LES ÉCOLES CATHOLIQUES DU HAUT-CONGO

  1. Le vicariat en 1906

 

Le 26 mai 1906, une convention fut signée entre l’État Indépendant du Congo et le Saint-Siège. Cet accord prévoyait que l’État « concéderait aux missions catholiques au Congo les terres — à titre gratuit et en propriété perpétuelle — nécessaires à leurs oeuvres religieuses dans les conditions suivantes » : chaque établissement de mission devait s’engager à « créer une école pour les indigènes ». Le programme des études devait comprendre l’enseignement agricole, forestier et professionnel e pratique », et être soumis au gouverneur général. Chaque supérieur de mission s’engageait à lui faire rapport, à des dates périodiques, sur l’organisation et le développement des écoles, etc.

Cette convention, on peut le constater, liait les missions à l’État colonial d’une façon très précise. Elle orientait l’éducation non seulement vers un enseignement pratique pour l’ensemble de la population de la colonie, puisque chaque mission devait s’engager à créer une école, mais permettait surtout à l’Église catholique de jouer un rôle de premier plan dans l’organisation de l’enseignement dans l’État Indépendant du Congo.

Mgr Roelens prit alors l’initiative d’organiser à Léopoldville une réunion des supérieurs des différentes missions du Congo. C’était la première assemblée de ce genre et on espérait que celle-ci produirait e les plus heureux résultats pour toutes les missions de l’État Indépendant ». Les responsables missionnaires avaient mis, en premier lieu, à leur ordre du jour, la question des écoles. Ils désiraient se mettre d’accord sur l’application de la convention. On décida, entre autres, de créer dans chaque poste des écoles primaires de trois classes. Dans la première, l’enseignement devait se donner en langue indigène et comprendre des leçons de lecture, d’écriture et de calcul ; dans la deuxième, on devait y ajouter quelques notions d’agriculture et les premiers éléments de la langue française ; dans la classe supérieure enfin, les missionnaires s’efforceraient d’y ajouter la grammaire et l’orthographe du français, la géographie, un peu d’histoire et de calcul. On devait ensuite ajouter à ce premier « enseignement », des cours à orientation professionnelle.

Les supérieurs des différentes congrégations missionnaires, « conscients de la nécessité de s’appliquer, avant tout, à l’éducation de la jeunesse, sans laquelle aucune chrétienté ne peut prospérer ni se maintenir », résolurent de fonder dans chaque territoire de mission une école « centrale, où l’on formerait d’une façon spéciale des instituteurs-catéchistes ». Ce n’était pas tout. Une autre décision vint s’ajouter encore aux premières : « là où la chose paraîtrait utile, des écoles devaient être créées pour former des employés pour l’État ». Car, précisaient les membres de l’Assemblée, dans « certains centres, on est exposé à voir occuper par les pupilles des protestants, des postes du gouvernement ». Les conclusions de cette première assemblée des supérieurs ecclésiastiques du Congo furent communiquées aux missionnaires dans une brochure intitulée : Missions catholiques du Congo – Aperçu sur certaines questions traitées dans la réunion tenue à Léopoldville en février 1907. On recommandait dans cet opuscule la création d’une école primaire dans les stations où elle n’existait pas encore. L’autorité religieuse y précisait ensuite la question des écoles centrales.

