1. a) Les caractéristiques physiques et culturelles de base



17….4e Rwanda traditionnel est habité de trois Ethnies ; dans l’ordre chronologique d’ancienneté : les Batwa, les Bahutu et les Ikautsi. Le terme Batwa, déborde de loin la zone interlacustre ; nous le voyons, en effet, en usage en Afrique méridionale pour désigner les Bushmans = Batwa, et en Afrique centre-occidentale (sous les formes Batchwa et Batswa) pour désigner les Ethnies Pygmoïdes de la forêt. (cfr Baumann et Westermann : Les peuples et les civi-lisations de l’Afrique, p. 21. — R. Cornevin : Histoire des peuples de l’Afrique noire, p. 105).

18.Au Rwanda, le terme Batwa désigne deux groupes distincts, qui n’ont en commun ni les caractéristiques somatiques, ni les éléments culturels. Il y a d’abord les Pygmoïdes, en notre langue Imhunyu myrmidons. 11s sont essentiellement chasseurs et vivent dans la forêt. On les reconnaît au premier coup d’oeil à leur petite taille. Les Batwa céramistes au contraire vivent au milieu des autres populations, en zones déboisées, où ils vaquent à leur métier de potiers. On affirme communément que les deux groupes ensemble totaliseraient les 1 % de la population rwandaise.

19.Les Batwa céramistes ont la taille normale des autres populations du pays. On les reconnaît d’ordinaire à leur parler spécial. La langue rwandaise, en effet, comporte trois tons au point de vue hauteur musicale. Les Batwa n’emploient que deux : le haut et le bas, en négligeant le moyen dans les mots qui le comportent.. Chez l’unmense majorité de leur groupe, les caractéristiques physiques sont plus proches des Bushmans, lesquels sont désignés également par le même terme Batwa chez les Bantu méridionaux. Ils doivent cons-tituer un reliquat d’une Culture ancienne, différente de celles des Pygrnoîdes et des Bantu. Le poème mythologique appelé lbirali Récit des origines, les fait descendre du ciel en compagnie de Ki-gwa, l’ancêtre mythique de la Dynastie des Banyiginya.

20.Il ne s’agirait du reste pas de la seule Culture dont nous ayons sur place des témoins de l’espèce. On peut penser aux Abayovu, lit-téralement : les Eléphantiers dont on rencontre les représentants en différentes zones du Rwanda. Pour les caractéristiques physi-ques, ils sont des Bantu. Mais ils sont potiers comme les Batwa. Ce qui est cependant important, au point de vue culturel, dans les zones où cela est possible, ils mangent de la chair d’éléphants nzovu, d’où leur appellation Abayovu. Or l’éléphant était classé aliment impur en Culture Rwandaise. Aussi les Bahutu et les Ba-tutsi traitaient-ils les mangeurs d’éléphants à l’égal des Batwa, ne partageant avec eux ni chalumeau (boisson), ni nourriture. — On constate cependant dans certaines zones que des groupes de Ba-yovu, tout en restant potiers, ont adopté la classification des aliments et fusionné avec le reste de la population dans le boire et le manger.

21.Les Bahutu forment l’immense majorité de la population. Ils appartiennent à la vaste civilisation des agriculteurs et ce sont eux qui ont défriché la forêt couvrant jadis le Rwanda. L’élevage de la chèvre appartient sans conteste à leur Culture.

Les Batutsi sont originairement éleveurs du bovidé. Comme ils s’habillaient de la peau de brebis, et que cet animai servait, à l’égal du taureau et du poussin, dans leurs pratiques de la divination hamitique, on peut affirmer que la race ovine au Rwanda appartient à leur Culture originaire.

22.. affirme communément que les Bahutu formeraient les .85% de la population Rwandaise, et les Batutsi dans l’ordre des 14%. Ces pourcentages des Ethnies constituent pratiquement un ordre de grandeur car ils ne reposent sur aucun recensement global scientifiquement établi. Dans son livre Analyse de la variation des caractères physiques humains en… RuandaUrundi et Kivu (Tervuren, 1956), le Dr Hiernaux, se référant à des recensements d’échantil-lonnages, en p. 20, parle de 81 % de Bahutu et de 17% de Batutsi. Les Batwa étaient 1 % pour le Rwanda et leBurundi ensemble. Le même auteur relevait, dans le même cadre, la taille moyenne de 1,76 m pour les Batutsi, 1,67m pour les Bahutu et 1,55 in pour les Batwa.

