6° Les Poèmes Dynastiques sous Cyilima II Rujugira.

24. On m’a envoyé m’informer de la chasse.
Bantumye kubaza umuhigo
Très beau et illustre Poème à impakanizi de 311 vers par Nyabiguma, fils de Sanzige, et petit-fils de l’Aède Muguta. Au moment de la composition du morceau, les hostilités contre le Burundi battent leur plein. L’Armée appelée Nyaruguru campe à Runyinya près Kinyovi, non loin de l’actuelle Mission de Kibeho, sous les ordres du prince Muciye, frère de Cyilima II. D’autres Armées s’apprêtent à attaquer le Gisaka.
L’Aède se trouve à Runyinya auprès du prince Muciye. Arrivent des bruits, suivant lesquels le Roi aurait décidé une expédition, soit contre le Gisaka, soit contre le Ndorwa. Muciye veut en avoir le coeur net et il envoie l’Aède à la Cour, pour prendre les informations à bonne source. Chemin faisant, Nyabiguma compose le Poème, dans lequel l’objet de son voyage sera présenté au Roi.
Très précieux à plusieurs points de vue ; grâce à ce morceau, nous pouvons par exemple, fixer les limites entre le Rwanda et le Gisaka à cette époque. Il corrobore les données des Mémorialistes. En un style très solennel, l’Aède s’y fait prophète des conquêtes à venir. Il nous a laissé également un renseignement secondaire qui complète cet ensemble à savoir que notre Cyilima II était chauve.

25. L’Arme qui donne la victoire aux Rois.
Ibyuma bitsindira Abami.

Poème ikobyo, fragmentaire, de 27 vers, composé par l’Aède Kalimûnda. Le morceau donna lieu à une joute oratoire célèbre dont il reste la série de Poèmes que nous abordons.
C’était au moment où les Armées se dirigeaient vers la frontière du Sud et l’Aède Kalimunda s’adressa au forgeron Muhabura fils de Bwayi (Bwayi,— que nous devrions orthographier Bgayi, — est le premier habitant de la localité désormais illustre, actuellement chef-lieu Religieux du Rwanda. Ce fut ce personnage qui défricha la colline qui s’appela de son nom Ka-Bgâyi ; c’est-à-dire : Habitation de Bgayi. Notons que prévaut désormais l’habitude de dire « i Kabgayi», alors que les aborigènes du Marangara disaient naguère « ku Kabgayi». La première expression signifie « à Kabgayi », tandis que la seconde veut dire « à la colline de Bgayi ).
pour avoir une javeline. Le poète déposa plainte contre lui devant le Roi et sa réclamation fut présentée en un morceau poé-tique. Comme il réclamait sa javeline, l’en-tête du poème se référa à cette arme, instrument des conquêtes.

26. L’Arme qui déchiffre les oracles des Rois.
Ibyma bimalira Abami urubanza.
Poème ikobyo de 58 vers, composition de Muhabura. Le forgeron s’était refusé à payer l’Aède, parce que ce dernier, comme la Coutume l’y obligeait, devait accuser en poésie. Or, le fils de Bwayi s’était exercé secrètement aux muses et cherchait une occasion favorable pour se produire à la Cour en qualité de Poète. Kalimunda, comme prévu, l’accusa en poésie. Sommé de se présenter au Tribunal, Muhabura se défendit en poésie à la grande surprise de toute la Cour. Kalimunda avait déclaré que c’était un double crime et de ne pas payer, et de ne pas livrer la javeline due, juste à cette époque d’expéditions. Le forgeron répliqua que le plus important était de forger des couteaux au lieu des javelines en temps de guerre. Avec le couteau, en effet, les aruspices ouvrent les viscères des poussins, des béliers et des taureaux, pour y découvrir les oracles grâce auxquels le Roi peut triompher. N’est-ce pas à la suite de pareilles consultations divinatoires que Dieu désigne le prince qui régnera sur le Rwânda ? Kalimunda ne comprendrait-il pas enfin qu’il préfère l’accessoire à l’essentiel ?