La convention de 1906 et les applications concrètes de celle-ci révèlent un aspect de la collaboration entre l’État Indépendant du Congo d’une part et les missions catholiques d’autre part. Il ne faudrait toutefois point s’imaginer que cette e assistance mutuelle » se trouvait maintenant réglée une fois pour toutes, dans tous les domaines et dans tous les territoires ecclésiastiques de la colonie. Le désir de voir les missions catholiques participer à l’oeuvre scolaire au Congo venait de l’autorité coloniale. Il nous semble que les missions ont répondu par l’affirmative à cette invitation uniquement parce qu’elles y voyaient un moyen de développer leur travail de propagande religieuse. Prenons le cas du Haut-Congo. S’il y avait coopération réelle et effective à partir de 1906 entre les deux pouvoirs dans le vicariat, la mission voulait rester néanmoins indépendante. Mgr Roelens trouvait normal que l’État cède la tâche de l’enseignement aux missions catholiques ; il estimait également que le gouvernement de la colonie devait lui attribuer à cet effet des subsides importants. Il écrivait ainsi, par exemple, en 1910, au ministre Renkin : « Quoique nous ne reconnaissions pas à l’État ni la vocation ni la compétence nécessaires pour faire l’éducation de la jeunesse, nous sommes toutefois d’avis, qu’il est de son devoir d’encourager et de soutenir les institutions qui sont aptes à former des citoyens honnêtes, sérieux et utiles à la Société ».

Pour Mgr Roelens, seule l’Église catholique pouvait éduquer convenablement les Africains. Dans la même lettre au ministre, le vicaire apostolique développa longuement cette idée. « Nous sommes intimement convaincu, notait-il, qu’on perdrait son temps à vouloir civiliser les Noirs, sans appuyer cette civilisation sur les principes religieux, seule base solide de toute morale. Seule la crainte d’un Dieu omniscient et juste rémunérateur du bien et du mal, imprimée profondément dans leurs esprits et dans leurs cœurs, pourra leur inspirer le respect d’eux-mêmes et des droits d’autrui ».

Les « citoyens honnêtes et sérieux » que la mission veut former pour « la Société » civile devaient être avant tout des catholiques croyants et pratiquants. Il ne leur incombait pas tellement d’être au service de l’État colonial que de défendre les intérêts de l’Église à l’intérieur des rouages administratifs de cet État. Ne l’oublions pas : pour ces missionnaires catholiques du début du XXe siècle, des ennemis nombreux et dangereux pour la vie de l’Église catholique, noyautaient l’appareil gouvernemental. Dans son rapport à la Propagande de 1911, Mgr Roelens écrivait notamment :

« Les employés du gouvernement, qui devraient, ce me semble, encourager et favoriser l’oeuvre des missions catholiques, lui sont trop souvent hostiles. La bonne volonté du gouvernement central se trouve trop paralysée par l’influence de la franc-maçonnerie, qui a réussi à s’infiltrer et à dominer non seulement dans la colonie, mais jusque dans les bureaux des ministères ». Le vicaire apostolique veut donc bien fournir des hommes formés par la mission à l’État colonial, pas tellement pour collaborer, mais surtout pour combattre les influences néfastes de l’administration.

Jusqu’en 1906, environ, le vicariat du Haut-Congo, « le plus éloigné de toute voie d’accès, se trouvait en dehors du mouvement colonial et l’occupation gouvernementale y était peu intense ». C’est Mgr Roelens qui écrivait ceci dans son rapport de 1911. Cette réflexion révèle clairement la situation du vicariat ainsi qu’une certaine nostalgie pour une période qui venait de finir.

Durant vingt-cinq ans à peu près, les Pères Blancs avaient vécu et travaillé d’une façon personnelle et quasi indépendante. Nous ne pouvons jamais oublier cet aspect des choses, car elle explique en partie l’attitude des missionnaires de la région. Maintenant, la situation changeait, et c’est à contrecœur et avec réticence que les pères voyaient la mainmise coloniale s’étendre progressivement sur la région. « Une difficulté nouvelle et d’ordre général dans le vicariat, nous vient de l’invasion européenne », notait Mgr Roelens toujours dans le même rapport. « L’oeuvre des missionnaires s’y faisait tranquillement, sans trouble et presque sans ingérence de la part de l’autorité ». Il fallait tenir compte de phis en plus de cette nouvelle situation.

  1. Les orphelinats

On se souvient que l’œuvre des orphelinats avait été florissante pendant de longues années dans le vicariat du Haut-Congo. Les transformations politiques en avaient progressivement diminué l’importance. Des circonstances nouvelles et tragiques allaient maintenant rendre cette oeuvre plus nécessaire que jamais.

