. Guillemé devint le nouveau vicaire apostolique du Nyassa, tandis qu’en 1912, Mgr Larue se vit attribuer la partie nord de ce vaste territoire, sous la dénomination de vicariat apostolique du Bangweolo.

Les écoles au Nyassa

Aussi longtemps que le vicariat se réduisait au seul poste de Mambwe, les missionnaires s’occupèrent essentiellement d’un petit orphelinat. Mais, l’oeuvre n’y prit jamais une très grande extension. En 1894, il n’y avait que 46 enfants dans l’établissement, et ce nombre ne fit que décroître.

L’oeuvre scolaire ne démarra dans le vicariat que par la fondation du poste de Kayambi. Ici, le père Dupont établit dès son arrivée une école-internat, qu’il baptisa pompeusement « son collège ». On y enseignait principalement la lecture et l’écriture, et trois fois par jour, les enfants assistaient « à une séance de catéchisme ».

Au début, les jeunes se présentaient en foule à l’école. Il faut savoir que Mgr Dupont était particulièrement large dans la distribution des récompenses à l’assiduité des élèves. Dès leur arrivée, les jeunes Bemba recevaient une large pièce d’étoffe. « Tout rayonnant dans son uniforme qui lui sera renouvelé après quatre-vingt dix jours de présence en classe, écrit Mgr Dupont, le nouveau collégien se pavane sur la cour, aussi heureux de sa brasse de calicot que le jeune caporal de ses flamboyantes sardines ».

Le nombre d’inscrits se développa rapidement. Partie avec 57 élèves au mois d’août 1896, l’école en comptait 120 en octobre, 150 en décembre et 167 en janvier. Le 8 mars 1897, Mgr Dupont parlait de 230 inscrits et de 125 présents. À la fin de cette année, il notait 600 inscriptions, mais un chiffre de présence de 150.

Les élèves de Kayambi vivaient en internat, mais Mgr Dupont estimait qu’il était bon que « ces enfants ne soient pas isolés de leurs familles ». « Les parents viennent les voir quand bon leur semble, écrivait-il, et les enfants eux-mêmes ne passent pas 15 à 20 jours sans retourner passer un ou deux jours à la hutte paternelle (…). De la sorte, poursuivait-il, les enfants ne sont pas privés de l’éducation nécessaire de In famille et les familles reçoivent quelque chose des bons principes que les enfants puisent chez nous ». C’est une des premières fois où nous rencontrons chez un responsable missionnaire, le souci de ne point couper les enfants de leur milieu familial. Ceci est très différent de l’attitude d’un Roelens, par exemple, qui considérait l’éducation traditionnelle comme nulle, voire nocive pour les jeunes fréquentant la mission. Mgr Dupont, au contraire, aimait tellement « ses » Bemba, qu’il jugeait opportun de garder un lien continu entre enfants et famille.

Il y avait encore une autre raison qui poussait Mgr Dupont à agir de la sorte : ces jeunes gens devaient, dans l’esprit du vicaire apostolique, être des propagandistes des nouvelles idées reçues à la mission.

« Dans ma pensée, écrivait-il à son supérieur général, et c’est une de mes plus chères espérances, nous n’en ferons pas seulement des chrétiens, mais de précieux auxiliaires pour la propagation de notre sainte religion ». Nous retrouvons ici aussi cette même préoccupation présente chez tous les missionnaires rencontrés jusqu’ici : convertir par l’école, et répandre ainsi dans l’ensemble de la population les idées chrétiennes.

L’école de Kayambi se développa donc rapidement, grâce surtout aux rétributions régulières faites aux élèves. En 1897, le « collège » s’était même tellement agrandi qu’il comportait cinq « divisions, chacune avec son professeur ». Les élèves recevaient « deux classes et trois catéchismes par jour ». En 1897, ces « collégiens » étaient logés dans de petites cases, et le vicaire apostolique rêvait de construire pour cette oeuvre un édifice plus important. Selon Mgr Dupont, le soin de l’école et de l’internat, les instructions religieuses comme les classes de lecture, absorbaient l’entière activité des pères.

Le P. Guillemé émettait cependant un avis moins optimiste sur les activités de la mission. « Habitués à vivre les uns sur les autres à Kayambi avec très peu d’occupations, les pères ont pris des habitudes sédentaires et n’aiment pas à se gêner ». Dans la même lettre, l’administrateur apostolique se montre également très hésitant quant à l’efficacité même de l’école. Selon lui, les pères et Mgr Dupont en premier lieu, ne connaissaient pas suffisamment la langue. Les habitants ne les comprenaient presque pas, et ne venaient à la mission que pour y recevoir « des étoffes ». Sur ce dernier point, le père Guillemé se montre particulièrement sévère. Dans chaque lettre, il revient sur ce sujet et critique vivement « cette façon de distribuer des cadeaux à des gens qui s’en sont servis pour devenir polygame ». Le nouveau maître du vicariat prit des mesures radicales, inspirées par des raisons budgétaires surtout. II réduisit sensiblement les récompenses distribuées à l’école. Le résultat ne se fit pas attendre. Dès 1899, le nouveau responsable du « collège » de Kayambi se plaignit du manque de régularité des enfants. «Ce collège dont on a tant parlé, écrit-il, ne compte plus que 60 enfants ».

