L’EFFORT SCOLAIRE AU NYANZA MÉRIDIONAL

  1. Des écoles pour l’Église

Mgr Hirth, vicaire apostolique du Nyanza méridional, avait, dès le début de la création de sa juridiction, attaché une importance très grande à la formation religieuse des enfants scolarisés. Nous avons vu que, pour lui, l’enseignement de la mission ne devait concourir qu’au développement de l’Église catholique.

Plus encore que dans les autres territoires, l’établissement scolaire n’avait, au Nyanza méridional, d’autres objectifs que de servir la mission. Les idées du vicaire apostolique n’avaient point évolué depuis.

En 1905 et en 1907, il rédigea des circulaires pour ses missionnaires dans lesquelles il développa longuement ses conceptions sur la question de l’enseignement. « Le but de l’école, écrivait-il, est de préparer tout d’abord de bonnes recrues pour le séminaire, des catéchistes pour les villages du district, des chrétiens d’élite connaissant bien la religion et la pratiquant de manière à entraîner les autres par l’exemple, un autre but, c’est d’empêcher les jeunes gens de s’éloigner trop tôt de la mission et de l’Église». Ces paroles sont claires : l’école de la mission ne doit servir que la cause de la religion et de l’Église catholique. L’unique tâche des établissements scolaires est de renforcer les structures de l’édifice ecclésial par la formation de prêtres, de catéchistes et de fidèles convaincus.

Mgr Hirth poussait cette idée à l’extrême. « Le but de l’école n’est pas d’enseigner l’écriture à tous, poursuivait-il, mais à une petite élite seulement. » Ce groupe d’élus ne devait recevoir, en dehors des quelques notions de lecture et d’écriture, qu’une instruction religieuse. Le vicaire apostolique prescrivait d’ailleurs d’une façon détaillée, dans sa circulaire, l’horaire et les matières à enseigner. Il ordonnait ainsi d’apprendre aux enfants « tous les éléments de la doctrine chrétienne » de huit heures du matin à midi. « En somme, notait Mgr Hirth, c’est un catéchisme de persévérance qu’il faut faire ».

On pouvait à peine parler d’écoles au sens strict de ce terme, dans le Nyanza méridional. Le vicaire apostolique lui-même s’en rendait compte. Il écrivait par exemple, dans une nouvelle circulaire, en 1008: « l’école de la station : ce terme n’est pas bien juste pour désigner ce que nous entendons par là, depuis deux ans surtout. Aussi dans toutes les lettres particulières ai-je toujours traduit ce mot « école » par catéchisme de persévérance ». Mgr Hirth espérait donc instruire religieusement d’abord les jeunes gens, et les préserver ensuite en les gardant le plus longtemps et le plus près possible de la mission.

Dans toutes les stations du vicariat, ces prescriptions furent mises en application. Les rapports de 1907-1908 et 1908-1909 signalent en effet que dans chaque poste « un père passe toute sa matinée à l’école ». Un missionnaire note, par exemple, que « le but principal » de sa classe est de choisir et de préparer parmi les néophytes les élèves que l’on destine au séminaire, inutile donc d’instruire toute la masse ». Un autre père rapporte qu’il s’occupe de l’« oeuvre de la jeunesse », qu’il fait « aux enfants une sérieuse conférence sur les fondements de la religion, la Bible ou le Nouveau Testament », et qu’il « leur apprend à raisonner un peu leur foi ». « On s’occupe surtout de l’éducation religieuse» de la jeunesse, remarque un missionnaire, et « on leur fait un catéchisme quotidien qui dure une heure et demie ». Le tableau est révélateur ; partout les pères visent « moins à développer l’intelligence que de former le cœur » et « l’instruction religieuse tient, dans chaque station, la première place». Un missionnaire résume bien l’esprit qui régnait à cette époque dans le vicariat:

«le but de l’école n’est pas de faire des savants, nous ne le sommes pas nous-mêmes, mais de grouper une élite de jeunes gens pour les former, les éduquer chrétiennement. L’instruction en plus ne leur nuira pas ».