En 1904, en effet, une terrible maladie avait fait son apparition sur les bords du Tanganyika : la trypanosomiase ou maladie du sommeil. De Kasongo au Manyema, le fléau atteignit Baraka sur le lac en suivant les étapes de l’installation de la ligne téléphonique : ce fut la grande voie d’infection. Plusieurs missions furent atteintes par le mal. Les populations riveraines du Tanganyika se retirèrent en partie vers des régions indemnes. Ce ne fut que vers 1909-1910 que le fléau diminua en intensité. La maladie resta pourtant à l’état endémique tout le long du lac pendant de longues années encore.

Les hommes qui travaillaient le long du lac furent les principales victimes du terrible mal. Aussi les différentes missions eurent-elles à recueillir un nombre important d’enfants abandonnés ou orphelins. Fallait-il les grouper en orphelinats, ou les placer dans les différentes familles chrétiennes comme on l’avait fait autrefois? Mgr Roelens prit nettement position pour la première solution. Dans un volumineux rapport, publie clans la Chronique Trimestrielle de 1907, il développa longuement les raisons qui déterminaient ce choix. Pour le vicaire apostolique, l’éducation en orphelinat était absolument nécessaire. Pourquoi?

« Sans doute, écrivait l’évêque du Haut-Congo, l’idéal pour l’éducation de l’enfant est le milieu d’une famille profondément chrétienne dirigée par un père sage et une mère prudente et pieuse. Mais ce milieu, je ne dirai pas chrétien, mais seulement convenable et décent, où le cherchera-t-on dans ce pays de superstition, de barbarie et de corruption? »

On le sait, Mgr Roelens avait une opinion fort négative sur l’éducation en milieu traditionnel. Aussi n’est-on pas étonné de lire sous sa plume, la déclaration suivante : « Est-il nécessaire d’insister encore pour prouver que, dans ces conditions, l’éducation de l’orphelinat, quels que soient ses défauts, vaudra mille fois mieux, surtout quand elle est faite sous la direction et la surveillance des missionnaires et des religieuses ».

Plus tard encore, en 1912, Mgr Roelens interviendra dans le même sens au chapitre général des Pères Blancs à Maison-Carrée. Les orphelinats lui semblaient absolument nécessaires.

La formation donnée dans ces établissements n’avait guère évolué depuis l’époque de leur fondation. Dans l’avant-midi, les enfants suivaient les cours de catéchisme et de lecture dans l’école de la station. Dans l’après-midi, ils s’adonnaient au travail manuel. Nous n’insisterons plus sur ce point, on en a déjà traité suffisamment plus haut.

Les meilleurs élèves qui sortaient des orphelinats étaient orientés, après l’école primaire, vers le centre pour la formation des catéchistes du vicariat. On espérait en faire des instituteurs-catéchistes qui reviendraient un jour dans la mission « pleins de zèle et de science pour aider dans l’évangélisation de leurs compatriotes ».

Il y avait cependant une assez forte différence entre la théorie telle que Mgr Roelens l’avait énoncée dans ses nombreux écrits, et la pratique. Lorsque le vicaire apostolique fit la visite du poste de Vieux-Kasongo, il constata que l’orphelinat y marchait très mal. Les enfants étaient mécontents, un nombre assez considérable avaient d’ailleurs déserté l’établissement. Mgr Roelens fit une rapide enquête et constata que la cause de cette situation se trouvait en grande partie chez les pères. « Le personnel de la station est incapable de diriger une œuvre pareille », estimait l’évêque. Il décida de licencier tout l’orphelinat. Il fallait bien prendre parti maintenant pour l’autre solution : les enfants furent placés dans les familles chrétiennes des environs du poste.

  1. De 1906 à 1914

La convention de 1906 fut pour les écoles du vicariat un stimulant certain. L’enseignement se développa considérablement à partir de cette période. Le mobile principal resta cependant toujours le même, nous semble-t-il. L’école devait avant tout servir les intérêts de la mission. En 1907 par exemple, Mgr Roelens écrivait que le principal moyen pour étendre la chrétienté était et serait toujours l’école.