Le même missionnaire rapporte aussi quelques détails qui nous éclairent davantage sur la marche de l’école. Après l’assistance à la messe et la récitation du chapelet, les enfants étaient rassemblés pour une nouvelle prière en commun, suivie du catéchisme et d’une classe de lecture. Le reste de l’avant-midi était consacré à des travaux manuels : les élèves devaient cultiver les jardins de la mission, sous la direction d’un frère. Les enfants étaient ainsi ouvriers et élèves en même temps. C’est ce système qui permettait d’ailleurs de faire vivre l’école. L’établissement devenait ainsi, selon les pères, une sorte « d’école professionnelle », puisque, sous la direction d’un instructeur, les enfants amélioraient leurs connaissances agricoles. Ce règlement correspond aussi, comme on peut le remarquer, à celui des orphelinats de la période précédente. C’est toujours à peu près le même schéma qu’on retrouve : prière – catéchisme – classe de lecture – travaux manuels. Les enfants étaient censés apprendre la religion, changer de mode de vie par un travail régulier et l’exemple des missionnaires, et devenir enfin des propagandistes de la nouvelle religion.

L’internat de Kayambi, le fameux « collège» de Mgr Dupont, finit par disparaître complètement. Le nombre ‘des élèves ne fit que décroître. « Notre orphelinat, si brillant autrefois, est complètement tombé malgré les efforts inouïs pour le soutenir », rapporte le diaire du poste en 1900. À la fin de cette même année, on annonça la suppression de l’internat.

La brève histoire de ce « collège » révèle clairement l’ambiguïté de l’oeuvre missionnaire à travers l’action scolaire. L’internat de Kayambi prospéra et se développa rapidement grâce à la présence paternelle et bienveillante de Mgr Dupont, qui y consacra tout son temps, et surtout toutes ses ressources. Dès son départ, pour la fondation auprès de Mwamba d’abord, et pour l’Europe ensuite, dès surtout les mesures restrictives du père Guillemé, l’école perd très vite tous ses élèves et disparaît en quelques années. Les Bemba venaient en masse vers Kayambi pour y rencontrer un Blanc très gentil, accueillant et généreux. Ils passaient quelques semaines au collège et retournaient ensuite, nantis de belles étoffes, dans leurs villages, oubliant rapidement les leçons de lecture et de catéchisme de l’école. En 1902, le père responsable de l’externat de Kayambi, décrit clairement cet état d’esprit de la population :

« Les Babemba, malgré leur intelligence largement ouverte aux choses de la civilisation ne peuvent comprendre qu’il faille savoir lire et écrire pour être des hommes accomplis. Aussi viennent-ils en classe, pourquoi? Pour avoir au bout du trimestre quelques étoffes afin de couvrir leur nudité. La preuve? Nous n’irons pas la chercher bien loin. Le premier trimestre, les classes étaient très fréquentées chaque jour, des centaines d’enfants nous inondaient de leurs flots bruyants et tapageurs ; ce trimestre-ci, la moitié de nos oiseaux de passage s’étaient envolés dans la brousse pour y vivre à l’aise et respirer l’air de la liberté. Es avaient une étoffe, n’était-ce pas assez pour vivre heureux, et fallait-II encore aller perdre la vue à regarder un tableau où ils ne voyaient jamais que du blanc et du noir? ».

L’école, et ce qu’elle veut transmettre, restent profondément étrangers au milieu africain. «L’homme accompli » dont parle le père, reste un modèle européen qui ne trouve pas sa place dans la culture africaine de l’époque.

À côté de cette première expérience scolaire de Kayambi, les missionnaires du vicariat du Nyassa créèrent un réseau scolaire semblable en grande partie à celui qui existait dans les autres territoires administrés par les Pères Blancs. Dans son rapport à la Propagande de juillet 1900, le P. Guillemé en décrit l’organisation. Dans les quatre stations du vicariat existaient des écoles, où, écrivait-il, « l’on enseigne le catéchisme d’abord, puis à lire et à écrire dans la langue indigène ». Le but de cet enseignement est également le même qu’ailleurs. « C’est, estimait-il, le moyen le plus efficace pour discipliner les enfants, former leurs cœurs et ouvrir leurs jeunes intelligences afin de les rendre plus aptes à comprendre les vérités que nous leur enseignons. La religion chrétienne, catholique, qu’on veut enseigner, nécessite, selon les missionnaires une assez longue préparation intellectuelle et morale. L’école est donc ici aussi directement et en premier lieu, orientée vers la conversion, et vers l’édification d’une société chrétienne.

Le contenu de l’enseignement des écoles du Nyassa se rapproche également de très près de celui donné dans les autres vicariats.