27. Lorsqu’un procès requiert la présence d’hommes âgés.
Iyo urubanza rwagombye abakuru.
Poème fragmentaire de 29 vers, composé par Nyamugenda, fils de Giharwa, invité par le Roi à trancher le débat. L’Aède désigné arbitre reprend les points de vue de ses deux collègues et donne raison à Muhabura. La « javeline » a son importance ; elle ne saurait toutefois égaler le « couteau » grâce auquel les humains acquièrent la science que Dieu a cachée dans les viscères d’animaux divinatoires dont les oracles servent à désigner le Roi.

28. J’apprendrai à Bagorozi le jour stratégique.
Mbwire Bagorozi umunsi ugumye.
Fameux Poème à ibyanzu de 105 vers, par Muhabura. — Le verdict de l’Aède Nyamugenda, ne fut pas accepté de tous : les avis restèrent partagés et il s’ensuivit des discussions animées. Le contenu des morceaux ultérieurs nous apprend que la pensée de Muhabura fut analysée et fort élargie. Il est vrai que le « couteau » sert à ouvrir les animaux dans les viscères desquels les aruspices déchiffrent les oracles imprimés par Dieu, et spécialement ceux ayant trait à la désignation du Roi. Mais le Roi est-il désigné pour vaquer aux consultations divinatoires, ou bien pour voler aux conquêtes des pays étrangers ?
Et Muhabura de saisir la balle au bon : « Puisque Vous parlez des conquêtes, répliqua-t-il, je Vous attaque sur votre propre terrain ! Sont-ce les Armées, ou bien les Libérateurs qui annexent les pays vaincus ? Le Libérateur est justement désigné, au moyen des mêmes consultations divinatoires, pour être suppôt du Roi. En cette qualité, il verse son sang « royal » sur le champ de bataille; et donne ainsi au Rwanda le droit de conquête sur le pays acheté au prix du sang versé. Avant que ne soit accompli ce sacrifice suprême d’une vie « royale », les Armées ne peuvent ni tuer un Roi étranger, ni saisir son Tambour Dynastique. Or un pays dont le Tambour reste en liberté, (c’est-à-dire : n’a pas encore été pris par le Rwanda) ne peut pas être légalement annexé.
Muhabura développe cette doctrine de l’institution des Libérateurs, qu’on ne trouverait nulle part ailleurs ainsi clairement formulée. Son Poème est adressé à Bagorozi, le plus important représentant du parti soutenant Kalimunda.

29. Les muses ont reconnu le compositeur de talent.
Zemeye inganzo ingongo.
Fameux Poème à ibyanzu de 196 vers, composition de Bagorozi. C’est une réponse au Poème précédent. Muhabura a tellement souligné l’importance du Libérateur, que la masse de l’Armée qui exploite son sacrifice semble inutile. Bagorozi s’attache à démontrer l’absurdité d’une telle conception des choses. Ni le Roi, ni le Libérateur ne peuvent se concevoir sans la masse du peuple ou de l’Armée. Par contre la masse de l’Armée accomplit des hauts faits d’éclat sans la présence du Libérateur tant prôné par Muhabura. Ce dernier est mis en défi d’être en même temps Libérateur et ramener du butin. Bagorozi rappelle à l’ordre son adversaire qui, dans les discussions extra-poétiques, se permet un langage qui manque d’élégance entre gens bien élevés ! (Rien d’étonnant : c’est un forgeron peu familiarisé avec les habitudes de la haute société).
Le Poème de Bagorozi est un document précieux sur la conquête du Nduga, telle que la tradition l’avait conservée jusque-là. Après la déclamation du morceau, le Roi se prononça en ces termes : « Toi Muhabura, tu es pareil à une vache qui beugle après son petit ». — « Quant à toi Bagorozi, tu es comparable à un trou qui brise la patte à une vache mère. » C’était dire que le premier avait bien composé, mais que Bagorozi l’avait réfuté avec vigueur.