Les résultats escomptés n’étaient cependant guère brillants. Peu de jeunes gens se présentaient dans les écoles, et ceux qui s’y trouvaient, ne semblaient attendre que le son du tambour pour retourner chez eux. Beaucoup de missionnaires se plaignaient d’ailleurs de devoir tous les jours passer l’avant-midi à expliquer la Bible ou enseigner la religion à ces jeunes qui en étaient sursaturés.

Le P. Léonard, régional du territoire, crut sage d’avertir Maison-Carrée.

« Je trouve Mgr Hirth exagéré dans ses exigences à propos des écoles, écrivait-il ; on ne peut pas, pendant toute une matinée, astreindre des enfants, des jeunes gens à écouter exclusivement des explications catéchétiques, ou apprendre des textes d’Histoire Sainte ».

Le père régional, qui avait un peu plus de sens pédagogique que 1e vicaire apostolique, proposait alors d’orienter l’enseignement dans un autre sens : « tout le monde veut savoir lire, écrire, calculer, remarquait-il, ce sont ces matières qui attirent les jeunes gens à l’école ». Le P. Léonard estimait également que, dans ce cas, le recrutement et la régularité des élèves ne poseraient pas de problème majeur, et il ajoutait : « Nous en aurions tant que nous voudrions, si notre programme admettait davantage de ces matières e. Cette affirmation semble bien un peu optimiste, mais il est un fait qu’un changement dans les matières enseignées aurait probablement davantage attiré les enfants. Pourquoi les jeunes venaient-ils maintenant? « Parce qu’on l’exige d’eux absolument, notait le régional, et qu’on paie la demi-journée comme s’ils faisaient du travail ».

Nous traiterons encore de la régularité des enfants à assister aux classes. Notons déjà ici que, comme dans presque tous les territoires des Pères Blancs, les jeunes étaient rétribués pour assister aux cours.

Ce n’était pas seulement le régional qui écrivait dans ce sens, d’autres pères étaient du même avis. Le P. L. Classe, responsable des missions du Rwanda dans le vicariat, émit une opinion semblable : é Dans nos écoles qui végètent, le recrutement est pénible, les plus intelligents nous échappent parce que c’est à peu près uniquement l’instruction religieuse qui est matière d’enseignement ». Un autre missionnaire estimait que « les écoles ou catéchismes de persévérance » étaient « dans un état peu florissant ». La cause? « Les missionnaires sont de bonne volonté, écrivait-il, mais ils se lassent de faire l’instruction religieuse de huit heures jusqu’à dix heures cinq fois par semaine à un auditoire peu attentif».

Mgr Hirth n’était cependant pas près de renoncer à son idée. Il tenait à ce que dans tout le vicariat, on poursuive l’organisation des écoles ou « catéchismes de persévérance » selon ses directives. Le diaire du poste de Kabgayi, par exemple, rapporte en 1910, que « les écoles du Rwanda devaient se plier sans retard, sans exception à la réglementation imposée par le vicaire apostolique », et cela, malgré l’opposition du P. Classe.

Dans une nouvelle circulaire du premier septembre 1910, Mgr Hirth reprenait son argumentation.

« L’instruction solide de notre jeunesse dans la science religieuse devient de plus en plus nécessaire pour deux raisons surtout, remarquait-il. Sans cette instruction, nous n’aurons pas de chrétientés solides et prospères et sans elle, les protestants auront bientôt toute l’influence autour de nous et aux dépens du catholicisme ».

  1. Catéchisme de persévérance contre écoles protestantes

Mgr Hirth espérait donc former « une chrétienté solide et prospère » pour barrer la route au développement des missions protestantes. Selon lui, il suffisait de prolonger les leçons de catéchisme pour atteindre ce but. Ce n’était pas l’avis de tous les missionnaires catholiques. Le P. B. Huwiler de la mission de Bukoba estimait au contraire, qu’il fallait imiter l’action des e adversaires ». « Les protestants vont ouvrir une école à kiswahili, allemand et quelque peu de science, écrivait-il. Actuellement, la jeunesse est assez avide d’allemand. Je crois que la même chose s’impose que nous fassions aussi ». C’était également la pensée du P. Classe, qui proposait d’« enseigner le kiswahili et l’allemand dans toutes les petites écoles de stations ».