23.Si cependant les critères somatiques sont en soit permanents respectivement pour les Bahutu et les Batutsi, il faut reconnaître que, dans les zones orientales, centrales et centre-sud, ils ont réalisé un métissage assez poussé. Il y avait, certes, le cas des relations extra-matrimoniales ; mais la voie la plus courante était constituée, dans l’ancienne société, par le cas des Bahutu devenus propriétaires de gros bétail et qu’on appelait ibyihuture = les quittantlaconditiondecultivateur et passant dans la catégorie politique des Batutsi ; c’est-à-dire soumis désormais aux impositions bovines et exemptés de ce fait des impôts vivriers réclamés aux agriculteurs. Ils prenaient femmes chez les Batutsi. Il y avait surtout le cas des Bahutu nommés par le Roi Préfets du Sol (cfr. notre Code, art. 334). Ils avaient le titre et le rang de Chefs ; ils se mariaient parmi les Batutsi qu’ils précédaient alors en dignité. il y avait, enfin, le cas des Batutsi déchus de leur richesse bovine et qui étaient obligés de s’intégrer à la classe des cultivateurs ; ils mariaient dé-sormais leurs enfants dans leur nouveau milieu social.

24.Ce double courant explique chez nos Rwandais la gamme variée de sang mêlé qui s’échelonne entre les Bahutu et les Batutsi de la catégarie qualifiée de pure. Dans le cas des Batutsi, on peut en constater de nombreux exemples, — lors même qu’ils représentent le type hamitique idéal, ne sont cependant pas pour la plupart exempts du sang bantu dans leurs veines. Si les métissés des deux premières générations peuvent présenter parfois des caractères plus- ou moins accusés de leur origine partiellement bantu, il suffit de quelques 2 ou 3″ générations issues de femmes hamites pour aboutir à des’ types plus représentatifs que ceux des Hamites purs non métiséés.

  1. Entre Batwa Céramistes et les deux autres Ethnies, le métissage était à sens unique et sa fréquence très réduite. On n’a pu constater que quelques cas isolés de croisement, et cela dans les relations extra-matrimoniales, entre Batutsi et femmes céramistes, celles surtout séjournant à la Cour. Il n’y avait de possibilités de mariages réguliers que dans le cas où le Roi avait anobli telle Famille de Céramistes. En ce cas cependant, ces derniers cessaient politiquement d’appartenir désormais à leur groupe Ethnique pour s’intégrer à celui des Batutsi. Les descendants de ces Céramistes anoblis, au bout de quelques 2 générations, ne présentent plus les caractères physiques de leur origine.
  2. b) L’ordre chronologique de l’arrivée des trois Ethnies au Rwanda et leurs organisations socio-politiques

 Il est hors de doute que les Batwa Pygmokies furent les premiers habitants de cette zone qui devait s’appeler Rwanda. Ils évoluaient alors dans la forêt primitive, qui s’étendait à perte de vue. Leur organisation sociale actuelle doit être la même qu’au début ; leur économie n’ayant pas subi de modification profonde, en effet, il n’y a aucun facteur qui aurait provoqué quelque changement fondamental au point de vue social.

Ils se répartissent en groupes familiaux, se rattachant respectivement chacun à un ancêtre commun. Ils ont délimité la forêt en districts de chasse. Chaque groupe ne peut chasser qu’à l’intérieur de son district ; mais une fois l’animal levé en ce territoire, ils peu-vent le poursuivre même en dehors de leur « frontière ». Tout le groupe consomme en commun le fruit de la chasse, sans songer à se constituer des réserves. Ils sont nomades et comptent principa-lement sur leurs arcs pour gagner leur vie. (Inganji Karinga vol. I. no 17-18).