« Les enfants y apprennent avec l’a, b, c, les éléments de la doctrine chrétienne, notait-il, et tous demandent à être baptisés. Si nous pouvons multiplier ces écoles et occuper tous les centres païens, la génération prochaine se trouvera chrétienne naturellement ».

Le problème de la régularité dans la fréquentation des écoles fut et demeura pour la plupart des pères responsables des établissements scolaires, un souci continuel. On s’efforça d’y remédier, soit par des cadeaux, soit par l’intermédiaire des chefs locaux.

À Nyangezi, par exemple, le diaire rapporte que le supérieur du poste convoqua le souverain local et l’obligea à amener les enfants de la région à l’école. « C’est là le seul moyen d’avoir les enfants en classe, notait le père. Grâce à Dieu, le sultan Goko se montre complaisant et nous aide singulièrement dans notre tâche ». Quelques mois plus tard cependant, le même diaire signale que l’école est vide. La cause?

« Le diable n’est pas content de voir la classe et, par conséquent le catéchisme fréquenté par les enfants qui nous entourent. C’est lui qui aura fait circuler ces jours derniers dans nos bananeraies le bruit que nous n’appelons les enfants à l’école que dans le but de nous en emparer et de les envoyer en Europe pour en faire des soldats ».

Le cas de Katana présente beaucoup de ressemblance avec le précédent. Ici aussi, les pères s’adressèrent à l’autorité locale, mais en y ajoutant la menace de quitter la région si les enfants continuaient à refuser l’instruction. « La grâce aidant, notait un père, le chef qui tient actuellement à ce que nous restions chez lui, a ordonné à tous ses sous-chefs d’amener leurs sujets aux instructions». Aussi le développement des écoles y fut-il spectaculaire. « Les écoles sont fréquentées à tel point qu’un père avec deux aides-catéchistes et leurs femmes peuvent à peine suffire à la besogne, écrivait un missionnaire. Ils ne sont pas rares les jours où nous comptons jusqu’à cinq cents enfants et souvent plus de filles que de garçons ». Ce mouvement vers les écoles se maintint et se développa même. Pour la rentrée de 1913-1914, 1.540 enfants se firent inscrire à la mission.

Dans les anciens postes comme Mpala et Baudouinville, la situation se présentait différemment. On peut parler dans ces cas, d’écoles de chrétientés, comme dans le vicariat du Tanganyika. Dans ces stations missionnaires, c’étaient « les parents qui conduisaient leurs enfants à l’école ». Les problèmes de fréquentation se posaient pour les écoles de villages.

Nous avons déjà abondamment traité de la question des programmes et du contenu de l’enseignement. Notons qu’une attention particulière était portée aux travaux manuels. N’oublions pas que la convention de 1906 recommandait la création d’écoles professionnelles. Dans la plupart des écoles, les enfants avaient à peu près le programme suivant : après une première heure de catéchisme, les enfants se mettaient au travail dans les ateliers, aux champs ou dans le jardin de la mission. De dix à onze heures, ils se retrouvaient sur les bancs des classes. Un même horaire rythmait l’après-midi. Le travail des enfants était « modiquement rétribué ; ils recevaient un salaire proportionnel à leur âge ». Mgr Roelens attachait une grande importance à la valeur éducative du travail manuel.

« Partout où la chose est possible, l’instruction va de pair avec le travail manuel écrivait-il. Car nous sommes persuadés qu’on ne fera jamais rien de bon de nos Noirs congolais, si l’on ne parvient à leur donner, sinon l’amour, au moins l’habitude du travail. En sortant de classe, nos élèves vont donc prendre la houe ou l’outil et s’exercent à la culture ou à divers métiers utiles, sous la direction de frères coadjuteurs ou de contremaîtres noirs, formés par ces frères et surveillés par eux ».

