Nous avons relaté tout ce que nous avions pu apprendre de sérieux sur l’histoire du Royaume du Gisaka.
Avant de passer à l’histoire des principautés autonomes, issues du morcellement de ce Royaume, nous croyons utile de donner un aperçu généalogique de l’ensemble du clan royal du Gisaka, ce qui mettra en lumière les liens de sang existant entre ceux de ses membres que nous verrons jouer un rôle public après la disparition du Royaume.
Sur les branches cadettes issues des huit premiers Bami du Gisaka, nous ne savons à peu près rien. Cependant, parmi les notables Bazirankende actuels du Territoire de Kibungu, deux au moins descendent incontestablement de ces Bami anciens et point des Bami plus rapprochés de notre époque. Ce sont :
1)Gatunzi, Chrysostome (né vers 1910), juge assesseur au Migongo et frère de l’ex-sous-chef de Nyakabungo, Kadogo Charles ;
2)Kabunga (né vers 1905), également juge assesseur au Migongo.

Voici les ascendants paternels directs de chacun de ces deux notables :GATUNZI de
Kajangwe
Rukaburacumu
Rukamba
Nyakazana
Nyarugongo II
Muranga
Mpumura
Musikari
Ngore
Nyarugongo I
Nyaruramba
KIMENYI II Shumbusho etc.
2) KABUNGA de

Nkuba
Busenene
Mudahigwa
Kabuzi
Nyakarashi
Rukoni
Shingungu
KIMENYI III Rwahashya
etc.

A noter que Kajangwe (père de Gatunzi qui, jeune garçon, avait assisté en 1876 à la tentative de débarquement de Stanley au Ruanda et qui ne devait mourir qu’en 1949) a cité avec assurance ses ascendants masculins directs en remontant le cours des âges, mais a été incapable de préciser l’identité du Mwami Kimenyi à partir duquel la lignée dont il procédait s’était écartée de la lignée royale.

Kabunga, par contre, a déclaré sans hésiter, qu’il descendait d’un fils cadet du Mwami Kimenyi Rwahashya… ce qui – vu le nombre minime de générations séparant l’intéressé du dit Kimenyi Rwahashya- confirme le témoignage de l’abbé Kagame, suivant lequel ce Kimenyi n’était pas le fils de Kagesera, mais un Mwami bien plus moderne. Ces témoignages doivent être rapprochés de celui du Chef Lyumugabe que nous avons consigné précédemment. (Ajoutons qu’il y a lieu de ne confondre Kajangwe, père de Kadogo et de Gatunzi, ni avec le sous-chef mugesera du même nom qui commande encore au Mutara, ni avec le notable mwungura du même nom, qui commanda, sous Musinga, deux collines au Migongo).
En dehors du Territoire de Kibungu, nous connaissons quatre autres notables bagesera en vue se rattachant à la ligne royale du Gisaka au-delà de Ruregeya. Tous les quatre descendent du Mwami Kimenyi III Rwahashya (père du Mwami Kwezi et grand-père du Mwami Ruregeya). Ce sont :
1. Kigwira François, sous-chef dans le Territoire de Shangugu (dont le père, Nyabugando, fut également s /chef) descendant de Kamanzi, de Rwema, de Nyagatuntu, de Bisoza, de Rububuta, de Gashya, de Bushyo, de Muhuruzi, de Kizihiza, de Kimenyi Rwahashya.
2-3. Les frères Badege Pierre et Kanuma Alexis, tous les deux actuellement sous-chefs dans le Territoire de Nyanza, dont la lignée ascendante mâle s’établit comme suit : de Rwangeyo, de Ruhamanya, de Gatambira, de Muyengeri, de Rwanahe, de Ruyimbu, de Kimenyi Rwahashya.
4. Nkeramugaba ,Joseph, cousin germain des deux précédents, sous-chef dans le Territoire de Ruhengeri, fils de l’ex-sous-chef Buyenge, lui-même fils de Ruhamanya, de Gatambira, etc. (comme aux 2-3 ci-dessus).