Les pères étaient tous d’accord pour reconnaître que les Églises protestantes excellaient dans l’art d’organiser l’enseignement. « La question scolaire devient de plus en plus grave, surtout devant le progrès du protestantisme, écrivait un missionnaire en 1910. Les ministres (protestants) ont déjà cinq stations au Rwanda et récole est partout l’oeuvre principale, pour ne pas dire, l’oeuvre unique ». Si la plupart des pères proposaient d’imiter l’action des Églises protestantes, Mgr Hirth, au contraire, restait, en principe, inflexible sur les méthodes à utiliser. Citons, à titre d’exemple, la station de Nyundo au Rwanda, où, en 1911, Hirth laissa des directives très précises quant à l’organisation de l’enseignement. Les enfants entraient d’abord dans l’école des sœurs, depuis l’âge de sept ans jusqu’à douze. Ils y apprenaient surtout à lire, en utilisant l’Histoire Sainte comme livre de lecture. Les garçons passaient ensuite dans l’« école moyenne », tenue par un instituteur rwandais, dans laquelle ils restaient jusqu’à quatorze ans. Ici, on enseignait le catéchisme, l’Histoire Sainte, l’écriture et un peu de swahili. Arrivés à la fin de ce deuxième cycle, « les plus intelligents montaient à l’école supérieure » où on tâchait de les garder jusqu’à vingt et vingt deux ans. Le programme ne comprenait ici pratiquement que l’enseignement religieux. « C’est de là que devraient sortir nos vrais auxiliaires », conclut le rédacteur du rapport.

Mgr Hirth ne voulait un enseignement que pour le développement de la mission. Une de ses idées fondamentales qui orienta en grande partie son action, était qu’il fallait, au plus vite, former des prêtres africains. Il résidait d’ailleurs depuis de longues années à Rubya, où se trouvait le Séminaire du vicariat, et il s’y occupait personnellement de la formation des jeunes séminaristes

« Devenu en 1912, le premier vicaire apostolique du Kivu, Mgr Hirth créa la même année, un séminaire à Nyaruhengeri (Kansi) au Rwanda. On peut lire dans les rapports annuels de cette année : Convaincu de l’absolue nécessité de travailler le plus possible à l’oeuvre de la formation d’un clergé indigène, Mgr Hirth a désiré dès cette année, commencer un Petit Séminaire ».

En 1912, le vicaire apostolique envoya une nouvelle lettre à ses missionnaires dans laquelle il développa une nouvelle fois le thème de la nécessité des écoles. Ces circulaires successives démontrent par elles-mêmes que l’enseignement démarrait bien difficilement dans le territoire du Nyanza méridional. Mgr Hirth commençait, cette fois-ci, par mettre les pères en garde contre l’activité « des ministres protestants » qui « font leur œuvre lentement mais sûrement », et dont le travail « nous ménage, pour bientôt peut-être, de cruelles mais tardives désillusions ». D’autre part, constatait le vicaire apostolique, « nos néophytes trop peu instruits, risquent de tomber dans l’indifférence ». Devant le danger de la « concurrence protestante » et l’abandon de la pratique chrétienne des nouveaux baptisés, Mgr Hirth voit e l’extrême nécessité de créer et de développer les écoles ». Pourquoi? D’abord, pour former de bons catéchistes, ensuite « pour maintenir le niveau de nos chrétientés ». « L’école, estimait Mgr Hirth, demeure la meilleure occasion pour former et tremper les âmes des jeunes gens ». Le vicaire apostolique semblait donc croire que l’établissement scolaire allait assez automatiquement é faire aimer et pratiquer les vertus chrétiennes ». « Une foi convaincue et éclairée, écrivait-il, ne peut être amenée que par une forte instruction religieuse, illuminant l’intelligence et fortifiant la volonté ». On peut difficilement être plus clair. L’instruction religieuse dans l’école et par l’école va faire surgir une chrétienté solide dans le vicariat. Cette foi catholique s’opposera triomphalement à la pression protestante.