30. Les guerriers doivent avoir un pionnier.
Abatabazi bagira ubatemera.
Poème à ibyanzu de 137 vers, par Ndamira, fils de Muhabura. Après que le Roi eut exprimé son opinion en des termes ambigus, le morceau de Bagorozi sembla devoir s’imposer. La Cour penchait fortement vers la thèse de la supériorité, de la préséance de la masse des guerriers sur le Libérateur (et indirectement sur le Roi, partie de la thèse que personne ne pouvait formuler ouvertement en propres termes). Alors l’Aède Ndamira vint en aide à son père. Il faut bien se rendre compte qu’entre la présentation d’un poème il se passait un certain temps proportionné au morceau-réponse. Le Poème reprend les conquêtes d’anciens royaumes effectuées sous le signe de Libérateurs. Rien de neuf quant au fond du débat : c’est la reprise de la thèse que Muhabura avait développée dans le poème N° 28 adressé à Bagorozi.

31. Le litige actuel ne peut être repris.
UrubAnza ruhali ntiruhumburwa.
Poème ikobyo de 91 vers, par Mbaraga fils de Bagorozi. Le compositeur considère la phrase du Roi comme une prise de position en faveur de Bagorozi, et que par conséquent le fils de Muhabura aurait mieux fait de se taire. Devant quel tribunal peut-on révoquer une cause déjà tranchée par le Roi ? Le morceau nouveau n’ajoute rien de neuf au Poème N° 29 de Bagorozi.

32. Les beaux jours se ressemblent.
Iminsi myiza irasa.
Poème ikobyo de 132 vers par Bagorozi après une grave maladie du Roi. Cyilima II était à la mort et le peuple ne put le voir, durant 8 jours. Après ce laps de temps, le Roi put se montrer. L’Aède nous décrit la joie du peuple qui revoit son maître bien-aimé, et la sollicitude de ce dernier rendant la justice et distribuant les bien-faits. Très beaux passages.
Ce devait être au début du règne. Le Poète y affirme que le Roi a triomphé de la mort, afin de ne pas laisser le pays entre les mains d’un enfant, comme il venait d’en être de Mwezi. Ce Roi du Burundi avait donc légué son Tambour à Mutaga III Sebitungwa (dit Semwiza : le Bel) encore enfant. Il devait, homme fait, devenir un guerrier de renom et se mesurer avec le même Cyilima II, assisté de ses fils grands guerriers.

33. Je dirai adieu au palais.
Nsezere ingoro.
Poème ikobyo de 106 vers, le dernier de Nzabonaliba. Il y avait alors des troubles au Burundi entre Mutaga III encore jeune et ceux qui exerçaient la régence. Le Poète le laisse entendre sans plus de précisions.
Nzabonaliba est vieux : il prévoit sa mort prochaine. Le Poème est d’adieu tant à la Cour qu’à la composition.

34. Les vaches sont commises à la garde d’un héros.
Zilimo umugabo.
Poème fragmentaire à impakanizi de 133 vers, dont le compositeur est inconnu. Il fut présenté au Roi pour célébrer une victoire éclatante remportée sur Mutaga III. Les paragraphes qui ont pu être recueillis exaltent les hauts faits des Rois Mibambwe I, Yuhi II, Ruganzu II et Mutara I, dont la « javeline » victorieuse léguée à leur descendant, venait de répéter les exploits des temps anciens.

35. Celui qui s’attire les représailles d’un tonnerre.
Utatiye inkuba
Poème à ibyanzu de 93 vers, dans les mêmes circonstances que le précédent. Le Gisaka y est représenté comme ayant formé une ligue avec le Burundi à l’effet d’anéantir le Rwanda. La victoire remportée sur le Burundi, le plus fort des alliés, doit faire réfléchir le Gisaka qui s’apprêtait à ouvrir les hostilités. Le vers 56 du poème nous laisse entendre que Mutaga III n’était pas encore entré personnellement en lice et que donc la lutte n’était pas encore au paroxysme encadrant le dévouement suprême de ce monarque et des princes des deux pays, qui devaient dans la suite verser volontairement leur sang en libérateurs sur divers champs de bataille.