Crépuscule de la Royauté des Bagesera Bazirankende.

Kimenyi Getura avait plusieurs fils et petits-fils, de nombreux frères, neveux et petits-neveux. Néanmoins par un malheureux concours de circonstances, c’est avec lui que devait prendre fin la Dynastie royale des Bazirankende.
Ceci ne fut pas seulement la conséquence des dissensions intestines des candidats à la succession du vieux monarque et de l’affaiblissement des liens qui retenaient ensemble les diverses régions du Royaume, mais bien plus encore le résultat de la déchéance de principe dont se trouva frappée la Dynastie, au nom de certaines traditions inviolables, sur lesquelles nous reviendrons.
Se croyant arrivé au terme de sa carrière terrestre (vraisemblablement vers 1780), le Mwami Kimenyi songea à désigner un héritier présomptif et son choix tomba sur Rwanjara, l’un des fils de sa principale compagne, Nyabarega. Quand le Mwami eut dévoilé à celle-ci ses intentions, elle s’opposa à leur réalisation avec véhémence, car elle nourrissait une haine tenace contre la jeune épouse de Rwanjara (une mwungura dont le nom n’est pas arrivé jusqu’à nous) la soupçonnant – à tort ou à raison – d’avoir inspiré la décision du Souverain, à la faveur d’une liaison honteuse avec ce dernier. Le vieux Kimenyi s’entêtant dans son projet, Nyabarega tenta de se défaire de la bru détestée, en lui envoyant en présent de l’hydromel empoisonné. Mais, c’est Rwanjara qui but le breuvage et en devint – dit-on – sourd, muet et impuissant pour le restant de ses jours.

La tradition rapporte que Kimenyi découvrit bien vite la main de Nyabarega dans la machination dont son fils préféré avait été victime et qu’il attribua l’empoisonnement de Rwanjara au désir qu’avait sa mère de mettre sur le trône un autre de ses fils. Aussi Nyabarega fut-elle maudite avec toute sa descendance et solennellement répudiée. De cette déception du vieux souverain est né un dicton gisakien : « utandebya nk’ inda ya Nyabarega» ce qui signifie : « ne me faites pas ce qu’a fait le sein de Nyabarega » (…qui a trompé les espérances de Kimenyi, sous-entendu).

A quelque temps de là, Kimenyi prit pour femme une certaine Nyiramagwegwe, jeune fille d’une rare beauté et de haut lignage (elle appartenait à la famille régnante de l’Urundi) laquelle après quelques années de pénible attente, donna à son époux cacochyme un fils : Zigama. Ne se sentant pas de joie, Kimenyi le proclama sans tarder héritier du tambour, avec toutes les cérémonies d’usage.

Cependant, les fils adultes de Kimenyi – Mukerangabo, Kakira, Rusumbantwari, Seburiri, Bigondo – s’appuyant sur leurs amis et sur leurs serviteurs, s’étaient octroyés des commandements territoriaux, tant dans le Migongo que dans le Gihunya, sans trop se préoccuper de la volonté de leur père.
Pour se maintenir au pouvoir, celui-ci avait du s’appuyer – au cours de ses dernières années – sur son neveu Sebakara (fils de Muhutu), auquel il avait donné le Mirenge et sur un important « client » de Sebakara – Rwamigongo, qui contrôlait le Bwiriri. Et, bien qu’il continua à être reconnu par tous comme Roi, son pouvoir ne s’étendait directement que sur quelques collines dispersées dans le Royaume. Personne n’osait le supprimer, mais tout le monde guettait sa mort avec impatience.

Dans cette conjoncture, Kimenyi ne pouvait manquer de ressentir de grandes appréhensions pour son dernier-né. Aussi prit-il le parti de le mettre en sécurité dans le pays d’origine de sa mère : le Burundi.
Mais cette mesure, hélas, ne devait pas le sauver : des gens à la solde de Mukerangabo (l’aîné des fils survivants de Kimenyi) se mirent à sa poursuite et le massacrèrent, avec sa mère, au gué de Karehero, sur la Kagera.
C’est ce tragique événement qui mit fin à l’existence dynastique de la Maison des Bagesera Bazirankende et qui détermina, d’une manière directe, le démembrement du Royaume.