Nous avons déjà mentionné le fait que Mgr Hirth s’était progressivement attaché presque exclusivement à la partie occidentale de son vicariat. Là se trouvait le Rwanda, où la mission semblait pouvoir se développer rapidement. L’État y était fortement centralisé, avec une organisation politique puissante ; les missionnaires y étaient confrontés, un peu comme au Buganda autrefois, à la question de savoir comment amener au catholicisme le m’ami et les grands chefs du pays. On craignait surtout pour ceux-ci l’influence protestante. Le vicaire apostolique voyait dans les écoles de la mission, une nouvelle fois, un moyen de « former des jeunes gens » qui seraient é les auxiliaires des missionnaires dans l’apostolat auprès des chefs». Former des chrétiens convaincus, leur apprendre la lecture, l’écriture et le swahili, et les pousser à fréquenter l’entourage des grands chefs du pays, voilà, selon Hirth, un moyen très efficace d’amener ces autorités à se tourner vers l’Église catholique.

L’école de la mission a ainsi, aux yeux de l’évêque un triple but : former des catéchistes, renforcer la foi des chrétiens, et orienter certains chrétiens d’élite vers les autorités politiques du pays pour les amener à l’Église catholique. La réalisation de ce triple objectif devait arrêter l’expansion des Églises protestantes. Tout cela, l’école ne peut le réaliser que si elle reste, avant tout, un lieu où se transmet la doctrine catholique.

En 1914, le père Classe, vicaire délégué pour le Rwanda, adressa lui aussi, une circulaire aux pères du vicariat, pour présenter l’édition d’un petit catéchisme, é actif moyen de propagande religieuse », qui devait « servir de premier livre de lecture ». Le père y insistait sur la nécessité pour les chrétiens de savoir lire.

« L’instruction est une arme nécessaire et indispensable pour la propagande et la conservation de la foi, écrivait-il. Si on la néglige, on se met dans un état d’infériorité, vis-à-vis des protestants et du gouvernement ».

Le P. Classe, nous l’avons vu, ne partageait pas entièrement les vues de son évêque. Sans négliger l’importance de l’instruction religieuse, il estimait que les « branches profanes » comme la lecture et l’écriture, le swahili et l’allemand, devaient être enseignées dans les écoles. Dans cette circulaire toutefois, on constate que pour le père Classe comme pour Mgr Hirth, l’établissement scolaire garde son caractère spécifiquement religieux. C’est le e petit catéchisme » qui sert de livre de lecture, et qui peut ainsi être utilisé par l’élève comme moyen « de propagande religieuse ».

On peut se demander maintenant ce qui restait de l’enseignement reçu chez l’enfant qui était passé par l’école. Après avoir appris à lire pour pouvoir être baptisé, le jeune retournait chez lui ou passait encore quelques années sur les bancs d’une classe d’écriture. Seuls, les plus intelligents poursuivaient des études qui pouvaient les conduire à devenir prêtre, instituteur, voire fonctionnaire. Ceux qui avaient quitté l’école plus tôt, ne gardaient sans doute que quelques faibles traces de l’instruction scolaire. Nous ne disposons que de très peu d’indications à ce sujet. Il est significatif, toutefois, de lire, dans le diaire du poste de Save, par exemple :

« Une quinzaine de nos grands jeunes gens, quelques-uns mariés, reviendront en classe trois jours par semaine. Le but est de leur réapprendre à lire et à écrire convenablement ».