  1. Il est aussi certain que les Bahutu firent en deuxième lieu leur apparition, il y a de cela plusieurs milliers d’années. Ils se divisent également en groupes familiaux, à l’égal des Pygmoïdes. Mais, tandis que ces derniers vivent de la forêt, les Bantu sont agriculteurs et doivent déboiser le pays. Pour écarter tout motif de con-flit, chaque groupe bantu délimitait un vaste territoire de la forêt, qui constituait son domaine à défricher, non seulement pour le présent, mais encore pour les générations à venir. Les limites entre différents domaines étaient indiquées par des plantes ou autres signes dont le présence signale indubitablement le passage de l’homme. La structure des nouveaux domaines se superposait ainsi aux districts de chasse antérieurement établis par les Pygmoi-: des, et cela sans faire nécessairement coïncider les « frontières ». Les Pygmoïdes le savaient parfaitement, car les bantu les prenaient à témoins au moment de la délimitation. En cas de conflit, les Batwa étaient à même d’indiquer le groupe familial bantu qui était dans le tort.

28. Le Chef patriarcal du groupe bantu était umwami = roi ; il régnait sur un peuple avec lequel il avait les liens du sang. Il représentait la lignée qui, de père en fils, avait gouverné le groupe et, par suc-cession, se rattachait en cette qualité à l’ancêtre fondateur. Le roi autochtone était « patriarche » de sa Famille. Il était aussi le propriétaire éminent de la terre dévolue à son groupe ; à savoir tout le domaine, aussi bien déjà déboisé que la réserve forestière.

29. Les devoirs que le Patriarche avait envers son peuple étaient tous d’ordre magico-religieux. Ils seramenaient spécialement aux 3 suivants :

1)A l’époque des semailles, il devait accomplir un cérémonial destiné à faire prospérer les récoltes ; au cours de ce cérémonial, il inaugurait rituellement la saison en ensemençant le premier, et en accomplissant l’acte conjugal. C’était le signal donné à tout son « royaume » d’en faire autant.

2)Il était le pluviateur d’office pour son « royaume ». C’est dire qu’il était censé procurer la pluie en temps voulu, et en arrêter le cours si elle risquait de compromettre la récolte en vue. La sécheresse et la pluie étaient donc censées être en son pouvoir.

3)Si les sauterelles, ou d’autres insectes nuisibles aux récoltes, envahissaient le pays et risquaient de ruiner la moisson attendue, il devait procéder au Cérémonial imprécatoire du kuvuma—— maudire; afin d’anéantir ces agents des fléaux.•

Ses subordonnés. qui, par principe, étaient tous ses parents, lui devaient -une prestation du même ordre : au moment de la récolte, les sous-groupes familiaux se donnaient rendez-vous à sa résidence. Ils  y Apportaient des cruches de boissons et des denrées de la nouvelle récolte. Ils organisaient en commun la grande fête de Prémices umuganura. Le souverain mangeait le premier de la nouvelle récolte et accomplissait l’acte conjugal en sa qualité de «patriarche » de sa grande Famille. Avant cette cérémonie, il était défendu à quiconque de goûter« aux produits de la moisson nouvel- . le: Cela eût été s’exposer à mourir prématurément. C’était seule- ment après cette fête que chaque père de foyer mangeait de la récolte nouvelle. S’il avait des enfants mariés, ils en faisaient autant qu’après leur père, de Même que ce dernier y avait été autorisé après le souverain terrien. En dehors de” cette prestation,,, du domaine religieux, les sujets ne devaient aucune autre à leur « patriarche». N’étaient-ils pas, sous son autorité et au même titre que lui, les propriétaires de leur terre ‘commune héritée de leurs ancêtres ?