En effet, si Yoboka, le premier-né de Kimenyi (mieux connu sous le nom de « Karenga ») et ensuite Rwanjara, son fils préféré, avaient été plus ou moins ouvertement choisis par le Roi pour prendre sa succession, aucun des deux n’avait eu le temps de recevoir l’investiture officielle au Tambour Rukurura. Au contraire, la proclamation de Zigama comme héritier du Tambour avait été réalisée conformément aux canons de la tradition gisakienne, c’est-à-dire en trempant cérémonialement neuf fois de suite, le jeune élu dans les eaux de la fontaine sacrée de Rugazi (qui s’échappe de la colline Bisenga, dans le Gihunya, entre Kibungu et Rwinkwavu) et en procédant ensuite à son investiture solennelle à Murama (lieu-dit de la colline Rukira).
Or, dans les pays à Codes ésotériques (c’est-à-dire dans tous ceux où la culture hamitique est prédominante) personne ne peut être intronisé (c’est-à-dire hériter d’un Tambour dynastique, avec la plénitude des pouvoir souverains) s’il n’est fils du dernier titulaire du Tambour (Légitimité de la succession au trône : A rigoureusement parler, au point de vue traditionnel, le Mwami Musinga, père du Mwami actuel, fut donc un souverain « diminué », en ce sens qu’il succéda non à son père (Rwabugiri), mais à un frère (Rutalindwa).

Zigama étant mort sans descendance à un moment où il était déjà, de jure, titulaire du Tambour royal – le Gisaka se trouvait condamné à demeurer pour toujours sans Roi.
Il vaut peut-être la peine de noter qu’au déclin de sa longue vie, Kimenyi Getura reçut – suivant la croyance populaire – le don de prophétie.
Ainsi, comme par une belle fin d’après-midi – rentrant de promenade et se dirigeant de Birenga vers Murama – il passait par Sakara, son pied heurta durement une pierre, le faisant trébucher. « Vive le Roi)) s’écria-t-il en se relevant. Et comme son compagnon le mwiru Rwamugenza s’étonnait de son exclamation, il lui dit : « C’est un hôte-Roi qui a jeté le tien par terre… mais il ne sera pas longtemps souverain». -Allusion, croit-on, au Gisaka, à la conquête imminente du pays par le Ruanda… et à la limitation ultérieure des pouvoirs souverains des Bami du Ruanda par l’autorité européenne.

Poursuivant son chemin, il ne se trouvait plus qu’à quelques dizaines de pas de son rugo de Murama, lorsqu’il trébucha à nouveau contre une pierre et il s’exlama : «Akana k’akazungu karakizunguye» ce qui signifie – en se rapportant vraisemblablement à la colline royale de Murama- « les successeurs des usurpateurs vont en hériter ».-Nouvelle allusion à la rapide succession des conquérants à venir : banyaruanda et européens.
Cette fois-ci, comme le mwiru témoin ne demandait aucune explication, le Mwami ajouta spontanément : «Mais malheureux, alors, seront mes apiculteurs, car leurs bananes mûriront sur leurs propres têtes » – allusion au portage de vivres que les conquérants allaient imposer aux banyagisaka.

Pour apprécier le caractère symbolique de ce récit, il faut se rappeler que c’est à Sakara que le Mwami Rwabugiri – premier souverain ruandais venu au Gisaka – devait installer sa demeure et que c’est à Murama, lieu-dit de la grande colline Rukira, que serait un jour établi le premier chef-lieu européen du territoire gisakien (poste de transit allemand entre Zaza et Bukoba, puis centre de district britannique, enfin – résidence de l’administrateur belge du territoire de Rukira).