  1. L’autorité coloniale allemande et les écoles de mission

On se souvient que dans l’Ostafrika, le colonisateur avait pris à cœur de développer son propre réseau d’enseignement. Il devait servir à la consolidation de la nouvelle société coloniale. Les Pères Blancs, assez éloignés de la côte, étaient restés plus ou moins à l’écart du conflit qui avait opposé le gouvernement de Dar es Salaam aux missions. L’autorité coloniale avait également favorisé très fort l’introduction de l’enseignement de l’allemand dans les différentes écoles de la colonie. A cette fin, par exemple, des prix en argent ou en e objets d’école » étaient attribués, chaque année, aux établissements dans lesquels on enseignait cette langue. Le colonisateur désirait en plus, propager un seul idiome africain, et favorisait pour cela partout l’enseignement du swahili.

On aura remarqué que dans les programmes des écoles de la mission, l’enseignement du swahili et quelquefois celui de l’allemand, avaient fait leur apparition. Pressés par les circonstances extérieures, les « catéchismes de persévérance » du vicariat avaient ainsi tout doucement, et sans doute à contrecœur, ouvert leurs classes à ces langues. Il était d’ailleurs devenu absolument indispensable d’étoffer davantage le contenu de l’enseignement dans les écoles catholiques, si on ne voulait pas les voir disparaître entièrement. C’est un véritable cri d’alarme que poussait Mgr Hirth en 1907 déjà, quand il écrivait : « Nos écoles de- la mission tombent l’une après l’autre depuis que le gouvernement rend les siennes obligatoires ». Le vicaire apostolique avait alors admis, avec une certaine répugnance probablement, d’ajouter au programme des écoles des missions les « matières profanes » telles l’allemand et le swahili. Les missionnaires tardèrent cependant à se lancer dans cette voie. Le P. Classe s’en plaignait qui notait deux ans plus tard :

« Le gouvernement allemand veut des écoles. Chaque année, des circulaires de la côte, de Dar es Salam offrent des récompenses pour les élèves apprenant le kiswahili et l’allemand. Or, dans nos écoles, l’allemand n’est pas enseigné, le kiswahili ne l’est plus, il ne reste qu’un peu de lecture et d’écriture : rien n’attire ».

Il faudra encore attendre plusieurs années avant que ces deux langues ne soient enseignées dans les établissements missionnaires. En 1909, pratiquement rien ne se faisait dans ce domaine.

L’autorité coloniale allemande ne se souciait finalement que très peu des écoles des missions. Elle organisait son propre réseau scolaire, qui se développait d’ailleurs considérablement. Il faut ajouter ici, quand même, que le colonisateur exerçait une forte pression sur les autorités locales pour qu’elles envoient leurs enfants et ceux de leurs sujets dans ces établissements.

  1. De 1906 à 1914

Au Nyanza méridional, comme chez son voisin du nord, il fallait savoir lire pour recevoir le baptême. Les « écoles des païens », dans lesquelles on enseignait aux enfants le catéchisme et la lecture, étaient relativement bien fréquentées. A l’ouverture de chaque nouveau poste missionnaire correspondait ainsi l’ouverture d’une classe de lecture. Ceci explique également pourquoi les statistiques officielles indiquent pour ce vicariat un chiffre assez constant d’élèves inscrits dans les écoles. Si le chiffre des présences était très bas pour les classes « moyennes ou de lecture », cela ne se remarque pas dans ces statistiques puisque les classes de lecture rassemblaient toujours un assez grand nombre de candidats au baptême.

Dans les classes des « chrétiens », les pères s’efforçaient, comme nous venons de le voir, de grouper des jeunes chrétiens e pour achever de leur donner une instruction religieuse bien solide et une vraie piété chrétienne ». En parcourant les rapports annuels de 1907-1908 à 1913-1914, on est frappé de constater partout les mêmes plaintes : les élèves sont très peu réguliers. «La classe est pour nos Bassuwi une véritable corvée », remarquait un missionnaire de Katoke ; ils s’y astreignent pourtant, poussés par l’appât de quelques coudées d’étoffe ». « Notre école est toujours à ses débuts, notait un père de Rubya. Heureusement que le succès n’est pas le but principal de nos efforts ». « Faut-il parler d’une école?, se demandait un missionnaire de Nyundo. Il y a bien quelque chose de ce genre à Nyundo, mais c’est à peine si nous trouvons une quinzaine d’enfants qui veuillent apprendre à lire ». Et Mgr Hirth lui-même écrivait en 1910 que les « écoles étaient partout bien faibles au Rwanda », et que cela « ferait grand tort à la mission ». Pour le vicaire apostolique, une des solutions pour mieux lancer l’enseignement dans le vicariat, serait de faire appel à une congrégation de Frères enseignants. Mais, il se rendait bien compte que cela n’était pas si facile, et que des obstacles juridiques et financiers surtout, rendaient cette possibilité très aléatoire à ce moment-là.