31.L’autorité .souveraine du, « patriarche » était constamment rap-pelée par la cérémonie d’investiture qu’il accomplissait lorsque  l’un de ses subordonnés désirait déboiser une portion congrue de la forêt, :afin de se créer une propriété personnelle. «Cela avait lieu surtout lorsqu’un nouveau foyer était fondé et que son chef entendait se fixer en dehors de la propriété :paternelle. La même procédure se produisait également lorsque tel propriétaire, antérieurement. installé, trouvait que. sa terre s’était appauvrie et voulait ..se tailler une propriété neuve, plus riche, en lisière de la forêt. Dans l’un et l’autre cas, l’intéressé devait .se présenter au « patriarche »

. pour obtenir de lui l’autorisation de déboiser l’espace lui convenant de la forêt. Le « patriarche » faisait à son parent le cadeau – d’une serpette, symbole de défrichage, et à partir de ce. moment le solliciteur s’en allait mettre son dessein à exécution.

32.Dans les débuts cependant, la serpette en fer ici mentionnée n’existait pas le patriarche devait donner un autre symbole qui n’a pas été conservé dans les traditions. Nous en est témoin le fait suivant : Se tailler une propriété dans la forêt se dit gukonda. La particule « gu » est l’indice de l’infinitif de ce verbe, la racine étant kond-a, dont est dérivé le substantif umukonde = le Defricheur, (au plu-riel abakonde). Vous y remarquez la même racine kond-e, auquel est préfixé le déterminatif umu(aba), indice qu’il s’agit d’un être d’intelligence (homme). Or cette racine kond-a devient konz-e dans les temps parfaits (exprimant une action achevée). C’est à partir de cette dernière forme que nous avons in-konz-o = inko-nzo, dont la signification étymologique est : instrument aratoire en bois crochu, et la signification réelle : instrument de défrichage, ou celui au moyen duquel on déboise la forêt pour s’y tailler une superficie arable. Au début donc, l’inkonzo secondait le feu pour faire reculer la forêt ; peut-être alors y faisait-on intervenir une hache en pierre.? Bien entendu, lorsque surgit ultérieurement

l’industrie du fer, l’inkonzo fut remplacé par la houe et précédé aussi bien de la hache en fer que de la serpette. Mais le verbe gukonda et les termes umukonde = le Défricheur, et ubukonde = le système (ou le droit terrien) de défrichage, restèrent dans le langage par analogie, comme nous le faisons à notre époque. Songez par exemple aux locutions comme celle-ci : tel peuple et tel autre babanze imiheto = ils ont bandé les arcs = ils se battent (alors qu’il s’agit d’armes à feu et tout le reste), l’arc étant le symbole culturel par excellence des combats pour un Rwandais.

  1. Avant de déboiser cependant, l’investi de la serpette devait en avi-ser le chef patriarcal du groupe des Pygmées qui exerçait le droit de chasse sur cette partie de la forêt. Le Chef Pygmée exigeait un droit appelé urwugururo = ouverture. Cette offrande était consommée en commun par tout le groupe Pygmée. C’est de cette manière que les Bantu reconnaissaient la préséance des Pygmées et leur droit antérieur sur la forêt.
  1. Nous voyons donc que certains défricheurs quittaient leur propriété et qu’ils faisaient reculer progressivement la forêt, à longueur de générations. Que devenaient les propriétés ainsi abandonnées ? Elles tombaient sous le pouvoir politique du souverain, et ne pouvaient plus jamais recouvrer la qualité de terrains inaliénables dont elles jouissaient, aussi longtemps que les défricheurs ou leurs des-cendants•s’y trouvaient installés d’une manière ininterrompue. Ces derniers pouvaient en disposer à leur guise et même les vendre à qui leur plaisait, lui transmettant le même droit inaliénable de propriétaire terrien. Mais une fois qu’ils avaient librement aban-donné cette propriété, c’était le souverain qui pouvait en disposer à sa guise
  1. Il était interdit, en effet, au souverain terrien, d’investir de la serpette (c.à.d. autoriser d’abattre la forêt) quelque personne que ce fût, en dehors de sa parenté du sang. Or les membres de cette dernière ne pouvaient travailler au profit personnel du souverain terrien. Celui-ci devait recourir à des étrangers. Ces derniers se présentaient dans la zone, en quête de terres à cultiver. Le souverain terrien les installait dans les propriétés ‘abandonnées. Les nouveaux arrivants travaillaient pour eux-mêmes certes, mais aussi pour leur bienfaiteur. Les défricheurs en faisaient autant, chacun à l’intérieur de sa propriété. C’est ainsi que s’installait le système de servage terrien et que les défricheurs s’attachaient une clientèle organisée, main d’oeuvre précieuse, les secondant efficacement dans le déboisement de la forêt Les clients n’étaient pas des bakonde,= défricheurs, puisqu’ils ne pouvaient pas être investis de la serpette; ils n’avaient aucun droit sur la forêt Ils étaient simplement des baretwa = corvéables, parce qu’ils étaient tenus à des prestations au service de ceux qui leur avaient alloué un lopin de leur propriété.
  1. C’est de la sorte que le Rwanda était divisé en deux zones ; dans la première, progressivement laissée en arrière par les défricheurs, le cultivateur de la terre est un simple usufruitier, auquel il est inter-dit de vendre son lopin. Dans la deuxième zone, sise le long de la
  • forêt, de part et d’autre de la dorsale Zaïre-Nil et au Nord du Rwanda, est en vigueur encore de nos jours le droit de véritable propriété, qui est celui du défrichage.