« Une première division englobe tous ceux à qui l’alphabet n’a pas encore révélé tous ses secrets ; la deuxième comprend ceux qui débutent à la lecture du Kibemba. On leur enseigne les premiers éléments de l’arithmétique et la géographie, et on leur donne depuis le mois d’octobre, quelques leçons d’écriture. La troisième division est la plus avancée. Les élèves y apprennent les quatre règles, la résolution de quelques problèmes faciles, la géométrie et l’écriture ».

Les enfants de ce dernier degré recevaient aussi des leçons d’anglais, et ceci pour une triple raison. Vis-à-vis de l’autorité coloniale d’abord, les missionnaires tenaient à prouver « l’intérêt qu’ils portaient au progrès du pays ». Depuis l’affaire de la succession de Mwamba, les pères s’efforçaient de se montrer le plus complaisant et le plus coopératif possible vis-à-vis des colonisateurs. Il y avait ensuite le désir des missionnaires de former des « hommes capables un jour de remplir une fonction dans l’administration anglaise ». Nous avons déjà rencontré cette préoccupation dans d’autres vicariats. Les pères veulent des hommes à eux clans les divers rouages des services publics. Ces chrétiens pourront sans doute, un jour, défendre les intérêts de l’Église. Une troisième raison enfin pousse les responsables de la mission à enseigner l’anglais dans les écoles : la présence et l’action scolaire des missions protestantes.

« Nous enseignons l’anglais, écrit un père, afin que les jeunes gens sortant de nos écoles ne paraissent pas comme des parias au milieu de ceux qui sortent des écoles protestantes, où l’on enseigne cette langue ».

Depuis l’arrivée du P. Guillemé en Ngoniland en 1902 et la fondation de plusieurs postes dans ce pays, les missionnaires étaient entrés en contact direct avec les missions protestantes. Il faut se rappeler que, dès 1861 déjà, les Églises nées de la Réforme étaient à l’œuvre sur les rives du lac Nyassa. Leur action missionnaire s’y était considérablement développée, et même à tel point, que dans les milieux catholiques, on appelait les rives du lac, « le boulevard du Protestantisme ». Ces Églises avaient créé plusieurs dizaines d’écoles, dirigées par des maîtres africains. Les Pères Blancs, à leur tour, s’efforcèrent de donner une grande impulsion à l’œuvre scolaire. Nous aurons encore l’occasion d’en reparler plus loin. Signalons ici, que, d’après les statistiques officielles, dès 1905, le nombre d’enfants atteints par l’école s’élevait à 3.330, et en 1906, à 5.646. La « concurrence » protestante poussa donc les pères du vicariat à développer le plus vite possible leur réseau scolaire.

Revenons encore un instant à l’assiduité des enfants à fréquenter les écoles. Nous venons de suivre l’histoire du « collège de Kayambi », et nous avons vu également que, plus tard, dans l’externat de ce poste, les missionnaires rencontraient à peu près les mêmes difficultés : les élèves venaient en classe poussés uniquement par le désir de recevoir un bout d’étoffe. Une fois cette récompense reçue, la plupart des enfants retournaient dans leurs foyers. Cette attitude de la jeunesse se rencontrait dans l’ensemble du vicariat. Ici, comme ailleurs, les pères se plaignent du manque d’assiduité de la part des enfants, et regrettent l’absence d’une loi qui rendrait l’instruction obligatoire.

Pour remédier à cet état de choses, les missionnaires vont continuer encore pendant longtemps à rémunérer les élèves réguliers. Dans un seul poste, les pères s’efforcèrent de prendre des mesures plus autoritaires. « Nous avons résolu de nous en prendre aux chefs de villages, rapporte un diaire. Au fond, ce sont bien ces derniers les vrais coupables, puisqu’il leur suffirait de dire un mot pour que les parents envoient leurs enfants à l’école, mais ce mot, soit indifférence, soit mauvaise volonté, ils ne veulent pas le dire. Maintenant, dès qu’un chef se présente pour nous demander quelque chose, nous le lui refusons impitoyablement, l’avertissant bien qu’il en sera toujours ainsi tant que les enfants de son village ne viendront pas à l’école ». Les missionnaires se sentaient suffisamment puissants, à ce moment, pour imposer leur autorité aux dirigeants locaux. N’avaient-ils pas le colonisateur avec eux? Cette démarche nous montre une nouvelle fois le caractère étranger de l’école européenne dans le milieu culturel africain. Les pères doivent imposer l’école, soit par une démarche économique, en distribuant des biens, soit d’une façon coercitive en forçant les autorités locales à intervenir. Les missionnaires restent toujours et partout fermement attachés à l’oeuvre scolaire. Ils y consacrent leur temps et leurs biens. Pour eux, l’école permet de rencontrer la jeunesse. Par son action, celle-ci va former l’intellect de l’enfant, elle va le transformer par une éducation nouvelle et l’amener ainsi au catholicisme.

L’oeuvre missionnaire dans le vicariat du Nyassa ne vient que de débuter. Dernier-né des vicariats de l’Afrique centrale, il connaît un démarrage lent et difficile. L’oeuvre scolaire catholique y est encore à ses débuts, mais la présence protestante sera un stimulant extraordinaire pour en accroître rapidement les effectifs.