Si les élèves venaient en si petit nombre ou d’une façon tellement irrégulière, c’était bien sûr, d’une part, à cause du programme peu attirant des « catéchismes de persévérance e; mais aussi à cause des raisons socio-économiques et culturelles du milieu traditionnel. Nous en avons déjà traité à plusieurs reprises. Ceci était vrai dans les campagnes et les régions isolées, où le mode de vie de la population restait ancien. Dans les centres, comme Mwanza et Bukoba au contraire, le problème se posait d’une façon différente. Ici les jeunes désiraient apprendre le swahili et l’allemand. Mais comme les écoles catholiques ne leur offraient que de la religion, les jeunes les plus dynamiques et les plus intelligents se dirigeaient vers les écoles « gouvernementales ». Mgr Hirth n’appréciait pas cette ruée vers les établissements de l’État qu’il qualifiait de « neutres, c’est-à-dire athées ». Mais il faut bien le reconnaître, le responsable du vicariat ne modifia en rien sa façon d’agir et resta braqué sur l’enseignement essentiellement religieux.

Mgr Hirth envisagea bien de créer des écoles similaires à celles de l’État, mais deux raisons le poussèrent à abandonner ce projet. Il y avait d’abord la question du personnel. Qui mettre dans de tels établissements pour enseigner? « Pour tenir cette école, écrivait-il, un maître noir ne peut suffire, le gouvernement ne tient compte que des écoles où le maître enseignant est un Européen ». Le vicaire apostolique était ensuite soucieux quant au résultat d’une telle entreprise. Les jeunes, qui à la fin de leurs études s’engageraient dans l’administration ou dans des compagnies commerciales, resteraient-ils chrétiens? Allaient-ils persévérer dans la foi? Ne les préparait-on pas ainsi à leur perte? Cette crainte est fréquente à l’époque. Nous en avons déjà traité. L’ensemble des missionnaires appréhendaient la promotion sociale de leurs ouailles. Ils redoutaient l’évolution de la société africaine vers la modernité. Mgr Hirt en particulier craignait ces transformations. Il est typique de voir comment il se détourna progressivement de ces régions côtières du lac Victoria, où le commerce et l’industrie naissante opéraient des changements profonds, pour se tourner vers la région du Rwanda, plus isolée et plus traditionnelle.

Conclusion

Pour ce vicariat du Nyanza méridional, on hésite à parler d’un vrai réseau scolaire. Il n’existait dans ces régions que des ébauches d’écoles.

Cette situation était le résultat, sans doute, de l’image même que Mgr Hirth et la plupart de ses missionnaires s’étaient faite de la mission et de l’Église à établir dans le pays. Il fallait transmettre la doctrine catholique romaine, faire observer les commandements et les préceptes de la religion, et favoriser enfin la pratique du culte liturgique et la réception fréquente des sacrements. Le rôle du missionnaire devait se réduire à cet objectif. Tout le reste, y compris les écoles, ne pouvait servir qu’à la réalisation de ce projet.

C’est ce modèle d’Église qu’il fallait établir dans la société africaine. Celle-ci semblait l’accueillir assez favorablement. N’était-ce pas une religion à caractère rural, préindustriel que les missionnaires voulaient transmettre aux peuples de l’Afrique centrale? La plupart des pères semblent avoir été assez désemparés devant les changements qui s’opéraient progressivement dans la société africaine. Ils craignaient ces transformations pour leurs néophytes. Les écoles devaient donc préserver les jeunes et développer leurs connaissances religieuses.