37.Et sur ces entrefaites, voici qu’arrivent les Batutsi pasteurs. Ils sont organisés en groupes familiaux comme les autochtones Bantu.

Lorsqu’on parle de leur invasion, on laisse supposer des bandes organisées, faisant irruption dans la zone de leur choix ! Ceci ne semble pas convenir à des pasteurs, cheminant avec leurs troupeaux en quête de pâturages. On oublie qu’ils ne savaient pas où ils al-laient, puisqu’ils n’appartenaient pas à une Culture utilisant les cartes géographiques. On peut se les imaginer plutôt séjournant quelques générations dans la zone herbeuse placée sur leur chemin, ne la quittant que sous la pression de nouveaux arrivants trop agressifs. Ils pouvaient peut-être mettre un siècle à se déplacer de quelques 150 km vers le Sud, pour zigzaguer encore longtemps sur place. En toute hypothèse, le problème de leur arrivée en Afrique interiacustre déborde le Rwanda, puisque leur aire s’étend très lin au Sud, dans la zone occidentale de la Tanzanie. L’idée des conquêtes peut avoir précédé la sédentarisation complète, si nous nous référons à l’exemple des Bahima au Nord du Rwanda. Une fois le mouvement commencé, leurs propres Dynasties entrèrent en conflits et les plus forts agrandirent leurs domaines aux dépens des plus faibles. Ainsi se créèrent progressivement des royaumes relativement étendus.

38.La catégorie de ces Hamites anciens qui a laissé dans le Rwanda un souvenir de puissance inégalée est celui des Abarenge, dénomination calquée sur Rurenge, l’ancêtre éponyme de leur Dynastie. On attribue régulièrement à leur civilisation les houes, les marteaux et autres objets forgés que, fortuitement, mettent au jour les cultivateurs de notre époque, dans certaines zones du pays. Ces Hamites devaient être fortement outillés, beaucoup plus que ne l’étaient les Rwandais modernes ; ils creusaient les puits de leurs vaches en endroits rocheux. C’est à ce signe qu’on reconnaît les puits fameux du Rwanda actuel, dont le creusement initial est attribué par les traditions à l’époque de ces Abarenge. Leur groupe a plusieurs représentants dans notre société moderne ; ils sont désignés sous la dénomination des Basangwa-butaka = les trouvés sur la terre ; c’est-à-dire ceux qui occupaient déjà le pays à l’ar-rivée des fondateurs de la Dynastie des Banyiginya, que leur récit mythologique fait descendre du ciel. L’empire des Abarenge débordait largement le Rwanda actuel. Leur dernier souverain légitime residait au Oishaii, tandis que le Burwi, au Sud du Rwanda, ‘mbean,séparé du tronc par des conquêtes ultérieures, duiv:e’inéhpar une Dynastie adventice du même groupe. Les

‘sent du Clan des Abasinga = les Vainqueurs, ayant laif•-pintr« totem.