36. 0 le vainqueur des Bashi.
Ruganza-Bashi.
Poème à impakanizi fragmentaire de 225 vers par Sebukangaga, dans les mêmes circonstances. L’Aède fulmine des menaces terribles, contre « ceux qui ont trahi l’alliance existant jusque-là entre leur pays et le Rwanda », c’est-à-dire le Gisaka. Il y manque les paragraphes concernant les 2 prédécesseurs immédiats de Cyilima II, à savoir Mibambwe II et Yuhi III.

37. Je me rendrai dans les forges, ô Excitateur des héros.
Nigabe mu ruganda Rugambilira-bagabo.
Poème ikobyo de 127 vers par Bagorozi, dans les mêmes circonstances que les précédents. Le Poète « prophétise » la défaite complète du Burundi et un butin incalculable qui sera dénombré à Runyinya, alors résidence royale. Le nom de cette localité fut changé, par le même Cyilima II, en celui de Mwulire, non loin de l’actuelle mission de Sâve. Cette nouvelle appellation de « Mwulire » (c’est-à-dire « Je-le-surplombe », ou : « Je-me-hisse-sur-lui ») symbolise, dans l’esprit de Cyilima II et de ses Biru (Dépositaires du Code Ésotérique) la supériorité de la Dynastie du Rwanda sur celle du Burundi et la défaite de ce dernier pays dans la lutte en cours. L’Aède interpelle à son tour le Roi du Gisaka, Kimenyi IV Getura, pour lui dire qu’approche l’heure où les Armées du Rwanda déclancheront l’attaque contre lui, et que la victoire sera bien plus facile à remporter.

38. Celui qui obtient la faveur du Roi.
Ubonye ubuhake bw’Umwami.
Poème ikobyo de 107 vers, dont le compositeur est inconnu. Il fut offert au Roi dans les mêmes circonstances que les précédents.

39. Le jour où il se déplaça de Mujyejuru.
Umunsi ymuka i Mwumba.
Poème fragmentaire de 24 vers, par Nyabiguma. Le Roi quittait ce jour-là sa résidence de Mujyejuru pour se rendre à Kamonyi. — Mujyejuru a le sens de « pousser vers le haut », et c’est pour cela que l’Aède le figure en « Mwumba » — «La feuille de babanier qui pousse en pointe ». Le Roi envoya un homme, du clan des Bega, pour dire à l’Aède de se dépêcher d’urgence pour le rencontrer en route, avant son arrivée à Kamonyi. Le fragment ne va pas plus loin.

40. Comment envoie-t-il les vaches pâturer dans le Nduga !
Ko abwilije inka i Nduga.
Poème à ibyanzu de 120 vers par Bagorozi. La tradition actuelle voudrait que ce fût le plus ancien du règne. Mais cela est inexact ; le Poème récapitule toutes les résidences du Roi, et celui-ci a déjà traversé la Nyabarongo pour le Cérémonial des Abreuvoirs (Le Cérémonial des Abreuvoirs (cfr Zaire, Avril 1947, article : Le Code esotérique de la Dynastie du Rwanda) était réservé aux Rois titulaires des noms Mutara et Cyilima. Avant l’accomplissement de ce cérémonial, ils étaient confinés dans la boucle de la Nyabarongo et de la Kanyaru, tout comme les Rois du nom de Yuhi. Lorsqu’arrivait le moment de célébrer cette imposante liturgie, qui était censée perpétuer et multiplier la Vache au Rwanda,Mutara et Cyilima étaient désormais confinés dans la province du Bwanacyambwe qu’ils ne pouvaient quitter sous aucun prétexte. Ainsi traversaient-ils la Nyabarongo une fois dans leur vie, pour se rendre à l’Est de la rivière. En ce moment leur successeur était désigné, quoique cette désignation restât ignorée de l’intéressé qui en était l’objet. Il n’en était informé que bien plus tard, au moment où son père demandait au prince (futur Kigeli) d’indiquer lequel de ses fils lui succéderait sous le nom de Mibambwe, lequel restait à son tour dans l’ignorance du choix dont il avait été favorisé). C’est donc au moment où son successeur était déjà désigné, et par conséquent vers la fin du règne. Le prince Ndabarasa, qui va gouverner le pays sous le nom de Kigeli III, a déjà remporté des victoires sur le Royaume du Ndorwa. Puisque le Roi a traversé la Nyabarogo et qu’il se trouve dans la province du Bwanacyambwe, nous entrons dans une phase importante de la littérature Dynastique sous Cyilima II.