L’enseignement dans les écoles primaires du vicariat se faisait toujours en swahili. Le vicaire apostolique du Haut-Congo était fermement opposé à l’usage du français dans les premières classes. « L’enseignement de la langue française devrait, à notre avis, être limité aux écoles spéciales », estimait-il.

« On devrait l’interdire dans les écoles élémentaires dans lesquelles on n’enseignerait que les langues indigènes ». Pourquoi ce refus aussi catégorique du français ? Parce que l’enseignement de cette langue aurait « pour résultat de faire des déclassés, des désœuvrés qui risqueraient de devenir des fauteurs de troubles et peut-être des criminels ».

Roelens avait permis l’usage du français dans son école normale de Lusaka, mais, affirmait-il, il l’avait « fait à contrecœur », uniquement pour se « conformer au désir, exprimé autrefois par le gouvernement de l’État du Congo ». Mgr Roelens restait attaché à l’ancienne recommandation du cardinal Lavigerie, qui avait tellement insisté sur l’adaptation au milieu.

À. partir de 1910, on reparla dans le vicariat du projet de l’établissement d’une école spéciale à Kasongo, « soit pour fils de chefs, soit pour la formation de Noirs capables d’occuper un emploi dans l’administration ». Mgr Roelens en fit part à son supérieur général, en écrivant : « l’ancien État du Congo n’a pas jugé à propos de donner suite à ce projet. Aujourd’hui, il revient sur le tapis. On m’en a parlé déjà à plusieurs reprises au ministère ». Le vicaire apostolique hésitait maintenant, et cela pour plusieurs raisons. Ne faudrait-il pas, en outre, pour la bonne marche de cette entreprise, faire appel à une congrégation de Frères enseignants?

Il y avait du pour et du contre. L’établissement d’une école spéciale à Kasongo apporterait au vicariat un apport financier important. Le gouvernement promettait des subsides, ce qui, selon

Mgr RoeIens, feraient vivre « toute la station et amplius ». Mais, d’autre part, il lui semblait à peu près certain que la présence e d’une communauté étrangère », soutenue par le gouvernement, échappant pratiquement à la juridiction de l’évêque, pourrait causer pas mal d’ennuis au vicariat. Quelle décision prendre?

Le vicaire apostolique consulta son évêque auxiliaire, Mgr Huys, qui donna une réponse nettement négative quant à l’introduction de Frères enseignants. Huys estimait que les Pères Blancs devaient entreprendre eux-mêmes cette oeuvre puisque le gouvernement le désirait. À son avis, la venue d’une congrégation nouvelle amènerait de nombreuses difficultés. Il était nécessaire que les missionnaires Pères Blancs dirigent cette école : ils en étaient capables.

Mgr Roelens n’était pas d’accord avec cette vision. Il ne pouvait admettre cette opinion. Le gouvernement colonial semblait désirer voir des Frères s’installer dans le vicariat. Il fallait l’accepter, mais pas n’importe comment. Le vicaire apostolique n’était pas prêt à se laisser imposer une décision. N’était-ce pas à lui de s’adresser directement à une congrégation enseignante pour entreprendre e l’oeuvre d’une école de clercs, comptables et commis a? Qu’en pensait Maison-Carrée?

Le conseil de la congrégation estimait qu’il valait mieux confier cette œuvre à des Frères spécialisés, et Roelens devait alors « voir lui-même les meilleurs moyens à prendre pour sauvegarder son autorité sur ceux-ci ». L’affaire en resta là. Ce ne fut que plus tard, après la première guerre mondiale, que le problème revint sur le tapis.

Cette correspondance au sujet de l’installation d’une congrégation spécialisée dans l’enseignement est éclairante. Elle montre que l’arrivée des Frères enseignants dans la colonie, fut, comme l’écrit W. Blondeel, « een stimulansprik » pour le développement des écoles dans le vicariat. En 1911, par exemple, Mgr Roelens notait :

« Je dois fournir à nos écoles tout ce qui sera nécessaire pour qu’elles puissent soutenir la comparaison avec les autres. Il faut que nous soyons prêt à prendre la tête de l’enseignement, si nous ne voulons pas le voir échapper de nos mains ».