ntre du Rwanda actuel, en Préfecture de Kigali, était le do-

tue ‘de la Dynastie des Abongera, tandis que celle des Abene-nge gouvernait un vaste royaume à cheval sur les Préfectures ac-tuelles de Butare-Gikongoro, au Rwanda, et des Provinces de Ngozi-Kayanza au Burundi. La Préfecture de Gitarama et Nord\ de celle de %tare, au déclin des Abarenge, formèrent le royaume  du Nduga, domaine de la Dynastie des Ababanda. Celle des Abazi-gaba gouvernait le Mubali, dont la partie orientale est devenue le Parc National de la Kagera. Des dynasties d’une importance mi-neure étaient installées dans d’autres régions et chaque pays ré-pondait à un nom déterminé. Toutes les données dont nous dis-posons ont été certes conservées panics Mémorialistes de la Dynastie des Banyiginya ; mais les groupes dont on nous parle ont laissé des traces ethniques dans la société actuelle.

  1. La Dynastie des Banyiginya n’est pas nécessairement postérieure à toutes celles dont elle devait conquérir les pays. Nous apprenons l’existence de ces lignées, en effet, au fur et à mesure qu’elles ont frontière commune avec le Rwanda et entrent en lutte avec les Banyiginya. Quelques-unes d’entre elles furent peut-être fondées à une époque relativement récente, tandis que celle des Banyiginya était déjà à l’oeuvre de sa consolidation initiale. Seuls les Abarenge, les Abazigaba et les Abenengwe, suivant les traditions, leur sont certainement antérieurs, tandis que les Ababancla leur sont sûre-ment Postérieurs. Quant aux autres lignées, aucune donnée ne permet de se prononcer dans un sens ni dans l’autre.
  2. c) Les moyens de conquêtes utilisés par les Hamites

 L’instrument des conquêtes Hamitiques, dit-on communément, fut ‘la Vache. Nos pasteurs se constituaient une vaste clientèle, en accordant à des soliciteurs une ou plusieurs têtes de gros:bétail.

Les clients obtenaient ces fiefs en usufruitiers, et le patron pou-vait reprendre ses vaches, sans plus, lorsque le serviteur ne lui donneriait pas entière satisfaction sur l’article des prestations attachées au contrat. Ce puissant système dit ubuhake — contrat de servage pastoral (par opposition au contrat de servage terrien, cfr no 35), a été considéré d’une manière isolée et faussée au déclin de l’ancien régime. Nous en traiterons au tome H, sous Mutara

42.L’importance de la Vache dans notre ancienne société est indiscutable ; mais il n’y avait pas que le buhake pour en être pourvu. On pouvait en acquérir par achat, par récompense guerrière, par don et par voie des gages matrimoniaux. Or les vaches acquises dpeccs manières ne relevaient pas du buhake (n’étaient par conséquent pas ingabane = repues par voie de servage pastoral) ; elles étaient imbata = propriété personnelle. Leur possession était protégée par l’institution de la Milice = Ingabo. Si le propriétaire de ces Imbata voulait augmenter son cheptel et se recommander à un patron sous le régime du buhake, ledit patron n’avait aucune autorité sur ces imbata. Le contrat du buhake une fois rompu entre les deux intéressés, le patron, le shebuja, reprenait les vaches qu’il avait accordées à son client — umugaragu. Cette reprise se faisait devant le juge, et l’acte de partage entre les ingabane (relevant du contrat rompu) et les imbata, se disait : guets/ut igikingisho hagati, formule juridique qui signifie littéralement : faire passer au milieu le pot à kaolin. Le verbe gucisha -= faire passer ; le substantif igikingisho pot en bois contenant du kaolin trempé dans l’eau, substance dont on enduisait les tétines des laitières après la  traite finale, afin de les protéger contre la piqûre des mouches. L’adver-be hagati = au milieu. Ladite formule revient ainsi à dire littéralement : placer ledit pot à kaolin en plein milieu entre les ingabane et les imbata, pour que le shebuja emmène les premières et que le mugaragu retienne ses imbata. Encore une fois, il s’agit d’une for-mule juridique qui ne voulait dire rien d’autre en notre Culture, en dehors de cet acte de partage opéré par le juge.

