4° Les Poèmes Dynastiques sous Mibambwe II Gisanura.

6. Qu’à l’instar de tambour j’éveille le Roi.
Nugure Ngozi nk’ingoma.
Poème à impakanizi de 223 vers, du même Aède. Si les compositions de Muguta sous Kigeli II ont été irrémédiablement perdus à la mort de Ruzage, il n’est pas de même de ceux qu’il produisit sous Mibambwe II. Le Rhapsode Munanira, habitant dans la Province du Bunyambilili, le seul qui possède le texte du morceau, a complètement oublié le paragraphe concernant Kigeli II. Le Poème contient 9 paragraphes, à partir de Ruganzu I Bwimba.
Muguta composa ce Poème dans les circonstances suivantes : le Roi avait donné une réception en l’honneur des Chefs et l’Aède avait absorbé un peu trop de boissons enivrantes. Ne sachant plus ce qu’il faisait, il alla se reposer sur la couche du Roi, acte sévèrement interdit par la Coutume. Revenu à lui-même, il comprit la gravité de sa situation. Il se hâta de composer le morceau, pour présenter ses excuses. Le Poème contient des mots archaïques dont la compréhension n’est pas aisée, et aussi des formules de figures, fort difficiles à interpréter. Mais il constitue un document traditionnel des plus précieux, si l’on considère que nous avons là ce que la dixième génération de nos ascendants savait des 9 générations antérieures.

7. 0 toi qui fiances parmi les Bakono !
Kireshya-Bakono.
Poème à ibyanzu de 155 vers, du même compositeur. C’est un Poème fameux, dont presque chaque Mututsi élevé à la Cour parle, sans pour cela en connaître le premier mot ! Il est fameux surtout à cause de son histoire. Le texte complet en fut dicté par un nommé Rurindamanywa, le seul Rhapsode qui en savait l’entièreté. Les Bakono dont il est question dans l’en-tête du morceau, forment un Clan de la haute noblesse, qui donna plusieurs Reines Mères à la Dynastie. Et voici les circonstances qui donnèrent lieu à la composition du Poème :
Un Chef avait offert au Roi un taureau de boucherie, à robe merveilleusement zébrée : la régularité des raies en faisait un événement unique. Et c’est la peau que le Chef en question avait voulu offrir à son maître. La Reine Mère qui désirait cette merveilleuse peau, chargea Muguta d’aller en informer le Roi. L’Aède prit son temps et composa le Poème que voici, certain d’obtenir, par ce moyen, l’objet de sa mission. Le refrain du morceau est celui-ci :
« Donne-le moi, ô Refuge, et tu y gagneras doublement : « Car je te récompenserai et t’en remercierai !…
Cette récompense promise au Roi, l’Aède l’expose au fur et à mesure que se déroulent les paragraphes : il ira devant son maître et lui montrera les gués de la Nyabarongo, par lesquels, des régions centrales du Nduga, il pourra passer à l’Est de la rivière et arriver dans les domaines patriarcaux situés dans les provinces orientales du Bumbogo et du Bwanacyambwe.

8. Chanceux que je suis de devoir y assister, à la traversée.
Kizi nzaba mpali mu kwambuka.
Poème à ibyanzu, fragmentaire de 52 vers, par Rukungu. Le morceau précédent de Muguta dut provoquer des critiques animées ; l’Aède Rukungu fils de Kimuna composa le présent poème pour le réfuter. Rukungu était du Clan des Basinga. Il avait été, au début de sa carrière, l’un des protégés de l’Aède Muguta, mais ils s’étaient séparés en ennemis. La tradition affirme que Rukungu avait été parmi les courtisans dont les délations contre Muguta avaient donné lieu à la composition du Poème « Nkure ibirego » ci-dessus étudié. Et que reproche-t-il au Poème de son ancien protecteur ? Il dit ceci, en résumé : « Quelle idée bizarre de promettre au Roi une récompense, pour le déterminer à se montrer généreux ! Et puis, ces gués de la Nyàbàrôngo que tu lui promets, t’appartiennent-ils ? Ne sont-ils pas la propriété de sa Maison » ? Est-il en ton pouvoir de lui en interdire l’accès dans le cas où il te refuserait l’objet de ta demande ? Comme je suis de ses familiers et l’accompagne partout, je me réjouis à l’avance de devoir assister à la scène de son passage, lorsque tu lui opposeras tes droits ! — D’où le titre du Poème.
A l’encontre de l’exposition de Muguta, Rukungu passe en revue les divers gués et souligne sa volonté de faciliter au Roi le passage de la rivière, soit pour aller au-delà, soit pour revenir dans le Nduga. Rukungu eut gain de cause et Mibambwe II lui donna le taureau zébré pour le remettre à la Reine Mère.

9. Ah! viens ! Ah! vis longtemps.
Ye kaze ! Ye karame !
Poème ikobyo de 132 vers, par Muguta. Le Rhapsode Munanira qui pouvait seul le déclamer en entier ignore dans quelles circonstances le morceau fut composé. Sa lecture laisse conjecturer que le Roi relevait d’une grave maladie, car il a l’allure d’une action de grâces. Il y est fait allusion au conflit qui avait éclaté entre le Roi et Ntare III Kivimira du Burundi d’une part, et Kimenyi III Rwahashya du Gisaka d’autre part. Ce morceau, comme en général tous ceux de Muguta, et fort difficile à interpréter.

10. Il faut me résoudre à un parti, je suis à l’extrémité.
Nigire inama, nanoga.
Poème à impakanizi de 206 vers, du même Muguta, dictée du même Rhapsode Munanira. Tous les paragraphes sont au complet, depuis le règne de Ruganzu I Bwimba. Très précieux au point de vue traditionnel. Il fut composé dans les circonstances que voici :
Muguta possédait un troupeau de vaches appelé Ingwe (Léopards), à cause de leur robe tachetée de blanc sur fond noir. Le Roi exprima le désir de s’approprier ce troupeau, unique dans le pays, en dédommageant l’Aède aussi largement que l’imaginer se pouvait. Le propriétaire du troupeau fit la sourde oreille, et le Roi s’en montra fort offensé. L’Aède comprit, un peu tard, son manque de tact : toutes les vaches du pays n’appartiennent-elles pas au Roi ? Il vint donc offrir au Roi le troupeau en question, l’accompagnant d’un morceau justement fameux dans la descendance. Il n’omit évidemment pas de rappeler au maître sa première intention de lui donner d’autres vaches en compensation. Le refrain du Poème confirme à suffisance la tradition ici consignée :
« J’ai retenu le troupeau et ta colère s’en est enflammée : Prête-moi l’oreille que je te présente mon cadeau bovin, afin qu’il m’en mérite de pareil en retour. »

11. 0 nouvelle réjouissante pour les bovidés !
Ye nkuru yizihiye inka !
Poème à impakanizi de 224 vers, que nous avons attribué à Muguta. Le Rhapsode Karera qui le dicta en ignorait l’auteur et les circonstances de la composition. Le style est incontestablement de Muguta, qui le dédia au Roi après une victoire inespérée, très probablement sur Ntare III du Burundi qui pouvait alors seul inquiéter le Rwânda à ce point. Notons, en effet, que les démêlés avec Kimenyi III Rwahashya, du Gisaka, n’en arrivèrent jamais aux luttes armées.
Le morceau n’offre guère quelque intérêt comme document traditionnel ; la complication de ses figures le rende en grande partie inutilisable. Ajoutons que chacun de ses paragraphes est par-dessus le marché alourdi par un triple refrain : un au début, un deuxième dans le corps et un troisième à la fin.