41. La soif du tambour. Inyota y’ingoma.
Poème à ibyanzu fragmentaire de 80 vers, par Musare, fils de Kalimunda. Avec le présent morceau, nous abordons une série distincte des Poèmes du grand règne. D’importantes dispositions ont été prises entre temps, à l’effet de triompher définitivement du Burundi. Des libérateurs offensifs du Rwanda et les défensifs du Burundi ont déjà versé leur sang ; parmi ceux-là le grand Mwiru (singulier de Biru) Rubona de la famille des Batsobe, et parmi ceux du Burundi, le prince Kivumajoro descendant de Mwambutsa.
De part et d’autre, deux libérateurs d’importance ont été désignés : au Rwanda le prince Gihana, fils de Cyilima II, et au Burundi le prince Rurinda, fils de Gakamba. Ils s’entretuent dans un duel fameux et leurs fidèles sujets complètent l’hécatombe. Le prince Karara, petit frère de Gihana, est tué dans la même bataille, ainsi que leur cousin Mparaye. (« Seule la mort de Gihana était libératrice, parce que survenue dans les circonstances prévues par le cérémonial d’investiture royale » ; le sang du Libérateur est en effet versé à la place de celui du Roi, dont l’élu est le suppôt. Quant aux princes compagnons de Gihana, leur mort était ordinaire, celle de héros tout au plus).
Malgré les exigences de la Dynastie qui lui ont imposé pareil sacrifice, Cyilima II ne peut rester impassible devant la perte de ses fils. L’Aède Musare vient le consoler, en lui dédiant le Poème jadis fameux, mais en grande partie perdu. Il y passe en revue les Libérateurs antérieurs et les régions annexées par le Rwanda à la suite du sacrifice de leur vie. « La soif du Tambour ne s’étanche que par une eau trop précieuse » (c’est-à-dire le sang des héros). Le titre du Poème est un programme d’un sauvage patriotisme.

42. Rien ne console tant que d’engendrer.
Nta kamara ishavu nko kubyara.
Poème ikobyo de 123 vers, par un Aède inconnu ; à la mort de Gihana. Celui qui le dicta croyait qu’il avait été composé par Ngurusu, sous Kigeli IV Rwabugili. Mais la teneur du morceau nous oblige à le placer en cet endroit. Aucun autre Roi ne livra son fils à la mort libératrice.
Au moment de la composition, le Buyenzi n’était pas encore annexé, soit avant le règne de Yuhi IV, grand-père de Kigeli IV. Il est question d’une pluie longtemps attendue ; les Mémorialistes parlent d’une grande sécheresse qui causa une effroyable famine surtout au Burundi à la mort de Mutaga III, dont le sacrifice suprême suivit de près celui de Gihana. Nous en avons donné un extrait au chapitre des lectures.