43.Ceci dit, il semble faux d’affirmer que les conquêtes ha.mitiques aient été réalisées grâce à la pratique du buhake. Ce système suppose, -en effet, que les clients vivent depuis longtemps sous la mê- me•coutume que leurs patrons, que les uns et les autres sont régis parle Même droit. Pour expliquer les conquêtes, en conséquence il faut songer à d’autres facteurs, de leur nature antérieure à l’octroi d’une vache par ce contrat du buhake en une société donnée. Nous venons de signaler l’institution de la Milice (cfr notre Code, art. 1-197 ; Les Milices p. 37 ssv). L’institution de la Milice était de loin plus importante que le système du buhake, celui-ci relevant du droit privé, simple contrat entre deux individus et révocable à volonté. L’institution de la Milice, au contraire, relevait du droit public et constituait, de sa nature même, l’instrument des conquêtes. Cette organisation ne dut certes pas être aussi structurée dans les débuts comme elle devait l’être dans la suite. On ne peut, en toute hypothèse, s’imaginer un potentat tourné vers les conquêtes qui ne disposerait pas d’une organisation guerrière, si embryonnaire soit-elle. Quant au système du buhake, nous pourrions même supposer qu’il serait une adaptation, sur le plan bovin, du servage terrien que les Batutsi auraient observé chez les autochtones Bantu (nG 35).

  1. Il faudrait supposer également un armement plus perfectionné. Il est certes une tradition prétendant que les Banyiginya aient introduit en nos régions l’usage du fer. Ceci est clairement faux, puisque l’on déterre sporadiquement des marteaux et des houes attribués à la Culture des Abat-éne qui sont de loin antérieurs aux Banyiginya. En toute hypothèse, l’industrie du fer en Afrique centrale et interlacustre déborde la zone du Rwanda ; la question sera élucidée par les Archéologues et Préhistoriens.

Etant donné cependant que la présence des Hamites en notre zone, — pas nécessairement des Batutsi formellement tels, — doit remonter à une vénérable antiquité, il n’est pas à priori incroyable que ce soit eux qui aient initié les aborigènes à l’industrie du fer. La supposition ne sera clairement écartée que lorsque aura été précisée l’époque où aura surgi cette industrie, et qu’en même ,temps on aura démontré que• les premières infiltrations hamitiques auront débuté à une époque ultérieure. Il est concevable, bien

entendu, que ladite industrie puisse avoir surgi indépendamment d’eux, tandis qu’ils se seraient trouvés sur place, vaquant à la garde de leurs troupeaux. Mais dans ce cas il faudrait subsidiairement démontrer qu’ils arrivaient d’une zone où l’industrie du fer était alors inconnue.

En conclusion : dans le cas où les Hamites auraient disposé d’un armement plus perfectionné, — lances, flèches et glaives en fer, — les conquêtes auront pu en être d’autant plus facilitées. Dans le cas où les aborigènes auraient eu déjà le même armement, ce serait une plus grande capacité d’organisation et de tactique qui en aurait triomphé.

45.Aoutons en passant que les Batutsi du Rwanda, ou peut-être quel-ques-uns de leurs groupes, semblent avoir connu une Culture où l’on construisait en matériaux durables avec toits couverts en tuiles. Ceci peut nous être suggéré par la locution universellement connue de i busakaza-taka — là où on couvre les maisons en terre, pour signifier : très, très loin ; synonyme de iyo bigwa = là où les choses tombent dans le vide (au-delà de la limite du monde), ou iyo gihera = là où le pays, la terre) prend fin.