Les temps avaient changé. Il fallait faire attention maintenant, et veiller au bon fonctionnement du réseau scolaire. Mgr Roelens restait, en tout cas fermement décidé à garder la haute main sur l’enseignement dans son vicariat, même s’il envisageait de faire appel à une congrégation de Frères.

Conclusion

Le vicariat du Haut-Congo occupe une place un peu particulière parmi les territoires confiés aux Pères Blancs. Cela tient en partie à la forte personnalité du vicaire apostolique, ainsi qu’au fait que la majorité des missionnaires du vicariat, Mgr Roelens en tête, étaient d’origine belge. L’influence des idées répandues dans les milieux catholiques de leur pays d’origine, détermina, sans doute, en partie, l’attitude des pères.

La situation géographique et politique du vicariat orienta aussi l’action scolaire de la mission du Haut-Congo dans un sens particulier. Situé sur les rives occidentales du Tanganyika et du Kivu, le vicariat se trouvait à la limite de l’État Indépendant du Congo. Il s’était développé d’une façon fort indépendante pendant de longues années. L’ouverture du pays par la découverte de gisements miniers et l’établissement de maisons de commerce fit sortir la région de son isolement.

La convention scolaire de 1906 d’abord, l’arrivée de congrégations enseignantes dans la colonie ensuite, stimulèrent l’action scolaire dans le vicariat. Mgr Roelens voulait garder une emprise aussi complète que possible sur les écoles. Ces établissements devaient conserver leur premier but : former des chrétiens d’abord, des bons citoyens ensuite. Il est important de noter, qu’un certain glissement s’opère lentement dans la situation scolaire. La convention avait créé une conjoncture particulière. La mission s’était liée à l’État colonial par un contrat. Il nous semble qu’ainsi, petit à petit, l’enseignement était en train d’échapper à l’emprise de la mission. Le premier but des écoles : convertir, former des chrétiens fervents et persévérants, allait peu à peu s’effacer pour faire place à une nouvelle finalité : former des bons citoyens, loyaux envers la colonie. Inconsciemment sans doute, l’école missionnaire devenait école coloniale et se mettait au service de l’État.

La convention de 1906 avait recommandé aux chefs de mission de créer des écoles dans lesquelles les enfants devaient recevoir des cours d’agriculture et apprendre les métiers utiles. On ne rencontre point cependant de véritables écoles professionnelles dans le vicariat du Haut-Congo. Les missionnaires se contentent, en général, soit d’envoyer les enfants dans les champs de la mission, soit de confier certains jeunes aux ateliers du poste où les frères coadjuteurs confectionnaient différents objets utilitaires. Une question se pose ici : pourquoi les pères manifestent-ils si peu d’intérêt pour les écoles professionnelles recommandées par l’État? Des raisons pratiques, comme le manque de ressources et de personnel qualifié ont, sans doute, empêché la réalisation d’éventuels projets de fondation, mais, il nous semble que la vraie cause de cet état d’esprit se trouve dans l’idée même que Roelens et ses missionnaires se faisaient du but de l’école.

« L’école, écrivait le vicaire apostolique du Haut-Congo, est un moyen de propagande religieuse très efficace. L’enfant païen qui fréquente l’école catholique commence par se dépouiller des préjugés superstitieux ; bientôt il se moque des pratiques païennes, adhère à la religion et se fait l’apôtre de sa famille ».

L’école doit convertir, être un instrument de propagande religieuse, et permettre ainsi de répandre la religion catholique dans le milieu africain. Tout le système scolaire des Pères Blancs est dominé par ces considérations. Il n’est donc pas étonnant de constater que les établissements scolaires qui s’écartent, même partiellement, de cette idée de base, ne se développent point.