43. Lorsqu’on pleure celui qui est cause de sa mort.
Ulilira uwiyishe.
(La série des Poèmes que nous abordons est caractéristique, en ce sens que ces morceaux donnent le signal de la conquête du Gisaka par le Rwanda. Jusque là Kimenyi IV Getura était devenu l’allié du Burundi et du Bugesera au Sud-Ouest, ainsi que du Ndorwa au Nord. Toutefois, la Rwanda n’avait eu à combattre ouvertement que le Burundi, tandis que les autres alliés attendaient le moment favorable pour entrer en lice. La mort de Gihana fut l’occasion opportune aux yeux du monarque du Gisaka. Il envoya à Cyilima II, comme déclaration de guerre, 60 vaches laitières, sous forme de cadeau de condoléance. Les messagers qui les amenaient à la Cour du Rwanda avaient reçu l’ordre de ne pas traire ces vaches devant Cyilima II, et de s’expliquer par la réponse suivante : « Nous ne pouvons traire ses vaches, puisqu’elles sont devenues la propriété du Roi du Rwanda ! Étant donné, en effet que le Rwanda n’a plus de princes qui puissent traire pour Cyilima, il est tout naturel que les génisses sucent tout le lait de leurs mères I » — C’était dire, en langage pastoral du Rwanda, que Cyilima était désormais sans défenseur et entièrement privé d’appui, depuis la mort de son fils héros Gihana, que les étrangers croyaient être le prince héritier. Dans cette dernière supposition, la Dynastie du Rwanda était supposée éteinte, en principe, puisqu’il était impossible qu’il y ait plus d’un prince susceptible de régner. — Cyilima II répondit aux messagers du Gisaka : « Vous vous trompez énormément, ainsi que votre maitre ! Gihana a versé son sang en héros et sa mort est justement gage des triomphes du Karinga ! Quant à Kimenyi, apprenez-lui de ma part que je le tuerai après l’avoir privé de ses enfants ! » (Nzamwica mufatiye akaraga). —Cet événement des 60 vaches laitières déclancha la composition des Poèmes que voici, et les Armées du Rwanda attaquèrent le Gisaka qui s’y était préparé. Ce que voyant, le Royaume du Ndorwa vint au secours du Gisaka. De la sorte le Rwanda dut aligner ses guerriers contre trois Royaumes puissants à la même époque, en attendant le Bugessera qui les imiterait sous le règne suivant).

Poème ikobyo de 120 vers, composé par Muhabura. Il souligne que la politique de Kimenyi IV Getura lui est inspirée par sa femme favorite, princesse du Burundi.
Depuis le règne de Kigeli II Nyamuheshera, il existait entre les deux Dynasties, une alliance en vertu de laquelle le Roi du Rwanda était protecteur du Gisaka. Kimenyi IV va bientôt se repentir de cette félonie.

44. Il est fatal aux Rois d’être félons.
Umwami azira kubeshya.
Poème à ibyanzu de 199 vers, composé par Nyabiguma dans les mêmes circonstances que le précédent. Le Poète rappelle que Kigeli II vint au secours du Gisaka humilié et releva sa Dynastie lorsque le Ndorwa le vainquit et tua sa Reine Mère. Les Armées du Rwanda battirent le Ndorwa et firent remonter Kimenyi III Rwahashya sur le trône du Gisaka. Il rappelle que Kimenyi IV lui-même fut l’hôte de Yuhi III en des jours mauvais. Le monarque félon sera battu, non seulement par la vengeance du destin, liée à la trahison, mais encore par une malédiction de ses ancêtres qu’il offense doublement : 1) en dénonçant l’alliance du Rwanda qui avait restauré leur Dynastie humiliée ; 2) en s’alliant à la Dynastie du Ndorwa encore chargée du sang de la Reine Mère de Kimenyi III Rwahashya, protégé de Kigeli II Nyamuheshera.