46.Un autre indice culturel complétant ce qui a été dit au no 32 ci-avant : la semaine de 4 jours ouvrables se terminant par le Sème appelé icyumweru, terme qui à servi à traduire le dimanche. Cette semaine de 5 jours a été évidemment importée de l’Afrique Nord-orientale. Elle s’attache au groupe des Banyiginya, si nous nous fions à la locution icyumweru cya Gihanga = le dimanche de Gi-hanga, fondateur supposé de leur Dynastie. 11 était tabou de cul-tiver à la houe le dimanche, sous peine de faire tomber de la grêle ou la foudre sur la localité du contrevenant. Il importait peu que la faute ru’t commise durant la saison sèche, car un dicton nous as-sure que la foudre en gardait rancune jusqu’à la saison suivante des pluies : wica icyumweru ink-uba ikalibika mu nda. Il faut cependant noter que le dimanche on pouvait cultiver à l’inkonzo, sans aucun danger de ce genre. Ceci nous laisse comprendre que cet instrument aratoire en bois existait avant l’introduction de ladite semai-ne, laquelle aurait été installée au Rwanda à la même époque que la houe en fer visée par le tabou en question. Ce qui ne veut pas dire nécessairement que la houe en fer ait été introduite par les Batiyigitiya : elle les aurait précédés dans le pays, tandis qu’ils au-raient appartenu à une Culture où ledit tabou frappait déjà le tra-vail des champs au jour clôturant la semaine.

  1. d) Le traitement des zones conquises par les Banyiginya

47.Nous ne savons pas comment les Hamites antérieurs en agissaient à l’égard des roitelets autochtones dont ils annexaient les territoi-reS: Neus salions par contre la politique pratiquée en la Matière par la Dynastie des Banyiginya. Nous pouvons penser qu’ils imi-taient peut-être leurs devanciers.

Lorsque le territoire d’un « Patriarche » autochtone était annexé, sa lignée était respectée et ses fonctions magico-sociales se trouvaient englobées pratiquement dans le patrimoine conquis. C’est dire que ledit roitelet était chargé d’exercer ses fonctions antérieures au nom du Roi du Rwanda. Mais un fonctionnaire de la Cour venait se”. superposer à l’autorité du roitelet, en vue d’organiser les prestations politiques de la région. Ce fonctionnaire recevait lesdites prestations par l’intermédiaire du roitelet autochtone, dont le titre officiel devenait umuhinza le Président des Cultures, (littéralement : le faisant-gronder-le-tonizere), du verbe githinda tonner, gronder (en parlant du tonnerre), duquel dérive guhmza -= faire tonner, faire gronder le tonnerre.

48.Le fait de laisser les roitelets autochtones en place, jouissant de tous leurs droits antérieurs et del’usage du tambour-emblème de leur lignée, peut être considéré certes comme une politique avisée ; mais cette attitude trouve son explication dans une autre considération : la royauté autochtone Bantu ne comportait pas la doctrine d’un Code ésotérique Ubwiru, et de ce fait ne s’op- posait pas à la royauté du type hamitique en nos régions, basé sur la doctrine dudit Code. Seules les dynasties hamitiques étaient opposées les unes aux autres. Aussi lorsque telle dynastie hamitique était évincée, son chef et toute sa descendance directe étaient-ils supprimés impitoyablement, pour rayer juridiquement la lignée.

Les branches collatérales de la même Maison n’étaient pas en soi concernées par cette nécessité d’extinction, vu que, dans le cadre dudit Code, elles étaient dans l’impossibilité juridique de restau-rer la dynastie vaincue. Ne pouvait la restaurer juridiquement qu’un descendant direct du dernier régnant.

49.Nous terminerons ce chapitre par l’explication du terme « umwa-mi ». Nous venons de voir que les roitelets autochtones qui, initialement, portaient ce titre, en étaient privés une fois annexés au Rwanda, et s’appelaient désormais abahinza. Le monarque du Rwanda, initialement « roitelet » en raison de son minuscule territoire, conserva le titre de « umwami » dont il amplifiait la portée augur et à mesure que son territoire s’élargissait. Il n’était pas le seul à porter ce titre : les Souverains de notre zone, du même rang que lui, s’appelaient également « abami ». Ce terme dérive de la racine am-a (le verbe : kw-am-a) —- être renommé, se trouver illustre. Le verbe archaïque kwama ne s’emploie plus dans le langage moderne ; nous employons son dérivé duplicatif kw-am-amara (k.wamamara) pour rendre la même signification de : être renommé, se trouver illustre.