45. Une insulte dépasse une autre en gravité.
Igitutsi kiruta ikindi.
Poème à ibyanzu de 186 vers, composition de Bagorozi, dans les mêmes circonstances que les précédents. Le Poète rappelle les mêmes événements concernant Kigeli II et Kimenyi III. Il y ajoute que Kimenyi IV feint de considérer Cyilima II comme usurpateur, la dignité de Roi revenant aux fils de Rwaka (Yuhi III Mazimpaka souffrait d’une folie intermitente qui ne lui permettait pas de gouverner le pays d’une manière suivie. Comme la dignité royale ne peut être enlevée au prince désigné, les Biru jugèrent opportun de lui donner un co-régnant, en la personne de Rwaka, son fils aîné. Il fut intronisé sous le nom de Karemera I. C’était du même coup remplir la promesse que le grand Ruganzu II Ndoli avait faite à son tuteur Karemera Ndagara, Roi du Karagwe que son nom royal serait adopté par les Banyiginya du Rwanda. A la mort deYuhi III, Rwaka ne voulut pas céder sa place au prince Rujugira que les Biru disaient être le véritable Roi. Ce dernier ne voulut pas non plus lutter par les armes à l’effet d’évincer Rwaka. La situation dura assez longtemps, puis finalement Rwaka abdiqua de son propre mouvement et les Biru intronisèrent Rujugira sous le nom de Cyilima II).
L’Aède s’en moque bien et reproche au monarque étranger d’avoir dénoncé l’alliance ancestrale à l’instigation d’une femme. Et c’est une critique qui en dit long sur les lèvres d’un homme rompu aux traditions de cour. Les décisions et désirs d’anciens Rois sont sacrés : les enfreindre, c’est s’attirer leur vengeance inéluctable.

46. Je viens te raconter une nouvelle, ô Karînga.
Ndâje nkubalirelfre inkurui Nyankurwe.
Poème fragmentaire de 30 vers, composé par Kagaju. Il rapporte au Karinga, Tambour Dynastique du Rwanda, une conversation surprise entre le Rukurura du Gisaka et le Kalyenda du Burundi. Celui-là pense qu’il vaudrait mieux se soumettre de bon gré, sans attendre que les Armées du Rwanda le prennent de force après la victoire qu’elles devront infailliblement remporter.

47. La suprématie s’attache à une seule lignée.
Ubuhatsi bugira ubwoko.
Poème à ibyanzu de 178 vers, composé par Bagorozi. Après la mort en Libérateur du prince Gihana, les Biru du Burundi ont jugé nécessaire qu’un Libérateur défensif d’importance devait verser son sang. Mutaga III lui-même, désigné par le sort, accepta le sacrifice suprême pour arrêter les succès du Rwanda. Il est tué à la bataille livrée dans la localité appelée Nkanda, dans notre province actuelle du Buyenzi, au Burundi à cette époque.
L’événement est célébré par Bagorozi dans le présent morceau d’un lyrisme exubérant.

48. Lorsque les héros deviennent innombrables.
Iyo intwali zabaye nyinshi.
Poème actuellement fragmentaire de 71 vers, compose par Nyabiguma, pour célébrer la mort de Mutaga III. Il devait être à impakanizi ; quatre paragraphes y chantent les hauts faits de Cyilima I, Kigeli I, Ndahiro II, et Ruganzu II.

49. Ensanglantée est la corne qu’il enfonce dans le sein des autres pays.
Liratukuye ishyembe icumita ibindi bihugu.
Poème fragmentaire à impakanizi de 189 vers. Ce morceau a une histoire qui le place à part dans la collection du genre. Il fut composé primitivement par le Roi Ruganzu II Ndoli, en collaboration avec l’Aède Rwozi. A la mort de Mutaga III, le Roi chargea Bagorozi de compléter le fameux Poème,en y ajoutant les paragraphes des successeurs de Rugânzu II, jusqu’au règne même de Cyilima II, afin d’y introduire les hauts faits récemment accomplis contre le Burundi. Le Poète ne se contenta pas d’ajouter : il refondit le morceau et glissa de nouveau vers jusque dans l’introduction.
De la première composition il ne subsiste que des passages de l’introduction ainsi que les paragraphes exaltant Mibambwe I et Yuhi II. Il y manque les paragraphes concernant Ndahiro II et Ruganzu II lui-même et cela dans toutes les nombreuses dictées que nous avons recueillies du fameux Poème.
Nous y relevons le fait qu’après la mort de Mutaga III, les Régents du Burundi tentèrent d’obtenir que Cyilima II acceptât de faire revivre l’ancien pacte de non-agression entre les deux pays. Les avances du Burndi furent repoussées : le Rwanda entendait exploiter les avantages procurés par le sang de Gihana. Sa mort avait définitivement coupé les ponts entre les deux Dynasties. Le Poème affirme que «cette corne qui venait d’éventrer récemment le Burundi, était en train de transpercer le Gisaka ». Le prince Sharangabo, fils de Cyilima II, à la tête de l’Armée Abakemba, faisait reculer le Gisaka au sud du Muhazi, tandis que Mahuzi fils de Sendakize, chef de l’Armée Intarindwa repoussait les Guerriers de Kimenyi IV au Nord du même lac.

50. Il faut que je proclame des vérités.
Nihe amajerwe.
Poème à ibyanzu de 248 vers, par Bagorozi. La coutume veut qu’un Aède Dynastique, désormais incapable de composer, pour raison d’âge, présente au Roi un morceau d’adieu aux muses. C’est le cas pour la présente composition. L’Aède sait que le jour approche où il ira rejoindre le collège des anciens Rois, dans le monde des esprits.
Bagorozi savoure à l’avance son bonheur, à la pensée de retrouver les ancêtres de Cyilima II. Il se représente leur assemblée et nous rapporte une série de questions que le collège des Rois pose à Yuhi III, à l’effet d’apprendre de lui les hauts faits de son fils.
La lecture du morceau ne nous permet pas d’en attacher la composition à quelque événement connu du règne de Cyilima II.

51. Rien ne saurait avoir des intentions aussi perverses qu’un traître.
Nta kigira inama mbi nk’intati.
Poème fragmentaire ikobyo de 53 vers, par Ngogane, fils de Bagorozi. Celui-ci est mort. L’un de ses parents a le malheur de tuer un homme, de la famille des Bannyoli.
Le meurtrier va se cacher chez un nommé Bigeyo, ami sûr de la famille qui s’est engagé à le recéler, car les parents du défunt le recherchent pour assouvir la vendetta.
Mais Bigeyo agit entretemps pour noircir la famille de Bagorozi, comme étant devenue un repère de mauvais sujets vis-à-vis du Roi. Il parvient à se faire octroyer le commandement de leur sous-chefferie de Kiruli dans la province actuelle du Nyaruguru. De plus, complétant sa félonie, il livre aux Bannyoli le meurtrier de leur parent. — Les deux événements ouvrent les yeux à Ngogane, resté chef de la famille de Bagorozi. Il présente au Roi le Poème par lequel il flétrit, en des termes énergiques, l’hypocrisie de Bigeyo, sa traîtrise, son esprit pervers, sa duplicité. Il conseille au Roi de se garder de pareilles gens : « Ce sont des épines qui blessent celui qui s’en approche. » Merveilleuse description de l’hypocrisie.

52. Lorsque c’est le tour du tambour d’abreuver.
Umurambi w’ingoma.
Poème à ibyanzu de 185 vers, par Musare. Le prince Gihana avait été tué en Libérateur offensif au Burundi. Ce sacrifice hautement patriotique est souligné à nouveau, bien longtemps après l’événement. Le Poème dit en propres termes que Mutaga III avait été tué, il s’était sacrifié quelque temps après Gihana. L’Aède n’entend cependant pas célébrer Gihana seul : il rappelle les principaux Libérateurs antérieurs dont le prince est devenu l’émule.